ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"884"> de travailler, qui n'exige, pour ainsi dire, aucune regle, & qui met ainsi sort à son aise celui qui s'y livre. L'illusion qu'on se fait, & le prétexte qu'offre à l'ignorance & à la paresse le mot de goùt, pris dans un sens fort éloigné de celui qu'il doit avoir, produisent des paysages où les arbres, les fabriques, le ciel & les terreins sont d'un travail si brut & si égratigné, qu'on ne sent aucun plan, aucune forme, & aucun effet. Si cette maniere qu'on ose appeller graver de goùt & avec esprit, continue à se répandre, elle achevera de corrompre cette partie de l'art de la Gravure. Il est une liberté que l'esprit & le goût véritables peuvent inspirer, mais qui a toûjours pour but de faire sentir au spectateur ou la forme des objets qu'on grave, ou leur effet de clair obscur, ou le caractere principal qui les distingue. Lorsqu'un graveur n'est affecté dans son travail d'aucun de ces objets, & qu'il ne met pas son art à les faire passer dans l'esprit de ceux qui voyent ses ouvrages, il en impose injustement; & ce charlatanisme dont il colore son peu de talent, doit être puni par une juste évaluation de ses ouvrages.

Je n'entrerai pas dans un plus grand détail de principes pour la gravure à l'eau - forte. Les principes du dessein auxquels on peut recourir au mot Dessein, & une grande partie de ceux de la Peinture qui sont distribués dans les articles qui leur conviennent, doivent servir de supplément à celui - ci. Je vais reprendre le méchanisme de la gravure à l'eau - forte.

Les pointes dont on se sert & dont j'ai donné le détail, peuvent être de deux sortes, ou coupantes, ou émoussées. Celles qui sont coupantes sont particulierement destinées à graver au vernis dur, parce que ce vernis resisteroit trop aux pointes qui ne coupent pas. Lorsqu'on grave sur le vernis mou, on peut se servir des unes & des autres. L'inconvénient des pointes coupantes est de faire quelquefois des touches dures, parce que la pointe qui va en grossissant depuis le point qui la termine, ouvre le cuivre d'autant plus qu'elle s'y enfonce davantage; ce qui produit des tailles trop noires, si elles ne sont pas accompagnées par d'autres tailles. On doit en général avoir grand soin dans la Gravure, d'éviter & dans les touches & dans toutes sortes de travaux, une certaine maigreur & sécheresse, que la finesse des outils dont on se sert doit occasionner. Je crois que les planches qui n'ont qu'une médiocre étendue, peuvent être gravées avec esprit & à l'aide des pointes coupantes; qu'en général on doit mêler les pointes des deux especes, & que le juste emploi qu'on en fera répandra beaucoup de goût sur les ouvrages auxquels on les aura employées. L'échope est une pointe coupante qui, comme je l'ai dit, a une espece de biseau sur un des côtés de son extrémité, comme vous le verrez à la Planche I. de la gravure en taille - douce. Il en résulte que vous pouvez regarder l'échope comme une plume à écrire, dont l'ovale ABCD seroit l'ouverture, & la partie proche le C seroit le bout qui écrit. La maniere de tenir l'échope est aussi à - peu - près semblable à celle dont on tient la plume, à la reserve qu'au lieu que la taille, ou l'ouverture de la plume, est tournée vers le creux de la main, & que l'ovale ou la face de l'échope est d'ordinaire tournée vers le pouce, comme la figure le montre: ce n'est pas que l'on ne la puisse tourner & manier d'un autre sens; mais la premiere maniere peut mériter la préférence, parce qu'elle est peut - être la plus commode, & qu'on a bien plus de force pour appuyer. C'est en s'esseyant & en s'exerçant, que l'on concevra facilement le moyen de faire avec l'échope des traits gros & profonds.

La figure ABCD représente la face ou l'ovale de l'échope: or si l'on pouvoit enfoncer le bout de cet outil dans le cuivre jusqu'à la ligne DB, qui est le point où l'ovale est le plus large, on feroit un trait dont la largeur seroit égale à la longueur de DB, & qui dans le milieu seroit creux ou profond de la longueur de OC. Si vous n'enfoncez pas votre échope dans le cuivre jusqu'aux points que j'ai désignés, vous pourrez faire un trait, tel que le représente la figure marquée par les lettres b, o, d, c.

Vous voyez par ces deux exemples, qu'en appuyant fort peu, le trait sera moins profond, & conséquemment plus large, comme font les traits marqués dans la figure aux lettres r n s, où vous voyez qu'il faut commencer legerement par r, qu'il faut appuyer de plus en plus jusqu'a n, enfin qu'ayant rendu la main plus legere jusqu'à s, vous ferez un trait pareil à r n s. Il faut remarquer que pour que la figure soit plus intelligible, on a dessiné l'échope beaucoup plus grosse qu'elle ne doit être en effet.

Lorsque l'on veut rendre le commencement & la sin des hachures plus déliés, il faut avec une pointe reprendre l'extrémité de ces hachures, en appuyant un peu à l'endroit où l'on reprend, & en soulevant doucement la main jusqu'à l'endroit où la hachure doit se perdre. Vous remarquerez qu'en tournant la planche suivant le sens dans lequel on veut travailler, on rendra cette manoeuvre plus facile. Ces remarques sur l'échope sont entierement tirées de l'ouvrage que j'ai cité. J'ai fait l'épreuve des pratiques qu'elles contiennent; & je pense, ainsi que Bosse, qu'on peut en acquérant l'usage de cette espece de pointe, en tirer un très - grand parti pour la variété des traits; puisqu'en se ser vant de cet outil par le côté tranchant, on fera des traits d'une finesse extrème, & que le moindre mouvement des doigts donnera à ces traits une largeur plus ou moins grande: mais je préviendrai en même tems qu'il faut de l'adresse, de l'attention, & beaucoup d'habitude pour y habituer entierement la main: aussi y a t - il peu d'artistes qui s'en servent uniquement. La maniere de gouverner l'échope servira aisément pour le maniement de la pointe; ainsi je n'insisterai point là - dessus. Il faut avoir l'attention de tenir en général les pointes & les échopes le plus à - plomb qu'il est possible, & de les passer souvent sur la pierre à aiguiser, pour que leurs inégalités ne nuisent pas à la propreté du travail. Il est encore nécessaire de nettoyer votre vernis, & de n'y laisser aucune malpropreté: vous vous servirez pour cela ou des barbes d'une plume, ou d'un linge très - fin, ou d'une petite brosse douce qui sera faite exprès.

Il est tems de passer aux préparatifs nécessaires, avant de livrer la planche à l'eau - forte. Je suppose donc qu'on a tracé sur cette planche, en ôtant le vernis avec les pointes & les echopes, tout ce qui peut contribuer à rendre plus exactement le dessein ou le tableau qu'on a entrepris de graver: la planche étant dans cet état, il faut commencer par un examen qui tendra à connoître si le vernis ne se trouve pas égratigné dans des endroits où il ne doit pas l'être, soit par l'effet du hasard, soit parce qu'on a fait quelques faux traits. Lorsque vous aurez remarqué ces petits défauts, vous préparerez un mélange propre à les couvrir. Ce mélange se fait en mettant du noir de fumée en poudre dans du vernis de Venise (c'est celui dont on se sert pour vernir les tableaux); vous employerez ce mélange, après lui avoir donné assez de corps pour qu'il couvre les traits que vous voulez faire disparoître, avec des pinceaux à laver ou à peindre en mignature. Il est une autre mixtion nécessaire pour en enduire le derriere de la planche, qui sans cela seroit exposé sans nécessité à l'effet corrosif de l'eau - forte. En voici la composition.

Prenez une écuelle de terre plombée, mettez - y une portion d'huile d'olive, posez ladite écuelle sur le feu. Lorsque l'huile sera bien chaude, jettez - y du [p. 885] suif de chandelle: le moyen de savoir si le mélange est tel qu'il doit être, est d'en laisser tomber quelques gouttes sur un corps froid, tel qu'une planche de cuivre, par exemple; si ces gouttes se figent de maniere qu'elles soient médiocrement fermes, le mélange est juste; si elles sont trop fermes & cassantes, vous remettrez de l'huile; si au contraire elles sont trop molles & qu'elles restent presque liquides, vous ajoûterez une petite dose de graisse. Lorsque la mixtion sera au degré convenable, vous ferez bien bouillir le tout ensemble l'espace d'une heure, afin que le suif & l'huile se lient & se mêlent bien ensemble. On se sert d'une brosse ou d'un gros pinceau pour employer cette mixtion; & lorsqu'on veut en couvrir le derriere du cuivre, on la fait chauffer de maniere qu'elle soit liquide.

Ces précautions nécessaires que je viens d'indiquer, sont communes aux ouvrages dans lesquels on s'est servi du vernis dur, & à ceux où le vernis mou a été employé: mais l'eau - forte dont on doit se servir, n'est pas la même pour l'un & l'autre de ces ouvrages. Commençons par l'eau - forte dont on se doit servir pour faire mordre les planches vernies au vernis dur.

Prenez trois pintes de vinaigre blanc, du meilleur & du plus fort; six onces de sel commun, le plus net & le plus pur; six onces de sel ammoniac clair, transparent, & qui soit aussi bien blanc & bien net; quatre onces de verdet, qui soit sec & exempt de raclure de cuivre & de grappes de raisin avec lesquelles on le fabrique. Ces doses serviront de regle pour la quantité d'eau - forte qu'on voudra faire. Mettez le tout (après avoir bien pilé les drogues qui ont besoin de l'être) dans un pot de terre bien vernissé principarement en - dedans, & qui soit assez grand pour que les drogues en bouillant & en s'élevant ne passent pas par - dessus les bords; couvrez le pot de son couvercle, mettez - le sur un grand feu; faites bouillir promptement le tout ensemble deux ou trois gros bouillons, & non davantage. Lorsque vous jugerez àpeu - près que le bouillon est prêt à se faire, découvrez le pot & remuez le mélange avec un petit bâton, en prenant garde que l'eau - forte ne s'éleve trop & ne surmonte les bords, d'autant qu'elle a coûtume en bouillant de s'enfler beaucoup. Lor qu'elle aura bouilli, comme je l'ai dit ci - dessus, deux ou trois bouillons, vous la retirerez du feu, vous la laisserez refroidir en tenant le pot découvert; & lorsqu'elle sera enfin refroidie, vous la verserez dans une bouteille de veire ou de grès, la laissant reposer un jout ou deux avant que de vous en servir; si en vous en servant vous la trouviez trop forte, & qu'elle fît éclater le vernis, vous la pourrez modérer en y mêlant un verre ou deux du même vinaigre dont vous vous serez servi pour la faire.

J'observerai ici que cette composition est assez dangereuse à faire, lorsqu'on ne prend pas l'attention de respirer le moins qu'il est possible la vapeur qui s'exhale, & de renouveller souvent l'air dans l'endroit où on la fait chauffer.

Après avoir composé l'eau - forte dont on se sert pour faire mordre la planche qu'on a vernie au vernis dur, il faut savoir en faire usage. Je vais dire premierement la maniere dont Bosse fait mention; elle est la plus simple, mais non pas la plus commode. Je dirai ensuite comment M. le Clerc avoit commencé de rendre cette operation plus commode; & je finirai par décrire une machine assez simple que j'ai fait exécuter, dont je me sers, & qui tout - à - la - fois ménage le tems de l'artiste, & le met à l'abri du danger qu'on peut courir par l'évaporation de l'eau - forte.

L'ancienne maniere d'employer l'eau - forte dont j'ai parlé, est de la verser sur la planche, de façon qu'elle ne s'y arrête pas & qu'elle coule dans toutes les hachures. Pour cela on place la planche presque perpendiculairement, & pour plus de facilité on l'attache, à l'aide de quelques pointes, contre une planche de bois assez grande, qui a un rebord par enhaut & par les deux côtés. On l'appuie presque perpendiculairement, ou contre un mur, ou contre un chevalet; ensuite on met au - dessous une terrine qui reçoit l'eau - forte qu'on verse sur la planche, & qui se rend dans la terrine après avoir coulé dans toutes les hachures. La planche de bois dont j'ai parlé, & sur laquelle la planche de cuivre est attachee, sert à empêcher l'eau - forte qu'on verse de tombre à terre, & les rebords la contiennent: on voit par - là qu'il ne faut pas qu'il y en ait en - bas, puisqu'alors l'eau - forte trouveroit un obstacle pour se rendre dans le vase qui doit la recevoir. On prend encore une précaution pour qu'elle se rende plus immédiatement dans ce vase: c'est de mettre au - dessous de la planche de bois une espece d'auge dans laquelle cette planche de bois entre, & qui la débordant des deux côtés, reçoit sans qu'il s'en perde toute l'eau - forte, qui y est conduite par les rebords dont j'ai parlé. L'auge est percée d'un seul trou, qui répond à la terrine qui est au - dessous; & moyennant ces précautions, toute l'eau - forte, après avoir lavé la planche, se rend dans la terrine. On la puise de nouveau alors avec le vase qui sert à la verser, & on la répand encore sur la planche; ce qu'on recommence jusqu'à ce que l'opération soit faite, en observant toûjours que lorsqu'on la verse la planche en soit bien inondée, afin qu'elle pénetre dans toutes les hachures. Voilà la plus ancienne maniere de faire mordre avec cette sorte d'eau - forte, qu'on nomme communément cau - forte à couler.

La Pl. I. rendra cette explication plus sensible; on y voit à la fig. 2. let. A, le graveur versant l'eauforte; la lettre B désigne la planche de cuivre attachée sur la planche de bois marquée C: les rebords sont indiqués par les lettres D, l'auge par la lettre E, & la terrine par la lettre F. Passons à la maniere dont M. le Clerc a cherché à simplifier cette opération: il a senti que son objet principal étoit de faire passer l'eau - forte sur la planche, & que c'étoit en partie par ce mouvement qu'elle approfondissoit les tailles qu'on a faites sur le vernis; il a jugé alors qu'en attachant la planche de cuivre horisontalement dans le fond d'une espece de boîte découverte plus grande que la planche de cuivre; qu'en enduisant cette boîte de suif, pour qu'elle contînt l'eauforte; qu'en y versant ensuite de l'eau - forte, & en baissant & haussant alternativement cette boîte, l'eau - forte qui y seroit passeroit sur la planche au premier mouvement, & y repasseroit en second en allant d'un côté de la boîte à l'autre; qu'ainsi en ballottant cette eau - forte par le moyen des deux mains, on épargneroit la fatigue qu'on essuie dans la maniere précédente, dans laquelle il faut ramasser l'eauforte dans la terrine, pour la reporter sans cesse sur la planche. D'ailleurs la façon précipitée dont l'eauforte contenue dans la boîte passe sur la planche, fait gagner un tems considérable à l'artiste; ce qui est un objet intéressant.

C'est cet objet qui m'a déterminé à chercher un nouveau moyen. J'ai premierement obvié à l'évaporation de l'eau - forte, dont la vapeur est nuisible à celui qui fait mordre, en adaptant à la boîte dont je viens de parler un couvercle qui n'est autre chose qu'un verre blanc, une vitre ou une glace montée à jour dans un quadre de fer - blanc ou d'autre métal. Ce couvercle qui ferme exactement la boîte, empêche que la vapeur de l'eau - forte mise en mouvement ne soit à beaucoup près aussi abondante & aussi nuisible que lorsqu'elle se répand librement. Les boî<pb->

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