ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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HORLOGERIE (Page 8:303)

HORLOGERIE, (ordre encyclopédique, Méchanique, Physique, science du mouvement, &c.) L'Horlogerie est l'art de faire des machines qui mesurent le tems. L'art de mesurer le tems a dû faire l'objet des recherches des hommes dans les siecles les plus reculés, puisque cette connoissance est nécessaire pour disposer des momens de la vie: cependant il ne paroît pas que les anciens ayent eu aucune connoissance de l'Horlogerie, à moins que l'on n'appelle de ce nom l'art de tracer les cadrans solaires, de faire des clepsydres ou sabliers, des horloges d'eau, &c. Il est vraissemblable que les premiers moyens que l'on a mis en usage pour mesurer le tems, ont été les révolutions journalieres du soleil: ainsi le tems qui s'écoule depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, fit une mesure qui fut appellée un jour, & le tems compris depuis le coucher du soleil jusqu'à son lever fit la nuit; mais on dut bientôt s'appercevoir qu'une telle mesure étoit défectueuse, puisque ces sortes de jours étoient plus longs en été qu'en hiver: il paroît que l'on se servit ensuite du tems qui s'écoule depuis le point de la plus grande élévation du soleil au - dessus de l'horison (lequel on nomme midi), jusqu'à son retour au même point; mais comme les besoins des hommes augmenterent à mesure qu'ils devinrent plus instruits, cela les obligea à avoir des divisions du tems qui fussent plus petites. Ils diviserent donc le tems qui s'écoule entre deux midis, c'est - à - dire une révolution du soleil en vingt - quatre parties ou heures, de là l'origine des cadrans solaires dont les heures sont marquées par des lignes; voilà en gros l'origine de la mesure du tems par le mouvement du soleil: or on voit que cette maniere étoit sujette à bien des difficultés, car on ne pouvoit savoir l'heure pendant la nuit, ni lorsque le soleil étoit caché par des nuages; c'est ce qui donna lieu à l'invention des clepsydres ou horloges d'eau, &c.

Cette derniere maniere de mesurer le tems, toute imparfaite qu'elle est, a servi jusqu'à la fin du dixieme siecle, qu'est l'époque de l'invention des horloges, dont le mouvement est communiqué par des roues dentées, la vîtesse réglée par un balancier, l'impulsion donnée aux roues par un poids, & le tems indiqué sur un cadran divisé en douze parties égales au moyen d'une aiguille portée par l'axe d'une roue; cette aiguille fait un tour en douze heures, c'est - à - dire deux tours depuis le midi d'un jour au midi suivant. Lorsque l'on sut ainsi parvenu à avoir de ces horloges, dont les premiers furent placés aux clochers des églises; des ouvriers adroits & intelligens enchérirent sur ces découvertes, en ajoûtant à côté de ces horloges un rouage, dont l'office est de faire frapper un marteau sur une cloche les heures indiquées sur le cadran; de sorte qu'au moyen de cette addition, on pouvoit savoir les heures pendant la nuit sans le secours de la lumiere, ce qui devint d'une grande utilité pour les monasteres; car il falloit qu'avant cette invention les religieux observassent les étoiles pendant la nuit, pour ne pas manquer l'heure du service, ce qui n'étoit pas fort commode pour eux; aussi attribuoit on l'invention des horloges à roues au moine Gerbert, qui fut ensuite archevêque de Reims environ en 991, & enfin pape sous le nom de Silvestre II. on s'est servi jusques en 1651 de cette invention. Voyez l'Histoire de France du président Hénault, tome I. p. 126.

Quand on fut ainsi parvenu à avoir de ces horloges, on en fit des plus petites pour placer dans les chambres; enfin d'habiles ouvriers firent des horloges portatives, auxquelles on a donné le nom de montres. C'est à ce tems que remonte l'origine du ressort spiral, dont l'action entretient le mouvement de la machine, & tient lieu du poids dont on se sert pour les horloges, lequel ne peut être appliqué à une machine portative continuellement exposée à des mouvemens, inclinaisons, &c. qui empêcheroient l'action du poids, on fit aussi des montres à sonnerie. C'est proprement à ces découvertes que commence l'art de l'Horlogerie; la justesse, à laquelle on parvint pour mesurer le tems en se servant des horloges & des montres, étoit infiniment au - dessous de la justesse des sabliers & horloges d'eau; aussi faut - il avouer que c'est une des belles découvertes de ces tems - là: mais elle n'étoit rien en comparaison de la perfection que l'Horlogerie acquit en 1647; Huyghens, grand mathématicien, créa de nouveau cet art par les belles découvertes dont il l'enrichit; je veux parler de l'application qu'il fit du pendule aux horloges, pour en regler le mouvement; & quelques annés après, il adapta aux balanciers des montres un ressort spiral, qui produisit sur le balancier le même effet que la pesanteur sur le pendule.

La justesse de ces machines devint si grande par ces deux additions, qu'elle surpasse autant celle des [p. 304] anciennes horloges, que celles - ci étoient au - dessus des clepsydres & horloges d'eau.

Huyghens ayant appliqué le pendule aux horloges, s'apperçut que les vibrations par les grands arcs du pendule étoient d'une plus grande durée que les vibrations par les petits arcs, & que par conséquent l'action du poids sur le pendule venant à diminuer lorsque les frottemens des roues seroient augmentés & les huiles épaissies, il arriveroit nécessairement que l'horloge avanceroit. Pour parer cette difficulté, il chercha les moyens de rendreles oscillations du pendule isochrones ou égales en durée, quelle que sut l'étendue des arcs; pour cet effet, il découvrit par ses recherches la propriété d'une courbe, qu'on appelle la cycloïde, laquelle est telle que si on laisse tomber un corps de différentes hauteurs de cette courbe, la descente du corps se fait toûjours dans le même tems: il appliqua donc à l'endroit où le fil, qui suspend le pendule, est attaché, deux lames pliées en cycloïde entre lesquelles le fil passoit; ensorte qu'à mesure que le pendule décrivoit des plus grands arcs, & qu'il auroit dû faire l'oscillation en un plus grand tems, à mesure aussi le pendule s'accourcissoit, & son mouvement devenoit plus accéleré; & tellement que soit que le pendule décrivît des plus grands ou des plus petits arcs, le tems des oscillations étoient toûjours le même. Quoique le succès n'ait pas répondu à cette théorie, elle n'en est pas moins admirable, & c'est à elle que nous devons la perfection actuelle de nos pendules; car, malgré que l'on ne fasse plus usage de la cycloïde, c'est de cette théorie que nous avons appris que les petits arcs de cercle ne different pas sensiblement des petits arcs de cycloïdes; & qu'ainsi en faisant parcourir de petits arcs au pendule, les tems des vibrations ne changeront qu'infiniment peu, quoique la force motrice changeât au point d'en doubler l'étendue.

Le pendule circulaire, que l'on appelle piroüette, est encore de l'invention de M. Huyghens. Ce pendule au lieu de faire ses oscillations dans un même plan, décrit au contraire un cone; & tourne toûjours du même côté, y étant obligé par l'action des roues. Ce pendule est tellement composé qu'il peut parcourir de plus grands ou de plus petits arcs, selon que la force motrice agit plus ou moins, ensorte que les tours que ce pendule trace dans l'air, ont des bases plus grandes ou plus petites, selon l'inégalité de la force motrice; mais quoique le pendule décrive ainsi des cones inégaux, cela ne change point les tems des révolutions du pendule; car, soit que la force motrice soit foible, & que la force centrifuge du pendule lui fasse décrire un petir cône, ou soit que la force motrice venant à augmenter, la force centrifuge du pendule lui fasse alors parcourir un plus grand cercle, le tems des révolutions est toûjours le même; ce qui dépend de la propriété d'une certaine courbe, sur laquelle s'applique le fil qui porte le pendule. Cet isochronisme des révolutions du pendule est fondé sur une théorie qui m'a toûjours paru admirable, ainsi que celle de la cycloïde; & quoique l'on ne fasse usage de l'une ni de l'autre méthode, on ne doit pas moins essayer d'en suivre l'esprit dans les machines qui mesurent le tems, toute leur justesse ne pouvant être fondée que sur l'isochronisme des vibrations du régulateur quel qu'il soit: ces inventions furent contestées à Huyghens, comme il le dit lui - même au commencement de son livre intitulé, de horlogio oscillatorio. Je rapporterai ses propres paroles.

« Personne ne peut nier qu'il y a seize ans qu'on n'avoit soit par écrit, soit par tradition, aucune connoissance de l'application du pendule aux horloges, encore moins de la cycloïde dont je ne sache pas que personne me conteste l'addition.

Or il y a seize ans actuellement (en 1658) que j'ai publié un ouvrage sur cette matiere; donc la date de l'impression differe de sept années celle des écrits où cette invention est attribuée à d'autres; quant à ceux qui cherchent à en attribuer l'honneur à Galilée, les uns disent qu'il paroît que ce grand homme avoit tourné ces recherches de ce côté; mais ils font plus, ce me semble, pour moi que pour lui, en avouant tacitement qu'il a eu dans ses recherches moins de succès que moi. D'autres vont plus loin, & prétendent que Galilée ou son fils a effectivement appliqué le pendule aux horloges; mais quelle vraissemblance y a - t - il qu'une découverte aussi utile, non - seulement n'eût point été publiée dans le tems même où elle a été faite, mais qu'on eût attendu pour la revendiquer huit ans après la publication de mon ouvrage? dira - t - on que Galilée pouvoit avoir quelque raison particuliere pour garder le silence pendant quelque tems? Dans ce cas, il n'est point de découvertes qu'on ne puisse contester à son auteur »....

L'application de la cycloïde aux horloges, toute admirable qu'elle est dans la théorie, n'a pas eu le succès que M. Huyghens s'en étoit promis; la difficulté de tracer exactement une telle courbe a dû y contribuer; mais la principale cause dépend de ce qu'elle exigeoit que le pendule fût suspendu par un fil flexible; or ce fil étoit susceptible des effets de l'humidité & de la sécheresse; & d'ailleurs il ne pouvoit supporter qu'une lentille legere, qui parcourant de grands arcs, éprouvoit une grande résistance de l'air, ses surfaces étant d'autant plus grandes, que les corps sont plus petits. Or cette lentille devenoit sujette par ces raisons à causer des variations à l'horloge, & d'autant plus que la force motrice, soit le poids qui entretient le mouvement de la machine, devenoit plus grand, ce qui produisoit des frottemens. D'ailleurs toute la théorie de la cycloïde portoit sur les oscillations du pendule libre, c'est - à - dire, qui fait ses oscillations indépendamment de l'action réitérée d'un rouage. Or un tel pendule ne peut servir que pendant quelques heures à mesurer le tems; & lorsqu'il est appliqué à l'horloge, ses oscillations sont troublées par la pression de l'échappement qui en entretient le mouvement; ensorte que, selon la nature de l'échappement, c'est - à - dire, que selon que l'échappement est à repos ou à recul, les oscillations se font plus vîte ou plus lentement, comme nous le ferons voir. Aussi a - t - on abandonné depuis la cycloïde, qui a cependant produit une grande perfection aux horloges à pendules, c'est de nous apprendre que les petits arcs de cercles ne different pas sensiblement des petites portions de cycloïde; ensorte qu'en faisant décrire au pendule de petits arcs, les oscillations en seroient isochrones, quoique les arcs décrits par le pendule vinssent à augmenter ou à diminuer par le changement de la force motrice.

Le docteur Hook fut le premier en Angleterre qui fit usage des petits arcs; ce qui donna la facilité de faire en même tems usage des lentilles pesantes. Le sieur Clément, horloger de Londres, fit dans le même tems des pendules qui décrivoient de petits arcs avec des lentilles pesantes. Ce principe a été suivi depuis ce tems par tous les horlogers qui ont aimé à faire de bonnes machines. M. le Bon à Paris, a été un des premiers qui en ait fait usage; il fit même des lentilles pesant environ 50 à 60 livres; c'est le même système qu'a suivi de nos jours M. Rivaz.

On peut juger de la perfection où on a porté la construction & l'exécution des pendules astronomiques, [p. 305] par ce qu'elles étoient lorsque Huyghens les imagina. Les premieres horloges à pendule qui furent faites sur ces principes alloient 30 heures avec un poids de six livres, dont la descente étoit de cinq piés; & je viens d'en terminer une qui va un an avec un poids qui pese deux livres, & dont la descente est de cinq piés.

Au reste cette perfection que l'Horlogerie a acquise n'a rien changé aux principes, même depuis cent ans; ainsi le pendule est encore le meilleur régulateur des horloges, qu'on nomme aussi pendules, & le balancier gouverné par le spiral est le meilleur régulateur des montres.

Jusques à Huyghens l'Horlogerie pouvoit être considérée comme un art méchanique qui n'exigeoit que de la main d'oeuvre; mais l'application qu'il fit de la Géométrie & de la Méchanique pour ses découvertes, ont fait de cet art une science où la main - d'oeuvre n'est plus que l'accessoire, & dont la partie principale est la théorie du mouvement des corps qui comprend ce que la Géométrie, le calcul, la Méchanique & la Physique ont de plus sublime.

La grande précision avec laquelle le pendule divise le tems, facilita & donna lieu à de bonnes observations; ce qui fit appliquer des nouvelles divisions aux machines qui mesurent le tems. On divisa donc la 24e partie du jour, c'est - à - dire l'heure, en 60 parties, qu'on appelle minutes. La minute en 60 parties que l'on nomme secondes, & la seconde en 60 parties que l'on nomme tierces, & ainsi de suite. Ainsi la révolution journaliere du soleil d'abord divisée en 24 parties, l'est maintenant en 86400 secondes que l'on peut compter. On commença de faire d'après ces divisions, des horloges ou pendules qui marquerent les minutes & secondes; pour cet effet on disposa ces machines de maniere que tandis que la roue qui porte l'aiguille des heures, fait un tour en 12 heures, une autre roue fait un tour par heure; celle - ci porte une aiguille qui marque les minutes sur un cercle du cadran qui est divisé en 60 parties égales, dont chacune répond à une minute, & les 60 divisions à une heure. Enfin, pour faire marquer les secondes, on disposa la machine de maniere qu'une de ses roues fit un tour en une minute: l'axe de cette roue porte une aiguille qui marque les secondes sur un cercle divisé en 60 parties, dont chacune répond à une seconde, & les 60 à une minute; on ajoûta de même ces sortes de divisions aux montres.

Dès que l'on fut ainsi parvenu à avoir des machines propres à diviser & à marquer exactement les parties du tems, les artistes Horlogers imaginerent à l'envi différens méchanismes, comme les pendules à réveils, celles qui marquent les quantiemes du mois, les jours de la semaine, les années, les quantiemes & phases de la lune, le lever & le coucher du soleil, les années bissextiles, &c. Mais parmi toutes les additions que l'on a faites aux pendules & aux montres, il y en a entr'autres deux qui sont très - ingénieuses & utiles: la premiere est la répétition, cette machine soit montre ou pendule, au moyen de laquelle on sait les heures & les quarts à tous les momens du jour ou de la nuit. La seconde est l'invention des pendules & des montres à équation. Pour connoître le mérite de ces sortes d'ouvrages, il faut savoir que les Astronomes ont découvert après bien des observations, que les révolutions journalieres du soleil ne se font pas tous les jours dans le même tems, c'est - à - dire, le tems compris depuis le midi d'un jour au suivant, n'est pas toûjours le même, mais qu'il est plus grand dans certains jours de l'année, & plus court en d'autres. Or le tems mesuré par les pendules étant uniforme par sa nature, il arrive que ces machines ne peuvent suivre naturellement les écarts du soleil. On a donc imaginé un méchanisme qui est tel que tandis que l'aiguille des minutes de la pendule tourne d'un mouvement uniforme, une seconde aiguille des minutes suit les variations du soleil. Enfin, les plus belles machines que l'Horlogerie ait produites jusques ici sont, les spheres mouvantes & les planispheres.

On appelle sphere mouvante, une machine tellement disposée, qu'elle indique & imite à chaque moment la situation des planetes dans le ciel, le lieu du soleil, le mouvement de la lune, les éclipses: en un mot, elle représente en petit le système de notre monde. Ainsi, selon le dernier système reçû par les Astronomes, on place le soleil au centre de cette machine, qui représente la sphere du monde. Autour du soleil, tourne mercure; ensuite sur un plus grand cercle on voit vénus, puis la terre avec sa lune; après elle mars, ensuite jupiter avec ses quatre satellites, & enfin saturne avec ses cinq satellites ou petites lunes; chaque planete est portée par un cercle concentrique au soleil; ces différens cercles sont mis en mouvement par des roues de l'horloge, lesquelles sont cachées dans l'intérieur de la machine. Chaque planete employe & imite parfaitement dans la machine le tems de la révolution que les Astronomes ont déterminé; ainsi mercure tourne autour du soleil en 88 jours, vénus en 224 jours 7 heures, la terre en 365 jours 5 heures 49 minutes 12 secondes. La lune fait sa révolution autour de la terre en 29 jours 12 heures 44 minutes 3 secondes; mars en un an 321 jours 18 heures, jupiter en onze ans 316 jours, & saturne en 29 ans 155 jours 18 heures. La sphere mouvante n'est pas d'invention moderne, puisque Archimede qui vivoit il y a deux mille ans, en avoit composé & fait une qui imitoit les mouvemens des astres. On a fait dans ces derniers tems plusieurs spheres mouvantes; mais la plus parfaite dont on ait connoissance, est celle qui est placée à Versailles, laquelle a été calculée par M. Passement, & exécutée par d'Authiau.

On a aussi composé des pendules qui marquent & indiquent le mouvement des planetes, comme le fait la sphere; mais avec cette différence, que dans les machines qu'on nomme planispheres, les révolutions des planetes sont marquées sur un même plan par des ouvertures faites au cadran sous lequel tournent les roues qui représentent les mouvemens célestes.

On a ainsi enrichi l'Horlogerie d'un grand nombre d'inventions qu'il seroit trop long de rapporter ici; on peut consulter les ouvrages d'Horlogerie, comme le traité de M. Thiout, du P. Alexandre, & de le Paute; on trouvera sur - tout dans le livre de M. Thiout un grand nombre de machines très ingénieusement imaginées pour parvenir à exécuter aisément toutes les parties qui composent la maind'oeuvre; il y a d'ailleurs toutes sortes de pieces: cet ouvrage est proprement un recueil de machines d'Horlogerie.

On voit par ce qui précede une partie des objets que l'Horlogerie embrasse; on peut juger par leur étendue combien il faut réunir de connoissances pour posséder cette science.

L'Horlogerie étant la science du mouvement, cet art exige que ceux qui le professent connoissent les lois du mouvement des corps; qu'ils soient bons géometres, méchaniciens, physiciens; qu'ils possedent le calcul, & soient nés non seulement avec le génie propre à saisir l'esprit des principes, mais encore avec les talens de les appliquer. [p. 306]

Je n'entens donc pas ici par l'Horlogerie, ainsi qu'on le fait communément, le métier d'exécuter machinalement des montres & des pendules, comme on les a vû faire, & sans savoir sur quoi cela est fondé; ce sont les fonctions du manoeuvre: mais disposer une machine d'après les principes, d'après les lois du mouvement, en employant les moyens les plus simples & les plus solides; c'est l'ouvrage de l'homme de génie. Lors donc que l'on voudra former un artiste horloger qui puisse devenir célebre; il faut premierement sonder sa disposition naturelle, & lui apprendre ensuite le méchanique, &c. Nous allons entrer dans le détail de ce qu'il nous paroît devoir lui servir de guide.

On lui fera voir quelques machines dont on lui expliquera les effets: comment, par exemple, on mesure le tems; comment les roues agissent les unes sur les autres; comment on multiplie les nombres de leurs révolutions; d'après ces premieres notions, on lui fera sentir la nécessité de savoir le calcul pour trouver les révolutions de chaque roue; d'être géometre pour déterminer les courbures des dents; méchanicien pour trouver les forces qu'il faut appliquer à la machine pour la faire mouvoir, & artiste pour mettre en exécution les principes & les regles que ces sciences prescrivent; d'après cela on le fera étudier en même tems les machines & les sciences qu'il devra connoître, ayant attention de ne faire entrer dans ces connoissances la main d'oeuvre que comme l'accessoire.

Quand il sera question des régulateurs des pendules & des montres, il faudra lui en expliquer en gros les propriétés générales; comment on peut parvenir à les construire tels, qu'ils donnent la plus grande justesse, de quoi cela est dépendant; de la nécessité de connoître comment les fluides résistent aux corps en mouvement; de l'obstacle qu'ils opposent à la justesse; comment on peut rendre cette justesse la plus grande possible; de l'étude sur les frottemens de l'air; comment on peut rendre cette résistence la moindre possible; du frottement qui résulte du mouvement des corps qui se meuvent les uns sur les autres; quels effets il en résulte pour les machines; de la maniere de réduire ces frottemens à la moindre quantité possible; on lui fera remarquer les différentes propriétés des métaux; les effets de la chaleur; comment elle tend à les dilater, & le froid à les condenser; de l'obstacle qui en résulte pour la justesse des machines qui mesurent le tems; des moyens de prévenir les écarts qu'ils occasionnent, de l'utilité de la Physique pour ces différentes choses, &c. Après l'avoir ainsi amené par gradation, on lui donnera une notion des machines qui imitent les effets des planetes. En lui faisant seul sentir la beauté de ces machines, on lui fera voir la nécessité d'avoir quelque notion d'Astronomie; c'est ainsi que les machines même serviront à lui faire aimer cet art, que les sciences qu'il apprendra lui paroîtront d'autant moins pénibles, qu'il en connoîtra l'absolue nécessité, & celle de joindre à ces connoissances la main d'oeuvre, afin de pouvoir exécuter ses machines d'après les regles que prescrit la théorie.

Quant à l'exécution, il me paroît convenable qu'il commence par celle des pendules qui sont plus faciles à cause de la grandeur des pieces, & qui permet encore l'avantage d'exécuter toutes sortes d'effets & compositions.

La grande variété que l'on se permet, accoutume aussi l'esprit à voir les machines en grand; d'ailleurs quant à la pratique même, il y a de certaines précisions que l'on ne connoît que dans la pendule, & qui pourroient cependant s'appliquer aux montres. Ainsi parvenu à l'intelligence des machines, il aura des idées nettes de leurs principes; & possédant l'exécution, il passera aisément à la pratique des montres, & d'autant mieux que le même esprit qui sert à composer & exécuter les pendules, est également applicable aux montres qui ne sont en petit que ce que les pendules sont en grand.

Au reste, comme on ne parvient que par gradation à acquérir des lumieres pour la théorie, de même la main ne se forme que par l'usage; mais cela se fait d'autant plus vîte, que l'on a mieux dans la tête ce que l'on veut exécuter; c'est pour cette raison que je conseille de commencer par l'étude de la science avant d'en venir à la main - d'oeuvre, ou tout au moins de les faire marcher en même tems.

Il est essentiel d'étudier les principes de l'art, & de s'accoutumer à exécuter avec précision, mais cela ne suffit pas encore. On ne possede pas l'Horlogerie pour en avoir les connoissances générales; ces regles que l'on apprend sont applicables dans une machine actuellement existente, ou dans d'autres qui seroient pareilles; mais imaginer des moyens qui n'ont pas été mis en usage, & composer de nouvelles machines, c'est à quoi ne parviendront jamais ceux qui ne possedent que des regles, & qui ne sont pas doués de cet heureux génie que la nature seule donne; ce talent ne s'acquiert pas par l'étude, elle ne fait que le perfectionner & aider à le développer; lorsqu'on joint à ce don de la nature celui des Sciences, on ne peut que composer de très bonnes choses.

On voit d'après ce tableau, que pour bien posséder l'Horlogerie, il faut avoir la théorie de cette science, l'art d'exécuter, & le talent de composer, trois choses qui ne sont pas faciles à réunir dans la même personne; & d'autant moins, que jusques ici on a regardé l'exécution des pieces d'Horlogerie comme la partie principale, tandis qu'elle n'est que la derniere; cela est si vrai, que la montre ou la pendule la mieux exécutée, fera de très - grands écarts si elle ne l'est pas sur de bons principes, tandis qu'étant médiocrement exécutée, elle ira fort bien si les principes sont bons.

Je ne prétends pas qu'on doive négliger la maind'oeuvre, au contraire; mais persuadé qu'elle ne doit être qu'en sousordre, & que l'homme qui exécute ne doit marcher qu'après l'homme qui imagine: je souhaite qu'on apprécie le mérite de la main & celui du génie chacun à sa valeur; & je crois être d'autant plus en droit de le dire, que je ne crains pas que l'on me soupçonne de dépriser ce que je ne possede pas. J'ai fait mes preuves en montres & en pendules, & en des parties très - difficiles: en tout cas, je puis convaincre les plus incrédules par les faits.

Je crois devoir d'autant plus insister sur cela, que la plûpart des personnes qui se mêlent de l'Horlogerie sont fort élorgnées de penser qu'il faille savoir autre chose que tourner & limer. Ce n'est pas uniquement leur faute; leur préjugé nait de la maniere dont on forme les éleves. On place un enfant chez un horloger pour y demeurer huit ans, & s'occuper à faire des commissions & à ébaucher quelques pieces d'Horlogerie. S'il parvient au bout de ce tems à faire un mouvement, il est supposé fort habile. Il ignore cependant fort souvent l'usage de l'ouvrage qu'il a fait. Il se présente avec son savoir à la maîtrise; il fait ou fait exécuter par un autre le chef - d'oeuvre qui lui est prescrit, est reçu maître, prend boutique, vend des montres & des pendules, & se dit horloger. On peur donc regarder comme un miracle, si un homme, ainsi conduit, devient jamais habile.

On appelle communément horlogers, ceux qui professent l'Horlogerie. Mais il est à propos de dis<pb-> [p. 307] tinguer l'horloger, comme on l'entend ici, de l'artiste qui possede les principes de l'art: ce sont deux personnes absolument différentes. Le premier pratique en général l'Horlogerie sans avoir les premieres notions, & se dit horloger, parce qu'il travaille à une partie de cet art.

Le second embrasse au contraire cette science dans toute son étendue: on pourroit l'appeller l'architecte - méchanique; un tel artiste ne s'occupe pas d'une seule partie, il fait les plans des montres & des pendules, ou autres machines qu'il veut construire. Il détermine la position de chaque piece, leurs directions, les forces qu'il faut employer, toutes les dimensions; en un mot, il construit l'édifice. Et quant à l'exécution, il fait choix des ouvriers qui sont capables d'en exécuter chaque partie. C'est sous ce point de vûe que l'on doit considérer l'Horlogerie, & que l'on peut espérer d'avoir des bonnes machines, ainsi que nous le ferons voir dans un moment. Nous allons maintenant parler de chaque ouvrier que l'on emploie pour la fabrication des montres & des pendules, dont le nombre est très grand; chaque partie est exécutée par des ouvriers différens, qui font toute leur vie la même chose.

Ce qui concerne la pratique ou la manoeuvre se divise en trois branches, lesquelles comprennent tous les ouvriers qui travaillent à l'Horlogerie.

La premiere, les ouvriers qui font les grosses horloges des clochers, &c. on les appelle horlogersgrossiers.

La seconde est celle des ouvriers qui font les pendules, on les appelle horlogers - penduliers.

La troisieme est celle des ouvriers qui font les montres; on les appelle ouvriers en petit.

1°. Les ouvriers qui fabriquent les grosses horloges sont des especes de serruriers - machinistes. Ils font eux - mêmes tout ce qui concerne ces horloges, forgent les montans dans lesquels doivent être placéen les roues. Ils forgent aussi leurs roues, qui sont de fer & leurs pignons d'acier; ils font les dents des roues & des pignons à la lime, après les avoir divisées au nombre des parties convenables: ouvrage très - long & pénible. Il faut être plus qu'ouvrier pour disposer ces sortes d'ouvrages; car il faut de l'intelligence pour distribuer avantageusement les rouages, proportionner les forces des roues aux efforts qu'elles ont à vaincre, sans cependant les rendre plus pesantes qu'il n'est besoin, ce qui augmenteroit les frottemens mal - à - propos. Les constructions de ces machines varient selon les lieux où elles sont placées; les conduites des aiguilles ne sont pas faciles; la grandeur totale de la machine & des roues, &c. est relative à la grandeur des aiguilles qu'elle doit mouvoir, à la cloche qui doit être employée pour sonner les heures; ce qui determine la force du marteau, & celui - ci la force des roues.

Pour composer avantageusement ces sortes de machines, il est nécessaire de posséder la théorie de l'Horlogerie: ces mêmes ouvriers font aussi les horloges de château, d'escalier, &c.

2°. Voilà le détail des ouvriers pour les pendules.

1°. Le premier ouvrage que l'on fait faire aux ouvriers qui travaillent aux pendules, est ce qu'on appelle le mouvement en blanc, lequel consiste dans les roues, les pignons & les détentes. Ces ouvriers, que l'on appelle faiseurs de mouvement en blanc, ne font qu'ébaucher l'ouvrage, dont le mérite consiste dans la dureté des roues & pignons; les dents des roues doivent être également grosses, distantes entr'elles, avoir les formes & courbures requises, &c.

2°. Le finisseur est celui qui termine les dents des roues, c'est - à - dire, qu'il fait les courbures des dents, finit leurs pivots, fait les trous dans lesquels ils doivent tourner; il fait les engrénages, l'échappement, fait faire les effets à la sonnerie, &c. ou à la répétition. Il ajuste les aiguilles, enfin les finit; ajuste les pendules ou lentilles, & fait marcher la pendule. Reste au méchaniste, c'est - à - dire à l'horloger, de revoir les effets de la machine, si, par exemple, les engrénages sont bien faits, ainsi que les pivots des roues, si l'échappement fait parcourir au pendule l'arc convenable, si la pesanteur de la lentille & les arcs qu'elle décrit sont relatifs à la force motrice, &c. les effets de la sonnerie ou répétition.

3°. La fendeuse est une ouvriere qui fend les roues des pendules, & ne fait que cela.

4°. Le faiseur des ressorts fait les ressorts des pendules; il ne s'occupe uniquement qu'à cela. Ce que l'on peut exiger d'un faiseur de ressorts, c'est qu'il fasse le ressort fort long & de bon acier, que la lame diminue insensiblement de force depuis le bout extérieur jusqu'au centre; qu'il soit trempé assez dur pour ne pas perdre son élasticité, mais pas assez pour casser. Il faut que l'action du ressort, en se débandant, soit la plus égale possible, que les lames ne se frottent pas en se développant.

5°. Il y a les faiseurs de lentilles, de poids, pour faire marcher les pendules: ces ouvriers font aussi les aiguilles d'acier de pendule.

6°. Le graveur, qui fait les cadrans de cuivre pour les pendules à secondes, &c.

8°. Le polisseur est un ouvrier qui polit les pieces de cuivre du mouvement de la pendule; le finisseur termine & polit celles d'acier.

9°. Les émailleurs ou faiseurs de cadrans de pendules.

10°. Les ouvriers qui argentent les cadrans de cuivre.

11. Les ciseleurs font les battes à cartels pour les pendules.

12°. Les ébénistes font les boîtes de marqueterie & autres: les horlogers doivent diriger les ébenistes & ciseleurs pour le dessein des boîtes; & comme ils ne sont pas trop en état de le faire par eux - mêmes, il est à propos qu'ils consultent des architectes ou de bons dessinatcurs.

13°. Les doreurs, pour les bronzes des boîtes & des cartels, &c.

14°. Les metteurs en couleurs: ceux - ci donnent la couleur aux bronzes des boîtes de pendule, aux cartels, cadrans, &c. cette couleur imite la dorure.

15°. Les fondeurs pour les roues de pendules, & de différentes autres pieces qui s'emploient pour les mouvemens.

16°. Les fondeurs qui font les timbres, les tournent & les polissent.

Voilà en gros les ouvriers qui travaillent aux pendules ordinaires. Il y en a d'autres, qui font plus volontiers des pendules à carillon.

Les pendules à équation, ou autres machines composées, sont exécutées par différens ouvriers en blanc, finisseurs, &c. & sont conduites & composées par l'horloger.

Des ouvriers qui travaillent aux montres. 1°. Le faiseur de mouvemens en blanc: il fait de même que ceux des pendules, des roues & des pignons, lesquels exigent à peu - près les mêmes precautions. Ces ouvriers ne font que les mouvemens des montres simples.

2°. Le faiseur de rouage; c'est une sorte d'ouvrier en blanc, qui ne s'occupe qu'à faire les rouages des montres ou répétitions.

3°. Les quadraturiers sont ceux qui font cette partie de la répétition qui est sous le cadran, dont le méchanisme est tel, que lorsque l'on pousse le bouton ou poussoir de la montre, cela fait répéter l'heure & le quart marqué par les aiguilles. [p. 308]

4°. Le finisseur est l'ouvrier qui termine l'ouvrage du faiseur de mouvemens. Il y a deux sortes de finisseurs; celui qui finit le mouvement des montres simples, & celui qui tetmine le rouage d'une montre à répétition. L'un & l'autre finissent les pivots des roues, les engrénages. Quand les montres sont à roues de rencontre, les fiuisseurs font aussi l'échappement. Le finisseur égalise la fusée avec son ressort; il ajuste le mouvement dans la boîte, remonte la montre dorée, & la fait marcher. Reste à l'horloger à la revoir, à examiner les engrénages, les grosseurs des pivots, leur liberté dans leur trou, les ajustemens du spiral, l'échappement, le poids du balancier, l'égalité de la fusée, &c. Il retouchera lui - même les parties qui ne sont pas selon les regles, & donnera ainsi l'ame à la machine; mais il faut premierement qu'elle ait été construite sur des bons principes.

5°. Les faiseurs d'échappemens des montres à cylindre; ceux - ci ne font que les échappemens, c'est - à - dire, la roue de cylindre, le cylindre même sur lequel ils fixent le balancier, ils ajustent la coulisse & le spiral. Comme aucun des échappemens connu ne corrige ni ne doit corriger les inégalités de la force motrice, c'est à ces méchanistes, qui font faire des échappemens, à prescrire la disposition & les dimensions de l'échappement, c'est - à - dire, à fixer le nombre des vibrations, la grandeur des arcs qu'il doit faire parcourir, le poids du balancier relatif à la disposition de la machine & à la force du ressort, puisque, comme nous le verrons, c'est sur ce rapport que roule toute la justesse des montres.

6°. Le faiseur des ressorts des montres, il ne fait que les petits ressorts.

7°. La faiseuse de chaînes de montres; on tire cet ingénieux assemblage de Genève ou de Londres.

8°. Les faiseuses de spiraux; on tire aussi les spiraux de Genève.

Un spiral exige beaucoup de soin pour être bon, & sa bonté est essentielle dans une montre. Il faut qu'il soit du meilleur acier possible; qu'il soit bien trempé, afin qu'il restitue toute la quantité de mouvement qu'il reçoit, ou la plus approchante.

9°. L'émailleur, ou le faiseur de cadrans.

10°. Les faiseurs d'aiguilles.

11°. Les graveurs, qui font les ornemens des coqs, rosettes, &c.

12°. Les doreuses, sont des femmes qui ne font que dorer les platines, les coqs & les autres parties de montres. Il faut qu'elles usent de beaucoup de précautions pour que le degré de chaleur qu'elles donnent à ces pieces ne les amolissent pas.

13°. Les polisseuses sont occupées à polir les pieces de cuivre d'une montre, comme les roues, &c. qui ne se dorent pas.

14°. Les ouvriers qui polissent les pieces d'acier, comme les marteaux, &c.

15°. Les fendeuses de roues.

16°. Ceux qui taillent les fusées & les roues d'échappement; la justesse d'une roue d'échappement dépend sur - tout de la justesse de la machine qui sert à la tailler, elle dépend aussi des soins de celui qui la fend. Il est donc essentiel d'y apporter des attentions, puisque cela contribue aussi à la justesse de la marche de la montre.

17°. Les monteurs de boîtes font les boîtes d'or & d'argent des montres.

18°. Les faiseurs d'étuis.

19°. Les graveurs & ciseleurs que l'on emploie pour orner les boîtes de montres.

20°. Les émailleurs qui peignent les figures & les fleurs dont on décore les boîtes: les horlogers peuvent très - bien, sans préjudicier à la bonté de l'ouvrage intérieur, orner les boîtes de leurs montres; il faut pour cela qu'ils fassent choix d'habiles artistes, graveurs & émailleurs.

21°. Les ouvriers qui font les chaînes d'or pour les montres, soit pour homme, ou pour femme; les bijoutiers & les horlogers en font.

Je ne parle pas ici d'un très - grand nombre d'ouvriers qui ne font uniquement que les outils & instrumens dont se servent les horlogers; cela seroit long à décrire, & n'est d'ailleurs qu'accessoire à la main - d'oeuvre.

On voit par cette division de l'exécution des pieces d'Horlogerie, qu'un habile artiste horloger ne doit être uniquement occupé,

1°. Qu'à étudier les principes de son art, à faire des expériences, à conduire les ouvriers qu'il emploie, & à revoir leurs ouvrages à mesure qu'ils se font.

2°. On voit que chaque partie d'une pendule ou d'une montre doit être parfaite, puisqu'elle est exécutée par des ouvriers qui ne font toute leur vie que la même chose; ainsi ce qu'on doit exiger d'un habile homme, c'est de construire ses montres & pendules sur de bons principes, de les appuyer de l'expérience, d'employer de bons ouvriers, & de revoir chaque partie à mesure qu'on l'exécute; de corriger les défauts, lorsque cela l'exige: enfin, lorsque le tout est exécuté, il doit rassembler les parties, & établir entre elles l'harmonie, qui fera l'ame de la machine. Il faut donc qu'un tel artiste soit en état d'exécuter lui - même au besoin toutes les parties qui concernent les montres & les pendules; car il n'en peut diriger & conduire les ouvriers que dans ce cas, & encore moins peut - il corriger leurs ouvrages s'il ne sait pas exécuter. Il est aisé de voir qu'une machine d'abord bien construite par l'artiste, & ensuite exécutée par différens ouvriers, est préferable à celle qui ne seroit faite que par un seul, puisqu'il n'est pas possible de s'instruire des principes, de faire des expériences, & d'exécuter en même tems avec la perfection dont est capable l'ouvrier qui borne toutes ses facultés à exécuter.

A juger du point de perfection de l'Horlogerie par celui de la main - d'oeuvre, on imagineroit que cet art est parvenu à son plus grand degré de perfection, car on exécute aujourd'hui les pieces d'Horlogerie avec des soins & une délicatesse surprenante; ce qui prouve sans doute l'adresse de nos ouvriers & la beauté de la main - d'oeuvre, mais nullement la perfection de la science, puisque les principes n'en sont pas encore déterminés, & que la main - d'oeuvre ne donne pas la justesse de la marche des montres & pendules, qui est le propre de l'Horlogerie. Il seroit donc à souhaiter que l'on s'attachât davantage aux principes, & qu'on ne fit pas consister le mérite d'une montre dans l'exécution, qui n'est que l'effet de la main, mais bien dans l'intelligence de la composition, ce qui est le fruit du génie.

L'Horlogerie ne se borne pas uniquement aux machines qui mesurent le tems; cet art étant la science du mouvement, on voit que tout ce qui concerne une machine quelconque peut être de son ressort. Ainsi de la perfection de cet art dépend celle des différentes machines & instrumens, comme, par exemple, les instrumens propres à l'Astronomie & à la Navigation, les instrumens des Mathématiques, les machines propres à faire des expériences de Physique, &c.

Le célebre Graham, horloger de Londres, membre de la société royale de cette ville, n'a pas peu contribué à la perfection des instrumens d'Astronomie, & les connoissances qu'il possedoit dans les différens genres dont nous avons parlé, prouvent bien que la science de l'Horlogerie les érige toutes. [p. 309] Il est vrai qu'il faut pour cela des génies supérieurs; mais pour les faire naître, il ne faut qu'exciter l'émulation & mettre en honneur les artistes.

Nous distinguerons trois sortes de personnes, qui travaillent ou se mêlent de travailler à l'Horlogerie: les premiers, dont le nombre est le plus considérable, sont ceux qui ont pris cet état sans goût, sans disposition ni talent, & qui le professent sans application & sans chercher à sortir de leur ignorance; ils travaillent simplement pour gagner de l'argent, le hazard ayant décidé du choix de leur état.

Les seconds sont ceux qui par une envie de s'élever, fort louable, cherchent à acquérir quelques connoissances & principes de l'art, mais aux efforts desquels la nature ingrate se refuse. Enfin le petit nombre renferme ces artistes intelligens qui, nés avec des dispositions particulieres, ont l'amour du travail & de l'art, s'appliquent à découvrir de nouveaux principes, & à approfondir ceux qui ont déja été trouvés.

Pour être un artiste de ce genre, il ne suffit pas d'avoir un peu de théorie & quelques principes généraux des méchaniques, & d'y joindre l'habitude de travailler, il faut de plus une disposition particuliere donnée par la nature; cette disposition seule tient lieu de tout: lorsqu'on est né avec elle, on ne tarde pas à acquérir les autres parties: si on veut faire usage de ce don précieux, on acquiert bientôt la pratique; & un tel artiste n'exécute rien dont il ne sente les effets, ou qu'il ne cherche à les analyser: enfin rien n'échappe à ses observations, & quel chemin ne fera - t - il pas dans son art, s'il joint aux dispositions l'étude de ce que l'on a découvert jusqu'ici à lui?

Il est sans doute rare de trouver des génies heureux, qui réunissent toutes ces parties nécessaires; mais on en trouve qui ont toutes les dispositions naturelles, il ne leur manque que d'en faire l'application; ce qu'ils feroient sans doute, s'ils avoient plus de motif pour les porter à se livrer tout entiers à la perfection de leur art: il ne faudroit, pour rendre un service essentiel à l'Horlogerie & à la société, que piquer leur amour - propre, faite une distinction de ceux qui sont horlogers, ou qui ne sont que des ouvriers ou des charlatans: enfin confier l'administration du corps de l'Horlogerie aux plus intelligens: faciliter l'entrée à ceux qui ont du taient, & le fermer à jamais à ces misérables ouvriers qui ne peuvent que retarder les progrès de l'art qu'ils tendent même à détruire.

S'il est nécessaire de partir d'après des principes de méchanique pour composer des pieces d'Horlogerie, il est à propos de les vérifier par des expériences; car, quoique ces principes soient invariariables, comme ils sont compliqués & appliqués à de très - petites machines, il en résulte des effets différens & assez difficiles à analyser: nous observerons que, par rapport aux expériences, il y a deux manieres de les faire. Les premieres sont faites par des gens sans intelligence qui ne font des essais que pour s'éviter la peine de rechercher par une étude, une analyse pénible que souvent ils ne soupçonnent pas, l'effet qui résultera d'un méchanisme composé sans regle, sans principe, & sans vûe; ce sont des aveugles qui se conduisent par le tâtonnement à l'aide d'un bâton.

La seconde classe des personnes qui font des expériences, est composée des artistes instruits des principes des machines, des lois du mouvement, des diverses actions des corps les uns sur les autres, & qui doués d'un génie qui sait décomposer les effets les plus délicats d'une machine, voient par l'esprit toutce qui doit résulter de telle ou telle combinaison, peuvent la calculer d'avance, la construire de la ma<cb-> niere la plus avantageuse, ensorte que s'ils font des expériences, c'est moins pour apprendre ce qui doit arriver, que pour confirmer les principes qu'ils ont établis, & les effets qu'ils avoient analysés. J'avoue qu'une telle maniere de voir est très - pénible, & qu'il faut être doué d'un génie particulier; aussi appartientil à fort peu de personnes de faire des expériences utiles, & qui ayent un but marqué.

L'Horlogerie livrée à elle - même sans encouragement, sans distinction, sans récompense, s'est élevée par sa propre force au point où nous la voyons aujourd'hui; cela ne peut être attribué qu'à l'heureuse disposition de quelques artistes, qui aimant assez leur art pour en rechercher la perfection, ont excité entr'eux une émulation qui a produit des effets aussi profitables que si on les eût encouragés par des récompenses. Le germe de cet esprit d'émulation est dû aux artistes anglois que l'on fitvenir en France du tems de la régence, entr'autres à Sully, le plus habile de ceux qui s'établirent ici. Julien le Roy, éleve de le Bon, habile horloger, étoit fort lié avec Sully *, il profita de ses lumieres; cela joint à son mérite personnel, lui valut la réputation dont il a joui: celui - ci eut des émules, entr'autres Enderlin, qui étoit doué d'un grand génie pour les méchaniques, ce que l'on peut voir par ce qui nous reste de lui dans le traité d'Horlogerie de M. Thiout; on ne doit pas oublier feu Jean - Baptiste Dutertre, fort habile horloger; Gaudron, Pierre le Roy, &c. Thiout l'aîné, dont le traité d'Horlogerie fait l'éloge.

Nous devons à ces habiles artistes grand nombre de recherches, & sur - tout la perfection de la main - d'oeuvre; car, par rapport à la théorie & aux principes de l'art de la mesure du tems, ils n'en ont aucunement traité; il n'est pas étonnant que l'on ait encore écrit de nos jours beaucoup d'absurdités; le seul ouvrage où il y ait des principes est le Mémoire de M. Rivaz, en réponse à un assez mauvais écrit anonyme contre ses découvertes; nous devons à ce Mémoire & à ces disputes l'esprit d'émulation qui a animé nos artistes modernes; il seroit à souhaiter que M. de Rivaz eût suivi lui - même l'Horlogerie, ses connoissances en méchanique auroient beaucoup servi à perfectionner cet art.

Il faut convenir que ces artistes qui ont enrichi l'Horlogerie, méritent tous nos éloges; puisque leurs travaux pénibles n'ont eu pour objet que la perfection de l'art, ayant sacrifié pour cela leur fortune: car il est bon d'observer qu'il n'en est pas de l'Horlogerie comme des autres arts, tels que la Peinture, l'Architecture ou la Sculpture; dans ceux - ci l'artiste qui excelle est non - seulement encouragé & récompensé; mais, comme beaucoup de personnes sont en état de juger de ses productions, la réputation & la fortune suivent ordinairement le mérite. Un excellent artiste horloger peut au contraire passer sa vie dans l'obscurité, tandis que des impudens, plagiaires, des charlatans & autres miserables marchands ouvriers jouiront de la fortune & des encouragemens dûs au mérite: car le nom qu'on se fait dans le monde, porte moins sur le mérite réel de l'ouvrage que sur la maniere dont il est annoncé, il est aisé d'en imposer au public qui croit le charlatan sur sa parole, vû l'impossibilité où il est de juger par lui - même.

C'est à l'esprit d'émulation, dont nous venons de parler, que la société des arts, formée sous la protection de M. le Comte de Clermont, dut son origine. On ne peut que regretter qu'un établissement qui auroit pu être fort utile au public, ait été de si courte durée; on a cependant vû sortir de cette société de très - bons sujets qui illustrent aujourd'hui l'acadé<->

* C'est à Sully que nous devons la regle artificielle du tems, fort bon livre.
[p. 310] mie des Sciences (a), & différens Mémoires (b) fort bien faits sur l'Horlogerie. De concert avec plusieurs habiles horlogers, nous avions formé le projet de rétablir cette espece d'académie, & proposé à feu Mrs Julien le Roy, Thiout l'aîné, Romilly, & quelques autres horlogers célebres. Tous auroient fort desiré quil réussît; mais un d'eux me dit formellement qu'il ne vouloit pas en être si un tel en étoit; cette petitesse me fit concevoir la cause de la chûte de la société des arts, & desespérer de la rétablir, à moins que le ministere ne favorisât cet établissement par des récompenses qui serviroient à dissiper ces basses jalousies.

On me permettra de parler ici de quelques - uns des avantages d'une société ou académie d'Horlogerie.

Quoique l'Horlogerie soit maintenant portée au très - grand point de perfection, sa position est cependant critique; car si d'un côté elle est parvenue à un degré de perfection fort au - dessus de l'Horlogerie angloise par le seul amour de quelques artistes, de l'autre elle est prête à retomber dans l'oubli. Le peu d'ordre que l'on peut observer pour ceux que l'on reçoit; & plus que tout cela, le commerce qu'en font les marchands, des ouvriers sans droit ni talens, des domestiques & autres gens intrigans, qui trompent le public avec de faux noms, ce qui avilit cet art: toutes ces choses ôtent insensiblement la confiance que l'on avoit aux artistes célebres, lesquels enfin découragés & entraînés par le torrent, seront obligés de faire comme les autres, cesser d'être artistes pour devenir marchands. L'Horlogerie dans son origine en France paroissoit un objet trop foible pour mériter l'attention du gouvernement, on ne prévoyoit pas encore que cela pût former dans la suite une branche de commerce aussi considérable qu'elle l'est devenue de nos jours; de sorte qu'il n'est pas étonnant qu'elle ait été abandonnée à elle - même; mais aujourd'hui elle est absolument différente, elle a acquis un très - grand degré de perfection: nous possedons au plus haut degré l'art d'orner avec goût nos boëtes de pendules & de montres, dont la décoration est fort au - dessus de celle des étrangers qui veulent nous imiter: il ne faut donc plus envisager l'Horlogerie comme un art seulement utile pour nous - mêmes: il faut de plus le considérer relativement au commerce qu'on en peut faire avec l'étranger.

C'est de l'établissement d'une telle société que l'art de l'Horlogerie acquerra le plus de confiance de l'étranger.

Car 1°. une telle académie serviroit à porter l'Horlogerie au plus haut point de perfection par l'émulation qu'elle exciteroit parmi les artistes, ce qui est certain, puisque les arts ne se perfectionnent que par le concours de plusieurs personnes qui traitent le même objet.

2°. Les registres de cette société serviroient comme d'archives, où les artistes iroient déposer ce qu'ils auroient imaginé; les membres de ce corps plus éclairés & plus intéressés à ce qu'il ne se commît aucune injustice, empêcheroient les vols qui se font tous les jours impunément: sur les mémoires que l'on rassembleroit, on parviendroit à la longue à publier un traité d'Horlogerie très - différent de ceux que nous avons; c'est faute de pareilles archives que l'on voit renaître avec succès tant de constructions proscrites, & c'est ce qui continuera d'arriver toutes les fois que l'on approuvera indifféremment toutes sortes de machines nouvelles ou non.

Or le public imagine que l'art se perfectionne,

(a) MM. Clairaut & Desparcieux ont été Membres de la Société des Arts. (b) De MM. Gaudron & Leroy.
tandis qu'il ne fait que revenir sur ses pas en tournant comme sur un cercle. On prend pour neuf tout ce que l'on n'a pas encore vû.

3°. L'émulation que donneroit cette société, serviroit à former des artistes qui partant du point où leurs prédecesseurs auroient laissé l'art, le porteroient encore plus loin; car pour être membre du corps, il faudroit étudier, travailler, faire des expériences, ou se résoudre à être confondu avec le nombre très - considérable des mauvais ouvriers.

4°. Il en résulteroit un avantage pour chaque membre; car alors le public étant instruit de ceux à qui il doit donner sa confiance, cesseroit d'aller acheter les ouvrages d'Horlogerie chez ce marchand qui le trompe, assûré de ne trouver chez l'artiste que d'excellentes machines; enfin de ces différens avantages, il en résulteroit que la perfection où notre horlogerie est portée, étant par - là plus connue de l'étranger, ceux - ci la préféreroient en total à celle de nos voisins.

Nota. J'ai fait un Discours préliminaire à mon Essai sur l'Horlogerie, de cet article que j'avois composé d'abord pour ce Dictionnaire.

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