ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"786"> avec lui; qu'ils ayent l'air de venir plûtôt pour s'informer de sa conduite que pour le caresser; qu'ils ne badinent point avec lui d'une maniere indécente, comme avec un perroquet ou une poupée. Quand on est pere, peut - on ne pas sentir le respect qu'on doit à son fils? Que tous les jours l'enfant aille rendre à ses parens ce qui leur est dû; qu'il y reste peu, àmoins que ce ne soit par récompense; si vous êtes contente de lui, qu'il y soit reçû avec bonté, qu'on lui fasse quelques caresses, qu'on lui donne quelques avis toûjours conformes à ceux que vous lui aurez donnés: car il faut qu'il y ait une correspondance exacte entre tous les disc ours qu'il entendra. Pour cela il est à - propos que quelqu'un d'intelligent vienne tous les matins savoir de vous ce qui s'est passé, ce que vous avez dit à l'enfant, ce que vous jugez à - propos qu'on lui dise. Si vous n'êtes pas contente de lui, qu'il se présente toûjours, c'est un devoir auquel il ne doit jamais manquer; mais qu'alors la satisfaction de voir ses parens lui soit refusée.

Il est vraissemblable qu'il fondra en larmes. S'il est touché comme il doit l'être, ne joignez point d'autre peine à cette punition, au contraire il faut le consoler. Entrez dans sa douleur, dites - lui qu'elle est juste, mais qu'il s'y est exposé, & qu'il ne tient qu'à lui de rentrer en grace par une meilleure conduite: si au contraire il n'est pas assez sensible à cette disgrace, joignez - y toutes les privations capables de la lui faire sentir, imposez - les lui non comme la peine de sa premiere faute, mais comme celle de son insensibilité: au reste, dans une éducation bien faite, ce dernier cas ne peut guere arriver; il faudroit que l'enfant eût été bien gâté, pour que son ame se fût endurcie à ce point - là.

Je n'ai point parlé de l'obéissance, quoiqu'elle soit la base de toute éducation; sans elle, il est impossible de fixer aucun principe dans l'esprit d'un enfant; elle doit être établie dans son coeur avant même qu'il sache ce que c'est qu'obéir, & je l'ai supposée en parlant des devoirs précédens. Les enfans ne sont desobéissans qu'autant qu'on veut bien qu'ils le soient; il n'en est aucun qui ose résister soit à ce qu'on lui ordonne soit à ce qu'on lui défend, quand il est sûr d'être puni; il ne faut pas souffrir qu'il balance; la plus legere desobéissance doit être punie. Si dès la premiere enfance on ne l'accoûtume point à suivre la raison d'autrui, on peut - être sûr qu'il ne suivra pas la sienne quand il sera plus avancé en âge.

Au lieu de nourrir son orgueil en portant ses regards sur les avantages de sa fortune & de son rang, fixez - les sur son état présent; faites lui voir qu'il est dépourvû de tout ce qui mérite l'estime des hommes; qu'il n'a ni science, ni raison, ni vertus; qu'il ne peut rien pour lui - même, & que personne n'a besoin de lui; ne lui donnez point de titres & ne souffrez pas qu'on lui en donne; s'il en a, il sera tems qu'il les connoisse quand il entrera dans le monde.

Qu'il soit attentif & poli, qu'il reçoive avec reconnoissance les bontés qu'on aura pour lui; que personne ne soit son complaisant ni son adulateur: si son rang ne vous permet pas de le garantir de certains respects, qu'il sache que c'est à ses parens qu'ils s'adressent, & qu'ils sont le prix de leurs bienfaits ou de leurs vertus. Qu'il ne commande à personne, qu'il demande avec douceur, qu'il remercie avec politesse; s'il commande, que tout le monde soit sourd, & que le mot je veux, s'il sort de sa bouche, soit un arrêt de refus prononcé par lui - même.

Qu'il ne soit point, comme tous les enfans, avide de recevoir, éloigné de donner: qu'il donne de bonne grace, sinon qu'il soit privé de ce qu'il a refusé de donner; qu'il reçoive difficilement, qu'il ne demande jamais. On ne peut lui apprendre trop tôt qu'il est humiliant de recevoir, qu'il est doux de donner, & que c'est un devoir pour ceux qui sont dans l'abondance par rapport à ceux qui sont dans le besoin.

S'il rencontre un pauvre ou un malheureux, qu'il lui donne quelque secours: s'il reçoit un service ou un présent de gens au - dessous de lui, qu'il les récompense ou leur rende au - delà de ce qu'il a reçû: s'il brise quelque chose qu'on lui aura confié, qu'il répare le dommage par un présent qui y soit supérieur; que tout cela se fasse par ses mains & de son argent: c'est ainsi qu'on lui en apprendra l'usage, & qu'en même tems on lui inspirera les premiers sentimens d'humanité, de générosité, de justice. Puisqu'on donne de l'argent aux enfans, il ne faut pas que ce soit pour l'amasser, comme quelques parens l'exigent, ni pour le dépenser en fantaisies, comme c'est l'intention de beaucoup d'autres, à - moins qu'on n'ait envie de les rendre avares ou dissipateurs.

Il semble qu'on ne sache loüer les enfans que sur leur esprit & sur leur figure: sont - ce là les objets qu'il faut leur présenter comme loüables? Veut - on les rendre fats, présomptueux, frivoles? Ces loüanges sont d'autant plus ridicules, qu'elles sont presque toûjours fausses. Ce qu'il faut loüer devant eux, ce sont les choses véritablement loüables: ce qu'on doit loüer en eux, c'est leur douceur, leur obéissance, leur exactitude à remplir leurs devoirs, leur respect & leur attachement pour les personnes qu'ils doivent aimer; il ne faut les loüer qu'autant qu'ils le méritent. Dites à votre éleve que lorsqu'on loue un enfant sur son esprit & sur sa figure, c'est qu'on le méprise, & qu'on ne voit rien en lui qui mérite d'être loüé.

Veillez sur les personnes qui l'approcheront; ne le laissez jamais entre les mains des valets, ou d'autres gens imprudens & grossiers; que l'entrée de sa chambre ne soit permise qu'à des personnes prudentes & polies, qui, quand elles joueront avec lui, sachent conserver de la décence; & qui, lorsqu'elles lui parleront raison, ne s'écartent jamais de la morale la plus exacte.

Faites ensorte qu'il ne soit point dans le sallon, quand il y aura beaucoup de monde; il n'y trouveroit que des complaisans ou des gens qui en feroient leur joüet: ni l'un ni l'autre ne doivent convenir à des parens sensés. Les exemples qu'il verroit ne seroient point assez bons; les conversations qu'il entendroit ne seroient point assez exactes; beaucoup d'actions sans conséquence, ne le sont point pour un enfant; beaucoup de discours, irrepréhensibles pour des gens faits, pourroient l'induire en erreur. Peu de gens sont capables de sentir tout le respect qu'on doit à l'enfance; aucun n'est capable de s'y plier, à - moins qu'il n'en fasse son unique affaire. Les parens eux - mêmes ne le pourroient pas; & leurs discours & leurs exemples seroient un piége d'autant plus dangereux pour l'enfant, qu'il a plus de respect pour eux.

Il fera des fautes, il est de l'humanité d'en faire; mais si vous êtes attentive, il en fera peu. Les enfans ne sont presque jamais punissables, qu'il n'y ait plas de la faute de ceux qui les conduisent que de la leur. Plus votre conduite sera égale & soûtenue, moins il osera s'écarter de ce que vous lui prescrirez; plus vous mettrez de douceur, d'affection & de bonté dans vos leçons & dans vos remontrances, plus il lui sera facile de s'y conformer; plus vous l'avertirez de ses devoirs, moins il sera en danger d'y manquer.

Il fera des fautes par ignorance, il oubliera ce que vous lui aurez dit, parce qu'on l'aura distrait; il brisera ou renversera quelque chose par étourderie; il ménagera peu ses vêtemens. &c. Ces bagatelles viennent de l'âge, & ne tirent point à conséquence pour l'avenir: il fant l'en avertir; mais il ne faut pas l'en punir, à - moins qu'il n'y eût mauvaise intention. [p. 787]

Une desobéissance, un trait d'humeur, un mot qui n'est pas conforme à la vérité, une parole malhonnéte, un coup donné, une dispute avec ses freres ou soeurs, tout ce qui peut être le germe d'un vice, tout ce qui annonce de la bassesse ou de l'insensibilité; voilà des fautes punissables.

Ces mêmes fautes deviendront des crimes du premier ordre, quand il y aura intention marquée, récidive ou habitude; car il faut considérer les fautes d'un enfant, moins par ce qu'elles sont, que par leur principe & par les suites qu'elles peuvent avoir.

La punition des fautes legeres, ce sera d'en avertir les parens, & de les lui reprocher devant tout le monde. Il vous priera de n'en rien faire; soyez inexorable: bien loin de dissimuler ses fautes, il faut les exagérer. Il faut le rendre sensible à la honte, si vous voulez qu'il le devienne à l'honneur. Les fautes les plus legeres deviendront graves, à mesure qu'il y sera moins sensible: ce tera, par exemple, un crime du premier ordre, que de n'avoir pas été sensible à la honte d'une petite faute.

La punition des grands crimes sera la privation des caresses de ses parens, même la privation totale du bonheur de les voir. On y joindra, suivant I'énormité de la faute, toutes les autres privations possibles, non comme ajoûtant à la premiere, mais comme en étant la suite. L'enfant sera négligé dans son extérieur, comme il convient à un enfant disgracié de ses parens. Tout le monde saura qu'il est en disgrace, & tout le monde le fuira. Vous ne lui accorderez d'amusemens qu'autant qu'il en faut pour l'empêcher de tomber dans la langueur & dans l'abattement. Vous même vous serez froide avec lui, mais sans cesser d'être douce. Vous lui ferez faire sur son état les remarques les plus propres à le lui rendre amer; vous lui rappellerez qu'il est puni, dans les momens où il seroit le plus tenté de l'oublier. La durée de sa punition dépendra du besoin qu'il a d'être puni; elle sera s'il le faut de plusieurs jours: il vaut mieux qu'elle soit plus longue, & n'être pas obligé d'y revenir. Il aura beau promettre d'être plus raisonnable, ses promesses ne seront point écoutées. Pour obtenir sa grace, il faudra qu'il la mérite, & elle ne sera jamais accordée qu'à l'excès de sa douleur & à sa bonne conduite.

En lui annonçant que ses parens consentent de le revoir, faites lui valoir l'excès de leurs bontés; rappellez - lui la grandeur de la faute qu'il avoit commise; attendrissez son ame, pour y porter plus avant la reconnoissance & le repentir. Dès que leurs caresses auront mis le sceau à son pardon. il rentrera en possession de son état naturel, & tout reprendra sa face accoûtumée: mais ayez soin qu'il y ait une si grande différence entre cet état & celui de disgrace, que l'enfant tremble toûjours d'encourir le dernier.

J'ai parlé de cette grande punition, persuadé qu'elle ne peut avoir lieu que rarement. Si l'on a été attentif à punir l'enfant des petites fautes. il ne s'exposera pas à en faire de plus grandes. A l'égard des verges, je n'en ai rien dit, parce qu'il n'en doit pas être question dans une éducation bien faite, si ce n'est peuttre dans le tems où la douleur est le seul langage que l'enfant puisse entendre; ou bien lorsqu'ayant été précédemment gâté, soit parce qu'il a été malade, soit par négligence, il est parvenu à ce point d'opiniâtreté de dire affirmativement, non: alors, comme il est de la plus grande importance de ne lui pas céder, c'est avec la verge qu'il faut lui répondre. Il seroit à souhaiter qu'on le fit sans humeur; mais si je conseillois d'attendre que la colere fût passée, je serois sûr que la faute seroit oubliée, & que l'enfant ne seroit pas puni. A l'âge où il est, il vaut mieux qu'il soit puni avec un peu d'humeur, que de ne l'être pas.

Dans tout autre cas, & dès que l'enfant est capable d'un sentiment honnête, les verges doivent être bannies. On n'en fait usage si souvent que par négligence, par humeur, ou par incapacité; on rend ce châtiment inutile par la maniere dont on l'employe; on n'y attache pas assez de honte. Il faudroit qu'il fût l'annonce & le prélude de toutes les autres punitions possibles, que ces punitions lui fussent imposées parce qu'il s'est fait traiter comme un enfant sans ame & sans honneur: alors ce châtiment deviendroit pour lui un évenement unique, dont la seule idée le feroit frémir; au lieu que de la façon dont on s'y prend, il s'accoutume à cette punition comme à toute autre chose, & n'y gagne qu'un défaut de plus.

Les coups sont un châtiment d'esclave, & je veux que votre eleve soit un enfant bien - né. Ménagez la sensibilité de son ame, & vous aurez mille moyens de le punir ou de le récompenser; accoûtumez - le à penser noblement, cela n'est pas si difficile qu'on le croit. Le principe de l'honneur est dans les enfans comme dans les hommes faits, puisque l'amour - propre y est; il n'est question que de le bien diriger, & de l'attacher invariablement à des objets honnêtes. Les enfans sont incapables de discussion; ils ne jugent des choses que par le prix qu'on y met; mettez à un haut prix celles que vous voudrez qu'il estime, & vous verrez qu'il les estimera; faites - lui faire une chose loüable pour mériter d'en faire une autre, c'est une excellente économie. Accordez - lui les choses de son âge, non comme bonnes, mais comme nécessaires à sa foiblesse; refusez - les lui, non comme estimables, mais parce qu'il les aime, & qu'on ne doit point avoir d'indulgence pour un enfant qui se conduit mal; ne les lui proposez jamais comme des récompenses dignes de lui; cherchez ces récompenses dans des objets qu'il doive aimer, & dont il doive faire cas toute sa vie; placez - les dans les caresses de ses parens, dans quelque devoir de religion qu'il n'ait point encore rempli, dans quelque action supérieure à son âge qu'il n'ait point encore faite, dans le plaisir d'apprendre quelque chose qu'il ignore, dans la consideration, dans l'estime, dans les loüanges; car il faut lui faire aimer les loüanges pour l'amener au goût des choses loüables.

Quand il s'est distingué par quelque qualité loüable, qu'est - ce qui empêcheroit qu'on ne lui donnât un surnom qui exprimât cette qualité; qu'on ne l'appeliât le raisonnable, le veridique, le bienfaisant, le poli; qu'on ne lui écrivît, soit pour le loüer de ce qu'il auroit fait de bien, soit pour lui reprocher ses détauts, en mettant en tête de la lettre les titres qu'il auroit merités, ou en le menaçant de les lui supprimer, s'il continuoit à s'en rendre indigne?

C'est ainsi qu'on peut élever son ame au - dessus des sentimens de son âge; échauffée par l'émulation & par l'amour de la gloire, elle s'ouvrira d'elle - même à toutes les semences de raison & de vertu que vous y voudrez répandre; toute l'activité qui l'auroit entraînée vers le mal, la portera vers le bien; à - mesure que vous y verrez croître les semences précieuses que vous y aurez versées, cultivez - les par les mêmes moyens que vous les aurez fait naître. Caressez, loüez, applaudissez. Dès que de son propre mouvement il aura fait ou pensé quelque chose de loüable, imaginez - en quelqu'autre à lui faire faire pour le récompenser. Que tout le monde vienne lui faire compliment avec un air de considération. J'ai recommandé aux parens d'aller rarement chez leurs enfans, & d'être ménagers de leurs caresses, mais ceci est un cas à part; c'est le seul où il leur soit permis de laisser éclater toute leur tendresse; puisque l'enfant a été capable d'un sentiment vertueux, il faut pour l'instant le regarder comme un

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