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Fnu (Page 6:624)
Ainsi faire feu sur une troupe, c'est tirer sur elle avec des armes à feu.
Le terme de feu s'employe plus ordinairement pour exprimer les coups qu'on tire avec le fusil, qu'avec les autres armes à feu.
Le feu de l'infanterie ne consiste que dans les décharges successives du fusil; & celui de la cavalerie, dans celles du mousqueton & du pistolet, dont les cavaliers sont armés.
Le feu d'une place est formé des décharges que l'on fait de la place, avec les armes à feu dont on la défend; mais on entend néanmoins ordinairement par ce feu, celui du canon de la place: c'est pourquoi on dit qu'on a fait taire le feu d'une place, lorsqu'on en a démonté les batteries.
On distingue plusieurs sortes de feux dans l'infanterie, suivant l'ordre dans lequel on fait tirer les soldats.
L'ordonnance du 6 Mai 1755, sur l'exercice de l'infanterie, en établit cinq; savoit le feu par section, par peloton, par deux pelotons, par demi - rang & par bataillon.
Il faut observer que, suivant cette ordonnance, la section est formée d'une compagnie, & le peloton de deux; ainsi les deux pelotons font quatre compagnies, c'est - à - dire le tiers du bataillon, lorsqu'il est de douze, non compris celle des grenadiers. [p. 625]
On voit par - là que le feu de section consiste à tirer par compagnie; celui de peloton, par deux; celui de deux pelotons, par quatre; & celui de trois pelotons, par six compagnies. A l'égard du feu par bataillon, c'est celui qui est exécuté par toutes les compagnies du bataillon qui tirent ensemble dans le même tems.
A ces différens feux il faut encore ajoûter le feu par rangs, qui s'exécute successivement par chacun des rangs du bataillon; & le feu roulant ou de rempart, qui se fait ordinairement dans les salves & les réjoüissances.
Pour exécuter ce dernier feu, si les troupes sont sur plusieurs rangs, l'aile droite du premier commence à tirer au signal qui lui en est donné; le feu va jusqu'à l'autre aîle, ensuite il commence par la gauche du second rang, & il vient à la droite; puis de la droite du troisieme il va à la gauche de ce même rang, & ainsi de suite des autres rangs sans interruption.
Ces différens feux peuvent être appellés réguliers, parce qu'ils s'exécutent avec regle. Il y en a un autre qu'on nomme feu de billebaude ou sans ordre, que les soldats exécutent en tirant ensemble ou séparément, à leur volonté.
Le feu de peloton, que l'ordonnance du 6 Mai 1755 établit en France, est en usage depuis longtems parmi les Hollandois: il y a quelqu'apparence que l'invention leur en est dûc, & que ce sont eux qui en ont fourni le modele aux autres nations de l'Europe qui l'ont adoptée. Quoi qu'il en soit, observons qu'on a cependant tiré autrefois en France par differentes divisions ou différentes petites parties du bataillon, qu'on appelloit pelotons; mais seulement dans des cas particuliers de retraite, d'attaques de postes, de chaussées, &c.
L'ancien feu le plus ordinaire & le plus commun, étoit le feu par rangs; c'est en effet celui qui paroît le plus simple & d'une exécution plus aisée. il a l'inconvénient que les tirs n'en peuvent être que perpendiculaires au front du bataillon. On prétend encore qu'il s'exécute rarement avec ordre, que ques précautions qu'on puisse prendre; mais c'est que rien ne se fait avec ordre à la guerre, qu'autant que les troupes y ont été long - tems exercées: car il est évident qu'on peut parvenir assez promptement à faire tirer sans consusion les troupes par rangs, sur - tout à trois ou quatre de hauteur, puisqu'on l'a fait autrefois sans inconvénient sur un plus grand nombre de rangs.
Le bataillon étant rangé sur cinq ou sur six rangs,
chacun tiroit successivement; ou bien on en faisoit
tirer deux ou trois à - la fois, ou cinq en même tems.
Voyez
Mais on a remarqué depuis, que lorsqu'il y a seulement
quatre rangs, le feu du dernier devient tres dangereux
pour le premier; c'est par cette raison que
l'ordre sur trois rangs a été proposé, comme le plus
convenable pour le feu. Voyez
Un autre inconvénient du feu par rangs, c'est qu'on ne peut que très - difficilement le rendre continuel.
En effet, si l'on suppose une troupe rangée sur
quatre rangs, & que le dernier rang tire le premier,
les autres étant genou en terre, le troisieme peut,
en se levant, tirer ensuite, puis le second, & le premier
qui, aussi - tôt après sa décharge, doit remettre
genou à terre, ainsi que le second & le troisieme,
pour laisser tirer le dernier, qui a eu le tems de recharger
pendant la durée du feu des trois autres
rangs. Mais ces derniers ne peuvent guere recharger
leurs fusils le genou à terre; parce que cette manoeuvre,
à laquelle M. le maréchal de Puysegur dit qu'on
devroit exercer les troupes, ne leur est pas enseignée
(a). Voyez
En tirant par section ou par peloton, on peut se procurer des tirs perpendiculaires ou obliques, suivant le besoin: on a d'ailleurs un feu continuel, parce que le premier peut avoir rechargé lorsque le dernier a tiré D'ailleurs ce feu s'exécutant sur un front beaucoup plus petit que celui du bataillon, paroît devoir être plus aisément réglé: il en parcourt rapidement toutes les parties, comme le feu, par rangs; mais chaque partie est successivement exposée au feu de l'ennemi pendant le tems qu'elle recharge ses armes.
Il est vrai que le front du bataillon n'y est jamais exposé tout entier, comme en tirant par rangs; mais il faut convenir qu'en revanche le feu par peloton peut être sujet, à moins qu'on n'y soit extremement exercé, à plus de confusion que celui des rangs.
Pour donner une idée plus parfaite du feu par peloton, nous mettrons sous les yeux un bataillon divisé dans ses six pelotons, rangé suivant l'ordonnance du 6 Mai 1755.
(d) Il seroit fort difficile de le faire, à cause de la longueur du fusil, & de la pression des files.
Soit A B le bataillon ainsi divisé: chaque peloton est désigné par un chiffre qui en indique le rang, & par la lettre P, renfermés l'un & l'autre dans des accolades qui joignent les extrémités des deux compagnies dont ils sont formés.
Ces pelotons sont divisés dans les deux compagnies qui les composent, & qui les partagent en deux sections.
Les chiffres renfermés dans chaque peloton, expriment les différentes compagnies du bataillon qu'il contient.
On suppose que le bataillon est à trois de hauteur, & que les rangs sont serrés à la pointe de l'épée.
Cela posé, observons d'abord que le feu de section & celui de peloton doivent commencer par le centre.
Pour exécuter ce dernier feu, le commandant du bataillon ordonne d'abord au cinquieme peloton de faire feu: alors les soldats du premier rang mettent genou en terre, ceux des deux derniers s'arrangent pour pouvoir tirer en même tems que le premier; [p. 626]
Lorsque ce peloton a fait feu, le sixieme s'arrange pour en faire de même immédiatement après; puis le troisieme & le quatrieme, deux tems (b) après que le cinquieme & le sixieme ont fait feu. Le premier & le deuxieme font également feu deux tems après que le troisieme & le quatrieme ont tiré. A l'égard des grenadiers & du piquet, ils exécutent leur feu deux tems après celui du premier & du second peloton.
On voit par - là que le feu par peloton ayant commencé par le centre, se porte ensuite successivement du centre aux ailes; mais de maniere que les pelotons à côté les uns des autres, excepté les deux du centre, ne tirent pas de suite, mais successivement un peloton de la droite & un de la gauche.
Il est bien difficile qu'une manoeuvre aussi composée & aussi variée, & qui demande autant d'attention, puisse s'exécuter sans desordre ou confusion un jour d'action: aussi prétend - on avoir remarqué, comme on le verra bientôt, que ce feu, dont l'exécution est si brillante dans les exercices, est peu dangereux un jour de combat (c)
Le feu par section s'exécute de la même maniere que celui par peloton, il commence également par le centre. La onzieme compagnie tire la premiere, puis la douzieme, ensuite la troisieme, la quatrieme, &c. Voyez l'ordonnance du 6 Mai 1755.
Le feu par rangs est d'une exécution plus simple, eu égard aux commandemens, que les deux précédens. Le premier rang, comme on l'a déjà dit ci - devant, met d'abord genou à terre, ainsi que le second & le troisieme; s'il y a quatre rangs; le quatrieme se tient debout, & tire; le troisieme se leve ensuite, & tire aussi; le second fait immédiatement après la même manoeuvre, & ensuite le premier.
Pendant le tems que ces deux derniers rangs tirent, le quatrieme & le troisieme ont le tems de recharger leurs armes, & ils peuvent recommencer à tirer immédiatement après le premier; mais le premier & le second sont obligés de recharger debout, & de suspendre, pendant le tems qu'ils y employent, le feu du bataillon.
Dans l'ancienne maniere de tirer par rangs, on évitoit cet inconvénient.
Le premier rang tiroit d'abord, & il alloit ensuite, en passant dans les files du bataillon, en gagner la queue: le deuxieme en faisoit de même, après avoir tiré; puis le troisieme & le quatrieme, &c. De cette façon, les rangs qui avoient tiré les premiers, avoient le tems de recharger leurs armes avant de se retrouver en face de l'ennemi. Nos files serrées ne permettent point cette manoeuvre; cependant lorsque l'on fait tirer les troupes dans des circonstances où elles ne peuvent pas s'aborder, on pourroit peut - être encore se servir de cette méthode sans inconvénient, sur - tout en faisant faire à - droite aux rangs qui sont derriere celui qui est en face à l'enne mi; & cela afin d'avoir plus d'espace entre les files
(a) Il y auroit peut - être plus d'avantage à faire tirer les différens rangs du peloton immédiatement les uns après les autres, parce que l'effet des coups du premier rang ne se confondroit pas avec celui des coups du second, ni l'effet de celui - ci avec celui du troisieme. Il peut arriver en faisant tire: tous les rangs à la fois, qu'un même soldat ennemi reçoive deux coups également mortels; au lieu que s'il étoit tombé du premier, le soldat qui le suit auroit reçû le second. (b) L'intervalle ou la durée d'un tems dans l'exercice est à peu - près celui d'une seconde, pendant laquelle on peut prononcer, un, deux. Voyez l'Ordonnance du 6 Mai 2755. (c) On ne peut en attribuer la cause qu'au peu d'exercice des troupes. Il paroit à la vérité que l'exécution du feu par peloton peut être susceptible de plusieurs inconvéniens, à cause des différens commandemens qui se font en même tems aux pelotons qui doivent tirer de suite; mais le grand usage doit y former les troupes insensiblement.
On faisoit aussi quelquefois passer à droite & à gauche par les ailes du bataillon, les rangs qui avoient tiré, pour les faire regagner la queue; mais cette pratique étoit défectueuse, en ce que les soldats du second rang ne pouvoient tirer que lorsque le premier avoit quitté le front du bataillon; ce qui interrompoit la continuité du feu de la troupe, & le ralentissoit.
Il y avoit encore plusieurs autres manieres de tirer, qu'on peut voir dans le maréchal de Bataille de Lostelneau, dans la pratique de la guerre du chevalier de la Valiere, &c, mais qui seroient toutes de peu d'usage aujourd'hui, parce qu'elles exigent différens mouvemens devant l'ennemi, dont l'exécution seroit très - dangereuse. En esset, ceux qui ont le plus d'expérience dans cette matiere, prétendent que tout mouvement que l'on fait à portée de l'ennemi, qui change l'ordre & l'union des différentes parties du bataillon, l'expose presque toûjours à se rompre lui - même, & à faire volte - face.
On a toûjours cherché le moyen de faire faire aux troupes un feu réglé, de maniere que les soldats bien exercés pussent l'exécuter sans confusion. Cette régularité peut produire de grands avantages. Car par elle on ne se défait que de telle partie de son feu que l'on veut, & quand on le veut; au lieu qu'en laissant tirer les soldats à leur volonté, on peut se trouver dégarni de feu dans le tems qu'il est le plus nécessaire.
Il y a cependant quelques circonstances particulieres, où le feu sans ordre peut l'emporter sur le régulier, comme lorsque des troupes sont derriere des lignes ou des retranchemens. M. de Turenne l'ordonna dans un cas pareil au siege d'Etampes en 1652.
Les troupes qui défendoient cette ville contre l'armée du roi, ayant résolu de reprendre un ouvrage dont elle s'étoit emparée le matin, & d'insulter en même tems les lignes; elles sortirent en force de la place pour cet effet. Les lignes des assiegeans étoient presque entierement dégarnies de soldats, parce que les troupes qui les gardoient avoient été se reposer dans un des fauxbourgs de la ville assez éloigné du camp, à cause de l'action du matin, qui avoit été fort vive, laquelle avoit fait présumer par cette raison, que les assiegés n'entreprendroient rien de considérable pendant la journée.
On se trouvoit tout prêt d'être attaqué lorsqu'il
Dans des cas de cette espece les soldats s'animent les uns & les autres à charger promptement & à tirer à coup sûr. L'attention n'est point distraite ou partagée par l'observation des commandemens pour tirer. Chacun le fait de son mieux, & ne le fait guere alors inutilement. Aussi M. Bottée dit - il que les Allemands craignent plus notre feu confus que notre feu ordonné. La raison qu'il en donne, c'est que le défaut d'exercice rend ce dernier défectueux, au lieu que dans l'autre un nombre de bons soldats tirent avec dessein & avec attention.
Il tire de - là cette conséquence, que si nos soldats étoient bien disciplinés à cet égard, ils apporteroient en tirant avec ordre, la même attention que lorsqu'ils le font sans ordre. Alors le feu régulier se<pb-> [p. 627]
Mais pour cet effet, il faut que le feu régulier soit si simple, que les soldats puissent, pour ainsi dire, l'exécuter d'eux - mêmes, & avec très - peu de formalités; c'est ce qui n'est pas facile à trouver. Ce point si important de fait militaire exige encore bien des tentatives & des expériences des officiers les plus consommés dans la pratique de la guerre.
Quel que soit le feu qu'on adopte, comme il est une des principales défenses de l'infanterie, elle ne sauroit trop y être exercée, non - seulement pour tirer avec vîtesse, mais encore en ajustant, sans quoi l'effet n'en est pas fort important. L'expérience des batailles de la guerre de 1733 & de 1741, dit M. de Rostaing, dans un mémoire manuserit sur l'essai de la légion, ne nous a pas convaincu, que le feu des Autrichiens & des Hollandois fût excessivement formidable (a) ; & j ai oui dire, ajoûte cet habile officier (que nous venons de perdre) à un de nos généraux de la plus grande distinction, dont je supprime le nom par respect, qu'après la bataille de Czaslau gagnée par le roi de Prusse en 1742, la ligne d'infanterie des Prussiens étoit marquée par un tas prodigieux de cartouches, lequel auroit fait présumer la destruction totale de l'infanterie autrichienne, de laquelle cependant il y eut à peine deuxmille hommes de tues ou blessés.
C'est que les soldats Prussiens n'avoient point encore acquis alors cette justesse dans leur feu, qu'on assûre qu'ils ont aujourd'hui, & qui égale la promptitude avec laquelle il, l'exécutent. On sait qu'ils peuvent tirer aisément six coups par minute, même en suivant les tems de leur exercice.
C'est un fait constant, dit M. le maréchal de
Puységur, que le plus grand feu fait taire celui qui
l'est moins; que si, par exemple,
Un problème assez intéressant qu'on pourroit proposer sur cette matiere, seroit de déterminer lequel est le plus avantageux de combattre de loin à coups de fusil, ou de près à l'arme blanche, c'est - à - dire la bayonnette au bout du fusil.
Sans vouloir entrer dans tout le détail dont cette
question est susceptible, nous observerons seulement
que les anciens avoient leurs armes de jet,
qui répondoient à - peu - près à l'effet de nos fusils;
mais qu'ils ne s'en servoient que pour offenser l'ennemi
d'aussi loin qu'ils le pouvoient, en avançant
pour le combattre de près. Lorsqu'on étoit parvenu
à se joindre, ce qu'on faisoit toûjours, on combattoit
uniquement avec les armes blanches, c'est - à - dire avec l'épée & les autres armes en usage alors.
Voyez
(a) Ces troupes exécutent leur feu par peloton.
C'étoit l'ancienne pratique des troupes de France,
& suivant M. de Folard,
Quoique l'expérience & le sentiment des plus habiles
militaires concourent à démontrer le principe
de M. de Folard à cet égard, il ne s'ensuit pas de - là
qu'on doive négliger le feu.
Rien de plus sensé & de plus judicieux que ces préceptes de l'illustre maréchal que nous venons de nommer. C'est ainsi que les Romains adopterent avec beaucoup de sagesse, tout ce qu'ils trouverent de bon dans la maniere de combattre & de s'armer de leurs ennemis; & cette pratique, qui fait tant d'honneur à leur discernement, ne contribua pas peu à leur faire surmonter des nations plus nombreuses & aussi braves, & à les rendre les maîtres de la terre.
Quoiqu'il paroisse décidé par les autorités précédentes, que lorsqu'une troupe d'infanterie françoise combat une autre troupe, & qu'elle peut la joindre, elle doit l'aborder sans hésiter; on croit néanmoins qu'il y a des circonstances particulieres où il ne seroit pas prudent de le faire.
Supposons, par exemple, qu'un général commande des troupes peu aguerries & peu exercées, ou qui n'ayent point encore vû l'ennemi. S'il vout les faire approcher pour combattre à l'arme blanche, il est à craindre que la présence de l'ennemi ne les trouble, & qu'elle ne les mette en desordre. Au lieu qu'en les mettant en état d'exécuter leur feu, sans pouvoir être abordées, le danger, quoique plus grand qu'en le joignant la bayonnette au bout du fusil, leur paroîtra plus éloigné, & par cette
(a) L'auteur des Sentimens d'un homme de guerre fur la colonne de M. de Folard, tient à - peu - près le même langage que M. de Puységur.[p. 628]« Il est très - certain, dit cet auteur, premierement que dans un terrein libre il dépend toûjours de celui à qui l'envie en prend, de combattre de loin & de près, tout comme il le trouve à propos; secondement que celui qui ne voudroit que combattre de loin n'en est jamais le maitre; son ennemi lui donne l'ordre; s'il refuse d'y obéir il faut céder. S'il obéit sans être préparé, il est maltraité: en un mot, d'une maniere ou d'autre il est puni, soit pour cause de desobéissance, soit pour cause d'imprudence; & il le mérite ».
De cette maniere en général, pour accoûtumer
insensiblement de nouvelles troupes à envisager
l'ennemi avec moins de crainte lorsqu'elles y seront
une fois parvenues, il sera fort aisé de leur faire
comprendre qu'en marchant résolument à l'ennemi
pour le charger la bayonnette au bout du fusil, le
danger durera bien moins de tems qu'en restant exposé
à son feu, & en tiraillant les uns contre les autres.
Car lorsqu'on marche avec fermeté pour tomber
sur une troupe, il arrive rarement qu'elle attende
pour se retirer, qu'elle soit chargée la bayonnette
au bout du fusil. On prétend au moins qu'il y
a peu d'exemple du contraire. Il y a même des officiers
qui ont beaucoup de pratique de la guerre, &
qui doutent qu'il y en ait aucun; M. le maréchal de
Puységur assûroit cependant l'avoir vû une fois. On
peut conclure de - là que le choc de pié ferme de
deux troupes d'infanterie dans un combat est un
évenement si peu commun à la guerre, qu'on peut
presque assûrer qu'il n'arrive jamais. C'est aussi ce
que dit sur ce sujet l'auteur des Sentimens d'un homme
de guerre sur la colonne de M. de Folard:
Lorsqu'un bataillon marche pour en attaquer un autre, doit - il essuyer le feu du bataillon ennemi, & le joindre, ou, pour mieux dire, chercher à le joindre sans tirer? Cette question n'est pas un problème à resoudre dans la milice françoise.
L'usage constant des troupes de France est d'essuyer le feu de l'ennemi, & de tomber ensuite dessus sans tirer. Les évenemens heureux qui suivent presque toûjours cette pratique, comme on vient de le voir précédemment, semblent en démontrer la bonté. Cependant les autres peuples de l'Europe ne l'ont point encore adoptée J. c'est apparemment que leurs troupes ne vont point à l'abordage avec la même impétuosité & la même ardeur que le François; car si tout étoit égal de part & d'autre, il est certain qu'il y auroit un desavantage considérable à essuyer les décharges de l'ennemi en s'approchant pour le combattre, sans faire usage de son feu.
En effet, supposons deux troupes d'infanterie, ou deux bataillons, composés chacun de soldats également braves & disciplinés, & que l'un arrive fierement sur l'autre sans tirer, tandis que celui - ci lui fait successivement essuyer, dès qu'il est à portée, le feu de ses différens rangs, & cela avec fermeté, sans se troubler & en ajustant bien; peut - on douter que le bataillon assaillant qui a souffert plusieurs décharges, ne soit dans un plus grand desordre, & un plus grand état de foiblesse que l'autre? Comme on suppose que les soldats de ce dernier bataillon ne s'étonnent point, qu'ils savent les pertes que leur feu a dû faire souffrir à l'ennemi, & la supériorité qu'il a dû par conséquent leur donner; il paroît évident que dans ces circonstances le bataillon qui a tiré, doit l'emporter sur celui qui a été plus ménagé de son feu: s'il en arrive autrement, c'est que les soldats ne sont point assez exercés, qu'on ne leur fait pas sentir, comme on le devroit, le dommage que des
Il suit de - là que si l'on attaquoit des troupes également fermes & aguerries, il seroit très - important de se servir de son feu en allant à l'abordage. C'est le sentiment de M. le marquis de Santa - Crux.
Si dès que vous êtes à portée de tirer sur les ennemis,
vous ne le faites pas, dit ce savant auteur,
M. de Santa - Crux confirme ce raisonnement par un exemple qu'il rapporte de l'attaque des lignes de Turin, au dernier siége de cette ville en 1706.
Lorsque les Impériaux voulurent forcer ces lignes,
ils furent d'abord repoussés par les décharges qu'on
leur fit essuyer:
Cet exemple, quoique d'une espece un peu différente
de celle de deux troupes d'infanterie qui se
chargent en plaine ou en terrein uni, prouve au
moins l'impression que fait sur les troupes le feu qui
précede le moment où elles peuvent se joindre ou
s'aborder; car à l'égard de celles qui sont derriere
des lignes ou des retranchemens, personne n'ignore
qu'elles doivent faire le plus grand feu qu'il est possible,
lorsque l'ennemi est une fois parvenu à la portée
du fusil; c'est même pour l'y exposer plus longtems
qu'on fait des avant - fossés, des puits, &c. Voy.
En supposant les troupes d'infanterie à quatre de hauteur, comme elles l'étoient dans la guerre de 1701, & dans les deux dernieres guerres, M. de Santa - Crux propose de les faire tirer par rang, mais en faisant une espece de feu roulant par demi - rang de compagnie. Le premier demi - rang de la premiere compagnie à droite ou à gauche, doit d'abord commencer à faire feu; les premiers demi - rangs de chaque compagnie en font successivement de même, en suivant tout le front de la ligne; le second rang fait ensuite la même manoeuvre, puis le troisieme & le quatrieme.
Cet auteur pense aussi, comme beaucoup d'autres habiles militaires, qu'il faut dans un combat [p. 629]
Lorsqu'il s'agit de faire feu, les officiers doivent
C'est pour éviter cet inconvénient, que les rangs
pour tirer doivent s'emboîter, pour ainsi dire, les
uns dans les autres. Voyez
Le savant militaire que nous venons de citer, propose
pour rendre le feu des ennemis moins dangereux,
de faire mettre genou à terre à toute la troupe
qui est à portée de l'essuyer, & cela lorsqu'on voit
qu'ils mettent en joue. Cet expédient peut rendre
inutile un grand nombre de leurs coups, parce qu'il
n'y a plus guere que la moitié du corps qui y soit exposée,
& que d'ailleurs le défaut des soldats est de
tirer presque toûjours trop haut. Il est clair que pour
se placer ainsi, il faut que les ennemis soient assez
éloignés, pour qu'on ait le tems de se relever avant
de pouvoir en être joint. Cet auteur rapporte à ce
sujet, que le chevalier d'Alsfeld ayant attaqué auprès
de Saint - Etienne de Liter
Ce même expédient a été pratiqué dans plusieurs autres occasions, avec le même succès.
Au lieu de faire mettre genou en terre aux troupes, on pourroit les garantir encore davancage du feu de l'ennemi, en leur faisant mettre ventre à terre: mais il ne seroit pas sûr de l'ordonner à celles dont la bravoure ne seroit pas parfaitement reconnue; parce qu'il pourroit arriver qu'on eût ensuite quelque difficulté à les faire relever.
Lorsqu'un bataillon fait usage de son feu sur un bataillon ennemi, & que les deux troupes ne sont au plus qu'à la demi - portée du fusil, les soldats doivent s'appliquer à tirer au ventre de ceux qui leur sont opposés; & si on les fait tirer sur une trcupe de cavalerie, au poitral des chevaux.
M. de Santa - Crux prétend que les Hollandois, pour tirer, appuient la crosse du fusil au milieu de l'estomac, afin d'être forcés par cette posture à tirer bas; & il observe que cette maniere de tirer, qui ne doit point être imitée parce qu'elle est très - incommode, & qu'elle ne permet guere d'ajuster le coup, fait voir au moins que cette nation a parfaitement compris que le défaut ordinaire des soldats est de tirer trop haut, & qu'elle a cherché le moyen d'y remédier. Si elle ne l'a point fait avec succès, les autres nations peuvent le faire plus heureusement. Cette découverte paroît mériter l'attention des militaires les plus appliqués à leur métier.
Jusqu'ici nous n'avons parlé que du feu de l'infanterie: il s'agit de dire à - présent un mot de celui de la cavalerie.
Suivant M. de Folard, le feu de la cavalerie est moins que rien, l'avantage du cavalier ne consistant que dans son épée de bonne longueur.
Cette décision de l'habile commentateur de Polybe est sans doute trop rigoureuse: car il y a beaucoup d'occasions où le feu de la cavalerie est très utile. Il est vrai que les coups tirés à cheval ne s'ajustent pas avec la même facilité que ceux que l'on tire à pié; mais dans des marches où la cavalerie se trou<cb->
M. le maréchal de Puységur pense sur ce sujet autrement
que le savant auteur espagnol:
A l'égard de la maniere de charger, voici, dit cet illustre auteur, ce que j'ai vû & ce que j'ai reconnu être très - facile à pratiquer.
Quant à l'inconvénient qu'on prétend qui résulte
du bruit des armes à feu, par rapport au mouvement
qu'il cause parmi les chevaux de l'escadron, M. de
Puységur y répond, en faisant observer
De toutes ces raisons, il s'ensuit que conformément à ce qui a déjà été remarqué sur le feu de l'infanterie, toutes les fois qu'on approche de l'ennemi pour le combattre, il faut toûjours lui faire tout le mal possible avant de le joindre; comme lorsque la cavalerie s'avance pour charger, il n'y a que le premier rang qui puisse tirer; il ne doit faire sa décharge, comme M. de Puységur l'a vû pratiquer, que lorsqu'il est au moment de tomber sur l'ennemi: mais si les troupes de cavalerie ne peuvent se joindre, chaque rang peut alors tirer successivement en défilant à droite & à gauche de l'escadron, après avoir tiré, pour aller se reformer derriere les autres rangs.
Les cavaliers & les dragons armés de carabines, & que pour cet effet on appelle carabiniers, ayant des armes dont la portée est plus grande que celle du fusil & du mousqueton, doivent en faire usage sur l'ennemi dès qu'il peut être atteint: c'est - à - dire, suivant M. de Santa - Crux, depuis que les ennemis sont à la distance d'environ douze cents piés ou deux cents toises, jusqu'à ce qu'ils arrivent à la portée des fusils ordinaires qu'il évalue à huit cents piés: pendant que l'ennemi parcourt cet espace, les carabiniers de cavalerie & de dragons ont le tems, dit cet auteur, de pouvoir à l'aise assûrer leurs armes dans le porte - fusil ou porte - mousqueton.
La distance de huit cents piés ou de cent trente toises, que M. de Santa - Crux donne à la portée du fusil, paroît être tirée des auteurs qui ont écrit sur la fortification, lesquels presque tous fixent leur ligne de défense de cette quantité, pour la rendre égale à la portée du fusil de but en blanc.
Dans la guerre des siéges on ne peut guere faire usage que de cette portée, au moins dans le feu des flancs; parce qu'autrement l'effet en seroit trop incertain: mais seroit - ce la même chose dans la guerre de campagne? C'est un point qui n'a pas encore été examiné, & qui semble néanmoins mériter de l'être.
Il est évident que si le fusil porte cent vingt ou cent trente toises de but en blanc, tiré à - peu - près horisontalement, sa portée sera plus grande sous un angle d'élévation, comme de douze ou quinze degrés, & qu'elle augmentera jusqu'à ce que cet angle soit de quarante - cinq degrés.
Le canon dont la portée de but en blanc n'est guere que de trois cents toises, porte son boulet, étant tiré à toute volée, depuis 1500 toises jusqu'à deux mille & plus. On convient que l'effet du fusil tiré de cette maniere ne seroit nullement dangereux, parce que la balle, eu égard à son peu de grosseur, perd plûtôt son mouvement que le boulet de canon: mais on pourroit éprouver la force & la portée de la balle sous des angles au - dessous de quarante - cinq degrés, comme de douze, quinze, ou vingt degrés; & alors on verroit si l'on peut faire usage du fusil à une plus grande distance que celle de cent vingt ou cent trente toises.
Comme toutes les choses qui peuvent nous procurer des connoissances sur les effets & les propriétés des armes dont nous nous servons à la guerre, ne peuvent être regardées comme indifférentes; on croit que les expériences qu'on vient de proposer, qui ne sont ni difficiles ni dispendieuses, méritent d'être exécutées.
En supposant qu'elles fassent voir, comme il y a beaucoup d'apparence, que le fusil tiré à - peu - près sous un angle de quinze degrés, peut endommager l'ennemi à la distance de trois cents toises, & au - delà, on pourra dire qu'il sera fort difficile de faire tirer le soldat de cette maniere: d'autant plus qu'au<cb->
Mais quand il y auroit des difficultés insurmontables à faire tirer le soldat à la distance de trois cents toises, lorsqu'il s'avance vers l'ennemi pour le combattre, ne seroit - il pas toûjours très - avantageux de pouvoir faire usage de la mousqueterie à cette distance, lorsqu'on est derriere des retranchemens dans un chemin - couvert? &c. C'est aux maîtres de l'art à le décider.
Nous n'avons parlé jusque ici que du feu de la mousqueterie; il s'agiroit d'entrer dans quelques détails sur celui de l'artillerie, c'est - à - dire sur celui du canon & des bombes: mais pour ne pas trop alonger cet article, nous observerons seulement à cet égard que ce feu qui inquiete toûjours beaucoup le soldat ne doit point être négligé; qu'une armée ou un détachement ne sauroit exécuter aucune opération importante sans canon; & qu'il seroit peut - être fort utile qu'à l'imitation de plusieurs nations de l'Europe, chaque bataillon eût toûjours avec lui quelques petites pieces d'artillerie dont il pût se servir dans toutes les occasions.
Comme le feu du canon agit de très - loin, personne n'a pensé qu'il fallût l'essuyer sans y répondre: le seul moyen d'en diminuer l'activité est d'en faire un plus grand, si l'on peut. Les tirs dans une bataille doivent être toûjours obliques au front de l'armée ennemie, afin d'en parcourir une plus grande partie. Les plus avantageux sont ceux qui sont perpendiculaires aux aîles ou aux flancs de l'armée; mais un ennemi un peu intelligent a grand soin d'éviter que ses flancs soient ainsi exposés au canon de son adversaire.
La maniere la plus convenable de tirer le canon,
lorsque l'on n'est guere qu'à la distance de cinq ou
six cents toises de l'ennemi, est à ricochet. Voyez
M. de Folard prétend que le feu du canon n'est redoutable
que contre les corps qui restent fixes, sans
mouvement & action; ce qu'il dit avoir observé
dans plusieurs affaires,
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