ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"82"> tipliés des rivieres & les vastes lits des fleuves; par quel méchanisme enfin ces réservoirs réparent abondamment leurs pertes journalieres.

Ensuite à mesure qu'on étudie plus en détail les fontaines, on y observe plusieurs singularités très frappantes, tant dans leur écoulement que dans leurs eaux; & ces discussions sont par leurs objets aussi agréables qu'utiles. D'après ces considérations, nous croyons devoir nous attacher dans cet article à deux points de vûe intéressans sur les fontaines: leur origine & leurs singularités.

Origine des Fontaines (Page 7:82)

Origine des Fontaines. L'origine des fontaines a de tout tems piqué la curiosité des Philosophes. Les anciens ont leurs hypothèses sur ce méchanisme, ainsi que les modernes. Mais ce sont pour la plûpart des plans informes, qui sur - tout dans les premiers, & même dans certains écrivains de nos jours, ont le défaut général que Séneque reprochoit avec tant de fondement aux physiciens de son tems, dont il connoissoit si bien les ressources philosophiques. Illud ante omnia mihi dicendum est, opiniones veterum parùm exactas esse & rudes: circaverum adhuc errabatur: nova omnia erant primò tentantibus. Quoest. nat. lib. VI. c. jv.

Les anciens, en parlant de l'origine des fontaines, ne nous présentent rien de précis & de fondé; outre qu'ils n'ont traité cette question qu'en passant, & sans insister sur ses détails, ils ne paroissent s'être attachés ni aux faits particuliers ni à leur concert; ces raisons sont plus que suffisantes pour nous déterminer à passer legerement sur leurs hypothèses. Quel fruit peut - on retirer pour l'éclaircissement de la question présente, en voyant Platon ou d'autres anciens philosophes au nom desquels il parle, indiquer pour le reservoir commun des fontaines & des sources, les gouffres du Tartare, & faire remonter l'eau par cascades de ce gouffre à la surface de la terre? Peut - être que des érudits trouveront dans ces réveries populaires l'abysme que Woodward prétend faire servir à la circulation des eaux souterraines. Nous ne croirons pas au reste devoir revendiquer pour notre siecle cette derniere hypothese comme plus appuyée que l'ancienne. Quelles lumieres & quelles ressources trouve - t - on dans le systeme embrassé par Aristote & par Séneque le naturaliste? Ces philosophes ont imaginé que l'aire se condensoit & se changeoit en eau par la stagnation & l'humidité qu'il éprouvoit dans les soûterrains. Ils se fondoient sur ce principe, que tout se fait de tout; ainsi, selon eux l'air se change en eau & l'eau en air par des transmutations, au milieu desquelles la nature sait garder une juste compensation qui entretient toûjours l'équilibre entre les élémens. Ces transmutations livreroient toute l'économie admirable de la nature à une confusion & à une anarchie affreuse. L'eau considérée sans mélange sera toûjours eau & inaltérable dans ses élémens. Voyez Eau, Elément. Il est vrai qu'on a observé de nos jours un fait qui sembleroit autoriser ces prétentions. L'eau la plus pure laisse après plusieurs distillations réitérées quelques principes terreux au fond de la cucurbite. Ce fait remarqué par Boyle & par Hook avoit donné lieu à Newton de conclure que l'eau se changeoit en terre. Mais Boerhaave qui a vérifié effectivement ce résultat, prétend avec beaucoup plus de raison que les molécules de l'eau sont inaltérables, & que le résidu terreux est le produit des corps legers qui flottent dans l'air, ou la suite d'une inexactitude indispensable dans la manipulation. Ainsi les anciens n'étoient autorisés à supposer ces transmutations que par le besoin qu'ils en avoient. Si après cela nous voyons Aristote avoir recours aux montagnes qui boivent les eaux soûterraines comme des éponges ou d'autres agens, ces secours subsidiaires ne nous offrent aucune unité dans ses idées. Pline nous rapporte quelques faits, mais donne peu de vûes. Vitruve a entrevû le vrai en s'attachant au produit des pluies.

Saint Thomas & les Scholastiques de Conimbre tranchent plûtôt la question qu'ils ne la résolvent, en admettant ou l'ascendant des astres, ou la faculté attractive de la terre qui rassemble les eaux dans son sein par une force que la Providence lui a départie suivant ses vûes & ses desseins. Van - Helmont prétend que l'eau renfermée dans les entrailles de la terre n'est point assujettie aux regles de l'hydrostatique, mais qu'elle dépend alors uniquement de l'impression que lui communique cet esprit qui anime le monde soûterrain, & qui la met en mouvement dans les abysmes profonds qu'elle remplit. En conséquence de ces idées il met en jeu ce qu'il appelle la propriété vivifiante du sable pur, & la circulation animée qui en résulte des eaux de la mer visible dans une mer invisible, qu'il s'efforce de prouver par l'Ecriture. Cet abus n'est pas particulier à ce fameux medecin: plusieurs autres écrivains ont cru décider la question par des passages des livres sacrés qu'ils interprétoient selon leurs caprices, ou se sont servi de cette autorité respectable comme de preuve subsidiaire. On ne peut trop s'élever contre ce procédé religieux en apparence, mais qui aux yeux d'un physicien éclairé & chrétien, n'est que l'emploi indécent d'un langage sacré fait pour diriger notre croyance & notre conduite, & non pour appuyer des préjugés, des préventions, & des inductions imaginaires, en un mot des systèmes. Ces especes de théologies physiques dérogeant à la majesté de l'Ecriture & aux droits de la raison, ne laissent appercevoir qu'un mélange toûjours ridicule de faits divins & d'idées humaines.

L'érudition de Scaliger ne nous présente que des discussions vagues sur ce que les autres ont pensé & sur ce qu'il se croit en droit d'y ajoûter, mais ne nous offre d'ailleurs aucun fait décisif. Cardan après avoir examiné d'une vûe assez générale les deux principales hypothèses qui étoient en honneur de son tems, & avoir grossi les difficultés de chacune, finit par les embrasser toutes les deux en assignant à l'une & à l'autre ses opérations particulieres. Dans l'une on attribuoit l'origine des fontaines uniquement aux pluies; dans l'autre on prétendoit qu'elles n'empruntoient leurs eaux que de la mer. Ces deux opinions sont presque les seules qui ayent partagé les Physiciens dans tous les tems. Plusieurs écrivains depuis Cardan ont adopté l'une des deux; mais la plûpart se sont bornés à des moyens très - imparfaits. Tels sont Lydiat, Davity, Gassendi, Duhamel, Schottus, & le pere François. On peut consulter sur ces détails le traité de Perrault de l'origine des fontaines; on y trouvera vingt - deux hypotheses, qui toutes se rapportent aux deux principales dont nous venons de parler. On ajoûtera aux auteurs qui y figurent, Plot, dont l'ouvrage est une espece de déclamation où l'on trouve beaucoup de crédulité, peu de raisons, & encore moins de choix & de certitude dans les faits. Cet anglois adopte les canaux soûterreins. Bernard Palissy qui avoit plus vû & mieux vû que tous ces savans, étoit si persuadé que les pluies formoient les fontaines, & que l'organisation des premieres couches de la terre étoit très - favorable à l'amas des eaux, à leur circulation, & à leur émanation, qu'il publioit hautement être en état de les imiter. Il auroit organisé un petit monticule suivant la distribution des couches qu'il avoit remarquées à la surface de la terre dans les lieux qui lui avoient offert des sources. On verra par la suite que cette promesse n'étoit point l'effet de ces charlatanismes dont les Savans ne sont pas exempts, & que les ignorans qui s'en plaignent & qui en sont les dupes, rendent souvent nécessaires. [p. 83]

La premiere chose qui se présente dans cette question, est que les fleuves & les rivieres vont se rendre dans des golphes ou dans de grands lacs où ils portent continuellement leurs eaux. Or depuis tant de siecles que ces eaux se rassemblent dans ces grands réservoirs, l'océan & les autres mers auroient débordé de toutes parts & inondé la terre, si les vastes canaux qui s'y déchargent y portoient des eaux étrangeres qui ajoûtassent à leur immense volume. Il faut donc que ce soit la mer qui fournisse aux fontaines cette quantité d'eau qui lui rentre; & qu'en conséquence de cette circulation les fleuves puissent couler perpétuellement, & transporter une masse d'eau considérable, sans trop remplir le vaste bassin qui la reçoit.

Ce raisonnement est un point fixe auquel doivent se réunir toutes les opinions qu'il est possible d'imaginer sur cette matiere, & qui se présente d'abord dès qu'on se propose de discuter celles qui le sont déjà. Mais comment l'eau va - t - elle de la mer aux fontaines? Nous savons bien la route qu'elle tient pour retourner des fontaines à la mer, parce que les canaux de conduite sont pour la plûpart exposés à la vûe du peuple comme des Physiciens: mais ces derniers ne sont pas d'accord sur le méchanisme qui reporte l'immense quantite d'eau que les fleuves charrient, dans les réservoirs de leurs sources.

Je considere en second lieu que l'eau de la mer est salée, & que celle des fontaines est douce, ou que si elle est chargée de matieres étrangeres, on peut se convaincre aisément qu'elle ne les tire pas de la mer. Il faut donc que le méchanisme du transport, ou que nos tuyaux de conduite soient organisés de façon à faire perdre à l'eau de la mer, dans le trajet, sa salure, sa viscosité, & son amertume.

En combinant les moyens que les auteurs qui ont écrit avec le plus de lumieres & de sagesse sur l'origine des fontaines, ont essayé d'établir pour se procurer ce double avantage, on peut les rappeller à deux classes générales. Dans la premiere sont ceux qui prétendent que les vapeurs qui s'élevent par évaporation de dessus la surface de la mer, emportées & dissoutes dans l'atmosphere, voiturées ensuite par les vents sous la forme de nuages épais & de brouillards, arrêtées par les sommets elevés des montagnes, condensées en rosée, en neige, en pluie, saisissant les diverses ouvertures que les plans inclinés des collines leur offrent pour s'insinuer dans les corps des montagnes ou dans les couches propres à contenir l'eau, s'arrêtent & s'assemblent sur des lits de tuf & de glaise, & forment en s'échappant par la pente de ces lits & par leur propre poids, une fontaine passagere ou perpétuelle, suivant l'étendue du bassin qui les rassemble, ou plûtôt suivant celle des couches qui fournissent au bassin.

Dans la seconde classe sont ceux qui imaginent dans la masse du globe des canaux soûterreins, par lesquels les eaux de la mer s'insinuent, se filtrent, se distillent, & vont en s'élevant insensiblement remplir les cavernes qui fournissent à la dépense des fontaines. Ceux qui foûtiennent cette derniere opinion, l'exposent ainsi. La terre est remplie de grandes cavités & de canaux soûterreins, qui sont comme autant d'aqueducs naturels, par lesquels les eaux de la mer parviennent dans des cavernes creusées sous les bases des montagnes. Le feu soûterrein fait éprouver aux eaux rassemblées dans ces especes de cucurbites, un degré de chaleur capable de la faire monter en vapeurs dans le corps même de la montagne, comme dans le chapiteau d'un alembic. Par cette distillation, l'eau salée dépose ses sels au fond de ces grandes chaudieres; mais le haut des cavernes est assez froid pour condenser & fixer les vapeurs qui se rassemblent & s'accrochent aux inégalités des rochers, se filtrent à - travers les couches de terres entr'ouvertes, coulent sur les premiers lits qu'elles rencontrent, jusqu'à ce qu'elles puissent se montrer en - dehors par des ouvertures favorables à un écoulement, ou qu'après avoir formé un amas, elles se creusent un passage & produisent une fontaine.

Cette distillation, cette espece de laboratoire soûterrein, est de l'invention de Descartes (Princip. IV. part. §. 64.), qui dans les matieres de Physique imagina trop, calcula peu, & s'attacha encore moins à renfermer les faits dans de certaines limites, & à s'aider pour parvenir à la solution des questions obscures de ce qui étoit exposé à ses yeux. Avant Descartes, ceux qui avoient admis ces routes soûterreines, n'avoient pas distillé pour dégager les sels de l'eau de la mer; & il faut avoüer que cette ressource auroit simplifié leur échafaudage, sans le rendre néanmoins plus solide.

Dans la suite, M. de la Hire (Mém. de l'acad. an. 1703.) crut devoir abandonner les alembics comme inutiles, & comme un travail imité de l'art toûjours suspect de supposition dans la nature. Il se restreignit à dire, qu'il suffisoit que l'eau de la mer parvînt par des conduits soûterreins, dans de grands réservoirs placés sous les continens au niveau de la mer, d'où la chaleur du sein de la terre, ou même le feu central, pût l'élever dans de petits canaux multipliés qui vont se terminer aux couches de la surface de la terre, où les vapeurs se condensent en partie par le froid & en partie par des sels qui les fixent. C'est pour le dire en passant, une méprise assez singuliere de prétendre que les sels qui se dissolvent dans les vapeurs, puissent les fixer. Selon d'autres physiciens, cette même force qui soûtient les liqueurs au - dessus de leur niveau dans les tubes capillaires, ou entre des plans contigus, peut faciliter considérablement l'élévation de l'eau marine adoucie. Voyez Capillaire, Tube, Attraction . On a fait joüer aussi par supplément, l'action du flux & reflux; on a cru en tirer avantage, en supposant que son impulsion étoit capable de faire monter à une très - grande hauteur, malgré les lois de l'équilibre, les eaux qui circulent dans les canaux soûterreins; ils ont cru aussi que le ressort de l'air dilaté par la chaleur soûterreine, & qui soûleve les molécules du fluide parmi lesquelles il est dispersé, y entroit aussi pour beaucoup.

La distillation imaginée par Descartes, avoit pour but de dessaler l'eau de la mer, & de l'élever au - dessus de son niveau: mais ceux qui se sont contentés de la faire filtrer au - travers des lits étroits & des couches de la terre, comme M. de la Hire, ont cru avec l'aide de la chaleur, obtenir le même avantage, & ils se sont fait illusion. 1°. L'eau de la mer que l'on veut faire monter par l'action des canaux capillaires formés entre les interstices des sables ou autres terres, ne produit jamais aucun écoulement; parce que les sables & les terres n'attirent point les eaux douces ou salées en assez grande quantité pour produire cet effet. M. Perrault (orig. des font. pag. 154.) prit un tuyau de plomb d'un pouce huit lignes de diametre, & de deux piés de long; il attacha un reticule de toile par le bas, & l'emplit de sable de riviere sec & passé au gros sas. Ce tuyau ayant été placé perpendiculairement dans un vase d'eau, à la profondeur de quatre lignes, le liquide monta à 18 pouces dans le sable. Boyle, Hauksbée & de la Hire, ont fait de semblables expériences, & l'eau s'est élevée de même à une hauteur considérable: mais M. Perrault alla plus loin. Il fit à son ruyau de plomb une ouverture latérale de sept à huit lignes de diametre; & à deux pouces au - dessus de la surface de l'eau du vase à cette ouverture, il adapta dans une situation inclinée un tuyau aussi plein de sable, & y plaça

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