ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"343"> les cavités de ce dernier, que lorsque cette surface est étroite, puisqu'alors le poids du corps est employé à faire entrer un plus grand nombre d'éminences, il en conclut qu'il se faisoit ici une compensation, & que la grandeur de la surface n'entroit pour rien dans l'évaluation du frottement. Ce raisonnement auroit converti peu de physiciens, s'il n'eût été accompagné de l'expérience: on auroit accordé à M. Amontons qu'il prouvoit très - bien que, toutes choses d'ailleurs égales, le frottement n'augmentoit pas autant que la surface, mais on lui auroit contesté l'exactitude de cette compensation qu'il supposoit, & que ce raisonnement ne démontroit nullement.

Il eut donc recours à l'expérience, pour se confirmer dans sa conjecture, ou pour l'abandonner; & il rapporte (mém. de l'acad. 1703 & 4.) qu'il a toûjours marqué que la quantité du frottement étoit absolument independante de la grandeur des surfaces: M. Camus (des forces mouvantes), & M. Desaguliers (cours de Physiq. experim.) confirment la même chose. Malgré toutes ces autorités, la question n'est point encore decidée. M. Musschenbroek (essais de Phys.) nous fait part de quelques expériences qu'il a faites sur le point dont il s'agit, & qui sont entierement opposées aux précédentes. Ayant mis en mouvement sur des planches de sapin deux petites planches aussi de sapin, longues chacune de treize pouces, & larges l'une d'un pouce, & l'autre de deux pouces onze lignes, & chargées toutes les deux d'un même poids, y compris le poids de la planche; la plus large a toûjours eu plus de frottement. M. l'abbé Nollet (Leçons de Physiq. expérim.) nous apprend aussi qu'il a toûjours trouvé le frottement augmenté avec la surface.

A ces expériences saites avec le plus grand soin, si l'on ajoûte que tous les artistes qui ont besoin pour la perfection de leur ouvrage, de diminuer le frottement, sont dans l'usage constant de diminuer le contact, & s'en trouvent bien: il sera bien difficile de ne pas pancher à croire que la grandeur des surfaces ne soit de quelque influence pour le frottement. Remarquons neanmoms, que si l'on diminuoit les surfaces jusqu'à les rendre tranchantes, le frottement, bien loia d'etre diminué, seroit dans plusieurs cas beaucoup augmenté. M. Musschenbroek est même dans l'idée que pour une pression donnee, il y a une certaine grandeur de surface à laquelle repond un minimum de frottement; de sorte que soit qu'on l'augmente ou qu'on la diminue, la résistance est augmentée. Mais cela auroit besoin d'être déterminé encore plus exactement par l'expérience.

III. Tous les Physiciens conviennent que la pression qui applique l'une à l'autre les surfaces qu'on vout faire glisser, est une des principales considérations qui doit entrer dans l'évaluation du frottement. Non - seulement les expériences qu'ils nous rapportent, mais aussi les observations les plus communes & les plus joutnalieres, nous font voir que le frottement augmente avec cette force; & l'on conçoit aisément qu'une plus grande pression fait entrer à une plus grande profondeur les éminences d'une surface dans les petites cavités de l'autre, & augmente ainsi la difficulté qu'il y a à les en dégager. Mais il se présente ici une question sur laquelle il faut avoüer qu'il reste encore de l'incertitude; c'est de savoir si le frottement augmente proportionnellement à la force qui applique les surfaces l'une à l'autre; de façon qu'il y ait toûjours un rapport constant entre cette force & la difficulté qui en résulte pour mouvoir le corps; ou bien, si ce frottement augmente plus ou moins que proportionnellement à cette pression.

Les expériences de M. Amontons l'ont porté à regarder le rapport du frottement à la pression comme constant: il a crû que le frottement étoit à - peu près le même pour les corps huilés ou graissés, & à peu de chose près le tiers du poids. M. Desaguliers le répete; & la plûpart des Physiciens partent de cette hypothèse, quand ils veulent faire le calcul de frottement de quelque machine. Cependant, après ce qui a été dit plus haut des expériences de M. Musschenbroek, pour montrer que le frottement des différens métaux huilés ou graissés, est très - différent, on ne sauroit regarder comme assez généralement vrai & exact, que le frottement soit le tiers du poids. Mais il y a plus. Si l'on examine avec soin les tables que MM. de Camus & Musschenbroek nous ont données de leurs expériences sur cette matiere, ou ne trouve pas qu'un même corps différemment chargé ait un frottement proportionnel à cette charge. Malheureusement ces expériences, d'accord en ce point, different en ce que celles du premier font le frottement d'une surface peu chargée, proportionnellement plus grand que celui de celles qui le sont plus: au lieu que suivant celles de M. Musschenbroek, il est souvent proportionnellement plus petit. Par exemple, lorsque l'essieu du tribometre de M. Musschenbroek (voyez Tribometre) se trouvoit dans le bassinet de cuivre rouge, il falloit quatre dragmes pour le mettre en mouvement, la charge étant de trois cents quatre - vingt - huit dragmes; & il en falloit huit, s'il étoit chargé de six cents quarante - huit; au lieu qu'il n'en auroit fallu que six & deux tiers, à - peu - près, si le frottement eût augmenté proportionnellement à la pression.

Une telle contradiction entre les expériences de ces deux Physiciens, est d'autant plus singuliere, qu'on n'en sauroit soupçonner aucun de n'y avoir pas apporté toute l'exactitude & l'attention possibles. Je ne vois qu'une façon de les concilier: l'essieu du tribometre de M. Musschenbroek, & les bassinets qui le reçoivent, sont parfaitement polis, & s'appliquent ainsi l'un à l'autre très - intimement, de façon à laisser peu de vuide: cette application est d'autant plus intime, que l'essieu est plus chargé. Par - là l'essieu & le bassinet se trouvent dans le cas de deux plaques de verre bien polies, que la pression de l'air extérieur & l'attraction de contact collent si bien l'une à l'autre, que non seulement il est presque impossible de les séparer directement, mais qu'outre cela elles ghssent avec plus de peine que si elles eussent été moins exactement polies.

Il est vrai que l'essieu & le bassinet étant de forme cylindrique & arrondis, ne doivent se toucher que par une bien petite surface; & que par conséquent, la pression de l'air extérieur & l'attraction qui les appliquent l'un à l'autre, semblent devoir produire ici peu d'effet: mais il est aisé de s'appercevoir qu'un contact d'une ligne quarrée suffiroit seule pour occasionner le phénomene que nous cherchons ici à expliquer.

Quoique la pression qui applique les surfaces de deux corps, soit une des principales causes de la difficulté qu'on éprouve à les faire glisser l'une sur l'autre, il ne faut pourtant pas croire que cette difficulté cessât toûjours entierement, si cette pression devenoit nulle. L'exemple de deux scies suspendues verticalement, de façon que les dents de l'une se logent dans lesintervalles que laissent celles de l'autre, peut servir à nous convaincre du contraire. Il est sûr que si l'on vouloit mouvoir une d'elles verticalement, cet engagement réciproque de leurs dents y apporteroit quelque obstacle, & formetoit une résistance de la nature de celle que nous avons nommée frottement: il est vrai que cette résistance ou seroit absolument invincible, ou cesseroit bien - tôt, les dents s'étant dégagées, & n'y ayant aucune force qui les oblige à s'embarrasser de nouveau les unes dans les autres. [p. 344]

IV. La vîtesse des surfaces qui frottent paroît devoir influer sur la quantité du frottement: il semble qu'un corps qui se meut plus vîte rencontre dans le même tems un plus grand nombre de petites éminences de la surface de celui sur lequel il se meut, les choque aussi plus rudement, ou les plie plus vîte; & par toutes ces considérations, doit éprouver beaucoup plus de résistance à son mouvement.

Aussi M. Musschenbroek nous dit s'être assûré par des expériences dont il ne donne pas le détail, que le frottement étoit proportionnel à la vîtesse, excepté lorsque cette vîtesse est très - considérable: car dans ce cas il a trouvé le frottement beaucoup plus augmenté.

Cependant M Euler considérant que dans le mouvement d'un corps qui glisse sur un autre, les petites éminences de sa surface se dégagent des petites cavités de l'autre, & y retombent alternativement, a crû qu'il ne devoit éprouver de résistance que comme par intervalle; au lieu qu'un corps en repos qu'on veut mouvoir, en éprouvoit une continuelle; & qu'ainsi la vîtesse d'un corps, bien loin d'augmenter le frottement, devoit le diminuer. A cette considération il en ajoûte une autre tirée de l'expérience: il lui a paru que lorsqu'on donnoit à un plan incliné une inclinaison très - peu différente de celle où le frottement étoit précisément égal à l'action de la pesanteur, pour mouvoir le corps, ce corps parcouroit le plan incliné beaucoup plus vîte qu'on n'auroit dû s'y attendre, vû le leger changement qui s'étoit fait dans l'inclinaison: d'où il a conclu que le mouvement une fois commencé, le frottement étoit diminué: il a même donné une méthode pour décider par le tems qu'un corps employe à parcourir un tel plan, si sa conjecture est juste & conforme à la réalité. Voyez, sur tout cela, les mém. de Berlin, ann. 1748.

De telles contradictions entre des Physiciens de cet ordre, nous montrent combien nous sommes encore éloignés de connoître la nature & les vraies lois du frottement; c'est à l'expérience seule à nous les apprendre: sur le point dont il s'agit actuellement, nous n'en avons aucune qui mérite une confiance entiere. M. Musschenbroek ne nous ayant point communiqué son procédé, nous ne pouvons pas juger s'il ne s'est point glissé quelque erreur dans les résultats qu'il nous donne; & nous croyons qu'il est plus sage d'attendre de nouvelles expériences, pour décider si & comment la vîtesse doit entrer dans l'évaluation de cette résistance.

V. Le frottement retarde & détruit le mouvement d'un corps, comme le feroit une puissance qu'il tireroit dans une direction opposée à celle de ce mouvement: d'où il suit tout naturellement, que pour juger de la résistance qu'il apporte à l'action de la puissance, qui produit ou tend à produire ce mouvement, il ne suffit pas de connoitre sa quantité absolue, mais qu'il faut aussi avoir égard au bras de levier auquel il est appliqué, relativement à la longueur de celui par lequel agit la puissance. Ainsi, par exemple, quand on employe pour élever un corps une poulie mobile autour de son axe, le frottement qu'il y a à vaincre est celui de l'axe de la poulie dans les petites cavités qui le reçoivent, la résistance qui en résulte se trouve donc appliquée à un bras de levier d'autant plus court que celui par lequel agit la puissance, que le diametre de cet axe est plus petit que celui de la poulie même: aussi le frottement est - il incomparablement moindre que si cette poulie étoit immobile autour de son axe.

On peut expliquer par - là l'avantage des grandes poulies & des grandes roues sur les petites, & celui des voitures montées sur des roues par - dessus les simples traineaux. Cette observation sert encore à faire comprendre pourquoi dans une descente rapide on se trouve très - bien d'enrayer les roues: c'est que par là la résistance qui provient du frottement se trouve appliquée à la circonférence de la roue, au lieu qu'elle l'étoit à celle de l'essieu: la roue enrayée augmente donc le frottement, & empêche la voiture de descendre avec trop de rapidité.

Nous pourrons encore expliquer, au moyen des mêmes principes, pourquoi les balances courtes sont moins exactes que celles dont le fléau est long, & pourquoi les romaines le sont ordinairement moins que les balances communes: car il est facile de voir que si la marchandise dont on veut connoître le poids se trouve excéder tant - soit - peu ce qu'elle devroit être pour tenir en équilibre les poids auxquels on la compare, elle fera trébucher la balance d'autant plus aisément qu'elle se trouvera plus éloignée de l'axe autour duquel se fait son mouvement; puisque le bras de levier par lequel elle surmontera le frottement qu'il y a autour de cet axe, sera d'autant plus long.

Il y a dans tous les Arts je ne sais combien de petites attentions de pratique, pour diminuer le frottement; par exemple, celle de faire porter les essieux sur des rouleaux (fig. 39. méchaniq.): je ne crois pas nécessaire de m'y arrêter.

S'il est hors de doute que la diminution du bras de levier auquel sont appliquées les parties qui frottent, est un moyen très - efficace de diminuer le frottement, il ne l'est pas également que ces diminutions soient exactement proportionnelles l'une à l'autre. L'expérience semble avoir montré aux Artistes, que lorsque le pivot autour duquel on fait tourner une roue, est extrèmement petit, le frottement n'est pas diminue à proportion de la petitesse, & qu'on se tromperoit beaucoup, si du frottement d'un pivot d'un quart de ligne de diametre, on vouloit conclure celui d'un pié, en l'estimant 576 fois plus considérable: la raison en est sans doute, que les petites éminences des surfaces des corps ont alors une proportion sensible avec le diametre du pivot, & sont ainsi plus d'obstacle à - son mouvement; à - peu - près comme une petite roue a de la peine à sortir d'une orniere qu'une grande roue franchit aisément.

Voilà un précis des connoissances que nous avons de la nature & des lois du frottement; connoissances bien imparfaites, comme on peut aisément s'en appercevoir, & qui le seront vraissemblablement encore long - tems. En effet, y ayant de si grandes variétés dans le tissu des différens corps, & celui d'un même corps n'étant pas lui - même homogene, & de plus, sujet à des variations par le froid & le chaud, le sec & l'humide, & par mille autres circonstances; il paroît bien difficile de parvenir à des lois générales sur cette matiere.

Ajoûtez à cela que la plûpart des Physiciens qui s'en sont occupés, ont employé pour leurs expériences des méthodes sujettes à équivoque, & propres à faire naître de l'incertitude dans leur résultat. Le tribometre de M. Musschenbroek a, par exemple, cet inconvénient, qu'une partie de la force destinée à faire tourner le disque, s'employe à plier la corde; ce qui n'est pas à négliger. Le même inconvénient a lieu, lorsque la puissance qui doit mouvoir un corps sur un plan est appliquée à une corde qui passe sur une poulie; & il y a de plus dans ce dernier cas, un frottement auquel on n'a aucun égard, qui est celui qui se fait autour de l'axe de la poulie. Il me semble que de tous les moyens qui ont été employés pour connoître par l'expérience les différentes lois du frottement, il n'y en a point de plus simple & en même tems de moins sujet à équivoque, que de se servir d'un plan incliné, auquel on donne une inclinaison telle que le frottement du plan & la pesanteur du corps soient précisément en équilibre. L'inclinaison du plan fait connoître la force qui cût été nécessaire pour re<pb->

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