ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"882"> entendre ce qu'on auroit souvent de la peine à comprendre sans cela. Ces figures le plus souvent très imparfaites du côté de l'art, ne servent pas moins à la fin pour laquelle on les employe: l'art de la Grasvure est donc devenu moins parfait, mais plus utile aux hommes.

Voici quelques - unes des regles que Bosse nous a transmises, & desquelles on peut supprimer, ou auxquelles on peut ajoûter, pourvû que ce soit d'après des travaux raisonnés, & qu'on ait toûjours en vûe l'imitation de la nature, & l'application des vrais principes de la Peinture & du Dessein. J'ai dit que la premiere taille ou le premier rang de hachures qu'on trace avec la pointe sur le vernis doit suivre le sens des hachures du dessein, ou de la brosse & du pinceau, si c'est d'après un tableau qu'on grave: mais ce premier rang de hachures n'est pas suffisant pour parvenir à l'effet d'une planche; il est d'usage de passer sur ces premieres tailles un second, & quelquefois un troisieme, & même un quatrieme rang de traits qui se croisent en différens sens. Les secondes tailles doivent concourir avec les premieres à assûrer les formes, à fortifier les ombres, & à décider les figures ou les objets qu'on grave; mais comme dès les premieres tailles, on a dû épargner les reflets & les demi - teintes, les secondes doivent ménager de même les parties qui doivent être moins colorées. Si l'ombre se trouve très - forte & le reflet aussi, les deux tailles de l'ombre doivent être faites avec une pointe molle & forte, & ces deux mêmes tailles seront continuées dans les reflets par des pointes plus fines dans le même genre de travail.

On doit observer de faire la premiere taille forte, nourrie, & serrée; la seconde un peu plus déliée & plus écartée, & la troisieme encore plus fine. La raison de cela est, que la premiere étant celle qui indique le sens des muscles & de la peau, doit être celle qui domine; les autres ne sont ajoûtées que pour colorer davantage les figures ou les corps sur lesquels on les employe. L'une dessine, les autres peignent; la premiere est faite pour imiter les formes, les autres pour répandre sur ces formes l'effet juste du clair obscur. Si la premiere & la seconde taille forment en se croisant des quarrés, la troisieme doit former des losanges sur l'une des deux; ou si les deux premieres sont en losange, la troisieme sera quarrée.

On doit se servir rarement de troisieme hachure à l'eau - forte, lorsqu'on se réserve de retoucher la planche au burin, par ce qu'on laisse cette troisieme pour ajoûter, par le moyen du burin, la couleur qui peut manquer, & la propreté qu'on veut donner à l'ouvrage.

Le genre de travail que l'on employe doit, comme on le sentira aisément, avoir rapport à la nature des objets qu'on grave. Cette espece de convention contribue beaucoup à l'effet que produit la Gravure; ainsi on a remarqué que les traits doublés qui forment des quarrés, c'est - à - dire qui se croisent perpendiculairement, produiroient à la vûe un travail plus dur & moins agréable à l'oeil, que les traits qui se coupent en formant des losanges ou des demi-losanges. On a donné la préférence à ce dernier travail, pour représenter des corps délicats, tels que ceux des femmes, des enfans, des jeunes hommes; & l'on s'est éloigné plus ou moins de cette combinaison de tailles à - proportion de l'austérité qu'on desiroit dans les travaux qu'on vouloit employer. Quelques artistes ont trouvé que dans les figures qui ne demandoient pas une grande vigueur de couleur, on pouvoit hardiment se servir du grand losange; mais qu'il devenoit embarrassant, lorsqu'il faut rendre les tons plus colorés. Au reste il est des artistes qui sans s'astreindre à ces regles, ont fait de très<cb-> belles estampes, ce qui ne prouve pas qu'elles soient inutiles, mais seulement qu'il ne faut s'en affranchir qu'autant qu'on est sûr de réussir sans leurs secours. Les plus beaux exemples de ces pratiques, dont je viens de rendre compte, sont les estampes de Cerneille Vischer.

Les draperies exigent du graveur une infinité de combinaisons & d'attentions dans le travail qui varie, suivant la nature des étoffes, le mouvement des plis & le plan des figures. En général il faut, comme dans les chairs, que la premiere taille dessine la forme & le mouvement du pli: mais si la continuation de cette taille dans le pli qui suit, n'est pas propre, comme cela doit arriver souvent, à en exprimer le juste caractere, il faut la destiner à servir de seconde ou de troisieme même, en subordonnant cette taille à celle que vous lui substituez. Cette combinaison qui demande du soin & de l'habitude, donnera à votre travail une aisance & une justesse qui charmeront l'oeil. Une feconde observation est, qu'il faut éviter que ces tailles dont vous vous servez, & qui vont se terminer au contour des membres nuds, ou des autres corps qui se touchent, tombent à angles droits sur ces contours; mais il faut que ces hachures se perdent avec eux d'une maniere insensible & douce. En général, les hachures des draperies doivent former des traits ondoyans, & éviter d'être roides & génées; elles doivent s'unir par les moyens dont j'ai parlé, de maniere que dans l'ouvrage les objets se détachent principalement par l'effet des ombres & des jours.

Les clairs & les demi - teintes exigent dans la Gravure, ainsi que dans le Dessein, une propreté de travail extrème: on aura donc soin de varier les pointes, & de se servir dans cette occasion de celles qui sont plus fines. Les ombres qui demandent à être solides, & qui représentent l'effet de la privation de la lumiere, admettent un travail ferme, &, pour ainsi dire, plus rempli d'accidens & d'inégalités; mais les demi - teintes & les reflets qui participent de la lumiere, doivent être exécutés avec une attention d'autant plus grande, que lorsque les objets sont clairs, on doit mieux en distinguer les formes & les détails. Sur les grandes lumieres les travaux ne peuvent être ou trop ménagés, ou faits avec trop de legereté, & avec cette propreté qui flatte l'oeil. Les tailles doivent être écartées les unes des autres; & si l'on a dessein de terminer l'ouvrage à la pointe, c'est alors que le travail de cet outil doit tendre à imiter la netteté du burin. Pour les planches qu'on destine à être retouchées au burin, il faut y reserver le travail dont je viens de parler; parce qu'on est plus maître de donner avec le burin ce degré juste de netteté qui doit faire valoir l'ouvrage. Les linges & les étoffes fines doivent se préparer à une seule taille propre; il faut laisser au burin à les terminer par des secondes tailles legeres & mises à - propos. Puisqu'il est question de cette proprete qu'on doit chercher, sans la pousser trop loin, je vais me permettre quelques réflexions qui viennent à - propos.

Il en doit être de l'art de la Gravure, comme de tous les autres Arts. Les principes généraux que les réflexions ont établis, embrassent un art en général: ces principes se restraignent ensuite, & se soûmettent à des exceptions & à des modifications qu'exigent les différens genres de productions de l'art qui les a adoptés: il seroit donc injuste de vouloir que dans la Gravure tous les ouvrages fussent soûmis indispensablement aux principes que je viens de donner. Parcourons legerement les classes principales des ouvrages de caracteres différens, auxquels la Gravure s'employe. Son usage le plus commun & le plus relatif à la Peinture, est de multiplier les idées de composition des tableaux des bons artistes, & les [p. 883] effets du clair - obscur de ces compositions. Il y a des tableaux de différens genres; par conséquent il doit y avoir différens genres de Gravure pour les imiter. L'histoire est l'objet principal de la Peinture; on peut exiger, pour qu'elle soit traitée parfaitement par un peintre, que toutes les parties de son art y concourent; que le beau fini soit uni à la grandeur du faire, à la perfection de l'effet, & à la justesse de l'expression: un tableau de cette espece, s'il y en a, pour être gravé parfaitement, doit être rendu dans l'estampe par toutes les parties de la Gravure. Le burin le plus fier, le plus propre, le plus varié, le plus savant, sera à peine suffisant pour imiter parfaitement le tableau dont je parle. Le travail de l'eau - forte donneroit trop au hasard, & je crois qu'elle nuiroit à la beauté de l'exécution. Si un tableau moins parfait offroit une composition pleine de feu, d'expression, & en même tems un faire moins terminé, & un accord moins exact, je crois que le graveur qui employeroit l'eauforte pour rendre le feu de l'expression qui domine dans l'ouvrage, & qui retouchant au burin ajoûteroit à son ouvrage le degré d'harmonie que contient son original, rempliroit les vûes de la Gravure. Enfin un tableau dont le mérite consisteroit plus dans le beau faire & dans l'harmonie, que dans l'expression & la force, doit recevoir en Gravure la plus grande partie de la vérité de son imitation, d'un burin bien conduit, & dont le beau travail répondra au précieux méchanisme du pinceau & à la fonte des couleurs.

Le portrait est un second genre de Gravure, d'un usage aussi grand & peut - être plus multiplié encore que le premier. Ce genre de Gravure doit suivre àpeu - pres les mêmes regles que je viens d'établir. Les tabieaux d'après lesquels on grave les portraits, doivent inspirer au graveur habile le méchanisme dont il doit se servir, à - moins que par une application différente des moyens qu'il employe, il ne les proportionne en quelque sorte à l'état, au sexe, à l'âge & à la figure des personnages dont il transmet la ressemblance. La jeunesse & les graces du sexe demandent une propreté de travail & une douceur dans l'arrangement des tailles, qui sied moins à la vicillesse ou au caractere austere d'un guerrier. Cette réflexion m'a souvent frappé, lorsqu'admirant les précieux ouvrages des Drevets & des Edesinks, j'ai vù un magistrat âgé, ou un guerrier, dont la reptésentation m'offroit quelque chose d'efféminé, que j'ai cru être l'effet d'une trop grande uniformité de travail, & de ce qu'on appelle un trop beau burin. Au reste je ne prétends pas que cette réflexion soit prise à la rigueur, & je la soûmets à ceux des artistes qui auront assez exercé leur art & assez refléchi, pour la modifier comme elle doit l'être.

Le paysage, sous le nom duquel je comprendrai, pour ne pas être trop long, tous les autres genres particuliers, peut se livrer à plus de liberté, & par conséquent l'eau - forte y peut être employée avec succès, mais toûjours avec un rapport juste au caractere du tableau qu'on grave, ou à la nature des objets qu'on représente. Je n'ai en vûe dans tout ce que je dis ici, que les ouvrages de Gravure auxquels on cherche à donner un juste degré de perfection; car pour les gravures qui sont l'ouvrage des Peintres, il seroit injuste de leur fixer aucune regle, ce sont des délassemens pour eux; & la pointe en s'égarant même entre leurs mains, porte toûjours l'empreinte du génie des artistes qui la font obéir à leur caprice. Je passe aussi sous silence les gravures multipliées des amateurs; ce sont des amusemens qui servent à les instruire: il en est peu qui puissent aspirer à un degré de perfection, pour lequel un travail assidu, constant & suivi pendant un grand nombre d'années, est à peine suffisant.

Je reviens aux préceptes de Bosse, dont je donne l'extrait raisonné. Indépendamment des hachures simples, de celles qui se croisent, soit en formant des quarrés, soit en formant des losanges, il y a encore une sorte de travail dont on se sert dans différentes occasions. Ce travail se fait en formant des points séparés les uns des autres, & ces points peuvent être ou totalement ronds, ou ronds par un côté, & un peu alongés par l'autre; ils peuvent être longs, droits, ou tremblotés. L'usage est de se servir de points ronds à l'eau - forte, & on les employe pour donner aux chairs un caractere délicat qui fasse naitre une idée des pores & du tissu de la peau. Ce travail, ainsi que ceux dont j'ai déjà parlé, est subordonné au goût & aux réflexions du graveur. L'usage excessit des points, rend le travail mou & peu brillant; celui des tailles seules pour représenter des chairs, est trop austere; un mélange judicieux de ces deux especes de travaux, donnera à la gravure à l'eauforte un degré d'agrément auquel elle peut tendre.

Il est nécessaire d'arranger avec beaucoup de soin les points qu'on place avec la pointe; les petits hasards de l'eau - forte les dérangeront assez. L'usage est d'en faire des rangs dans le sens dont on auroit fait des tailles, dans l'endroit où on les employe. Ceux du second rang se placent de maniere qu'ils se trouvent au - dessous ou au - dessus de l'intervalle qui est entre chacun des premiers; ils servent aussi de continuation aux hachures, en approchant des clairs dans lesquels ils se perdent, en les diminuant à mesure que l'on approche des grandes lumieres.

Je reviens encore, avec Bosse, aux tailles, comme au principal objet du travail de la Gravure. Un effet de la dégradation qu'éprouvent les objets dans l'éloignement, est que les détails de ces objets s'apperçoivent moins: c'est cette raison qui a dicté le précepte de serrer les tailles, en même tems qu'on les rend plus fines dans les plans éloignés. Par cette même raison on détaillera moins, à l'aide des hachures & des traits qui forment les contours, les différens objets dont on gravera la représentation lorsqu'ils seront censés éloignés de l'oeil. On observera cette dégradation par plan, & ce soin donnera beaucoup d'effet aux planches: on changera donc de pointe à mesure que les objets approcheront de l'horison; on serrera les tailles; on détaillera moins les petites parties, & l'on gravera les grandes d'une façon un peu indécise, mais large, en ombrant par masses, comme on le peut voir dans les estampes de Gerard Audran, entre autres dans l'estampe de Pyrrhus sauvé, qu'il a gravée d'après le Poussin, & dans laquelle il a rendu d'une maniere excellente la touche large du pinceau dans les lointains & dans les fonds. L'art de l'imitation, dans la Peinture comme dans la Gravure, exige qu'on ne se livre à l'exactitude des détails que fort à - propos: c'est de - là que naît l'ensemble, l'unité, & l'effet des ouvrages. Un objet travaillé avec soin, dont toutes les parties sont rendues avec exactitude & recherche, est capable, avec le plus grand mérite d'exécution, de gâter & de détruire l'effet d'une composition. Savoir supprimer avec discernement en Peinture, & passer à - propos sous silence dans l'art d'écrire, sont les moyens d'arriver à la perfection à laquelle doivent tendre ces différens arts.

C'est dans le paysage, comme je l'ai déjà indiqué, que l'on peut se perinettre une plus grande liberté dans les différens travaux des hachures. Le travail libre, varié, les hachures tremblantes, interrompues, redoublées & confondues, donnent à ce genre de gravure un effet piquant, qui plaît extrèmement aux connoisseurs, aux artistes, & souvent aux amateurs, sans qu'ils en approfondissent trop la raison. Il en résulte qu'on abuse très - souvent de cette façon

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