ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"784"> sur son esprit & sur sa figure; les premieres notions qu'on lui donne de lui - même, c'est qu'il est riche ou que sa naissance est illustre; & la naissance ou les richesses sont les premiers objets dont il entend parler avec respect ou avec envie; s'il fait des questions, on le trompe; veut - on l'amuser, on lui dit des absurdités; s'il commande, on obéit; s'il parle à - tort & àtravers, on applaudit; on rit, s'il fait des méchancetés; on lui apprend à frapper, à dire des injures, à contrefaire, à se moquer: ce qu'on lui recommande comme raisonnable, on lui permet de ne le pas suivre; ce qu'on lui a défendu comme condamnable, on permet qu'il le fasse, & souvent on lui en donne l'exemple: on le menace sans le punir, on le caresse par foiblesse & par fantaisie; on le gronde par humeur & mal - à - propos: ce qu'on a refusé à sa priere, on l'accorde à son importunité, à son opiniâtreté, à ses pleurs, à ses violences. Pourroit - on s'y prendre autrement, si l'on se proposoit de lui déranger la tête & d'éteindre en lui tout sentiment de vertu?

A l'égard des principes qu'on croit lui donner, quelle impression veut - on qu'ils fassent sur lui, quand tout contribue à les détruire? comment respecterat - il la religion, lorsqu'après lui en avoir enseigné les devoirs, on ne les lui fera pratiquer ni avec respect ni avec exactitude? comment craindra - t - il ses parens, quand ils ne lui feront pas reconnoître leur autorité, & qu'ils paroîtront lui rendre beaucoup plus qu'il ne leur rend? comment saura - t - il qu'il doit quelque chose à la société, quand il verra tout le monde s'occuper de lui, & qu'il ne sera occupé de personne?

Abandonné au déreglement de ses goûts & au desordre de ses idées, il s'élevera lui - même le plus doucement & le plus mal qu'il lui sera possible; le moindre penchant qu'il aura, il voudra le satisfaire; ce penchant deviendra fort par l'habitude; les habitudes se multiplieront; & de leur assemblage se formera dans l'enfant l'habitude générale de compter pour rien ce qu'on lui dit être la raison, & de n'écouter que son caprice & sa volonté.

Ainsi se passent les sept premieres années de sa vie; & ses défauts se sont tellement accrus, que les parens eux - mêmes ne peuvent plus se les dissimuler: l'enfant leur cede encore quand ils prennent un ton plus sérieux, parce qu'ils sont plus forts que lui; mais dèslors il se promet bien de ne reconnoître aucune autorité quand il sera plus grand: à l'égard de la gouvernante, elle n'a plus d'empire sur lui, il se moque d'elle, il la méprise; preuve évidente de la mauvaise éducation qu'il a reçûe.

Il passe entre les mains des hommes: c'est alors qu'on pense à réparer le mal qu'on a fait; on croit la chose fort aisée: on se flatte qu'avant trois mois l'enfant ne sera pas reconnoissable; on est dans l'erreur. Avec beaucoup de peine on pourra, jusqu'à un certain point, retrancher la superficie de ses mauvaises habitudes: mais les racines resteront; fortifiées par le tems, elles se sont, pour ainsi dire, identifiées avec l'ame; elles sont devenues ce qu'on appelle la nature.

Cette peinture n'a rien d'exagéré; relativement à beaucoup d'éducations, les traits en sont plûtôt affoiblis que chargés. Ainsi sont élevés, je ne dis pas les enfans des particuliers, dont la mauvaise éducation est bien moins dangereuse pour eux & moins importante pour la société, mais les enfans des grands & des riches, c'est - à - dire ceux qui devroient être l'espérance de la nation, & qui par leur fortune & leur rang, influeront beaucoup un jour sur ses moeurs & sur sa destinée.

On s'imagine qu'il ne faut point contraindre les enfans dans leurs premieres années; on ne fait pas attention que les contradictions qu'on leur épargne ne sont rien, que celles qu'on leur prépare seront ter<cb-> ribles. On se propose de les plier quand ils seront forts; pour quoi ne veut - on pas voir qu'il seroit bien plus facile & plus sur d'y reussir quand ils sont foibles? Quiconque a examine les hommes dans leur entance, & les a suivis dans les différens périodes de leur âge, a pû remarquer comme moi, que presque tous les détauts qu'ils avoient à sept ans, ils les ont conservés le reste de leur vie.

On craindroit en gênant un enfant, de troubler son bonheur & d'alterer sa sante: il est cependant manifeste que celui qui est élevé dans la sounussion est, pour le present même, mille fois plus heureux que l'enfant le plus gâté. Qu'on examine & qu'on juge; on verra l'enfant bien éleve être gai, coment, & tranquille; tout sera plaisir pour lui, parce qu'on lui fait tout acheter: l'autre, au contraire, est inquiet, inegal & colere à proportion qu'il a été plus gâté; ses desirs se détruisent l'un l'autre; la plus petite contradiction l'irrite; rien ne l'amuse, parce qu'il est rassasie sur tout.

Croit - on que ces mouvemens violens dont il est sans cesse agite ne puissent pas influer sur son tempérament? croit - on que l'inquiétude de son esprit & le desordre de ses idées ne soient pas capables d'altérer les fibres délicates de son cerveau? Qu'on y prenne garde, il n'y a guere d'enfans gâtés qui dans leurs premieres années n'ayent eu des symptomes de vertige; & lorsqu'ils sont devenus grands, on peut juger par leur conduite si leur tête est bien saine.

Parens aveugles, vous vous trompez grossierement sur les objets que vous vous proposez; vous n'êtes pas moins dans l'erreur sur vos propres motifs; vous vous croyez tendres, vous n'êtes que foibles: ce ne sont pas vos enfans que vous aimez, c'est l'amusement qu'ils vous donnent.

Croyez - vous que le ciel vous les consie pour être l'objet d'une passion folle, ou pour vous servir d'amusement? ignorez - vous que c'est un dépôt dont vous lui rendrez compte? que vous en êtes comptables à la république, à la postérité? pourquoi faut - il vous dire que vous l'êtes à vous - mêmes? Un jour viendra que vous payerez bien cher les foibles plaisirs que leur enfance vous donne: quelle sera votre douleur, quand vous verrez l'objet de toutes vos affections devenu celui du mépris public? quand son mépris pour vous - mêmes deviendra le salaire de vos molles complaisances? quand ce fils rendu dénaturé par l'exces de vos tendresses, sera le premier à vous reprocher tous ses vices comme étant votre ouvrage? alors vous répandrez des larmes de sang; vous accuserez la gouvernante, le précepteur, le gouverneur, tout l'univers. Parens injustes, vous n'aurez peut - être à vous plaindre que de vous!

Si c'étoit aux meres que j'adressasse ce discours, la plûpart me regarderoient comme un moraliste atrabilaire; c'est aux peres que je m'adresse: en leur qualité d'hommes, leur ame doit être moins foible & leurs vûes moins bornées; il ne leur est pas permis de se laisser séduire par l'objet présent, & de ne pas porter leurs yeux dans l'avenir.

Si vous êtes dignes de ce titre de pere, vous devez vous occuper de l'education de vos enfans, même avant qu'ils soient nés. Quoique peu de meres soient capables de cette passion funeste qui va jusqu'a l'idolatrie, toutes sont foibles, toutes sont capables d'aveuglement: si vous voulez contenir leurs sentimens dans les bornes qu'ils doivent avoir, il faut vous y prendre de bonne heure. Faites remarquer à votre épouse la mauvaise education qu'on donne aux enfans de sa connoissance, les déreglemens de presque tous les jeunes gens d'un certain ordre, tous les chagrins qu'ils donnent à leurs parens, & combien les sentimens de la nature sont éteints dans leur coeur; parlez - lui sur tout cela avec la tendresse que vous lui [p. 785] devez, & avec la force que doit vous inspirer un interêt si grand. Veillez en même tems sur sa tendresse; elle même est un enfant à qui il seroit dangereux de laisser prendre une mauvaise habitude: si elle avoit gâte votre fils dans les bras de la nourrice, elle continueroit de le gâter entre les mains de la gouvernante; elle mettroit obstacle à tout le bien qne pourroient faire le précepteur & le gouverneur: pour la ramener, il faudroit livrer des combats; peut - être n'auriez - vous pas la force de combattre toujours, & votre fils seroit perdu sans ressource.

Quand on choisira une nourrice, outre les qualités physiques qu'elle doit avoir, faites ensorte qu'elle soit femme de bon sens: tant que l'enfant se portera bien, qu'on ne lui passe ni volonté ni impatience; quand même il seroit indisposé, il ne faudroit pas s'écarter de cette méthode: un mois de maladie nuit plus à son éducation qu'une année de soins n'a pû l'avancer. Pour peu qu'il y ait de danger, tous les parens perdent la tête, & il est bien difficile qu'ils ne la perdent pas: il seroit à souhaiter qu'au - moins l'un des deux ne compromit point son autorité, que le pere prît sur lui de ne pas voir son enfant, afin que par la suite l'ascendant qu'il auroit conservé pût rendre à la mere & à la gouvernante tout celui qu'elles ont perdu. Ce n'est pas la maladie qui rend impatient, c'est l'habitude de l'être qui fait qu'on l'est davantage quand on souffre; & c'est la foible & timide complaisance des parens qui fait qu'alors un enfant le devient à l'excès.

Si l'enfant pleure, il est aisé de démêler le motif de ses larmes; s'il pleure pour avoir quelque chose, c'est opiniâtreté, c'est impatience; s'il pleure sans qu'on voye pourquoi, c'est douleur: dans le premier cas, il faut le caresser, pour le distraire, n'avoir pas l'air de le comprendre, & faire tout le contraire de ce qu'il veut; dans le second cas, consultez votre tendresse, elle vous conseillera bien.

Les premieres volontés d'un enfant sont toûjours foibles; c'est un germe qui se développe & que la moindre résistance détruit; elles resteront foibles tant qu'elles lui réussiront mal; que si son impatience & ses volontés sont fortes, c'est une preuve que la nourrice n'est pas attentive, & qu'elle l'a gâté.

Dès qu'elle ne lui sera plus nécessaire, & qu'on l'aura sevré, qu'elle soit écartée. Le premier jour, l'enfant répandra des larmes; si ses larmes viennent d'attachement & de sensibilité, on ne peut payer par trop de caresses ces précieuses dispositions; s'il s'y mêle de l'humeur, qu'on le caresse encore; mais que les caresses diminuent à - mesure que l'humeur augmentera; s'il demande quelque chose avec impatience, on lui dira avec beaucoup de douceur, qu'on est bien fâché de le refuser, mais qu'on n'accorde point aux enfans ce qu'ils demandent avec impatience: peut - être il n'entendra pas ce discours, mais il entendra l'air & le ton; il verra qu'on ne lui donne point ce qu'il a demandé; soit étonnement soit lassitude, il suspendra ses larmes; qu'on profite de cet intervalle pour le satisfaire.

Le second jour, on mettra sa patience a une plus longue épreuve, & l'on continuera par degrés les jours suivans, en observant toûjours de ne le caresser que lorsqu'il sera tranquille, & de cesser les caresses qu'on lui fait, ou même de prendre un air plus sérieux dès qu'il sera opiniâtre ou impatient: cette conduite n'a rien de dur ni de cruel; l'enfant s'appercevra bientôt qu'il n'est caressé & qu'il n'obtient ce qu'il veut que quand il est doux, & il prendra son parti de le devenir.

Dès que vous l'aurez rendu tel, comptez que vous aurez tout gagné; son ame sera entre vos mains comme une cire molle que vous paitrirez comme il vous plaira; vous n'aurez plus à travailler que sur vous<cb-> même, pour vous soûtenir dans une attention conti nuelle, pour déméler en lui ces semences de défauts ou de vices souvent foibles & obscures, & que néanmoins il faut réprimer des qu'elles paroissent, si l'on veut y parvenir avec certitude & sans tourmenter l'enfant; pour mettre votre esprit à la portée du sien, sur tout pour avoir une conduite soutenue: car ne croyez pas qu'on éleve un enfant avec de beaux discours & de belles phrases: vos discours pourront éclairer son esprit; mais c'est votre conduite qui formera son caractere.

Ne ressemblez point à la plûpart des gouvernantes, qui sont tracassieres, grondeuses, acariatres, ou au contraire toûjours en admiration devant leurs éleves & leurs complaisantes éternelles: quelques - unes même réunissent les deux extrèmes, successivement idolâtres & pleines d'humeur. C'est leur mal - adresse, & ce sont leurs défauts qui donnent aux enfans une partie de ceux qu'ils ont. Avec beaucoup de fermeté dans la conduite, ayez beaucoup d'égalité dans l'humeur, de gaieté dans vos leçons, de douceur dans vos discours; préchez d'exemple, rien n'est plus puissant sur les enfans comme sur les hommes faits; de quelque tempérament que soit votre éleve, vous verrez qu'insensiblement la douceur & la sérénité de votre ame passeront dans la sienne.

Si vous voulez l'instruire avec fruit, ne vous contentez pas de lui étaler votre éloquence devant les autres & quand vous pourrez être entendue; ce n'est pas quand l'enfant est dissipé, que les choses sensees qu'on lui dit peuvent faire impression sur lui: c'est dans le particulier, quand son ame est tranquille & son esprit recueilli. Il n'y a point d'enfant en qui l'on ne puisse saisir de ces momens d'attention; une gouvernante habile peut les faire naître souvent.

Dès qu'il sera capable d'avoir une idée de Dieu, expliquez - lui ce que c'est que sa toute - puissance, sa bonté, sa justice; apprenez - lui le culte qu'on lui doit & les prieres qu'il faut lui adresser; pour lui donner l'exemple, priez avec lui, & mettez - vous dans la posture où il doit être. Ce n'est qu'en parlant à ses yeux que vous parlerez à sa raison. A commencer du moment que vous l'aurez instruit, ne permettez jamais ni qu'il oublie de prier, ni qu'il prie dans une posture peu décente, à - moins qu'il ne soit malade: alors au lieu de ses prieres ordinaires, qu'il en fasse une courte, & qu'il n'y manque jamais: vous lui apprendrez ses autres devoirs de religion, & les lui ferez pratiquer à mesure qu'il sera en âge de les remplir.

Ses devoirs envers ses parens marcheront de pair avec ceux de la religion; apprenez - lui que son bonheur ou son malheur est dans leurs mains; qu'il tient de leurs bontés tout ce qu'il est & tout ce qu'il a; qu'ils sont pour lui l'image de Dieu; que Dieu leur a donné par rapport à lui une partie de sa puissance, de sa bonté, de sa justice; qu'il ordonne de les aimer & de les honorer, & qu'il n'a promis une longue vie qu'aux enfans qui les honorent; mais il faut que les parens entrent bien dans vos vûes: car si vos discours ne sont pas secondés par leur conduite, toutes les leçons que vous pourrez faire à l'enfant, sont autant de paroles perdues.

Le premier sentiment qu'on doit exiger d'un enfant, ce n'est pas son amitié, c'est son respect: si l'on veut s'en faire aimer par la suite, il faut commencer par s'en faire craindre; celui qu'on éleve dans l'indépendance n'est occupé que de lui - même, & son coeur s'endurcit; celui qu'on éleve dans la soûmission sent le besoin qu'il a d'appui, & s'attache naturellement aux personnes dont il dépend.

Que ses parens lui cachent toute la tendresse qu'ils ont pour lui; l'enfant en abuseroit; qu'ils viennent rarement le trouver, ou du - moins qu'ils restent peu

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