ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Fnu (Page 6:624)

Fnu, dans l'Art militaire, exprime les coups qu'on tire avec les armes à feu, comme les canons, les mortiers, les fusils, les mousquetons, &c.

Ainsi faire feu sur une troupe, c'est tirer sur elle avec des armes à feu.

Le terme de feu s'employe plus ordinairement pour exprimer les coups qu'on tire avec le fusil, qu'avec les autres armes à feu.

Le feu de l'infanterie ne consiste que dans les décharges successives du fusil; & celui de la cavalerie, dans celles du mousqueton & du pistolet, dont les cavaliers sont armés.

Le feu d'une place est formé des décharges que l'on fait de la place, avec les armes à feu dont on la défend; mais on entend néanmoins ordinairement par ce feu, celui du canon de la place: c'est pourquoi on dit qu'on a fait taire le feu d'une place, lorsqu'on en a démonté les batteries.

On distingue plusieurs sortes de feux dans l'infanterie, suivant l'ordre dans lequel on fait tirer les soldats.

L'ordonnance du 6 Mai 1755, sur l'exercice de l'infanterie, en établit cinq; savoit le feu par section, par peloton, par deux pelotons, par demi - rang & par bataillon.

Il faut observer que, suivant cette ordonnance, la section est formée d'une compagnie, & le peloton de deux; ainsi les deux pelotons font quatre compagnies, c'est - à - dire le tiers du bataillon, lorsqu'il est de douze, non compris celle des grenadiers. [p. 625]

On voit par - là que le feu de section consiste à tirer par compagnie; celui de peloton, par deux; celui de deux pelotons, par quatre; & celui de trois pelotons, par six compagnies. A l'égard du feu par bataillon, c'est celui qui est exécuté par toutes les compagnies du bataillon qui tirent ensemble dans le même tems.

A ces différens feux il faut encore ajoûter le feu par rangs, qui s'exécute successivement par chacun des rangs du bataillon; & le feu roulant ou de rempart, qui se fait ordinairement dans les salves & les réjoüissances.

Pour exécuter ce dernier feu, si les troupes sont sur plusieurs rangs, l'aile droite du premier commence à tirer au signal qui lui en est donné; le feu va jusqu'à l'autre aîle, ensuite il commence par la gauche du second rang, & il vient à la droite; puis de la droite du troisieme il va à la gauche de ce même rang, & ainsi de suite des autres rangs sans interruption.

Ces différens feux peuvent être appellés réguliers, parce qu'ils s'exécutent avec regle. Il y en a un autre qu'on nomme feu de billebaude ou sans ordre, que les soldats exécutent en tirant ensemble ou séparément, à leur volonté.

Le feu de peloton, que l'ordonnance du 6 Mai 1755 établit en France, est en usage depuis longtems parmi les Hollandois: il y a quelqu'apparence que l'invention leur en est dûc, & que ce sont eux qui en ont fourni le modele aux autres nations de l'Europe qui l'ont adoptée. Quoi qu'il en soit, observons qu'on a cependant tiré autrefois en France par differentes divisions ou différentes petites parties du bataillon, qu'on appelloit pelotons; mais seulement dans des cas particuliers de retraite, d'attaques de postes, de chaussées, &c.

L'ancien feu le plus ordinaire & le plus commun, étoit le feu par rangs; c'est en effet celui qui paroît le plus simple & d'une exécution plus aisée. il a l'inconvénient que les tirs n'en peuvent être que perpendiculaires au front du bataillon. On prétend encore qu'il s'exécute rarement avec ordre, que ques précautions qu'on puisse prendre; mais c'est que rien ne se fait avec ordre à la guerre, qu'autant que les troupes y ont été long - tems exercées: car il est évident qu'on peut parvenir assez promptement à faire tirer sans consusion les troupes par rangs, sur - tout à trois ou quatre de hauteur, puisqu'on l'a fait autrefois sans inconvénient sur un plus grand nombre de rangs.

Le bataillon étant rangé sur cinq ou sur six rangs, chacun tiroit successivement; ou bien on en faisoit tirer deux ou trois à - la fois, ou cinq en même tems. Voyez Emboîtement.

Mais on a remarqué depuis, que lorsqu'il y a seulement quatre rangs, le feu du dernier devient tres dangereux pour le premier; c'est par cette raison que l'ordre sur trois rangs a été proposé, comme le plus convenable pour le feu. Voyez Évolutions.

Un autre inconvénient du feu par rangs, c'est qu'on ne peut que très - difficilement le rendre continuel.

En effet, si l'on suppose une troupe rangée sur quatre rangs, & que le dernier rang tire le premier, les autres étant genou en terre, le troisieme peut, en se levant, tirer ensuite, puis le second, & le premier qui, aussi - tôt après sa décharge, doit remettre genou à terre, ainsi que le second & le troisieme, pour laisser tirer le dernier, qui a eu le tems de recharger pendant la durée du feu des trois autres rangs. Mais ces derniers ne peuvent guere recharger leurs fusils le genou à terre; parce que cette manoeuvre, à laquelle M. le maréchal de Puysegur dit qu'on devroit exercer les troupes, ne leur est pas enseignée (a). Voyez Exercice. Il faut par conséquent, pour recharger, qu'ils se tiennent debout, & qu'ils interrompent la continuité de l'action du feu.

En tirant par section ou par peloton, on peut se procurer des tirs perpendiculaires ou obliques, suivant le besoin: on a d'ailleurs un feu continuel, parce que le premier peut avoir rechargé lorsque le dernier a tiré D'ailleurs ce feu s'exécutant sur un front beaucoup plus petit que celui du bataillon, paroît devoir être plus aisément réglé: il en parcourt rapidement toutes les parties, comme le feu, par rangs; mais chaque partie est successivement exposée au feu de l'ennemi pendant le tems qu'elle recharge ses armes.

Il est vrai que le front du bataillon n'y est jamais exposé tout entier, comme en tirant par rangs; mais il faut convenir qu'en revanche le feu par peloton peut être sujet, à moins qu'on n'y soit extremement exercé, à plus de confusion que celui des rangs.

Pour donner une idée plus parfaite du feu par peloton, nous mettrons sous les yeux un bataillon divisé dans ses six pelotons, rangé suivant l'ordonnance du 6 Mai 1755.

(d) Il seroit fort difficile de le faire, à cause de la longueur du fusil, & de la pression des files.
[omission: table; to see, consult fac-similé version]

Soit A B le bataillon ainsi divisé: chaque peloton est désigné par un chiffre qui en indique le rang, & par la lettre P, renfermés l'un & l'autre dans des accolades qui joignent les extrémités des deux compagnies dont ils sont formés.

Ces pelotons sont divisés dans les deux compagnies qui les composent, & qui les partagent en deux sections.

Les chiffres renfermés dans chaque peloton, expriment les différentes compagnies du bataillon qu'il contient.

On suppose que le bataillon est à trois de hauteur, & que les rangs sont serrés à la pointe de l'épée.

Cela posé, observons d'abord que le feu de section & celui de peloton doivent commencer par le centre.

Pour exécuter ce dernier feu, le commandant du bataillon ordonne d'abord au cinquieme peloton de faire feu: alors les soldats du premier rang mettent genou en terre, ceux des deux derniers s'arrangent pour pouvoir tirer en même tems que le premier; [p. 626] & au commandement feu, ils tirent tous ensemble (a).

Lorsque ce peloton a fait feu, le sixieme s'arrange pour en faire de même immédiatement après; puis le troisieme & le quatrieme, deux tems (b) après que le cinquieme & le sixieme ont fait feu. Le premier & le deuxieme font également feu deux tems après que le troisieme & le quatrieme ont tiré. A l'égard des grenadiers & du piquet, ils exécutent leur feu deux tems après celui du premier & du second peloton.

On voit par - là que le feu par peloton ayant commencé par le centre, se porte ensuite successivement du centre aux ailes; mais de maniere que les pelotons à côté les uns des autres, excepté les deux du centre, ne tirent pas de suite, mais successivement un peloton de la droite & un de la gauche.

Il est bien difficile qu'une manoeuvre aussi composée & aussi variée, & qui demande autant d'attention, puisse s'exécuter sans desordre ou confusion un jour d'action: aussi prétend - on avoir remarqué, comme on le verra bientôt, que ce feu, dont l'exécution est si brillante dans les exercices, est peu dangereux un jour de combat (c)

Le feu par section s'exécute de la même maniere que celui par peloton, il commence également par le centre. La onzieme compagnie tire la premiere, puis la douzieme, ensuite la troisieme, la quatrieme, &c. Voyez l'ordonnance du 6 Mai 1755.

Le feu par rangs est d'une exécution plus simple, eu égard aux commandemens, que les deux précédens. Le premier rang, comme on l'a déjà dit ci - devant, met d'abord genou à terre, ainsi que le second & le troisieme; s'il y a quatre rangs; le quatrieme se tient debout, & tire; le troisieme se leve ensuite, & tire aussi; le second fait immédiatement après la même manoeuvre, & ensuite le premier.

Pendant le tems que ces deux derniers rangs tirent, le quatrieme & le troisieme ont le tems de recharger leurs armes, & ils peuvent recommencer à tirer immédiatement après le premier; mais le premier & le second sont obligés de recharger debout, & de suspendre, pendant le tems qu'ils y employent, le feu du bataillon.

Dans l'ancienne maniere de tirer par rangs, on évitoit cet inconvénient.

Le premier rang tiroit d'abord, & il alloit ensuite, en passant dans les files du bataillon, en gagner la queue: le deuxieme en faisoit de même, après avoir tiré; puis le troisieme & le quatrieme, &c. De cette façon, les rangs qui avoient tiré les premiers, avoient le tems de recharger leurs armes avant de se retrouver en face de l'ennemi. Nos files serrées ne permettent point cette manoeuvre; cependant lorsque l'on fait tirer les troupes dans des circonstances où elles ne peuvent pas s'aborder, on pourroit peut - être encore se servir de cette méthode sans inconvénient, sur - tout en faisant faire à - droite aux rangs qui sont derriere celui qui est en face à l'enne mi; & cela afin d'avoir plus d'espace entre les files

(a) Il y auroit peut - être plus d'avantage à faire tirer les différens rangs du peloton immédiatement les uns après les autres, parce que l'effet des coups du premier rang ne se confondroit pas avec celui des coups du second, ni l'effet de celui - ci avec celui du troisieme. Il peut arriver en faisant tire: tous les rangs à la fois, qu'un même soldat ennemi reçoive deux coups également mortels; au lieu que s'il étoit tombé du premier, le soldat qui le suit auroit reçû le second. (b) L'intervalle ou la durée d'un tems dans l'exercice est à peu - près celui d'une seconde, pendant laquelle on peut prononcer, un, deux. Voyez l'Ordonnance du 6 Mai 2755. (c) On ne peut en attribuer la cause qu'au peu d'exercice des troupes. Il paroit à la vérité que l'exécution du feu par peloton peut être susceptible de plusieurs inconvéniens, à cause des différens commandemens qui se font en même tems aux pelotons qui doivent tirer de suite; mais le grand usage doit y former les troupes insensiblement.
pour le passage des soldats qui vont se reformer à la queue du bataillon.

On faisoit aussi quelquefois passer à droite & à gauche par les ailes du bataillon, les rangs qui avoient tiré, pour les faire regagner la queue; mais cette pratique étoit défectueuse, en ce que les soldats du second rang ne pouvoient tirer que lorsque le premier avoit quitté le front du bataillon; ce qui interrompoit la continuité du feu de la troupe, & le ralentissoit.

Il y avoit encore plusieurs autres manieres de tirer, qu'on peut voir dans le maréchal de Bataille de Lostelneau, dans la pratique de la guerre du chevalier de la Valiere, &c, mais qui seroient toutes de peu d'usage aujourd'hui, parce qu'elles exigent différens mouvemens devant l'ennemi, dont l'exécution seroit très - dangereuse. En esset, ceux qui ont le plus d'expérience dans cette matiere, prétendent que tout mouvement que l'on fait à portée de l'ennemi, qui change l'ordre & l'union des différentes parties du bataillon, l'expose presque toûjours à se rompre lui - même, & à faire volte - face.

On a toûjours cherché le moyen de faire faire aux troupes un feu réglé, de maniere que les soldats bien exercés pussent l'exécuter sans confusion. Cette régularité peut produire de grands avantages. Car par elle on ne se défait que de telle partie de son feu que l'on veut, & quand on le veut; au lieu qu'en laissant tirer les soldats à leur volonté, on peut se trouver dégarni de feu dans le tems qu'il est le plus nécessaire.

Il y a cependant quelques circonstances particulieres, où le feu sans ordre peut l'emporter sur le régulier, comme lorsque des troupes sont derriere des lignes ou des retranchemens. M. de Turenne l'ordonna dans un cas pareil au siege d'Etampes en 1652.

Les troupes qui défendoient cette ville contre l'armée du roi, ayant résolu de reprendre un ouvrage dont elle s'étoit emparée le matin, & d'insulter en même tems les lignes; elles sortirent en force de la place pour cet effet. Les lignes des assiegeans étoient presque entierement dégarnies de soldats, parce que les troupes qui les gardoient avoient été se reposer dans un des fauxbourgs de la ville assez éloigné du camp, à cause de l'action du matin, qui avoit été fort vive, laquelle avoit fait présumer par cette raison, que les assiegés n'entreprendroient rien de considérable pendant la journée.

On se trouvoit tout prêt d'être attaqué lorsqu'il « arriva dans le même moment 200 mousquetaires du régiment aux gardes. C'étoit tout ce qu'on avoit pû ramasser au camp. M. de Turenne leur recommanda, sans s'amuser à tirer tous ensemble, de bien ajuster leurs coups; ce qu'ils firent si à propos, que jamais un si petit nombre de soldats n'a fait tant d'exécution.» Mém. du duc d'Yorck, p. 17, II. vol. de l'Hist. de M. de Turenne, par M. de Ramsay.

Dans des cas de cette espece les soldats s'animent les uns & les autres à charger promptement & à tirer à coup sûr. L'attention n'est point distraite ou partagée par l'observation des commandemens pour tirer. Chacun le fait de son mieux, & ne le fait guere alors inutilement. Aussi M. Bottée dit - il que les Allemands craignent plus notre feu confus que notre feu ordonné. La raison qu'il en donne, c'est que le défaut d'exercice rend ce dernier défectueux, au lieu que dans l'autre un nombre de bons soldats tirent avec dessein & avec attention.

Il tire de - là cette conséquence, que si nos soldats étoient bien disciplinés à cet égard, ils apporteroient en tirant avec ordre, la même attention que lorsqu'ils le font sans ordre. Alors le feu régulier se<pb-> [p. 627] roit sans difficulté dans toute occasion présérable au feu confus ou irrégulier; ce qui paroît évident.

Mais pour cet effet, il faut que le feu régulier soit si simple, que les soldats puissent, pour ainsi dire, l'exécuter d'eux - mêmes, & avec très - peu de formalités; c'est ce qui n'est pas facile à trouver. Ce point si important de fait militaire exige encore bien des tentatives & des expériences des officiers les plus consommés dans la pratique de la guerre.

Quel que soit le feu qu'on adopte, comme il est une des principales défenses de l'infanterie, elle ne sauroit trop y être exercée, non - seulement pour tirer avec vîtesse, mais encore en ajustant, sans quoi l'effet n'en est pas fort important. L'expérience des batailles de la guerre de 1733 & de 1741, dit M. de Rostaing, dans un mémoire manuserit sur l'essai de la légion, ne nous a pas convaincu, que le feu des Autrichiens & des Hollandois fût excessivement formidable (a) ; & j ai oui dire, ajoûte cet habile officier (que nous venons de perdre) à un de nos généraux de la plus grande distinction, dont je supprime le nom par respect, qu'après la bataille de Czaslau gagnée par le roi de Prusse en 1742, la ligne d'infanterie des Prussiens étoit marquée par un tas prodigieux de cartouches, lequel auroit fait présumer la destruction totale de l'infanterie autrichienne, de laquelle cependant il y eut à peine deuxmille hommes de tues ou blessés.

C'est que les soldats Prussiens n'avoient point encore acquis alors cette justesse dans leur feu, qu'on assûre qu'ils ont aujourd'hui, & qui égale la promptitude avec laquelle il, l'exécutent. On sait qu'ils peuvent tirer aisément six coups par minute, même en suivant les tems de leur exercice.

C'est un fait constant, dit M. le maréchal de Puységur, que le plus grand feu fait taire celui qui l'est moins; que si, par exemple, « huit mille hommes font feu contre six mille, qui tirent aussi vîte les uns que les autres, & qu'ils soient à bonne portée, & également à découvert, les huit mille en peu de tems détruiront les six mille. Mais si les huit mille sont plus long - tems à charger leur armes, qu'ils ne soient pas exercés à tirer bien juste, comme on voit des bataillons faire des décharges de toutes leurs armes contre d'autres, sans pourtant voir tomber personne, je jugerai pour lors que les six mille hommes pourroient l'emporter sur les huit mille.» Art de la guerre.

Un problème assez intéressant qu'on pourroit proposer sur cette matiere, seroit de déterminer lequel est le plus avantageux de combattre de loin à coups de fusil, ou de près à l'arme blanche, c'est - à - dire la bayonnette au bout du fusil.

Sans vouloir entrer dans tout le détail dont cette question est susceptible, nous observerons seulement que les anciens avoient leurs armes de jet, qui répondoient à - peu - près à l'effet de nos fusils; mais qu'ils ne s'en servoient que pour offenser l'ennemi d'aussi loin qu'ils le pouvoient, en avançant pour le combattre de près. Lorsqu'on étoit parvenu à se joindre, ce qu'on faisoit toûjours, on combattoit uniquement avec les armes blanches, c'est - à - dire avec l'épée & les autres armes en usage alors. Voyez Armes. Cette méthode est en effet celle qui paroît la plus naturelle. Car, comme ledit Montecuculi, « la fin des armes offensives est d'attaquer l'ennemi & de le battre incessamment depuis qu'on le découvre jusqu'à ce qu'on l'ait entierement défait: à mesure qu'on s'en approche, la tempête des coups doit redoubler; d'abord de loin avec le canon; ensuite de plus près avec le mousquet, & successivement avec les carabines, les pistolets, les lances, les piques, les épées, & par le choc même des troupes

(a) Ces troupes exécutent leur feu par peloton.

C'étoit l'ancienne pratique des troupes de France, & suivant M. de Folard, « celle qui convient le mieux au caractere de la nation, dont tout l'avantage consiste dans sa premiere ardeur. Vouloir la retenir, dit cet auteur, par une prudence mal entendue, c'est une vraie poltronnerie; c'est tromper les soldats & leur couper les bras & les jambes. Ceux qui la font combattre de loin dans les actions de rase campagne, ne la connoissent pas, & s'ils sont battus, ils méritent de l'étre. Il faut, continue ce même auteur, laisser aux Hollandois, comme plus flegmatiques, leurs pelotons, & prendre toute maniere de combattre qui nous porte à l'action & à joindre l'ennemi Traité de la colonne, par M. le chevalier de Folard.

Quoique l'expérience & le sentiment des plus habiles militaires concourent à démontrer le principe de M. de Folard à cet égard, il ne s'ensuit pas de - là qu'on doive négliger le feu. « Tant que la situation des lieux où vous combattez, dit M. le maréchal de Puysegur, peut vous permettre d'en venir aux mains, il faut le faire, & préférer cette façon de combattre à toute autre. Mais comme l'ennemi vous contrarie, ajoute - t - il, avec beaucoup de raison, s'il se croit supérieur par les armes à feu, il cherchera les moyens d'éviter les combats en plaine; & si vous voulez l'attaquer, vous serez souvent contraint de le faire dans des postes, où les armes à feu seront nécessaires avant d'en pouvoir venir aux coups de main. (a) C'est pourquoi il est très important d'exercer le soldat à savoir faire usage de toutes les sortes d'armes dont il doit se servir. Il faut tâcher de se rendre supérieur en tout aux ennemis que l'on peut avoir à combattre, & ne rien négliger pour cela; s'informant chez les nations étrangeres comment ils instruisent leurs troupes, pour prendre d'elles ce qui aura été reconnu meilleur que ce que nous pratiquons

Rien de plus sensé & de plus judicieux que ces préceptes de l'illustre maréchal que nous venons de nommer. C'est ainsi que les Romains adopterent avec beaucoup de sagesse, tout ce qu'ils trouverent de bon dans la maniere de combattre & de s'armer de leurs ennemis; & cette pratique, qui fait tant d'honneur à leur discernement, ne contribua pas peu à leur faire surmonter des nations plus nombreuses & aussi braves, & à les rendre les maîtres de la terre.

Quoiqu'il paroisse décidé par les autorités précédentes, que lorsqu'une troupe d'infanterie françoise combat une autre troupe, & qu'elle peut la joindre, elle doit l'aborder sans hésiter; on croit néanmoins qu'il y a des circonstances particulieres où il ne seroit pas prudent de le faire.

Supposons, par exemple, qu'un général commande des troupes peu aguerries & peu exercées, ou qui n'ayent point encore vû l'ennemi. S'il vout les faire approcher pour combattre à l'arme blanche, il est à craindre que la présence de l'ennemi ne les trouble, & qu'elle ne les mette en desordre. Au lieu qu'en les mettant en état d'exécuter leur feu, sans pouvoir être abordées, le danger, quoique plus grand qu'en le joignant la bayonnette au bout du fusil, leur paroîtra plus éloigné, & par cette

(a) L'auteur des Sentimens d'un homme de guerre fur la colonne de M. de Folard, tient à - peu - près le même langage que M. de Puységur. « Il est très - certain, dit cet auteur, premierement que dans un terrein libre il dépend toûjours de celui à qui l'envie en prend, de combattre de loin & de près, tout comme il le trouve à propos; secondement que celui qui ne voudroit que combattre de loin n'en est jamais le maitre; son ennemi lui donne l'ordre; s'il refuse d'y obéir il faut céder. S'il obéit sans être préparé, il est maltraité: en un mot, d'une maniere ou d'autre il est puni, soit pour cause de desobéissance, soit pour cause d'imprudence; & il le mérite ».
[p. 628] considération elles en seront moins effrayées, & moins disposées à fuir. D'ailleurs il est alors plus aisé de les contenir, que si l'ennemi paroissoit prêt à tomber sur elles.

De cette maniere en général, pour accoûtumer insensiblement de nouvelles troupes à envisager l'ennemi avec moins de crainte lorsqu'elles y seront une fois parvenues, il sera fort aisé de leur faire comprendre qu'en marchant résolument à l'ennemi pour le charger la bayonnette au bout du fusil, le danger durera bien moins de tems qu'en restant exposé à son feu, & en tiraillant les uns contre les autres. Car lorsqu'on marche avec fermeté pour tomber sur une troupe, il arrive rarement qu'elle attende pour se retirer, qu'elle soit chargée la bayonnette au bout du fusil. On prétend au moins qu'il y a peu d'exemple du contraire. Il y a même des officiers qui ont beaucoup de pratique de la guerre, & qui doutent qu'il y en ait aucun; M. le maréchal de Puységur assûroit cependant l'avoir vû une fois. On peut conclure de - là que le choc de pié ferme de deux troupes d'infanterie dans un combat est un évenement si peu commun à la guerre, qu'on peut presque assûrer qu'il n'arrive jamais. C'est aussi ce que dit sur ce sujet l'auteur des Sentimens d'un homme de guerre sur la colonne de M. de Folard: « lorsqu'un bataillon voit qu'un autre s'avance pour l'attaquer, le soldat étonné de l'intrépidité avec laquelle son ennemi lui vient au - devant, le tiraille, ajuste mal son coup, & tire, pour la plûpart, en l'air. Le feu auquel il avoit mis sa principale confiance n'arrête pas son ennemi, & qui pis est, il n'est plus tems de recharger. La bayonnette qui lui reste ne sauroit le rassûrer; le trouble augmente, il fait volte - face, & quitte ainsi la partie. S'il en arrive autrement, c'est chose rare, & peut - être même hors d'exemple

Lorsqu'un bataillon marche pour en attaquer un autre, doit - il essuyer le feu du bataillon ennemi, & le joindre, ou, pour mieux dire, chercher à le joindre sans tirer? Cette question n'est pas un problème à resoudre dans la milice françoise.

L'usage constant des troupes de France est d'essuyer le feu de l'ennemi, & de tomber ensuite dessus sans tirer. Les évenemens heureux qui suivent presque toûjours cette pratique, comme on vient de le voir précédemment, semblent en démontrer la bonté. Cependant les autres peuples de l'Europe ne l'ont point encore adoptée J. c'est apparemment que leurs troupes ne vont point à l'abordage avec la même impétuosité & la même ardeur que le François; car si tout étoit égal de part & d'autre, il est certain qu'il y auroit un desavantage considérable à essuyer les décharges de l'ennemi en s'approchant pour le combattre, sans faire usage de son feu.

En effet, supposons deux troupes d'infanterie, ou deux bataillons, composés chacun de soldats également braves & disciplinés, & que l'un arrive fierement sur l'autre sans tirer, tandis que celui - ci lui fait successivement essuyer, dès qu'il est à portée, le feu de ses différens rangs, & cela avec fermeté, sans se troubler & en ajustant bien; peut - on douter que le bataillon assaillant qui a souffert plusieurs décharges, ne soit dans un plus grand desordre, & un plus grand état de foiblesse que l'autre? Comme on suppose que les soldats de ce dernier bataillon ne s'étonnent point, qu'ils savent les pertes que leur feu a dû faire souffrir à l'ennemi, & la supériorité qu'il a dû par conséquent leur donner; il paroît évident que dans ces circonstances le bataillon qui a tiré, doit l'emporter sur celui qui a été plus ménagé de son feu: s'il en arrive autrement, c'est que les soldats ne sont point assez exercés, qu'on ne leur fait pas sentir, comme on le devroit, le dommage que des décharges faites avec attention & justesse doivent causer à l'ennemi. Dans cet état il n'est pas étonnant que la frayeur s'empare de leur esprit, & qu'elle les porte à faire volte - face, comme on vient de le dire ci - devant. C'est pourquoi les succès de la méthode d'aborder l'ennemi sans tirer, ne prouvent point que cette méthode soit la meilleure; mais seulement que les troupes contre lesquelles elle a réussi avoient peu de fermeté, qu'elles mettoient uniquement leur confiance dans leur feu, & qu'elles n'étoient point suffisamment exercées.

Il suit de - là que si l'on attaquoit des troupes également fermes & aguerries, il seroit très - important de se servir de son feu en allant à l'abordage. C'est le sentiment de M. le marquis de Santa - Crux.

Si dès que vous êtes à portée de tirer sur les ennemis, vous ne le faites pas, dit ce savant auteur, « vous vous privez de l'avantage d'en tuer plusieurs & d'en intimider plusieurs autres par le sifflement des balles & par le spectacle de leurs camarades morts ou blessés: vous ne profitez pas de l'effet, continue - t - il, que cette frayeur & ce spectacle auroient fait sur les ennemis, & principalement sur leurs hommes de recrue & leurs nouveaux soldats qui sont plus troublés par le danger, & ayant leurs mains & leurs armes aussi tremblantes que leur pouls est agité, tireront aussi - tôt vers le ciel que vers la terre; au lieu que n'étant point encore effrayés par aucune perte, ils coucheront en joue avec moins de trouble, & vous aborderont ensuite avec l'arme blanche, lorsque par leur feu votre armée sera déjà beaucoup diminuée & intimidée ».

M. de Santa - Crux confirme ce raisonnement par un exemple qu'il rapporte de l'attaque des lignes de Turin, au dernier siége de cette ville en 1706.

Lorsque les Impériaux voulurent forcer ces lignes, ils furent d'abord repoussés par les décharges qu'on leur fit essuyer: « mais lorsque peu après Victor Amedée roi de Sardaigne, le prince Eugene de Savoie, & le prince d'Anhalt, eurent par leurs paroles & par leurs exemples rallié ces mêmes troupes, on donna ordre aux troupes françoises (qui défendoient les lignes) de reserver leur feu, & de ne tirer qu'à brûle - pourpoint. Dans cette seconde attaque, les Allemands n'ayant eu que ce seul feu à essuyer, aborderent avec toutes leurs forces, & sans avoir le tems de refléchir sur le danger, ils franchirent en un instant le retranchement ».

Cet exemple, quoique d'une espece un peu différente de celle de deux troupes d'infanterie qui se chargent en plaine ou en terrein uni, prouve au moins l'impression que fait sur les troupes le feu qui précede le moment où elles peuvent se joindre ou s'aborder; car à l'égard de celles qui sont derriere des lignes ou des retranchemens, personne n'ignore qu'elles doivent faire le plus grand feu qu'il est possible, lorsque l'ennemi est une fois parvenu à la portée du fusil; c'est même pour l'y exposer plus longtems qu'on fait des avant - fossés, des puits, &c. Voy. Lignes.

En supposant les troupes d'infanterie à quatre de hauteur, comme elles l'étoient dans la guerre de 1701, & dans les deux dernieres guerres, M. de Santa - Crux propose de les faire tirer par rang, mais en faisant une espece de feu roulant par demi - rang de compagnie. Le premier demi - rang de la premiere compagnie à droite ou à gauche, doit d'abord commencer à faire feu; les premiers demi - rangs de chaque compagnie en font successivement de même, en suivant tout le front de la ligne; le second rang fait ensuite la même manoeuvre, puis le troisieme & le quatrieme.

Cet auteur pense aussi, comme beaucoup d'autres habiles militaires, qu'il faut dans un combat [p. 629] placer les meilleurs tireurs au premier rang, & leur ordonner de tirer sur les officiers; parce que lorsqu'une troupe est une fois privée de ses commandans, il est ordinairement fort aisé de la rompre.

Lorsqu'il s'agit de faire feu, les officiers doivent « s'incorporer dans le premier rang, & mettre un genou à terre lorsque ce rang le met; autrement dans peu de minutes, il n'y aura plus d'officiers, soit par leurs propres soldats qui involontairement tireront sur eux, soit par les ennemis qui ajusteront leurs coups contre ceux qu'ils distingueroient ainsi pour officiers ». Réflex. militaires de M. de Santa - Crux.

C'est pour éviter cet inconvénient, que les rangs pour tirer doivent s'emboîter, pour ainsi dire, les uns dans les autres. Voyez Emboîtement.

Le savant militaire que nous venons de citer, propose pour rendre le feu des ennemis moins dangereux, de faire mettre genou à terre à toute la troupe qui est à portée de l'essuyer, & cela lorsqu'on voit qu'ils mettent en joue. Cet expédient peut rendre inutile un grand nombre de leurs coups, parce qu'il n'y a plus guere que la moitié du corps qui y soit exposée, & que d'ailleurs le défaut des soldats est de tirer presque toûjours trop haut. Il est clair que pour se placer ainsi, il faut que les ennemis soient assez éloignés, pour qu'on ait le tems de se relever avant de pouvoir en être joint. Cet auteur rapporte à ce sujet, que le chevalier d'Alsfeld ayant attaqué auprès de Saint - Etienne de Liter « un détachement d'infanterie angloise, qui mit genou à terre au moment qu'elle vit les François en posture de faire leur décharge, elle se releva aussi - tôt sans en avoir reçu aucun mal ».

Ce même expédient a été pratiqué dans plusieurs autres occasions, avec le même succès.

Au lieu de faire mettre genou en terre aux troupes, on pourroit les garantir encore davancage du feu de l'ennemi, en leur faisant mettre ventre à terre: mais il ne seroit pas sûr de l'ordonner à celles dont la bravoure ne seroit pas parfaitement reconnue; parce qu'il pourroit arriver qu'on eût ensuite quelque difficulté à les faire relever.

Lorsqu'un bataillon fait usage de son feu sur un bataillon ennemi, & que les deux troupes ne sont au plus qu'à la demi - portée du fusil, les soldats doivent s'appliquer à tirer au ventre de ceux qui leur sont opposés; & si on les fait tirer sur une trcupe de cavalerie, au poitral des chevaux.

M. de Santa - Crux prétend que les Hollandois, pour tirer, appuient la crosse du fusil au milieu de l'estomac, afin d'être forcés par cette posture à tirer bas; & il observe que cette maniere de tirer, qui ne doit point être imitée parce qu'elle est très - incommode, & qu'elle ne permet guere d'ajuster le coup, fait voir au moins que cette nation a parfaitement compris que le défaut ordinaire des soldats est de tirer trop haut, & qu'elle a cherché le moyen d'y remédier. Si elle ne l'a point fait avec succès, les autres nations peuvent le faire plus heureusement. Cette découverte paroît mériter l'attention des militaires les plus appliqués à leur métier.

Jusqu'ici nous n'avons parlé que du feu de l'infanterie: il s'agit de dire à - présent un mot de celui de la cavalerie.

Suivant M. de Folard, le feu de la cavalerie est moins que rien, l'avantage du cavalier ne consistant que dans son épée de bonne longueur.

Cette décision de l'habile commentateur de Polybe est sans doute trop rigoureuse: car il y a beaucoup d'occasions où le feu de la cavalerie est très utile. Il est vrai que les coups tirés à cheval ne s'ajustent pas avec la même facilité que ceux que l'on tire à pié; mais dans des marches où la cavalerie se trou<cb-> ve quelquefois sans infanterie, elle peut se servir tr&eagrave;s avantageusement de son feu, soit pour franchir un passage défendu par des paysans, ou pour éloigner des troupes legeres qui veulent l'harceler dans sa marche. Elle peut encore se servir de son feu tr&eagrave;s avantageusement dans les fourrages & dans beaucoup d'autres occasions. Mais la cavalerie doit - elle se servir de son feu dans une bataille rangée? M. de Santa - Crux prétend que non, sur - tout si, comme la cavalerie espagnole, elle est montée sur des chevaux d'Espagne, qui par leur vivacité & leur ardeur, mettent le desordre dans les escadrons au bruit des coups de fusils de ceux qui les montent.

M. le maréchal de Puységur pense sur ce sujet autrement que le savant auteur espagnol: « Mon opinion, dit - il (dans son livre de l'art de la guerre), est que les escadrons qui marchent l'un à l'autre pour charger l'épée à la main, peuvent avant de se servir de l'épée, tirer de fort près, & ce au moindre signal ou parole du commandant de l'escadron, & charger aussi - tôt l'épée à la main ».

A l'égard de la maniere de charger, voici, dit cet illustre auteur, ce que j'ai vû & ce que j'ai reconnu être très - facile à pratiquer.

« La ligne des escadrons de l'ennemi voyoit notre ligne de cavalerie marcher au pas, pour la charger l'épée à la main, sans se servir d'aucune arme à feu, soit officiers ou cavaliers. Quand notre ligne fut environ à huit toises de distance (cette cavalerie avoit son épée pendue au poignet, officiers & cavaliers avoient leurs mousquetons pendans à la bandouliere), les officiers & cavaliers prirent le mousqueton de la main droite, & de cette seule main coucherent en joue, chacun choisissant celui qu'il vouloit tirer: dès que le coup fut parti, ils laisserent tomber le mousqueton qui étoit attaché à la bandouliere; & empoignant leur épée, ils reçurent notre cavalerie l'épée à la main, & combattirent très - bien. Par ce feu tiré de près, il tomba bien de nos gens; néanmoins malgré cela, comme notre corps de cavalerie étoit tout ce que nous avions de meilleur, celle de l'ennemi, quoiqu'elle fût encore plus nombreuse que la nôtre, fut battue. Mais ce ne fut pas les armes à feu dont ils se servirent, qui en furent cause; car s'ils n'avoient pas tiré & tué des hommes de notre premier rang, ils en auroient été plûtôt renversés. J'ai reconnu même, continue M. de Puységur, que si notre cavalerie qui renversa cette ligne des ennemis, avoit tiré, celle - ci n'auroit pas tiré avec la même assûrance qu'elle a pû faire; & comme nos troupes étoient un corps distingué, il auroit commencé par mettre bien des hommes hors de combat. Ainsi quand on dit que des escadrons pour avoir tiré ont été battus, je répons que quand ils n'auroient pas tiré, ils ne l'eussent pas été moins. De pareilles raisons sont souvent un prétexte pour ne pas avoüer qu'on a mal combattu. Cela peut encore venir de ce que les officiers & les cavaliers ne sont ni instruits ni exercés. Or l'on doit avoir pour principe de ne jamais rien demander à des troupes dans l'action, à quoi elles n'auront pas été exercées d'avance». C'est pourquoi lorsqu'on est sûr des troupes de cavalerie qu'on fait combattre, il n'y a pas à balancer de les faire tirer, & même les autres, ditil, quand on les aura instruils. Art de la guerre de M. le maréchal de Puységur, tom. I. pag. 253.

Quant à l'inconvénient qu'on prétend qui résulte du bruit des armes à feu, par rapport au mouvement qu'il cause parmi les chevaux de l'escadron, M. de Puységur y répond, en faisant observer « qu'il n'est point prouvé que si votre ennemi tire sur vous, & que vous ne tiriez pas, vos chevaux ayent moins de peur que les siens, puisque le feu va [p. 630] droit aux yeux des vôtres, & qu'ils entendent aussi le sifflement de la balle qui leur fait peur ».

De toutes ces raisons, il s'ensuit que conformément à ce qui a déjà été remarqué sur le feu de l'infanterie, toutes les fois qu'on approche de l'ennemi pour le combattre, il faut toûjours lui faire tout le mal possible avant de le joindre; comme lorsque la cavalerie s'avance pour charger, il n'y a que le premier rang qui puisse tirer; il ne doit faire sa décharge, comme M. de Puységur l'a vû pratiquer, que lorsqu'il est au moment de tomber sur l'ennemi: mais si les troupes de cavalerie ne peuvent se joindre, chaque rang peut alors tirer successivement en défilant à droite & à gauche de l'escadron, après avoir tiré, pour aller se reformer derriere les autres rangs.

Les cavaliers & les dragons armés de carabines, & que pour cet effet on appelle carabiniers, ayant des armes dont la portée est plus grande que celle du fusil & du mousqueton, doivent en faire usage sur l'ennemi dès qu'il peut être atteint: c'est - à - dire, suivant M. de Santa - Crux, depuis que les ennemis sont à la distance d'environ douze cents piés ou deux cents toises, jusqu'à ce qu'ils arrivent à la portée des fusils ordinaires qu'il évalue à huit cents piés: pendant que l'ennemi parcourt cet espace, les carabiniers de cavalerie & de dragons ont le tems, dit cet auteur, de pouvoir à l'aise assûrer leurs armes dans le porte - fusil ou porte - mousqueton.

La distance de huit cents piés ou de cent trente toises, que M. de Santa - Crux donne à la portée du fusil, paroît être tirée des auteurs qui ont écrit sur la fortification, lesquels presque tous fixent leur ligne de défense de cette quantité, pour la rendre égale à la portée du fusil de but en blanc.

Dans la guerre des siéges on ne peut guere faire usage que de cette portée, au moins dans le feu des flancs; parce qu'autrement l'effet en seroit trop incertain: mais seroit - ce la même chose dans la guerre de campagne? C'est un point qui n'a pas encore été examiné, & qui semble néanmoins mériter de l'être.

Il est évident que si le fusil porte cent vingt ou cent trente toises de but en blanc, tiré à - peu - près horisontalement, sa portée sera plus grande sous un angle d'élévation, comme de douze ou quinze degrés, & qu'elle augmentera jusqu'à ce que cet angle soit de quarante - cinq degrés.

Le canon dont la portée de but en blanc n'est guere que de trois cents toises, porte son boulet, étant tiré à toute volée, depuis 1500 toises jusqu'à deux mille & plus. On convient que l'effet du fusil tiré de cette maniere ne seroit nullement dangereux, parce que la balle, eu égard à son peu de grosseur, perd plûtôt son mouvement que le boulet de canon: mais on pourroit éprouver la force & la portée de la balle sous des angles au - dessous de quarante - cinq degrés, comme de douze, quinze, ou vingt degrés; & alors on verroit si l'on peut faire usage du fusil à une plus grande distance que celle de cent vingt ou cent trente toises.

Comme toutes les choses qui peuvent nous procurer des connoissances sur les effets & les propriétés des armes dont nous nous servons à la guerre, ne peuvent être regardées comme indifférentes; on croit que les expériences qu'on vient de proposer, qui ne sont ni difficiles ni dispendieuses, méritent d'être exécutées.

En supposant qu'elles fassent voir, comme il y a beaucoup d'apparence, que le fusil tiré à - peu - près sous un angle de quinze degrés, peut endommager l'ennemi à la distance de trois cents toises, & au - delà, on pourra dire qu'il sera fort difficile de faire tirer le soldat de cette maniere: d'autant plus qu'au<cb-> jourd'hui on a beaucoup de peine à le faire tirer horisontalement; que d'ailleurs si l'on pouvoit y parvenir, il seroit à craindre qu'il ne contractât l'habitude de tirer de même lorsque l'ennemi seroit plus près, ce qui seroit un très - grand inconvénient. Mais on peut répondre à ces difficultés que dans le cas d'un éloignement, comme de trois cents toises, le soldat seroit averti de tirer vers le sommet de la tête de l'ennemi; & lorsqu'il en seroit plus prêt, de tirer au milieu du corps, comme on le fait ordinairement.

Mais quand il y auroit des difficultés insurmontables à faire tirer le soldat à la distance de trois cents toises, lorsqu'il s'avance vers l'ennemi pour le combattre, ne seroit - il pas toûjours très - avantageux de pouvoir faire usage de la mousqueterie à cette distance, lorsqu'on est derriere des retranchemens dans un chemin - couvert? &c. C'est aux maîtres de l'art à le décider.

Nous n'avons parlé jusque ici que du feu de la mousqueterie; il s'agiroit d'entrer dans quelques détails sur celui de l'artillerie, c'est - à - dire sur celui du canon & des bombes: mais pour ne pas trop alonger cet article, nous observerons seulement à cet égard que ce feu qui inquiete toûjours beaucoup le soldat ne doit point être négligé; qu'une armée ou un détachement ne sauroit exécuter aucune opération importante sans canon; & qu'il seroit peut - être fort utile qu'à l'imitation de plusieurs nations de l'Europe, chaque bataillon eût toûjours avec lui quelques petites pieces d'artillerie dont il pût se servir dans toutes les occasions.

Comme le feu du canon agit de très - loin, personne n'a pensé qu'il fallût l'essuyer sans y répondre: le seul moyen d'en diminuer l'activité est d'en faire un plus grand, si l'on peut. Les tirs dans une bataille doivent être toûjours obliques au front de l'armée ennemie, afin d'en parcourir une plus grande partie. Les plus avantageux sont ceux qui sont perpendiculaires aux aîles ou aux flancs de l'armée; mais un ennemi un peu intelligent a grand soin d'éviter que ses flancs soient ainsi exposés au canon de son adversaire.

La maniere la plus convenable de tirer le canon, lorsque l'on n'est guere qu'à la distance de cinq ou six cents toises de l'ennemi, est à ricochet. Voyez Ricochet. Le boulet fait alors beaucoup plus d'effet que lorsque le canon est tiré avec plus de violence, ou avec de plus fortes charges que n'en exige le ricochet.

M. de Folard prétend que le feu du canon n'est redoutable que contre les corps qui restent fixes, sans mouvement & action; ce qu'il dit avoir observé dans plusieurs affaires, « où les deux partis se passoient réciproquement par les armes, sans que l'un ni l'autre pensât, ou pour mieux dire, osât en venir aux mains dans un terrein libre. Une canonnade réciproque, selon cet auteur, marque une grande fermeté dans les troupes qui l'essuient sans branler, mais trop de circonspection, d'incertitude, ou de timidité dans le général: car le secret de s'en délivrer n'est pas, dit - il, la magie noire. Il n'y a qu'à joindre l'ennemi; on évite par ce moyen la perte d'une infinité de braves gens; & le général se garantit du blâme qui suit ordinairement ces sortes de manoeuvres ». Traité de la colonne, p. 48. (Q)

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