ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"212"> qu'Esculape, qui en a même été le dieu, seulement pour avoir jetté fort imparfaitement les fondemens d'une science qu'Hippocrate a presque édifiée en entier.

En effet il fut le premier qui découvrit le seul principe de l'économie animale, dont les phénomenes bien étudiés, bien observés, & les lois bien connues, puissent servir à diriger le medecin dans ses fonctions, & par conséquent le mettre dans le cas d'agir avec connoissance de cause. Le résultat des recherches d'Hippocrate, fut donc que ce principe général n'est autre chose que ce qu'il appelle la nature, c'est - à - dire la puissance qui se trouve dans tous les animaux, qui dirige tous les mouvemens des solides & des fluides nécessaires pour leur conservation; il lui attribuoit des facultés comme ses servantes: c'est par ces facultés, selon lui, que tout est administré dans le corps des animaux. La maniere d'agir de la nature, ou son administration la plus sensible, par l'entremise des facultés, consiste, selon lui, d'un côté à attirer ce qui est bon ou ce qui convient à chaque partie, à le retenir, à le préparer ou le changer; & de l'autre, à rejetter ce qui est superflu ou nuisible, après l'avoir séparé de ce qui est utile: c'est sur quoi roule presque toute la physiologie d'Hippocrate.

La nature, selon lui, est le vrai médecin qui guérit les maladies, comme elle est le vrai principe qui conserve la santé. La nature trouve elle - même les voies de la guérison, sans paroître les connoître, comme nous clignons les yeux & comme nous parlons, sans penser aux organes par le moyen desquels cela s'exécute: sans aucun précepte elle fait ce qu'elle doit faire. La nature peut suffire par - tout; c'est elle qui constitue la medecine spontanée, le principe de la guérison des maladies, sans aucun secours de l'art; c'est elle que le medecin doit consulter dans l'administration des remedes, pour ne faire que la seconder, que l'aider à opérer les changemens nécessaires, en écartant les obstacles qui s'y opposent, en favorisant les moyens de l'exécution. Sans elle, sans sa disposition à agir, tous les remedes ne peuvent être que nuisibles, ou tout au - moins inutiles. Voyez Economie animale, Nature (Econom. animale), Faculté, Santé, Effort (Physiol.), Maladies, Coction, Crise, Expectation, Remede

Persuadé du bon fondement de cette doctrine, Hippocrate s'appliqua principalement à examiner la marche de la nature dans le cours des maladies, comme il l'a prouvé par ses traités sur les maladies en général, lib. de morbis, & sur les affections, lib. de affectionibus: & il parvint non - seulement à connoître, d'après ce seul examen & sans être instruit d'ailleurs, les symptomes des maladies passées, présentes & futures, mais à les décrire de telle façon que les autres pussent les connoître comme lui: c'est ce qu'on voit sur - tout dans ses aphorismes, sect. vij. aphorismorum, & dans ses recueils de prognostics, de prédictions & d'observations sur les crises, lib. prognostic. proedict. proenotion. coac. lib. de judicationib. de dieb. judicator. Il acquit sur cela tant d'habileté, que depuis lui personne ne l'a égalé, & que l'on n'a fait que le copier dans la maniere de décrire, d'exposer les signes diagnostics & prognostics des maladies.

Les medecins ignorans & paresseux ont voulu faire regarder toutes ces observations, sur - tout par rapport aux prédictions, comme des connoissances de pure curiosité, qui ne présentent que des phénomenes particuliers aux malades d'Hippocrate, ou au moins au pays où il pratiquoit la Medecine, & par conséquent auxquels il est inutile de s'arrêter, n'ayant, disent - ils, jamais rien vu de semblable dans les différentes maladies qu'ils ont eu occasion de traiter: mais ont - ils su bien voir, bien suivre ces maladies? se sont - ils donné les soins, l'attention nécessaire pour cela? Ce qu'il y a de certain à cet égard, c'est que les medecins éclairés, prudens, appliqués, laborieux, ont toujours regardé ce qu'Hippocrate a donné sur les prognostics, comme les remarques les plus judicieuses & les plus utiles qui ayent jamais pu être faites à l'avantage de la medecine; & ils les ont trouvé vraies dans des exemples sans nombre en différens climats, tant la nature est constante & uniforme dans ses opérations, & Hippocrate exact dans ses observations.

Ce grand génie ne s'en est pas tenu à exceller à cet égard; il a été encore l'inventeur de cette importante partie de la Medecine que l'on appelle diététique, qui concerne l'administration des alimens & leur abstinence dans les maladies. Trib. lib. VI. de dioetâ, libr. de alimento, de hermidorum usu, de salubri dioetâ, de victu acutorum. Il établit dans ces ouvrages sur ce sujet, que le régime est de si grande conséquence, soit en santé, soit en maladie, que, sans ce moyen, on ne peut pas se conserver ni se rétablir; ensorte qu'il en fit son remede principal dans sa pratique, & même souvent ce fut le seul qu'il employa, sur - tout lorsque le malade est d'un bon tempérament & que ses forces le soutiennent: c'est pourquoi il fut aussi attentif au choix du régime, qu'à l'examen de la disposition du malade. Dans ce qu'il nous a laissé sur cet article, particulierement à l'égard des maladies aiguës, lib. cit. on reconnoît le grand maître & le medecin consommé.

L'Anatomie commençoit à être cultivée de son tems pour la spéculation; il s'y adonna comme à une connoissance qu'il jugeoit utile & même nécessaire dans l'exercice de la Medecine: c'est ce qu'il enseigne dans plusieurs traités qui sont relatifs à cette partie. Lib. VI. de corde, de ossium naturâ, de venis, de humoribus, de geniturâ, de principiis & carnibus, de glandulis, de naturâ humanâ. Il paroît même dans plusieurs endroits de quelques autres de ses oeuvres de alimento, de insomniis, de flatibus, selon l'interprétation qu'en ont donnée plusieurs auteurs modernes, entr'autres Drelincourt, qu'il avoit entrevu la découverte fameuse de la circulation du sang, qui n'a été manifestée qu'un grand nombre de siecles après lui.

Il fut très - habile dans l'exercice de la Chirurgie, dont il paroît avoir fait toutes les opérations, excepté celle de la lithotomie, avec un jugement peu inférieur & peut - être égal à celui de nos célebres chirurgiens modernes: on peut juger des connoissances qu'il a eues & de ce qu'il a pratiqué à cet égard, par ceux de ses ouvrages qui y ont rapport. Lib. VI. de articulis, de fracturis, de fistulis, de vulneribus capitis, de Chirurgioe officinâ.) D'ailleurs il donne des marques passim dans presque tous ses écrits, lorsque l'occasion s'en présente, de l'excellence de son savoir & de sa capacité en ce genre.

A l'égard de la matiere médicale, on ajouta beaucoup de son tems à celle qui étoit en usage parmi les Cnidiens, branche de la famille des Asclépiades. Le nombre des medicamens s'accrut extrêmement, afin qu'il pût répondre à la variété des cas: cependant il paroît certain qu'Hippocrate, à en juger par ses écrits, ne fit jamais usage que de peu de remedes & des plus simples: la plus grande quantité & la plus grande variété de ceux qu'il employa, fut dans les maladies des femmes, de virginum morbis, de morbis mulierum, de sterilibus, où chacun sait que les indications changent beaucoup, sont souvent multipliées & très - difficiles à suivre. Nous ne voyons point que ce grand homme fasse mention d'aucun [p. 213] secret spécifique qui lui fût particulier: tous les moyens qu'il employoit dans les traitemens des maladies étoient manifestes & publics.

Il donna une attention particuliere à l'étude de la Physique, pour être en état de bien juger des effets que peuvent produire sur le corps humain les choses dites non - naturelles, par l'usage & l'abus qu'on en fait, voyez Hygienne. C'est par ce moyen qu'il avoit acquis tant de connoissances sur la nature des maladies, qu'il découvroit & prévoyoit même leurs causes, & qu'il employoit ou conseilloit en conséquence le traitement & le préservatif convenables avec un succès étonnant, d'après ses recherches, ses observations sur l'influence des différentes saisons de l'année, des différentes températures de l'air dans les divers climats, des qualités des vents dominans, des situations absolues & respectives des lieux d'habitation, de la différente nature des eaux, des alimens, &c. Lib. VI. de aëre, locis & aquis, lib. de alimento. Ainsi c'est d'après ses connoissances acquises en ce genre, qu'il étoit parvenu à pouvoir prédire les maladies qui devoient régner dans un pays, à en déterminer l'espece & à désigner les personnes d'un certain tempérament, qui pourroient en être atteintes plutôt que d'autres: c'est en conséquence qu'il avoit annoncé la peste qui se sit sentir du côté de l'Illyrie, & qui affligea toute la Grece, à l'occasion de laquelle il rendit les plus grands services à sa patrie, & en reçut en reconnoissance les mêmes honneurs qu'Hercule.

Il a été le premier qui a fait usage des Mathématiques pour l'explication des phénomenes de l'économie animale les plus difficiles à comprendre sans ce secours: il en a recommandé l'étude à son fils Thessalus (Epistola Hippocratis ad Thessalum filium), comme très - propre à faire connoître la proportion de forces, de mouvemens, qui constitue l'équilibre entre les solides & les fluides dans la santé, & du dérangement duquel résultent la plûpart des maladies: on trouve cette façon de penser de notre auteur établie dans différens endroits de ses ouvrages. Lib. VI. de flatib. de dietâ, de naturá hominis, &c. Il semble avoir eu bonne opinion de l'Astronomie, & l'avoir regardée comme une science qui convenoit à un medecin.

A l'égard de la doctrine de l'attraction, elle ne lui étoit pas étrangere: il paroît l'avoir adoptée de la philosophie de Démocrite, & il la regardoit comme importante pour la connoissance de l'économie animale.

Pour ne rien oublier de ce qui a rapport à la Medecine, il n'a pas même négligé de s'occuper de la partie politique de l'exercice de cet art: il suffiroit de citer en preuve le serment qu'il exigeoit de ses disciples; mais on trouve bien d'autres choses, à cet égard, dans ses différens écrits, lib. de medico, lib. de decenti ornatu medici, proeceptiones ac epistoloe, qui sont très - bons & très - utiles à lire pour les sages conseils qu'ils contiennent; car Hippocrate ne fait pas moins paroître de probité que de science dans tous ses ouvrages comme dans sa conduite. Une maladie contagieuse infesta la Perse; le roi Artaxerxès fit offrir à Hippocrate tout ce qu'il desireroit, afin de l'attirer dans ses états pour remedier aux ravages qu'y causoit cette peste; mais le medecin aussi desintéressé que bon patriote, fit réponse qu'il se garderoit bien d'aller donner du secours aux ennemis des Grecs.

Il mourut à 104 ans, 356 ans avant Jesus - Christ. Thessale & Dracon ses fils, Polybe son gendre, & Dexippe son principal disciple, lui succéderent dans l'exercice de la Medecine, & la pratiquerent avec réputation: mais comme dans le monde tout est sujet à révolution, & que les meilleures institutions sont ordinairement les moins durables, le nombre des medecins qui conserverent & qui soutinrent la méthode d'Hippocrate, diminua bientôt considérablement: celle des philosophes prévalut encore, parce qu'il étoit bien plus aisé de suivre leurs spéculations, que de se conformer à la pratique de ce grand maître: ce qui a presque toujours subsisté jusqu'à nous, & a été la véritable cause que l'art de guérir, proprement dit, n'a presque rien acquis après lui.

Aussi ne faut - il pas s'étonner qu'eu égard à l'état où Hippocrate trouva la Medecine, & à celui où il nous l'a laissée, il ait été regardé comme le prince des medecins: mais il est surprenant qu'un plan aussi bon que celui qu'il nous a tracé ait été négligé, & pour ainsi dire abandonné. Certainement il nous avoit mis dans le chemin des progrès: & si jamais la Medecine parvient à être portée à toute la perfection dont elle est susceptible, ce ne sera qu'en suivant la méthode de son vrai législateur, qui consiste dans un sage raisonnement toujours fondé sur une observation exacte & judicieuse. Voyez Medecin, Medecine.

Il y a trois remarques principales à faire touchant les écrits de notre auteur; la premiere, qui concerne l'estime que l'on a toujours eue pour eux; la seconde, son langage & son style; & la troisieme, la distinction que l'on doit faire de ses écrits légitimes d'avec ceux qui lui ont été attribués ou donnés sous son nom, sans être sortis de sa main.

Hippocrate a toujours passé pour être, en fait de Medecine, ce qu'Homere est parmi les Poëtes, & Ciceron entre les Orateurs. Galien veut que l'on regarde ce qu'Hippocrate a dit, comme la parole d'un dieu, magister dixit: cependant si quelqu'un avoit pû lui contester le premier rang, c'étoit sans doute Galien, ce célebre medecin, dont le savoir étoit prodigieux, voyez Galenisme. Celse faisoit tant de cas des écrits d'Hippocrate, qu'il n'a souvent fait que le traduire mot à mot: ses aphorismes, son livre des prognostics, & tout ce que l'on trouve dans ses ouvrages de l'histoire des maladies, ont toujours passé à juste titre pour des chef - d'oeuvres: mais, outre tous les témoignages des anciens & des modernes à cet égard, une marque évidente de la considération que l'on a toujours eue pour les écrits d'Hippocrate, c'est qu'il n'y en a peut - être d'aucun auteur sur lesquels on ait fait autant de commentaircs. Galien fait mention d'un grand nombre de medecins, qui y avoient travaillé avant lui, auxquels il faut bien joindre Galien lui - même, qui en a fait le sujet de la plûpart des volumes si nombreux qu'il nous a laissés: mais parmi les modernes en foule qui s'en sont aussi occupés, on doit sur - tout distinguer le célebre Foësius, que les medecins qui ont la rare ambition de mériter ce nom, ne sauroient trop consulter pour se bien pénétrer de l'esprit de leur maître, qu'il paroît avoir interprété plus parfaitement qu'aucun autre de ceux qui ont entrepris de le faire. On ne laisse pas cependant que de trouver des choses très - utiles & très - savantes dans les commentaires de Mercurial, de Prosper Martian, aussi bien que dans les explications particulieres qu'ont données de quelques - uns des ouvrages d'Hippocrate, Hollerius, Heurnius & Duret, parmi lesquels ce dernier mérite d'être singulierement distingué pour ses interprétations sur les prénotions de Coos.

A l'égard du style d'Hippocrate, c'est parce qu'il est fort concis, qu'on a peine à entendre ce qu'il veut dire en divers endroits; ce que l'on doit aussi attribuer aux changemens assez considérables survenus dans la langue grecque, pendant l'espace de tems qui s'étoit écoulé entre cet auteur & ceux des ouvrages de ses glossateurs qui nous sont parvenus;

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