ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Telle étoit la fortification ordinaire de l'enceinte des places chez les anciens. Cette enceinte étoit environnée du côté de la campagne, d'un fossé large & profond, qui retardoit l'approche des machines dont on se servoit alors pour battre les places, & qui rendoit l'accès du rempart plus difficile & moins propre à l'escalade. Voyez Escalade.

Cette fortification a subsisté sans changement considérable, jusqu'à l'usage du canon dans les siéges. Il fallut abandonner alors les machicoulis, qui en étoient d'abord ruinés, & augmenter l'épaisseur du parapet. Comme on diminuoit par - là la capacité des tours, on songea à les aggrandir; mais leur partie extérieure n'étant plus défendue des machicoulis, donnoit au pié un lieu sûr à l'ennemi, pour travailler à ruiner la tour, & à la faire sauter par la mine. Voyez Mine. En effet l'epaisseur du parapet de cette partie extérieure empêchot que les soidats qui y étoient placés, ne pussent en decouvrir le pié, & à l'égard des flancs des tours voisines, ils ne pouvoient voir que les extrémites de ce même côté extérieur des tours quarrees, devant lequel il restoit un espace triangulaire qui n'etoit point vû de la place. Cet espace étoit plus petit dans les tours rondes que dans les tours quarrées, mais il étoit toûjours plus que suffisant pour y attacher un mineur qui pouvoit y travailler tranquillement. Cet inconvénient fit penser à renfermer dans les tours l'espace qu'elles laissoient sans défense. On les termina pour cela par deux lignes droites, formant ensemble un angle saillant vers la campagne. Par cette correction les tours furent composées de quatre lignes, savoir de deux faces, & de deux flancs. Voyez Face & Flanc; & elles prirent alors le nom de bastions triangulaires, ou simplement de bastions. Voyez Bastion.

Il n'est pas aisé de fixer l'époque précise de l'invention des bastions, mais l'usage paroît s'en être établi à - peu - près vers l'an 1500. Quelques auteurs en attribuent l'honneur à Zisca, chef des Hussites en Bohème, & ils prétendent qu'il s'en servit à la fortification de Tabor. M. le chevalier de Folard croit que le premier qui s'en servit, fut Achmet Bassa, qui ayant pris Otrante en 1480, fit fortifier cette ville avec les bastions qu'on y voit encore aujourd'hui. Mais M. le marquis Maffei, dans sa Verona illustrata, en donne la gloire à un ingénieur de Verone, nommé San - Micheli, qui fortifia cette ville avec des bastions triangulaires, à la place des tours rondes & quarrées qui etoient alors en usage. Comme cet ingénieur n'est connu par aucun ouvrage de sa façon, M. Maffei allegue deux raisons qui le portent à lui attribuer l'invention de nos bastions. La premiere, c'est l'autorité de George Vasari, qui dans ses vitoe excellentium architectorum, imprimées en italien à Florence en 1597, dit en termes formels qu'avant San - Micheli, on faisoit les bastions ronds, & que ce fut lui qui les construisit triangulaires. L'autre raison est tirée des bastions qu'on voit à Verone, & qu'on croit les plus anciens. On voit sur ces bastions des inscriptions qui portent 1523, 1529, & les années suivantes. Les murs en sont très - solidement bâtis. Ils ont 24 piés d'épaisseur, & ils sont encore en bon état, quoiqu'ils ayent plus de 200 ans de construction. M. le Marquis Maffei prétend que les premiers livres qui ont parlé des bastions, n'ont paru que depuis l'an 1500 en Italie, & depuis 1600 dans les autres pays de l'Europe, ce qui n'est pas entierement exact; car Daniel Specle, ingénieur de la ville de Strasbourg, qui mut en 1589, publia avant sa mort un livre de fortification qu'on estime encore aujourd'hui, dans lequel il se regarde comme le premier allemand qui ait écrit des bastions triangulaires. Le premier qui ait écrit en France sur cette fortification, est Errard de Bar - le - Duc, ingénieur du roi Henri IV. Son ouvrage est postérieur à cenx de plusieurs italiens, & à celui de Specle. On trouvera sa methode de fortifier à la suite de cet article, avec celle des principaux auteurs qui ont écrit sur la fortification moderne, ou avec des bastions.

Cette fortification est toûjours composée d'un rempart avec son parapet, d'un sossé, & d'un chemmcouvert. Voyez ces mots aux articles qui leur conviennent.

Les maximes ou préceptes qui servent de base à la fortification, peuvent se réduire aux quatre suivans.

1°. Qu'il n'y ait aucune partie de l'enceinte d'une place, qui ne soit vûe & defendue de quelqu'autre partie.

2°. Que les parties de l'enceinte qui sont défendues par d'autres parties de la même enceinte, n'en soient éloignées que de la portée du fusil, c'est - à - dire d'environ 120 toises. Voyez Lignf de défense.

3°. Que les parapets soient à l'epreuve du canon. Voyez Parapet.

4°. Que le rempart commande dans la campagne tout - autour de la place, à la portée du canon. Voyez Commandement.

Outre ces quatre principes généraux, il y en a d'autres qui en sont comme les accessoires, & auxquels on doit avoir égard autant qu'il est possible. Tels sont ceux ci.

1. Que la défense soit la plus directe qu'il est possible; c'est - à - dire que les flancs soient disposés de maniere que les soldats placés dessus puissent défendre les faces des bastions sans se mettre obliquement; parce que l'expérience a fait remarquer que dans l'attaque, le soldat tire vis - à - vis de lui, sans prendre la peine de chercher à découvrir l'ennemi. Suivant cette maxime, l'angle du flanc doit être un peu obtus. On peut le regler a 98 ou 100 degrés.

2. Que les parties qui défendent les centres, comme par exemple les flancs, ne soient pas trop exposées aux coups de l'ennemi.

3. Que la place soit également forte par - tout; car il est évident que si elle a un endroit foible, ce sera cel li que l'ennemi attaquera; & qu'ainsi les autres patties plus exactement fortifiées, ne procureront aucun avantage pour la défense de la ville.

4. Que les bastions soient grands & capables dé contenir un nombre suffisant de soldats, pour soûtenir long - tems les efforts de l'ennemi.

Errard prétendoit qu'un bastion étoit assez grand lorsqu'il pouvoit contenir deux cents hommes: mais ce nombre se trouveroit trop foible aujourd'hui pour soûtenir un assaur; il faut au moins cinq ou six cents hommes. Au reste la fixation exacte de la grandeur de toutes les parties du bastion, n'est ni fort aisée ni fort importante; parce que quelques toises de plus ou de moins ne peuvent produire aucun effet sensible sur la force ou la bonté du bastion. Voyez Bastion.

La fortification se divise ordinairement en réguliere & irréguliere, & en fortification dural le & passagere.

La fortification réguliere est celle dans laquelle tous les bastions sont égaux, & qui appartient à une figure ou un polygone régulier. Voyez Polygone. Elle a toutes ses parties semblables, égales entr'elles, & qui forment les mêmes angles; c'est - à - dire par exemple, que dans la fortification réguliere les faces des bastions sont égales entr'elles, les flancs aussi égaux entr'eux, les angles du flanc de même nombre de degrés, &c.

La fortification irréguliere est celle dans laquelle les partues semblables de chaque côté de l'enceinte ne pas toutes égales entr'elles: ainsi dans cette fortification on les flanes des bastions ne sont pas tous égaux, [p. 193] non plus que les faces, les courtines, les différens angles des bastions, &c. Cette fortification est presque la seule d'usage; parce qu'il est rare de trouver des places dans un terrein uni, & dont l'enceinte forme un polygone régulier qui ait ses côtés de la grandeur nécessaire pour être fortifiée.

Comme dans la fortification réguliere on n'est gêné par aucune circonstance ni du terrein ni de l'enceinte, on dispose l'arrangement de toutes les parties de la fortification de la maniere la plus avantageuse pour la défense: c'est pourquoi les regles qu'on suit alors, servent de principes pour la fortification irréguliere qui se trouve d'autant plus parfaite, que ces regles y sont plus exactement observées.

La fortification réguliere est préférable à l'irréguliere; parce que tous ses côtés opposent la même résistance, & qu'elle n'a point de parties foibles dont l'ennemi puisse profiter. La fortification irréguliere n'a pas le même avantage; la nature du terrein de la place, la bisarrerie de son enceinte jointe à l'inégalité de ses côtés & de ses angles, rendent souvent cette fortification très - difficile. On fait ensorte de rendre tous les côtés ou les fronts également forts; mais malgré l'habileté des Ingénieurs, on ne peut presque jamais y parvenir. Les places les mieux fortifiées en Europe en fournissent plusieurs exemples.

La fortification durable est celle qu'on employe aux vilies & aux lieux qu'on veut mettre en état de résister en tout tems aux entreprises de l'ennemi; c'est celle de nos places de guerre, & de tous les autres lieux qu'on dit être fortifiés.

La fortification passagere, qu'on appelle aussi fortification de campagne, est celle qu'on employe dans les camps & les armées, & dont les travaux se font & ne subsistent que pendant la guerre: telle est celle qu'on fait pour assûrer la tête des ponts à la guerre, pour couvrir des quartiers, retrancher & fortifier un camp, assûrer des communications, &c.

Dans cette fortification l'on n'a nul égard à la solidité & à la durée. « Il faut se déterminer sur le champ, dit M. de Clairac dans son livre de l'ingénieur de campagne, & tracer de même; il faut régler l'ouvrage sur le tems & sur le nombre des travailleurs; ne compter que sur les matériaux que l'on a sous la main, & n'employer que la pelle, la pioche & la hache. C'est plus particulierement en campagne que par - tout ailleurs, qu'un ingénieur doit avoir le coup - d'oeil juste, savoir prendre un parti & saisir ses avantages, être fertile en expédiens, inépuisable en ressources, & faire paroître une activité infatigable ».

On divise encore la Fortification en naturelle, artificielle, ancienne, moderne, offensive, & défensive.

La fortification naturelle est celle dans laquelle la situation propre du lieu en empêche l'accès à l'ennemi: telle seroit une place sur le sommet d'une montagne, dont les avenues ou les chemins pourroient être fermés facilement: telle seroit encore une place entourée de marais inaccessibles, &c. Ces obstacles & ceux de pareille espece que le terrein fournit, sont des fortifications naturelles.

La fortification artificielle est celle dans laquelle on employe le secours de l'art pour mettre les places & les autres lieux qu'on veut conserver à l'abri des surprises de l'ennemi. C'est proprement notre fortification ordinaire, dans laquelle on tâche par différens travaux d'opposer à l'ennemi les mêmes obstacles & les mêmes difficultés qu'on éprouve dans la fortification naturelle.

La fortification ancienne est celle des premiers tems, laquelle s'est conservée jusqu'à l'invention de la poudre à canon; elle consistoit en une simple enceinte de muraille flanquée de distance en distance par des tours rondes ou quarrées. Voyez le commencement de cet article.

La fortification moderne est celle qui s'est établie depuis la suppression de l'ancienne, & dans laquelle on employe les bastions au lieu de tours.

Lorsqu'un château, une ville, ou quelque autre lieu est fortifié avec des tours, on dit qu'il est fortifié à l'antique; & lorsqu'il l'est avec des bastions, on dit qu'il est fortifié à la moderne.

La fortification offensive a pour objet toutes les précautions nécessaires pour attaquer l'ennemi avec avantage; elle consiste principalement dans les différens travaux de la guerre des siéges.

La fortification défensive est celle qu'on employe pour résister plus avantageusement aux attaques & aux entreprises de l'ennemi. On peut dire qu'en général toutes les fortifications sont défensives, car leur objet est toûjours de mettre un petit nombre en état de résister & de se défendre contre un plus grand.

Un général qui a en tête une armée ennemie beaucoup plus nombreuse que la sienne, cherche à suppléer au nombre qui lui manque par la bonté des postes qu'il lui fait occuper, ou par les différens retranchemens dont il sait se couvrir. On ne fortifie les places, qu'afin qu'une garnison de cinq, six, huit ou dix mille hommes, puisse résister pendant quelque tems à une armée, quelque nombreuse qu'elle puisse être. S'il falloit pour défendre les places des garnisons beaucoup plus fortes, capables de se soûtenir en campagne devant l'ennemi, la fortification deviendroit non - seulement inutile, mais onéreuse à l'état par les grands frais qu'exigent sa construction & son entretien.

Il est dangereux par ces deux considérations, de multiplier le nombre des places fortes sans grande nécessité, & sur - tout, dit un auteur célebre, « de n'entreprendre pas aisément d'en fortifier de nouvelles; parce qu'elles excitent souvent la jalousie des états voisins, & qu'elles deviennent la source d'une longue guerre, qui finit quelquefois par un traité, dont le principal article est leur démolition ».

Depuis l'établissement de la fortification moderne, les Ingénieurs ont proposé différentes manieres de fortifier, ou, ce qui est la même chose, différens systèmes de fortification. Bien des gens en imaginent encore tous les jours de nouveaux; mais comme il est fort difficile d'en proposer de plus avantageux moins dispendieux que ceux qui sont en usage, la plûpart de ces idées nouvelles restent dans les livres, & personne ne se met en devoir de les faire exécuter.

Ce qu'on peut desirer dans un nouveau système de fortification, peut se réduire à quatre points principaux.

1°. A donner à l'enceinte des places une disposition plus favorable, pour que toutes les parties en soient moins exposées au feu de l'ennemi, & particulierement au ricochet.

2°. Que le nouveau système puisse s'appliquer également aux places régulieres & irrégulieres, & se tracer aisément sur le papier & sur le terrein.

3°. Qu'il n'exige point de dépense trop considérable pour la construction & l'entretien de la fortification.

Et 4°. que cette fortification n'ait pas besoin d'une garnison trop nombreuse pour être défendue. V. Garnison. Ce point est un des plus importans; car outre l'inconvénient de renfermer dans des places des corps de troupes, qui serviroient souvent plus utilement à grossir les armées, il faut des magasins considérables de guerre & de bouche, pour l'approvisionnement de ces places. Or si une longue guerre vous en ôte le pouvoir, les villes ne peuvent plus faire qu'une

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