ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"369"> à la guerre, excepté ceux de Marathon, qui pour leur rare valeur furent enterrés au champ de bataille. Ensuite on les couvroit de terre, & l'un des eitoyens des plus considérables de la ville faisoit l'oraison funebre.

Après qu'on avoit ainsi payé solennellement ce double tribut de pleurs & de loüanges à la mémoire des braves gens qui avoient sacrifié leur vie pour la défense de la liberté commune, le public qui ne bornoit pas sa reconnoissance à des céremonies ni à des larmes stériles, prenoit soin de la subsistance de leurs veuves & des orphelins qui étoient restes en bas âge: puissant aiguillon, dit Thucydide, pour exciter la vertu parmi les hommes; car elle se trouve toujours où le mérite est le mieux récompense.

Les Grecs ne connurent la magnificence des funérailles, que par celles d'Alexandre le Grand, dont Diodore de Sicile nous a laisse la description; & comme de toutes les pompes funebres mentionnées dans l'histoire, aucune n'est comparable à celles de ce prince, nous en joindrons ici le précis d'après M. Rollin: on verra jusqu'où la vanite porta le luxe de cet appareil lugubre.

Aridee frere naturel d'Alexandre, ayant été chargé du soin de ce convoi, employa deux ans pour disposer tout ce qui pouvoit le rendre le plus riche & le plus éclatant qu'on eût encore vû. La marche fut précédée par un grand nombre de pionniers, afin de rendre pratiquables les chemins par ou l'on devoit passer. Après qu'ils eurent été applanis, on vit partir de Babylone le magnifique chariot sur lequel étoit le corps d'Alexandre. L'invention & le dessein de ce chariot se faisoient autant admirer, que les richesses immenses que l'on y découvroit. Le corps de la machine portoit sur deux essieux qui entroient dans quatre roues, dont les moyeux & les rayons étoient dorés, & les jantes revêtues de fer. Les extrémités des essieux étoient d'or, représentant des mufles de lions qui mordoient un dard. Le chariot avoit quatre timons, & à chaque timon étoient attelés seize mulets, qui formoient quatre rangs; c'étoit en tout seize rangs & soixante - quatre mulets. On avoit choisi les plus torts & de la plus haute taille; ils avotent des couronnes d'or & des colliers enrichis de piertes précieuses, avec des sonnettes d'or. Sur ce chariot s'élevoit un pavillon d'or massif, qui avoit douze piés de large sur dix - huit de long, soûtenu par des colonnes d'ordre ionique, embllies de feuilles d'acanthe. Il étoit orné au - dedans de pierres précieuses, disposées en forme d'écailles. Tout autour régnoit une frange d'or à réseau, dont les filets avoient un doigt d'épaisseur, où étoient attachées de grosses fonnettes, qui se faisoient entendre de fort loin.

Dans la décoration du dehors, on voyoit quatre bas - reliefs. Le premier représentoit Alexandre assis cans un char, & tenant à la main un sceptre environné d'un côté d'une troupe de Macédoniens, & de l'autre d'une pareille troupe de Persans, tous armés à leur maniere. Devant eux marchoient les écuyers du roi. Dans le second bas - relief on voyoit des éléphans harnachés de toutes pieces, portant sur le devant des Indiens, & sur le derriere des Macedoniens, armés comme dans un jour d'action. Dans le troisieme étoient représentes des escadrons de cavalerie en ordre de bataille. Le quatrieme montroit des vaisseaux tous prêts à combattre. A l'entrée de ce pavillon étoient des lions d'or qui sembloient le garder. Aux quatre coins étoient posées des statues d'or massif représentant des victoires, avec des trophées d'armes à la main. Sous ce dernier pavillon on avoit placé un throne d'or d'une figure quarrée, orné de têtes d'animaux, qui avoient sous leur cou des cercles d'or d'un pié & demi de largeur, d'où pendoient des couronnes brillantes des plus vi<cb-> ves couleurs, telles qu'on en portoit dans les pompes sacrées.

Au pié de ce throne étoit posé le cercueil d'Alexandre, tout d'or & travaillé au marteau. On l'avoit rempli à demi d'aromates & de parfums, tant afin qu'il exhalât une bonne odeur, que pour la conservation du cadavre. Il y avoit sur ce cercueil une étoffe de pourpre brochée d'or: entre le throne & le cercueil, étoient les armes du prince, telles qu'il les portoit pendant sa vie. Le pavillon en - dehors étoit aussi couvert d'une étoffe de pourpre à fleurs d'or; le haut étoit terminé par une très - grande couronne d'or, composée comme de branches d'olivier.

On conçoit aisément que dans une longue marche, le mouvement d'un chariot aussi lourd que celui ci, devoit être sujet à de grands inconveniens. Afin donc que le pavillon & tous ses accompagnemens, soit que le chariot descendît ou qu'il montât, demeurassent toûjours dans la même situation, malgre l'inegalite des lieux & les violentes secousses qui en étoient inséparables; du milieu de chacun des deux essieux s'elevoit un axe qui soûtenoit le milieu du pavillon, & tenoit toute la machine en état.

Le corps d'Alexandre, suivant les dernieres dispositions de ce prince, devoit être porté au temple de Jupiter Ammon; mais Ptolemée gouverneur d'Egypte, le fit conduire à Alexandrie, où il fut inhume. Ce prince lui érigea un temple magnifique, & lui rendit tous les honneurs que l'antiquite payenne avoit coûtume de rendre aux demi - dieux. On ne voit plus aujourd'hui que les ruines de ce temple.

Funérailles (Page 7:369)

Funérailles des Romains. Les Romains ont eté sans contredit un des peuples les plus religieux & les plus exacts à rendre les derniers devoirs à leurs parens & à leurs amis. On sait qu'ils n'oublioient rien de ce qui pouvoit marquer combien la mémoire leur en étoit chere, & de ce qui pouvoit en même tems contribuer à la rendre précieuse. C'étoit aussi quelquefois un hommage qu'on accordoit à la vertu, pour exciter dans les citoyens la noble passion de mériter un jour de pareils honneurs. En un mot, Pline dit que les funérailles chez les Romains étoient une cerémonie sacrée: les détails en sont fort étendus.

Elle commençoit cette cérémonie sacrée dès le moment que la personne se mouroit. Il falloit dans cet instant que le plus proche parent, & si c'étoit des gens mariés, que le survivant du mari ou de la femme donnât au mourant le dernier baiser comme pour en recevoir l'ame, & qu'il lui fermat les yeux. On les lui ouvroit lorsqu'il étoit sur le bûcher, afin qu'il parût regarder le ciel. On observoit en lui fermant les yeux de lui fermer la bouche, pour le rendre moins effrayant & le faire paroître comme une personne dormante. On ôtoit l'anneau du doigt du défunt, qu'on lui remettoit lorsqu'on portoit le corps sur le bûcher. On l'appelloit plusieurs fois par son nom à haute voix, pour connoître s'il étoit véritablement mort, ou seulement tombé en léthargie. On nommoit cet usage conclamatio, conclamation; & suivant l'explication qu'un célebre antiquaire a donnée d'un bas - relief, qui est au Louvre dans la salle des antiques, on ne se contentoit pas de la simple voix pour les personnes de qualité, on y employoit le son des buccines & des trompettes, ainsi qu'on peut jnger par ce bas - relief. L'on y voit des gens qui sonnent de la trompette près du corps d'une personne qui paroît venir de rendre les derniers soupirs, & que, selon qu'on peut conjecturer par les apprêts qui y sont représentés, on va mettre entre les mains des libitinaires; les sons bruyans de ces instrumens frappant les organes d'une maniere beaucoup plus eciatante que la voix, donnoient des preuves plus certaines que la personne étoit véritablement morte.

Ensuite on s'adressoit aux libitinaires pour procé<pb-> [p. 370] der aux funérailles suivant la volome du défunt, s'il en avoit ordonné, ou celle des parens & des héritiers, avec le plus ou le moins de dépense qu'on y vouloit faire. Ces libitinaires étoient des gens qui vendoient & fournissoient tout ce qui étoit nécessaire pour la cérémonie des convois; on les appelloit ainsi, parce qu'ils avoient leur magasin au temple de Vénus Libitine. On gardoit dans ce temple les registres qu'on tenoit à Rome de ceux qui y mouroient; & c'est de ces registres qu'on avoit tiré le nombre des personnes que la peste y enleva pendant une automne, du tems de Néron.

Les libitinaires avoient sous eux des gens qu'on nommoient pollinctores, pollincteurs: c'étoit entre leurs mains qu'on mettoit d'abord le cadavre; ils le lavoient dans l'eau chaude, & l'embaumoient avec des parfums. Il paroît qu'ils possédoient la maniere d'embaumer les corps à un plus haut degré de perfection, que ne faisoient les Egyptiens, si l'on en croit les relations de quelques découvertes faites à Rome depuis deux cents ans, de tombeaux où l'on a trouvé des corps si bien conservés, qu'on les auroit pris pour des personnes plûtôt dormantes que mortes; l'odeur qui sortoit de ces tombeaux étoit encore si forte, qu'elle étourdissoit.

Après que le corps étoit ainsi embaumé, on le revêtoit d'un habit blanc ordinaire, c'est - à - dire de la toge. Si cependant c'étoit une personne qui eût passé par les charges de la république, on lui mettoit la robe de la plus haute dignité qu'il eût possédée, & on le gardoit ainsi sept jours, pendant lesquels on préparoit tout ce qui étoit nécessaire pour la pompe des funérailles. On l'exposoit sous le vestibule, ou à l'entrée de sa maison, couché sur un lit de parade, les piés tournés vers la porte, où l'on mettoit un rameau de cyprès pour les riches, & pour les autres seulement des branches de pin, qui marquoient également qu'il y avoit - là un mort. Il restoit toûjours un homme auprès du corps, pour empêcher qu'on ne volât quelque chose de ce qui étoit autour de lui: mais lorsque c'étoit une personne du premier rang, il y avoit de jeunes garçons occupés à en chasser les mouches.

Les sept jours étant expirés, un héraut public annonçoit le convoi, en criant: exequias L. tel L. filii, quibus est commodum ire, tempus est; ollus (c'est - à - dire ille) ex oedibus effertur; ceux qui voudront assisier aux obseques d'un tel, fils d'un tel, sont avertis qu'il est tems d'y aller présentement, on emporte le corps de la maison. Il n'y avoit néanmoins que les parens ou les amis qui y assistassent, à moins que le défunt n'eût rendu des services considérables à la république; alors le peuple s'y trouvoit; & s'il avoit commandé les armées, les soldats s'y rendoient aussi, portant leurs armes renversées le fer en - bas. Les licteurs renversoient pareillement leurs faisceaux.

Le corps étoit porté sur un petit lit qu'on nommoit exaphore, quand il n'y avoit que six porteurs; & octophore, s'il s'en trouvoit huit. C'étoient ordinairement les parens, qui par honneur en faisoient l'office, ou les fils du défunt s'il en avoit. Pour un empereur, le lit étoit porté par des sénateurs; pour un général d'armée, par des officiers & des soldats. A l'égard des gens de commune condition, c'étoit dans une espece de bierre découverte qu'ils étoient portés par quatre hommes, de ceux qui gagnoient leur vie à ce métier. On les appelloit vespillones, parce que pendant un très - long - tems on observa de ne faire les convois que vers le soir: mais dans la suite on les fit autant de jour que de nuit. Le défunt paroissoit ayant sur la tête une couronne de fleurs, & le visage découvert, à moins que sa maladie ne l'eût entierement défiguré; en ce cas on avoit soin de le couvrir.

Après que les maîtres de cérémonie du convoi avoient marqué à chacun son rang, la marche com<cb-> mençoit par un trompette & les joüeurs de flûte qui joüoient d'une maniere lugubre. Ils étoient suivis de plus ou de moins de gens, qui portoient des torches allumées. Proche du lit étoit un archimime qui contrefaisoit toutes les manieres du défunt; & l'on portoit devant le lit couvert de pourpre, toutes les marques des dignités dont il avoit été revêtu: s'il s'etoit signalé à la guerre, on y faisoit paroître les présens & les couronnes qu'il avoit reçûs pour ses belles actions, les étendarts & les dépouilles qu'il avoit remportés sur les ennemis. On y portoit en particulier son buste représenté en cire, avec ceux de ses ayeux & de ses parens, montés sur des bois de javelines, ou placés dans des chariots; mais on n'accordoit point cette distinction à ceux qu'on nommoit novi homines, c'est - à - dire gens qui commençoient leur noblesse, & dont les ayeux n'auroient pu lui faire honneur. On observoit aussi de ne point porter les bustes de ceux qui avoient été condamnés pour crime, quoiqu'ils eussent possédé des dignités; la loile défendoit. Toutes ces figures se replaçoient ensuite dans le lieu où elles étoient gardées. Au convoi des empereurs, on faisoit encore porter sur des chariots, les images & les symboles des provinces & des villes subjuguées.

Les affranchis du défunt suivoient cette pompe portant le bonnet qui étoit la marque de leur liberte: ensuite marchoient les enfans, les parens, & les amis atrati, c'est - à - dire en deuil, vêtus de noir; les fils du défunt avoient un voile sur la tête: les filles vétues de blanc, avoient les cheveux épars sans coeffure, & marchant nuds piés; après ce cortege venoient les pleureuses, proeficoe: c'étoient des femmes dont le métier étoit de faire des lamentations sur la mort du défunt; & en pleurant, elles chantoient ses loüanges sur des airs lugubres, & donnoient le ten à tous les autres.

Lorsque le défunt étoit une personne illustre, on portoit son corps au rostra dans la place romaine, ou la pompe s'arrêtoit pendant que quelqu'un de ses enfans ou des plus proches parens faisoit son oraison fenebre, & c'est ce qu'on appelloit laudare pro rostris cela ne se pratiquoit pas seulement pour les hommes qui s'étoient distingués dans les emplois, mais encore pour les dames de condition; la république avoit permis de les loüer publiquement, depuis que ne s'etant point trouvé assez d'or dans le trésor public, pour acquitter le voeu que Camille avoit fait de donner une coupe d'or à Apollon delphien, après la prise de la ville de Veïes, les dames romaines y avoient volontairement contribué par le sacrifice de leurs bagues & de leurs bijoux.

De la place romaine, on alloit au lieu où l'on devoit enterrer le corps ou le brûler; on se rendoit donc au champ de Mars, qui étoit le lieu où se laisoit ordinairement cette cérémonie: car on ne brûloit point les corps dans la ville. On avoit eu soin d'avance de dresser un bucher d'if, de pin, de meleze, ou d'autres pieces de bois aisé à s'enflammer, arrangées les unes sur les autres en forme d'autel, fur lequel on posoit le corps vêtu de sa robbe; on l'arrosoit de liqueurs propres à répandre une bonne odeur; on lui coupoit un doigt pour l'enterrer, avec une seconde cérémonie; on lui tournoit le visage vers le ciel; on lui mettoit dans la bouche une piece d'argent, qui étoit ordinairement une obole, pour payer le droit de passage à Caron.

Tout le bucher étoit environné de cyprès: alors les plus proches parens tournant le dos par derriere & pendant que le feu s'allumoit, ils jettoient dans le bucher les habits, les armes, & quelques autres effets du défunt, quelquefois même de l'or & de l'argent; mais cela fut défendu par la loi des douze tables. Aux funérailles de Jules - César, les soldats vété<pb->

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