ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"174"> sont dérivés philosophiquement de canere; parce que l'idée primitive exprimée par canere y est modifiée en elle - même, & sans aucun rapport à l'ordre de l'énonciation. Felicior & felicissimus sont aussi dérivés philosophiquement de felix, pour les mêmes raisons.

La dérivation grammaticale est la maniere de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent présenter l'idée principale, sous différens points de vûe relatifs à l'ordre de l'énonciation: ainsi canis, canit, canimus, canitis, canunt, canebam, canebas, &c. sont dérivés grammaticalement de cano; parce que l'idée principale exprimée par cano y est modifiée par différens rapports à l'ordre de l'énonciation, rapports de nombres, rapports de tems, rapports de personnes: cantatoris, cantatori, cantatorem, cantatores, cantatorum, &c. sont aussi dérivés grammaticalement de cantator, pour des raisons toutes pareilles.

Pour la facilité du commerce des idées, & des services mutuels entre les hommes, il seroit à desirer qu'ils parlassent tous une même langue, & que dans cette langue, la composition & la dérivation, soit philosophique soit grammaticale, fussent assujetties à des regles invariables & universelles: l'étude de cette langue se réduiroit alors à celle d'un petit nombre de radicaux, des lois de la formation, & des regles de la syntaxe. Mais les diverses langues des habitans de la terre sont bien éloignées de cette utile régularité: il y en a cependant qui en approchent plus que les autres.

Les langues greque & latine, par exemple, ont un système de formation plus méthodique & plus fécond que la langue françoise, qui forme ses dérivés d'une maniere plus coupée, plus embarrassée, plus irréguliere, & qui tire de son propre fonds moins de mots composés, que de celui des langues greque & latine. Quoi qu'il en soit, ceux qui desirent faire quelque progrès dans l'étude des langues, doivent donner une attention singuliere aux formations des mots; c'est le seul moyen d'en connoître la juste valeur, de découvrir l'analogie philosophique des termes, de penétrer jusqu'à la métaphysique des langues, & d'en démêler le caractere & le génie; connoissances bien plus solides & bien plus précieuses que le stérile avantage d'en posséder le pur matériel, même d'une maniere imperturbable. Pour faire sentir la vérité de ce qu'on avance ici, nous nous contenterons de jetter un simple coup - d'oeil sur l'analogie des formations latines; & nous sommes sûrs que c'est plus qu'il n'en faut, non - seulement pour convaincre les bons esprits de l'utilité de ce genre d'étude, mais encore pour leur en indiquer en quelque sorte le plan, les parties, les sources même, les moyens, & la fin.

Il faut donc observer, 1°. que la composition & la dérivation ont également pour but d'exprimer des idées accessoires; mais que ces deux especes de formations employent des moyens différens & en un sens opposé.

Dans la composition, les idées accessoires s'expriment, pour la plûpart, par des noms ou des prépositions qui se placent à la tête du mot primitif; au lieu que dans la dérivation elles s'expriment par des inflexions qui terminent le mot primitif: fidi - cen, tibi - cinium, vati - cinari, vati - cinatio, ju - dex, ju - dicium, ju - dicare, ju - dicatio; parti - ceps, parti - cipium, parti - cipare, parti - cipatio; ac - cinere, con - cinere; in - cinere, inter - cinere; ad - dicere, con - dicere, in - dicere, inter - dicere; ac - cipere, con - cipere, in - cipere, intercipere: voilà autant de mots qui appartiennent à la composition. Canere, canax, cantio, cantus, cantor, cantrix, cantare, cantatio, cantator, cantatrix, canti - tare, canturire, cantillare; dicere, dicax, dicacitas, dictio, dictum, dictor, dictare, dictatio, dictator, dictatrix, dictatura, dictitare, dicturire; capere, capax, capacitas, capessere, captio, captus, captura, captare, captatio, captator, captatrix, &c. ce sont des mots qui sont du ressort de la dérivation.

Il faut observer, 2°. qu'il y a deux sortes de racines élémentaires qui entrent dans la formation des composés; les unes sont des mots qui peuvent également paroître dans le discours sous la figure simple & sous la figure composée, c'est - à - dire seuls ou joints à un autre mot: telles sont les racines élémentaires des mots magnanimus, respublica, senatuseonsultum, qui sont magnus & animus, res & publica, senatus & consultum: les autres sont absolument inusitées hors de la composition, quoiqu'anciennement elles ayent pû être employées comme mots simples: telles sont jux & jugium, ses & sidium, ex & igium, plex & plicium, spex & spicium, stes & stitium, que l'on trouve dans les mots conjux, conjugium; proeses, proesidium; remex, remigium; supplex, supplicium; extispex, frontispicium; antistes, solstitium.

Il faut observer, 3°. qu'il y a quantité de mots réellement composés, qui au premier aspect peuvent paroître simples, à cause de ces racines élémentaires inusitées hors de la composition; quelque sagacité & un peu d'attention suffisent pour en faire démêler l'origine: tels sont les mots judex, justus, justitia, juvenis, trinitas, oeternitas; & une infinité d'autres. Judex renferme dans sa composition les deux racines jus & dex: cette derniere se trouve employée hors de la composition dans Cicéron; dicis gratiâ, par maniere de dire: judex signifie donc jus dicens, ou qui jus dicit; & c'est effectivement l'idée que nous avons de celui qui rend la justice: ce qui prouve, pour le dire en passant, que la définition de nom, comme parlent les Logiciens, differe assez peu, quand elle est exacte, de la définition de chose. Il en est de même de la définition étymologique de justus & de justitia: le premier signifie in jure stans, & le second, in jure constantia; expressions conformes à l'idée que nous avons de l'homme juste & de la justice.

Quant à juvenis, il paroît signifier juvando ennis; & cet ennis est un adjectif employé dans bi - ennis, tirennis, &c. pour signifier qui a des années: perennis paroît n'en être que le superlatif, tant par sa forme que par sa signification: ainsi juvenis veut dire juvando ennis, qui a assez d'années pour aider; cela est d'autant plus probable, que juvenis est effectivement relatif au nombre des années; & que tout homme parvenu à cet âge, est dans l'obligation réelle de mériter par ses propres services les secours qu'il tire de la société. Au reste la suppression d'une n dans juvenis ne le tire pas plus de l'analogie, que le changement de cette lettre en m n'en tire le mot de solemnis, qui semble être formé de solitò ennis, & signifie solitus quot annis, qui fieri solet quot annis; & de fait, dans plusieurs bréviaires on trouve le mot d'annuel pour celui de solemnel, dans la qualification des fêtes.

Les mots trinitas & oeternitas sont également composés: trinitas n'est autre chose que trium unitas; expression fidele de la foi de l'Eglise catholique sur la nature de Dieu; trinus & unus; trinus in personis, unus in substantia. Pour ce qui est du mot oeternitas, il signifie avi - trinitas, ou avi triplieis unitas, la trinité du tems qui réunit & embrasse tout à la fois le present, le passé, & le futur.

Il faut observer, 4°. que la composition & la derivation concourent souvent à la formation d'un meme mot; ensorte que l'on trouve des primitifs simples & des primitifs composés, comme des dérives simples & des dérivés composés. Capio est un primitif simple; particeps est un primitif compose; capax est un dérivé simple; participare est un dérivé com<pb-> [p. 175] posé. Les uns & les autres sont également susceptibles des formes de la dérivation philosophique & de la dérivation grammaticale: capio, capis, capit; particeps, participis, participi; capax, capacis, capaci; participo, participas, participat.

Il faut observer, 5°. que les primitifs n'ont pas tous le même nombre de dérivés, parce que toutes les idées primitives ne sont pas également susceptibles du même nombre d'idées modificatives; on que l'usage n'a pas établi le même nombre d'inflexions pour les exprimer. D'ailleurs un même mot peut être primitif sous un point de vûe, & dérivé sous un autre: ainsi amabo est primitif relativement à amabilis, amabilitas, & il est dérivé d'amo: de même affectare est primitif relativement à affectatio, assectator, & il est dérivé du supin, qui en est le generateur immediat. Ainsi un même primitif peut avoir sous lui differens ordres de dérivés, tirés immédiatement d'autant de primitiss subalternes & dérivés eux - mêmes de ce premier.

Il faut observer, 6°. que comme les terminaisons introduites par la dérivation grammaticale forment ce qu'on appelle déclinaison & conjugaison, on peut regarder aussi les terminaisons de la dérivation philosophique comme la matiere d'une sorte de declinaison ou conjugaison philosophique. Ceci est d'autant mieux fondé, que la plûpart des terminaisons de cette seconde espece sont soûmises à des lois générales, & ont d'ailleurs, dans la même langue ou dans d'autres, des racines qui expriment fondamentalement les mêmes idées qu'elles désignent comme accessoires dans la dérivation.

Nous disons en premier lieu, que ces terminaisons sont soûmises à des lois générales, parce que telle terminaison indique invariablement une même idée accessoire, telle autre terminaison une autre idée; de m que si on connoit bien la destination usuelle de toutes ces terminaisons, la connoissance d'une seule racine donne sur le champ celle d'un grand nombre de mots. Posons d'abord quelques principes usuels sur les terminaisons; & nous en ferons ensuite l'application à quelques racines.

1°. Les verbes en are, dérivés du supin d'un autre verbe, marquent augmentation ou répétition; ceux en essere, ardeur & celerité; ceux en urire, desir vif; ceux en illare, diminution.

2°. Dans les noms ou dans les adjectifs dérivés des verbes, la terminaison tio indique l'action d'une maniere abstraite; celle entus ou entum en exprime le produit; celle en tor pour le mascusin, & en trix pour le féminin, désigne une personne qui fait profession ou qui a un état relatif à cette action; celle en ax, une personne qui a un penchant naturel; celle en acitas marque ce penchant même.

On pourroit ajoûter un grand nombre d'autres principes semblables; mais ceux - ci sont suffisans pour ce que l'on doit se proposer ici: un plus grand detail appartient plûtôt à un ouvrage sur les analogies de la langue latine, qu'à l'Encyclopédie; & il est vraissemblable que c'étoit la matiere des livres de César sur cet objet.

Eprouvons maintenant la fecondité de ces principes. Des que l'on sait, par exemple, que canere signifie chanter, on en conelut avec certitude la signification des mots cantare, chanter à pleine voix; cantitare, chanter souvent; canturire, avoir grande envie de chanter; cantillare, chanter bas & à différentes reprises; cantio, l'action de chanter; cantus, le chant, l'esset de cette action; cantor & cantrix, un homme ou une femme qui fait profession de chanter, un chanteur, une chanteuse; canax, qui aime à chanter.

Pareillement, de capere, prendre, on a tiré par analogie captare, capessére, faisir ardemment, se hâ<cb-> ter de prendre; captio, captus, captatio, captator, captatrix, capax, capacitas.

De la différente destination des terminaisons d'une même racine, naissent les différentes dénominations des mots qu'elles constituent: de - là les diminutifs, les augmentatifs, les inceptifs, les inchoatifs, les fréquentatifs, les desidératifs, &c. selon que l'idée primitive est modifiée par quelqu'une des idées accessoires que ces dénominations indiquent.

Nous disons en second lieu, que ces terminaisons ont dans la même langue, ou dans quelqu'autre, aes racines qui expriment fondamentalement les mêmes id, qu'elles désignent comme accessoires dans la dérivation; nous allons en faire l'essai sur quelques - unes, où la chose sera assez claire pour faire présumer qu'il peut en être ainsi des autres dont on ne connoitroit plus l'origine.

1°. Dans les noms, les terminaisons men & mentum signifient chose, signe sensible par lui - même ou par ses effets: l'une & l'autre paroissent venir du verbe minere dont Lucrece s'est servi, & qu'on retrouve dans la composition des verbe, eminere, im - minere, pro - minere, & qui tous renferment la signification que nous prêtons ici à men & à mentum; la voici justifiée par l'explication étymologique de quelques noms: Flumen, (men ou res quoe fluit.) Fulmen, (men quod fulget.) Lumen, (men quod lucet.) Semen, (men quod seritur.) Vimen, (men vinciens, quod vincit.) Carmen, peigne à carder, (men quod carpit.) Il est vraissemblable que les Romains donnerent le même nom à leurs poëmes; parce que les premiers qu'ils connurent étoient satyriques & picquans comme les dents du peigne à carder, & avoient une destination analogue, celle de corriger.

Armentum, (mentum quod arat, ou arare potest. ) Jumentum, (mentum quod juvat, ou mentum jugatorium.) Monumentum, (mentum quod monet.) Alimentum, (mentum quod alit.) Testamentum, (mentum quod testatur.) Tormentum, (mentum quod torquet.)

La terminaison culum semble venir de colo, j'habite, & signifie effectivement une habitation, ou du moïns un lieu habitable: Cubiculum, (cubandi locus.) Coenaculum, (coenandi locus.) Habitaculum, (habitandi locus.) Propugnaculum, (pro - pugnandi locus.)

Il faut cependant observer, pour la vérité de ce principe, que cette terminaison n'a le sens & l'origine que nous lui donnons ici, que quand elle est adaptee à une racine tirée d'un verbe: car si on l'appliquoit à un nom, elle en feroit un simple diminutif; tels sont les mots corculum, opusculum, corpujeulum, &c.

2°. Dans les adjectifs, la terminaison undus designe abondance & pléritude, & vient d'unda, onde, symbole d'agitation; ou du mot undare, d'où abundare, exundare. Ordinairement cette terminaison est jointe à une autre racine par l'une des deux lettres euphoniques b ou c.

Cogita - b - undus, (cogitationibus undans.) Furi - b - undus, (furore ou furiis undans.) Foe - c - undus, (foetu abundans.) Fa - c - undus, (fandi copiâ abundans.)

La terminaison stus venue de sto, marque stabilité habituelle.

Justus, (in jure constans.)

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