ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"321"> ment à nous, puisqu'elle n'excede & n'égale même jamais, d'une maniere durable & supportable, la chaleur qui nous est naturelle. Ainsi on peut regarder le milieu dans lequel nous vivons comme étant toûjours froid, respectivement à ce que nous en sentons: ce rapport est variable, selon que ce froid s'approche ou s'éloigne plus ou moins de la chaleur animale, non - seulement pour les hommes en général, mais encore pour chacun en particulier, selon la différence du tempérament & de l'âge, à - proportion de l'intensité ou de la foiblesse de cette chaleur naturelle, dans la latitude des limites auxquelles on vient de dire qu'elle s'étend en plus ou moins: de même tous les corps dans lesquels l'action du feu peut faire monter le thermometre à un degré quelconque supérieur à ceux de la chaleur humaine, sont constamment regardés comme chauds, à - proportion de l'excès de cette action en eux sur celle qui a lieu dans nos corps: telle est l'idée que l'on peut donner en général des qualités des corps, que nous distinguons en chauds & en froids, relativement à nos sensations à cet égard.

Ainsi nous attachons toûjours l'idée d'un sentiment de froideur ou de fraîcheur à l'impression que nous sommes susceptibles de recevoir de l'application, à la surface de notre corps, de l'air renouvellé & de l'eau laissés à leur température naturelle, selon que cette température est plus ou moins éloignée de la nôtre; ce qui fait que l'air agité par le vent, par un éventail, nous paroît froid ou frais; que l'on trouve plus de fraîcheur en eté, en se baignant dans l'eau courante; parce que ces fluides, par le changement qui se fait continuellement de leur masse autour de notre corps, y sont toûjours appliqués avec leur propre température, & ne le sont pas assez pour participer à l'excès de chaleur de la nôtre sur la leur: il en est de même de tous les corps, qui n'ont d'autre chaleur que celle du milieu, dans lequel ils sont contenus; ils sont réellement tous froids, c'est - à - dire moins chauds que notre corps dans son état naturel: ainsi ils nous paroissent tous en général être froids au toucher; & ce froid est au même degré dans tous, quoiqu'il nous paroisse plus ou moins sensible, comme dans les métaux, le marbre comparé au bois & à d'autres corps. Cette différence ne vient que du plus ou moins de facilité avec laquelle notre propre chaleur se communique aux corps que nous touchons: ainsi les plus denses s'échauffent plus difficilement; ils doivent donc nous paroître plus froids, parce qu'ils résistent, pour ainsi dire, plus long - tems à devenir chauds: la durée de la disposition à procurer la sensation du froid, nous semble être son intensité, respectivement aux corps moins denses, qui participent plus promptement à la chaleur que nous leur communiquons en les touchant, & don le froid cesse sitôt qu'il ne nous donne pas, pour ainsi dire, le tems de le sentir, & de nous appercevoir qu'ils ont moins de chaleur que notre corps.

Cette différence de l'impression plus ou moins froide, que font sur nous ces différens corps, ne doit effectivement être attribuée qu'à cette cause; puisque par le thermometre, on leur trouve la même température, & que c'est une chose démontrée, qu'il n'est aucun corps dans la nature qui ait plus de chaleur par lui - même qu'un autre, dans le même milieu; une pierre à feu n'a pas plas de chaleur par elle - même, qu'un morceau de glace; & les corps mêmes des animaux chauds, n'ont après leur mort pas plus de chaleur que tous les corps inanimés qui les environnent, à - moins que ce ne soit par l'effet de la putréfaction, ainsi qu'il arrive au foin, qui est susceptible, par les différens mouvemens intestins qui peuvent s'exciter dans sa substance, de devenir plus chaud que le milieu dans lequel il se trouve: de même l'efferves<cb-> cence chimique fait naître de la chaleur dans l'union, le mélange de certains corps, par le rapport qu'il y a entre eux, qui séparément n'auroient que la chaleur de tous les autres corps ambians inanimés.

Il suit encore de ce qui a été établi précédemment, que nous pouvons même, sans qu'un corps change de milieu, & avec une température constamment la même, juger différemment relativement au chaud & au froid dont ce corps peut exciter en nous la sensation; ce qu'on ne doit attribuer qu'à la différente disposition de l'organe de nos sensations. Qu'on expose en hyver une main à l'air jusqu'à ce qu'elle soit froide; qu'on chauffe l'autre main au feu, & qu'on ait alors un pot rempli d'eau tiede: aussi - tôt qu'on plongera la main chaude dans cette eau, on dira qu'elle est froide, respectivement au degré de chaleur qu'on sent dans cette main; qu'on plonge, après cela la main froide dans la même eau, & on jugera qu'elle est chaude, parce qu'elle a en effet plus de chaleur que cette main n'en sentoit avant d'être plongée. Voyez à ce sujet les essais de Physique de Musschenbroeck.

Nous ne jugeons donc pas, suivant la véritable disposition des corps qui sont hors de nous, à l'égard du chaud ou du froid, mais suivant que ces corps sont actuellement exposés à l'action du feu comparée avec celle qui a lieu dans notre corps, dont les organes sensitifs portent continuellement à l'ame les impressions qu'ils reçoivent, par l'effet de la chaleur vitale jointe à celle du milieu, dans lequel nous nous trouvons; ensorte que l'ame porte ensuite son jugement par comparaison des corps plus ou moins chauds, que celui auquel elle se trouve unie.

C'est ainsi que l'on peut rendre raison pourquoi les caves nous paroissent froides en été & chaudes en hyver. Si l'on suspend un thermometre dans une cave assez profonde, pendant toute une année, on trouvera que la cave est plus chaude en été qu'en hyver; mais qu'il n'y a pas une grande différence du plus grand chaud au plus grand froid qu'on y peut observer. Il paroît par - là que quoique les caves nous semblent être plus froides en été, elles ne le sont pourtant pas, & que cette apparence est trompeuse. Voici ce qui donne lieu à ce phénomene.

En été, notre corps se trouvant exposé au grand air, notre chaleur étant toûjours de 94 à 98 degrés, la chaleur du grand air est alors dans les climats tempérés de 80 à 90 degrés; au lieu que l'air qui se trouve dans ce tems - là renfermé dans les caves, n'a qu'une chaleur de 45 à 50 degrés; de sorte qu'il a beaucoup moins de chaleur que notre corps & que l'air extérieur: ainsi dès qu'on entre dans une cave, lorsqu'on a fort chaud, on y rencontre un air que l'on sent très - froid, en comparaison de l'air extérieur, qui est presque aussi chaud qu'on l'est soi - même en hyver; au contraire, lorsqu'il gele, le froid de l'air extérieur peut augmenter depuis le trente - deuxieme degré du thermometre de Farenheit, jusqu'à zéro, tandis que la température de la cave reste encore à 43 degrés: ainsi nous trouvant exposés dans ce tems - là à l'air froid extérieur, qui fait sur notre corps une impression proportionnée, & qui le refroidit en effet, nous n'entrons pas plûtôt dans une cave, que nous trouvons chaud l'air qui nous avoit paru froid en été, lorsque la température y étoit àpeu - près la même: ce qui arrive donc par la différente disposition avec laquelle nous y entrons: d'où il résulte, que nous ne pouvons pas savoir ni juger, par la seule impression que l'air fait sur nous dans la cave, relativement au plus ou au moins de feu qu'il contient, s'il y en a effectivement davantage, ou pour mieux dire, s'il est plus en action en été qu'en hyver. Ce n'est qu'à l'aide du thermometre, que nous pouvons être assûrés qu'il y a plus de chaleur dans les [p. 322] caves en été qu'en hyver, puisque c'est précisément le contraire de ce que nous éprouvons, par les différentes sensations qui en résultent.

Mais quelle est donc la disposition de nos corps à laquelle il est attaché, de pouvoir porter à l'ame l'idée du froid conséquemment aux impressions qu'ils reçoivent des causes frigorifiques? Cette question tient à la recherche des causes de la chaleur animale, puisque ce ne peut être qu'une diminution des effets de ces causes, qui change les sensations des organes affectés par la chaleur: on a examiné dans l'article Chaleur animale, avec une critique aussi éclairée que sage, & avec toute la précision possible, dans un sujet qui n'en est guere susceptible de sa nature, les différens systèmes les plus remarquables tant des anciens que des modernes, sur ce qui allume dans les corps animés, le feu qui y produit cet effet d'une maniere presqu'invariable dans quelque température qu'ils se trouvent. On y a prouvé presque jusqu'à la démonstration, par les raisonnemens les plus solides, que nous sommes encore bien éloignés de pouvoir regarder les sources de la chaleur animale comme sûrement découvertes, puisqu'aucune des explications tant physiques que méchaniques, les plus spécieuses, n'ont pas encore acquis le degré de perfection nécessaire, pour rendre raison de tous les phénomenes qui dépendent du principe qu'il est question de connoître. On y donne à entendre avec raison, que l'idée de Galien & des Arabes, sur le feu inné, ventillé par l'air respiré, sur - tout entant qu'il est considéré comme un agent physique & réel, ainsi que Sennert & Riviere l'ont conçû, & non pas comme une qualité, selon la plûpart des auteurs antérieurs, n'est pas autant dénuée de fondement, qu'elle l'a paru assez généralement depuis que le joug de l'ancienne école a été secoué. On fait voir cependant aussi dans l'article dont il s'agit, que de toutes les hypothèses proposées sur ce sujet, il n'en est point jusqu'à - présent qui semblent davantage approcher de la vérité, que celles qui sont fondées sur l'effet méchanique, qui est une suite nécessaire des mouvemens qui entretiennent la vie, c'est - à - dire, l'attrition ou le frottement qui se fait des solides entr'eux, ou des fluides contre les solides. On y donne l'extrait du meilleur ouvrage qui ait paru en ce genre, qui est l'essai sur la génération de la chaleur dans les animaux, du docteur Douglas; extrait par lequel on fait connoître que cet auteur en réfutant les différentes opinions des Physiologistes tant anciens que modernes, rejette également toutes les causes physiques, chimiques & méchaniques, pour substituer son sentiment, qui a néanmoins pour fondement une cause de cette derniere espece, le frottement des globules sanguins dans les vaisseaux capillaires, proportionné au resserrement de ces vaisseaux par le froid; frottement auquel il attribue de pouvoir produire & entretenir une chaleur toûjours uniforme dans la latitude ordinaire des variations de notre température, ce qui fait le principal des phénomenes à expliquer, à l'égard duquel tous les systèmes lui ont paru en défaut; mais mal - à - propos, selon l'auteur de l'art. Chaleur animale, qui fait observer fort judicieusement que dans le système des anciens, qui attribue cette chaleur au feu inné excité par l'air respiré, la proportion entre l'augmentation de la chaleur du milieu & la diminution de sa densité, diminution par laquelle il contribue moins à l'entretien du feu vital, à - mesure que celui de l'atmosphere est plus en action, y opere plus de raréfaction; entre la diminution de la chaleur du milieu & l'augmentation de sa densité (par laquelle seule, il peut rendre plus actif le feu du corps animé, à - mesure que le feu ambiant perd de son activité, & qu'il peut par conséquent en être moins commu<cb-> niqué à ce corps), est suffisante pour rendre raison de cette uniformité.

L'auteur de l'article mentionné ne se borne pas à revendiquer le peu d'avantage que peuvent avoir les opinions réfutées par le docteur Douglas, & à les défendre autant qu'elles en sont raisonnablement susceptibles; après avoir rendu justice au système anglois, en convenant que c'est le plus satisfaisant qui ait paru sur cette matiere, il ne l'épargne pas ensuite, en lui opposant des difficultés qui paroissent sans réplique; il attaque donc l'idée qui fait la base du sentimem de ce docteur, savoir, que le resserrement causé par le froid dans les vaisseaux capillaires, donne lieu à l'augmentation de frottement entre les globules sanguins & ces vaisseaux, & par conséquent de la cause interne de la chaleur animale, à - mesure que la chaleur externe diminue, & vice versa. D'où il suit que la quantité de chaleur est à - peu - près toûjours la même dans l'animal, soit que cette chaleur lui vienne du dedans ou du dehors.

Mais, dit l'auteur de l'article dont il s'agit, 1°. la même cause interne qui engendre de la chaleur, c'est - à - dire ce resserrement des capillaires qui donne lieu à une plus grande attrition des globules sanguins dans ces vaisseaux, par - là même qu'il échausse le sang plus qu'il ne seroit échauffé par le feu de l'air ambiant, n'échauffe - t - il pas aussi ces mêmes capillaires? ne fait - il pas en même tems cesser à - propertion le resserrement de ces mêmes capillaires? & par conséquent cette cause interne de chaleur animale ne se détruit - elle pas elle - même, dès qu'elle commence à produire ces effets? 2°. En admettant le resserrement constant dans les capillaires, ne s'ensuit - il pas au - moins que le mouvement du sang doit y être diminué à - proportion; d'où il semble qu'il doive se faire une compensation entre l'augmentation des surfaces exposées au frottement & la diminution de l'impulsion des globules, qui doivent opérer le frottement: compensation qui doit rendre de nul effet ce changement de disposition? 3°. En ne s'arrêtant même pas aux deux difficultés précédentes contre l'auteur anglois, pourroit on en passer sous silence une troisieme, qui n'est pas moins forte? Elle consiste à faire observer qu'en supposant avec lui que la chaleur ne s'engendre que dans les seuls capillaires, les instrumens générateurs sont bien peu proportionnés à la masse qui doit être échauffée par leur moyen, puisqu'alors le foyer de la chaleur est censé n'exister que dans la peau.

L'auteur de ces objections contre le système du docteur Douglas, les laisse subsister comme une preuve que ce système a le sort de tant d'autres; que quelque satisfaisant qu'il paroisse au premier abord, il n'est cependant pas parfait, & que la cause de la chaleur animale qui nous a été jusqu'à - présent cachée comme un de ses mysteres, ne nous a pas encore été révélée.

Mais si l'on convient que le système anglois approche plus qu'aucun autre de la perfection, on ne peut disconvenir aussi qu'il ne soit avantageux au progrès des connoissances humaines, de lever autant qu'il est possible les obstacles qui l'empêchent d'y atteindre. C'est dans cette vûe que l'on va placer ici quelques réflexions sur les trois objections qui viennent d'être remises sous les yeux au sujet de ce système; ce qui sera d'autant moins étranger au sujet traité dans cet article, qu'il en résultera un grand nombre de conséquences qui y sont relatives, & serviront à rendre raison de bien des phénomenes qui en dépendent.

Premierement, ne peut - on pas dire, que quoique la chaleur qui naît des frottemens des globules sanguins dans les capillaires, puisse être concûe se communiquer en même tems aux solides mêmes de

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