ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"18"> state la réalité & l'existence de la révélation de ce dogme, pour comparer la certitude de la foi à celle de la raison, il faut nécessairement comparer la certitude des propositions que la raison nous découvre, à la certitude que nous avons que les objets de notre foi sont révélés. Mais la question étant ainsi établie, il n'y reste plus de difficulté; & voici des principes qui la décident.

1°. La certitude que nous avons que les dogmes que nous croyons sont révélés, est dans le genre moral. Les élémens de cette certitude sont des faits, des motifs de crédibilité, &c. Or ces faits, ces motifs, &c. l'existence de Jesus - Christ qui a apporté aux hommes la révélation, sa vie, ses miracles, toutes les preuves de la vérité & des livres saints, & de la divinité de la religion chrétienne; tout cela est dans le genre moral.

2°. Cette même certitude est extrème, & telle qu'on ne peut pas s'y refuser sans abuser de sa raison. Tous les auteurs qui ont écrit en faveur de la religion, établissent ce principe.

3°. Cette certitude n'est pas supérieure à celle que nous avons des vérités mathématiques, ou simplement évidentes dans le genre métaphysique. Cela est clair.

4°. Il y a un sens dans lequel on peut dire que cette certitude est inférieure à celle que nous avons des vérités évidentes, & un sens dans lequel on doit dire qu'elle l'égale.

L'impossibilité qu'une proposition évidente soit fausse, est la plus grande qu'on puisse imaginer; & eu égard à cette impossibilité sous ce rapport purement métaphysique, la certitude que nous avons qu'un tel dogme est révélé, & en général toute espece de certitude dans le genre moral, est inférieure à la certitude des vérités évidentes.

Mais comme on ne peut pas refuser son assentiment aux preuves qui établissent que Dieu a révélé ce que nous croyons, non plus qu'aux vérités évidentes; comme celui qui se refuse à ces preuves abuse de sa raison, autant que celui qui nie une vérité mathématique; comme la certitude morale a dans son genre autant d'action & de force sur l'esprit pour en tirer le consentement, que la demonstration la plus complete; comme cette certitude est très analogue à la maniere dont les hommes jugent ordinairement des objets, qu'elle nous est familiere, que c'est celle que nous suivons le plus communément, &c. je crois qu'en tous ces sens on peut dire que la certitude morale, lorsqu'elle est arrivée à un certain degré, & par conséquent la certitude que nous avons de la réalité & de l'existence de la révélation, que nous supposons élevée à ce même degré, que cette certitude, dis - je, est égale à celle que nous avons des vérités évidentes & mathématiques.

Quant à la certitude que nous avons des vérités du genre moral, on peut voir par ce que nous venons de dire, que la certitude des dogmes de foi ne lui est pas inférieure, mais égale & du même genre.

Il suffit d'exposer ces principes, & ils n'ont pas besoin de preuves. J'avoue que je ne conçois pas comment on a pû soûtenir sérieusement que la foi est plus certaine que la raison. Les partisans de cette opinion n'ont pas pris garde qu'ils détruisoient d'une main ce qu'ils élevoient de l'autre. La foi suppose la raison, & la raison conduit à la foi. Avant de croire par le motif de la révélation, il faut en constater l'existence par le secours de la raison même.

Or comme la raison n'est pas pour nous un guide plus sûr, lorsque nous constatons l'existence de la révélation, que lorsque nous nous en servons pour reconnoitre la vérité d'un théorème ou l'existence de César, les vérités que nous croyons d'après la révélation constatée, ne peuvent être plus certai<cb-> nes que le théorème & l'existence de César. Dans les deux cas, c'est toûjours la même raison & les mêmes lumieres. J'ajoûterai à ceci quelques réflexions.

Dans l'examen de cette question, les Théologiens ont fait ce me semble deux fautes. D'abord ils n'ont comparé que le motif immédiat qui nous fait croire à la proposition révélée, c'est - à - dire la véracité de Dieu, au motif de l'évidence qui nous fait accorder notre assentiment à une vérité métaphysique ou mathématique: au lieu que pour estimer la certitude de la foi, il falloit nécessairement avoir égard aux autres motifs subordonnés, par lesquels on constate l'existence de la révélation; & demander si l'ensemble des motifs qui assûrent la vérité d'un dogme de foi, doit produire une certitude plus grande que celle qu'engendre l'évidence.

La raison de cela est que le motif de la véracité de Dieu ne peut agir sur l'esprit, & y faire naître la foi (entant que persuasion), qu'autant qu'on se convainc que Dieu a vraiment révélé le dogme en question; que si on n'a pour se convaincre sur ce dernier point que des preuves doüées d'un certain degré de force, ou dans le genre moral, la certitude de motif de la foi de ce dogme sera aussi dans le genre moral, & n'aura que le même degré de force; & quand même on supposeroit le motif de la véracité divine s'élever en particulier à un degré de certitude plus grand, je ne vois pas que la certitude d'un dogme & de la foi en général dût en être plus grande. Qu'on me permette une comparaison. Ce motif de la véracité divine est lié avec plusieurs autres, en suppose plusieurs autres, que la raison seule fournit. Je me représente ces motifs comme une chaîne formée de plusieurs chaînons, parmi lesquels il y en a un ou deux plus forts que les autres; & d'un autre côté je regarde les motifs qui appuient une vérité évidente, comme une chaine composée de plusieurs chaînons égaux, & semblables aux petits chaînons de la premiere. Cette premiere chaîne ne sera pas plus forte que la seconde, & ne soûtiendra pas un plus grand poids. Vous aurez beau me faire remarquer la force & la grosseur de quelques - uns des chaînons de celle - là. Ce n'est pas par - là, vous dirai - je, qu'elle rompra; & comme dans ses endroits foibles elle peut se rompre aussi facilement que l'autre, il faut convenir que l'une n'est pas plus forte que l'autre. C'est ainsi que dans l'assemblage des motifs qui produisent la persuasion d'un dogme de foi, la certitude supérieure qu'on prêteroit au motif de la véracité de Dieu ne pourroit pas rendre le dogme de foi plus certain.

Je dis la certitude supérieure qu'on prêteroit au motif de la véracité de Dieu, parce que cette supériorité n'est rien moins que prouvée. L'impossibilité que Dieu nous trompe étant fondée sur l'évidence même, n'est pas plus grande que l'impossibilité qu'il y a que l'évidence nous trompe.

L'autre faute qu'on a commise en traitant cette question, est de l'avoir conçûe dans les termes les plus généraux, au lieu de la particulariser. Il ne falloit par demander, la foi est - elle aussi certaine que la raison, mais un dogme de foi en particulier? Cette proposition, par exemple, il y a trois Personnes en Dieu, est - elle aussi certaine de la certitude de motif (en prenant tout l'ensemble des motifs qui la font croire) que celles - ci, un & deux font trois? César a conquis les Gaules. Je crois que si on eût conçû la question en ces termes, on se seroit contenté de dire que la foi est aussi certaine que la raison; en effet on auroit vû clairement que la certitude de ce dogme dépend de la véracité de Dieu & des preuves qui constatent que ce dogme est révélé, & que parmi ces preuves il en entre plusieurs dont la certitude ne s'éleve pas au - dessus de la certitude métaphysique, pour ne pas dire qu'elle demeure au - dessous. [p. 19]

J'épargne aux lecteurs les discussions étendues que les scholastiques ont fait sur cette matiere. Pour décider une semblable question, il suffit d'un principe clair; & celui que nous avons donné nous paroit avoir cette qualité. C'est le cas où l'on peut dire, qu'il ne faut pas écouter des objections contre une these démontrée.

Jusqu'à - présent nous avons considéré la foi comme persuasion; nous avons remarqué que dans la doctrine catholique elle est aussi une vertu & une grace: nous allons la regarder par ces deux différens côtés.

La foi est une vertu. C'est le sentiment unanime de tous les PP. & de tous les Théologiens, qu'elle est méritoire; ce qui ne peut convenir qu'à une vertu; ce qu'il nous seroit facile de prouver, si nous ne craignions pas d'être trop longs.

Une difficulté se présente, qu'il est nécessaire de résoudre. La foi est une persuasion de certaines vérités; la persuasion est le résultat des preuves, sur lesquelles ces vérités peuvent être appuyées. De quelque espece que soient ces vérités, les preuves qui nous y conduisent sont purement spéculatives, & il n'appartient qu'à l'esprit d'en juger. Quelle que soit la force de ces preuves en elles - mêmes, la persuasion ne peut qu'être conséquente à l'effet qu'elles produisent sur l'esprit qui les examine. Or cela posé, quel mérite peut - il y avoir à trouver ces preuves bonnes, & quel démérite à y refuser son assentiment? Il n'y a ni crime ni vertu à ne pas croire vrai ce qu'on ne juge pas assez bien prouvé, & à croire ce qu'on trouve démontré. Et il ne faut pas penser que parce qu'il est question de religion dans cet examen, l'incrédulité y soit plus criminelle; parce que comme les preuves sont du genre moral, on a droit d'en juger comme on juge dans toute autre question. Un homme n'est pas coupable devant Dieu de ne point croire une nouvelle de guerre, sur la déposition d'un grand nombre de témoins même oculaires; on n'a point encore fait un péché en morale de cette espece d'incré dulité; l'inconvaincu, en matiere de religion efuse, son assentiment à des preuves de même espece; puisque celles qui appuient la religion sont aussi du genre moral; il le refuse par la même raison, c'est - à - dire parce qu'il ne les croit pas suffisantes: son inconviction n'est donc pas un crime, & sa foi ne seroit point une vertu.

On peut confirmer cela par l'autorité des plus habiles Philosophes: Il n'y a autre chose, dit S'gravesande (Introd. ad Philosoph.), dans un jugement, qu'une perception; & ceux qui croyent que la détermination de la volonté y est aussi requise, ne font attention ni à la nature des perceptions, ni à celle des jugemens . . . . Dès que les idées sont présentes, le jugement suit . . . . Celui qui voudroit séparer le jugement de la perception de deux idées, se trouveroit obligé de soûtenir que l'ame n'a pas la perception des idées qu'elle apperçoit.

S. Thomas se propose cette même question (sec. secundoe quoest. sec. art. 9.) en ces termes: celui qui croit a un motif suffisant pour croire, ou il manque d'un semblable motif. Dans le premier cas, il ne lui est pas libre de croire ou de ne pas croire, & sa foi ne sauroit lui être méritoire; & dans le second il croit legerement & sans raison, & par conséquent aussi sans mérite.

Mais sa réponse n'est pas recevable. La voici mot pour mot: Celui qui croit a un motif suffisant pour croire; l'autorité divine d'une doctrine confirmée par des miracles, & ce qui est plus encore, l'instinct intérieur par lequel Dieu l'invite. . . . ainsi il ne croit pas legerement, cependant il n'a pas de motif suffisant pour croire; d'où il suit que sa foi est toûjours méritoire.

Je remarque, 1°. que l'instinct auquel S. Thomas a recours, ne fait rien ici, parce que ce n'est pas un motif.

2°. Il y a ici une contradiction: cet homme a un motif suffisant pour croire, & il n'a pas de motif suffisant: habet sufficiens inductivum ad credendum. . . . tamen non habet sufficiens inductivum ad credendum: cela est inintelligible.

Essayons de résoudre cette difficulté, qu'on ne nous accusera pas d'avoir affoiblie.

1°. Nous y parviendrons, si nous faisons comprendre que la volonté, ou pour parler plus exactement, la liberté influe sur la persuasion; car cela posé, cette même persuasion pourra être méritoire, & le refus pourra en être criminel. Or voici ce qu'on peut dire sur cela.

Quoique les idées qui sont jettées dans notre ame d'après l'impression des objets extérieurs, ne soient point sous l'empire de la liberté au premier moment où elles y entrent à mesure qu'elles nous deviennent plus familieres, nous acquérons sur elles le pouvoir de les appeller ou de les éloigner, & de les comparer à notre gré, au moins hors des cas des grandes passions; & tout cela tient sans doute en grande partie au méchanisme de nos organes. Or du pouvoir que nous avons d'appeller, d'écarter & de comparer à notre gré les idées, suit manifestement l'empire que nous avons sur notre persuasion: car toute persuasion résulte de la comparaison de deux idées; & si nous écartons les idées dont la comparaison nous conduiroit à la persuasion de certaines vérités, nous fermerons par - là l'entrée de notre esprit à la persuasion de ces mêmes vérités.

Mais, pourra - t - on dire, lorsque nous écartons ces idées, la persuasion est déjà entrée dans notre ame; car nous ne les écartons que pour ne pas faire la comparaison qui nous y conduiroit. Nous savons donc que cette comparaison nous conduiroit à la persuasion; mais cela posé, nous sommes déjà persuadés, & nous ne faisons que nous dispenser de réfléchir sur notre persuasion.

Je répons qu'en faisant cette instance, on conviendroit que la persuasion réfléchie est libre. Or un théologien peut soûtenir avec beaucoup de vraissemblance que la foi est une persuasion réfléchie; & on voit que dans ce sentiment il est facile de concevoir comment elle est méritoire, & comment elle est une vertu.

Mais sans considérer ici la foi en particulier, on peut dire que toute persuasion en général est libre, entant que réfléchie, quoiqu'elle ne le soit pas entant que directe. Il y a une premiere vûe de l'esprit jettée rapidement sur les idées & sur les motifs de la persuasion, qui suffit pour soupçonner la liaison des idées & la solidité des motifs, & qui ne suffit pas pour en convaincre. Ce soupçon n'est rien autre chose qu'un sentiment confus; c'est la vûe mal terminée d'un objet qui nous épouvante dans l'éloignement, que nous reconnoissons, & que nous craignons de fixer. Dans cet état on n'a pas sur la liaison des idées, le degré d'attention nécessaire pour former un jugement décidé, & pour avoir une persuasion réfléchie. Or je croirois volontiers que l'exercice de la liberté n'a pas lieu dans ce premier moment: aussi n'est - ce pas alors que la persuasion des vérités de la foi est méritoire. L'incrédule le plus obstiné peut sentir confusément la vérité des motifs de crédibilité qui conduisent à la religion, & ne pas en être persuadé; & les remords & les inquiétudes dont on dit que ces gens - là sont tourmentés, prennent leur source dans ce sentiment confus.

2°. Voici encore une autre maniere d'expliquer comment la persuasion est libre. Les vérités de la religion sont établies par des preuves, & combattues par des objections. La persuasion résulte de la con<pb->

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