ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Une suite & une nouvelle preuve de la dilatation de l'eau convertie en glace, c'est la rupture des vaisseaux où elle est contenue; rupture très - ordinaire dans le cas d'une prompte congelation, lorsque ces vaisseaux sont étroits par le haut, & que l'épaisseur de leurs parois est trop peu considérable pour résister à l'effort que fait la glace en se dilatant.

Cet effort en plulieurs cas est immense. Tout le monde a entendu parler de la fameuse expérience de M. Huyghens, répétée par M. Buot, dans laquelle un canon de fer épais d'un doigt, rempli d'eau & bien fermé, ayant été exposé à une forte gelée, creva en deux endroits au bout de douze heures. Mrs. de l'académie de Florence ont fait rompre par ce même moyen plusieurs vaisseaux, soit de verre, soit de différens métaux, la plûpart de figure sphérique; & M. Musschenbroek ayant calculé l'effort nécessaire pour faire crever un de ces vaisseaux, il a trouvé qu'il avoit fallu une force capable de soulever un poids de 27720 livres. Tentam. pag. 135.

Il ne faut plus s'etonner après cela que la gelée souleve le pavé des rues, qu'elle creve les tuyaux des fontaines, quand on n'a pas la précaution de les tenir vuides, qu'elle fende les pierres & les arbres, qu'elle détruise en plusieurs circonstances tout le tissu des végétaux, &c. Ce sont des suites nécessaires de la dilatation & de la force expansive dont nous venons de parler. Voyez Gelée.

La glace faite avec de l'eau ordinaire non purgée d'air, se dilatant avec tant de force & si sensiblement, il étoit naturel d'examiner ce qui arriveroit dans les mêmes circonstances à de l'eau bien purgée d'air, qu'on auroit soûmise à l'action de la gelée; de voir si elle augmenteroit ou si elle diminueroit de volume en se gelant: on a fait pour éclaircir ce point quantité d'expériences. M. Homberg par un procédé qui dura deux ans, fit en 1693 avec de l'eau purgée d'air, de la glace qu'il jugea plus pesante & d'un moindre volume que l'eau ordinaire, mémoires de l'académie, tom. X. pag. 255. Il paroît qu'il se décida sur la seule inspection du morceau de glace, & non par son enfoncement dans l'eau, la seule preuve sans replique; ce qui est certain, c'est que Mrs. de Mairan, Musschenbroek, Nollet & plusieurs autres physiciens, qui ont répété & tourné en plusieurs manieres cette même expérience, n'en ont jamais pû obtenir le même résultat. La glace faite avec de l'eau purgée d'air a toûjours nagé sur l'eau; souvent même elle a cassé les vaisseaux où elle étoit contenue, preuves incontestables d'une augmentation de volume. Il faut néanmoins remarquer que si la glace faite avec de l'eau purgée d'air, est plus legere à raison de son volume que l'eau dans l'état de liquidité, cette même glace est toûjours spécifiquement plus pesante que celle qu'on a faite avec de l'eau ordinaire: on verra même que la différence de leurs pesanteurs spécifiques est souvent assez considérable.

La dilatation de l'eau qui devient glace est une exception apparente à la loi générale, suivant laquelle presque toutes les matieres qui perdent leur fluidité pour devenir solides, loin d'augmenter de volume en diminuent constamment; ainsi les huiles en se gelant & lorsqu'elles sont gelées, occupent toûjours moins d'espace qu'auparavant. Une autre observation importante, c'est que les huiles ne se gelent point comme l'eau par silets & par lames, mais par pelotons de différente figure, qui tombant les uns sur les autres, composent une masse solide assez peu liée dans les commencemens; mais qui à mesure que le froid augmente, acquiert de la consistance & de la fermeté.

Le vin glacé se leve par feuillets assez semblables à des pelures d'oignon.

Nous venons d'exposer avec assez d'étendue ce qui se passe réellement & sous nos yeux dans la formation de la glace; voyons maintenant ce que les Philosophes ont imaginé pour rendre raison de ces phénomenes.

Descartes suivi en cela d'un grand nombre de physiciens, a cru que la congelation de l'eau & des autres liquides étoit une suite nécessaire de leur refroidissement à un certain degré déterminé, sans qu'il intervint précisément pour cet effet dans les pores du liquide aucune matiere étrangere; c'est aussi le sentiment de Boerhaave, de s'Gravesande, de Hartsoeker, de M. Hamberger, de M. de Mairan, &c. Tous ces physiciens rejettent les corpuscules srigorifiques, la matiere congelante proprement dite: si l'on remarque de la diversité dans le détail de leurs explications, on voit en même tems qu'ils se réunissent tous dans le point que je viens d'indiquer; c'est un même fond qui se reproduit sous plusieurs formes différentes.

Les Gassendistes supposent au contraire des corpuscules frigorifiques salins ou nitreux, qui s'introduisant entre les pores d'un fluide, arrêtent le mouvement de ses parties, & les fixent en un corps solide & dur. Cette opinion a été adoptée par le célebre M. de la Hire.

M. Musschenbroek s'en éloigne peu: il soûtient à la vérité contre les Gassendistes, que le froid n'est que la simple privation du feu; mais persuadé en même tems que la congelation & le froid sont deux choses assez différentes, il a recours à une matiere répandue dans l'air, qui venant à pénétrer l'eau & les autres fluides, fixe la mobilité respective de leurs parties en les liant fortement entr'elles, comme feroit de la colie ou de la glu. Cette matiere est - elle abondamment répandue dans l'air? la gelée est considérable; au contraire n'y a - t - il dans l'air que peu ou point de cette matiere? il ne gele point ou il ne gele que foiblement. Ce n'est point précisément par le degré de froid (nous parlons d'après M. Musschenbroek) qu'on doit juger de la presence ou de l'absence de ces particules congelantes; si on lui demande ce que c'est que ces particules, il répondra que leur nature est encore un mystere qu'on pourra quelque jour penétret. Essais de Physique, tome I. chap. xxv. Tentam. Florent.

Nous ne connoissons aucun système sur la formation de la glace, essentiellement différent de ceux que nous venons de rapporter; tout paroît donc se réduire à cette seule question. La congelation d'un liquide suit - elle nécessairement d'un refroidissement à un certain degré déterminé, ou faut - il pour la formation de la glace quelque chose de plus? Si le refroidissement suffisoit, la matiere congelante dont l'existence n'est point prouvée immédiatement seroit inutile, & par - là même elle devroit être rejettée.

Quelque idée qu'on se forme de la fluidité, on ne sauroit s'empêcher de reconnoitre la chaleur pour une de ses principales causes; il suffit donc afin qu'un corps devienne solide de fluide qu'il étoit, que la chaleur qui agitoit ses parties diminue à un certain degré, ou, ce qui est la même chose, que ce corps se refroidisse. Dans ce cas la force de cohésion de ses particules augmente; nous l'avons vû en parlant du froid: or on sait que cette force de cohésion est la cause de la solidité des corps & de leur dureté. Voyez Fiuidité, Solidité & Cohésion

Voilà l'eau changée en un corps dur par un simple refroidissement; mais ce corps dur aura - t - il toutes les propriétés de la glace? présentera - t - il dans sa formation les mêmes phénomenes? C'est ce qu'il faut examiner.

L'eau se gele par filets qui s'assemblent sous différens angles, d'où résultent diverses figures; dans [p. 680] ce phénomene on n'apperçoit rien qui favorise la matiere congelante. Tout paroît dépendre de la figure, quelle qu'elle soit, des parties intégrantes de l'eau, & de la maniere dont la force de cohésion agit sur ces particules pour leur leur faire prendre un certain arrangement déterminé. Un liquide autrement conformé & sur lequel l'attraction agira d'une autre maniere, se gelera par pelotons, comme on l'observe dans les huiles; les sels n'affectent - ils pas différentes figures dans leurs crystallisations? Si l'on demande pourquoi les filets de glace tiennent d'ordinaire par un de leurs bouts aux parois du vase qui les renferme, nous répondrons que tout corps flottant sur l'eau dans un vase qui n'est pas plein, va s'attacher de lui - même aux parois du vaisseau, si ces parois sont de nature à être mouillées par l'eau; & ce qui prouve la justesse de cette explication, c'est que l'adhésion des filets de glace aux parois du vase disparoît absolument, quand on a frotté le dedans du vaisseau d'huile, de suif ou de quelqu'autre matiere qui s'unit difficilement avec l'eau.

L'eau qui se gele à mesure que les parties se rapprochent, se dessaisit de l'air qu'elle contient en grande quantité; une partie de cet air s'échappe àpeu - près comme l'eau sort d'une éponge mouillée que l'on presse.

Ce qui reste d'air dans l'eau glacée s'y rassemble en différentes bulles; c'est un air, pour ainsi dire, extravasé, dont la masse de glace est entre - coupée.

L'air ne sauroit se développer de la sorte sans augmenter son volume; avant ce développement il étoit comme dissous dans l'eau: or on sait que du sel, par exemple, dissous dans l'eau, y tient moins de place que du sel en masses sensibles.

L'air caché dans l'eau & intimement mêlé avec elle, y est sans ressort; en se dégageant il reprend son élasticité, autre cause de dilatation.

De tout ceci on infere naturellement, que quoiqu'il soit sorti beaucoup d'air de l'eau prête à se geler, ce qui reste dégagé & en masse doit y occuper plus de place que le tout n'en occupoit quand il y étoit dissous, & qu'ainsi le volume de l'eau glacée en doit être augmenté.

La force qui rassemble l'air en bulles est très - considérable; elle est absolument la même que la force de cohésion qui unit les particules d'eau, & qui est très - supérieure à la pesanteur: le ressort qui se rétablit dans l'air à mesure qu'il se dégage, est aussi très actif & très - puissant. De ces deux causes réunies suit la rupture des vaisseaux où la glace est contenue.

Cette explication, qui est celle d'un très - grand nombre de physiciens, ne laisseroit rien à desirer, si la glace faite avec de l'eau purgée d'air se trouvoit aussi pesante que l'eau même, ce qui n'arrive jamais; mais nous avons vû que toute glace contient des bulles d'air, quelque soin qu'on ait pris de l'en purger. De plus la glace faite avec de l'eau privée d'air autant qu'il est possible, est sensiblement plus pesante que la glace ordinaire, ce qui affoiblit beaucoup la difficulté.

Ceux qui admettent la matiere congelante, prétendent que cette matiere s'introduisant dans les pores de l'eau, augmente le volume de ce fluide. Il semble que cette autre explication ne doit avoir lieu, que supposé qu'on ne puisse pas déduire d'ailleurs le phénomene dont il est ici question.

En l'attribuant seulement en partie à l'air rassemblé en bulles, ne peut - on pas soupçonner en même tems que les parties intégrantes de l'eau qui se gele, se disposent dans un ordre différent de celui qu'elles observoient avant la congelation? Selon cette idée, il faudroit reconnoître dans la glace une nouvelle sorte d'aggrégation, pour parler le langage des Chimistes: ceci au reste n'est pas difficile à concevoir. La chaleur qui portée à un certain degré, maintient l'eau dans l'état de liquidité, ne tend pas seulement à desunir les parties intégrantes de ce fluide; elle peut encore altérer facilement la direction de leur tendance mutuelle: il ne faudra donc qu'un refroidissement pour rendre à ces différentes molécules la liberté de s'arranger conformément à cette tendance qui leur est propre. Or pourquoi, en vertu de cette tendance, ces molécules ne s'uniroient - elles pas de maniere qu'en adhérant plus fortement les unes aux autres par certaines portions de leurs surfaces, elles laïsseroient entr'elles d'un autre côté des intervalles plus considérables que ceux qui les séparoient dans l'état de liquidité? M. de Mairan regarde comme une preuve assez forte de tout ce qu'on vient d'avancer, la constance des filets de glace à s'assembler sous différens angles, principalement sous des angles de 60 degrés: on peut consulter la seconde partie de sa dissertation sur la glace. Un plus grand détail sur ce sujet nous meneroit loin, & nous devons nous resserrer.

Contentons - nous de remarquer, 1°. que l'augmentation de volume de l'eau glacée n'est point proprement une suite de l'action immediate du froid; ce n'est que par accident que le froid y contribue, & à raison seulement de certaines circonstances particulieres.

2°. Que la dilatation de l'air reuni en bulles dans la glace, & peut - être aussi une certaine tendance propre aux particules intégrantes de l'eau, semblent être les principales causes de ce phénomene.

3°. Que si on n'observe pas la même chose dans les huiles, c'est sans doute par le défaut d'une tendance de cette nature, & parce que l'air qu'elles contiennent se dégage & s'échappe avec plus de facilité.

4°. Que la matiere congelante paroît inutile pour l'explication des phénomenes dont nous avons donné le détail; qu'ainsi la congelation ne dépend probablement que du refroidissement d'un liquide & de la cohésion de ses parties, qui s'accroît toûjours à mesure que la chaleur diminue.

Selon cette idée, la congelation & le dégel sont deux effets beaucoup plus communs qu'on ne pourroit d'abord l'imaginer; on les découvre dans toute la nature: la fonte d'un métal occasionnée par la chaleur est un dégel; la dureté qui survient à ce métal fondu en conséquence du refroidissement de ses parties, est une véritable congelation. Nul corps n'est essentiellement solide ou fluide: la solidité & la fluidité sont deux états différens & successifs d'un même corps; l'eau est une glace fondue par la chaleur; la glace une eau que le froid a fixée en un corps dur: comme tous les corps ne se fondent pas au même degré de chaleur, de même aussi tous les liquides ne se gelent pas au même degré de froid. Si certains fluides comme le mercure ne se gelent jamais, c'est sans doute parce qu'on n'a pas observé jusqu'ici un froid suffisant pour les glacer.

Nous avons vû à l'article Gelée, que la glace se formoit dans tous les pays au même degré de froid, en faisant abstraction de certaines circonstances que nous allons indiquer: cela seul est un grand préjugé que la congelation est une suite du simple refroidissement.

2°. Des phénomenes de la congélation relativement à l'état & aux circonstances où se trouve l'eau qui se gele. Ce que l'expérience & l'observation nous apprennent à ce sujet se réduit aux points suivans:

1°. L'eau qu'on a fait bouillir ne gele pas plus promptement que d'autre eau qui n'a point été altérée par l'ébullition; on a cru long - tems le contraire sans beaucoup de fondement.

2°. Le mouvement translatif de l'eau augmentant en quelque maniere sa fluidité, apporte toûjours du

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