ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"627"> roit sans difficulté dans toute occasion présérable au feu confus ou irrégulier; ce qui paroît évident.

Mais pour cet effet, il faut que le feu régulier soit si simple, que les soldats puissent, pour ainsi dire, l'exécuter d'eux - mêmes, & avec très - peu de formalités; c'est ce qui n'est pas facile à trouver. Ce point si important de fait militaire exige encore bien des tentatives & des expériences des officiers les plus consommés dans la pratique de la guerre.

Quel que soit le feu qu'on adopte, comme il est une des principales défenses de l'infanterie, elle ne sauroit trop y être exercée, non - seulement pour tirer avec vîtesse, mais encore en ajustant, sans quoi l'effet n'en est pas fort important. L'expérience des batailles de la guerre de 1733 & de 1741, dit M. de Rostaing, dans un mémoire manuserit sur l'essai de la légion, ne nous a pas convaincu, que le feu des Autrichiens & des Hollandois fût excessivement formidable (a) ; & j ai oui dire, ajoûte cet habile officier (que nous venons de perdre) à un de nos généraux de la plus grande distinction, dont je supprime le nom par respect, qu'après la bataille de Czaslau gagnée par le roi de Prusse en 1742, la ligne d'infanterie des Prussiens étoit marquée par un tas prodigieux de cartouches, lequel auroit fait présumer la destruction totale de l'infanterie autrichienne, de laquelle cependant il y eut à peine deuxmille hommes de tues ou blessés.

C'est que les soldats Prussiens n'avoient point encore acquis alors cette justesse dans leur feu, qu'on assûre qu'ils ont aujourd'hui, & qui égale la promptitude avec laquelle il, l'exécutent. On sait qu'ils peuvent tirer aisément six coups par minute, même en suivant les tems de leur exercice.

C'est un fait constant, dit M. le maréchal de Puységur, que le plus grand feu fait taire celui qui l'est moins; que si, par exemple, « huit mille hommes font feu contre six mille, qui tirent aussi vîte les uns que les autres, & qu'ils soient à bonne portée, & également à découvert, les huit mille en peu de tems détruiront les six mille. Mais si les huit mille sont plus long - tems à charger leur armes, qu'ils ne soient pas exercés à tirer bien juste, comme on voit des bataillons faire des décharges de toutes leurs armes contre d'autres, sans pourtant voir tomber personne, je jugerai pour lors que les six mille hommes pourroient l'emporter sur les huit mille.» Art de la guerre.

Un problème assez intéressant qu'on pourroit proposer sur cette matiere, seroit de déterminer lequel est le plus avantageux de combattre de loin à coups de fusil, ou de près à l'arme blanche, c'est - à - dire la bayonnette au bout du fusil.

Sans vouloir entrer dans tout le détail dont cette question est susceptible, nous observerons seulement que les anciens avoient leurs armes de jet, qui répondoient à - peu - près à l'effet de nos fusils; mais qu'ils ne s'en servoient que pour offenser l'ennemi d'aussi loin qu'ils le pouvoient, en avançant pour le combattre de près. Lorsqu'on étoit parvenu à se joindre, ce qu'on faisoit toûjours, on combattoit uniquement avec les armes blanches, c'est - à - dire avec l'épée & les autres armes en usage alors. Voyez Armes. Cette méthode est en effet celle qui paroît la plus naturelle. Car, comme ledit Montecuculi, « la fin des armes offensives est d'attaquer l'ennemi & de le battre incessamment depuis qu'on le découvre jusqu'à ce qu'on l'ait entierement défait: à mesure qu'on s'en approche, la tempête des coups doit redoubler; d'abord de loin avec le canon; ensuite de plus près avec le mousquet, & successivement avec les carabines, les pistolets, les lances, les piques, les épées, & par le choc même des troupes

(a) Ces troupes exécutent leur feu par peloton.

C'étoit l'ancienne pratique des troupes de France, & suivant M. de Folard, « celle qui convient le mieux au caractere de la nation, dont tout l'avantage consiste dans sa premiere ardeur. Vouloir la retenir, dit cet auteur, par une prudence mal entendue, c'est une vraie poltronnerie; c'est tromper les soldats & leur couper les bras & les jambes. Ceux qui la font combattre de loin dans les actions de rase campagne, ne la connoissent pas, & s'ils sont battus, ils méritent de l'étre. Il faut, continue ce même auteur, laisser aux Hollandois, comme plus flegmatiques, leurs pelotons, & prendre toute maniere de combattre qui nous porte à l'action & à joindre l'ennemi Traité de la colonne, par M. le chevalier de Folard.

Quoique l'expérience & le sentiment des plus habiles militaires concourent à démontrer le principe de M. de Folard à cet égard, il ne s'ensuit pas de - là qu'on doive négliger le feu. « Tant que la situation des lieux où vous combattez, dit M. le maréchal de Puysegur, peut vous permettre d'en venir aux mains, il faut le faire, & préférer cette façon de combattre à toute autre. Mais comme l'ennemi vous contrarie, ajoute - t - il, avec beaucoup de raison, s'il se croit supérieur par les armes à feu, il cherchera les moyens d'éviter les combats en plaine; & si vous voulez l'attaquer, vous serez souvent contraint de le faire dans des postes, où les armes à feu seront nécessaires avant d'en pouvoir venir aux coups de main. (a) C'est pourquoi il est très important d'exercer le soldat à savoir faire usage de toutes les sortes d'armes dont il doit se servir. Il faut tâcher de se rendre supérieur en tout aux ennemis que l'on peut avoir à combattre, & ne rien négliger pour cela; s'informant chez les nations étrangeres comment ils instruisent leurs troupes, pour prendre d'elles ce qui aura été reconnu meilleur que ce que nous pratiquons

Rien de plus sensé & de plus judicieux que ces préceptes de l'illustre maréchal que nous venons de nommer. C'est ainsi que les Romains adopterent avec beaucoup de sagesse, tout ce qu'ils trouverent de bon dans la maniere de combattre & de s'armer de leurs ennemis; & cette pratique, qui fait tant d'honneur à leur discernement, ne contribua pas peu à leur faire surmonter des nations plus nombreuses & aussi braves, & à les rendre les maîtres de la terre.

Quoiqu'il paroisse décidé par les autorités précédentes, que lorsqu'une troupe d'infanterie françoise combat une autre troupe, & qu'elle peut la joindre, elle doit l'aborder sans hésiter; on croit néanmoins qu'il y a des circonstances particulieres où il ne seroit pas prudent de le faire.

Supposons, par exemple, qu'un général commande des troupes peu aguerries & peu exercées, ou qui n'ayent point encore vû l'ennemi. S'il vout les faire approcher pour combattre à l'arme blanche, il est à craindre que la présence de l'ennemi ne les trouble, & qu'elle ne les mette en desordre. Au lieu qu'en les mettant en état d'exécuter leur feu, sans pouvoir être abordées, le danger, quoique plus grand qu'en le joignant la bayonnette au bout du fusil, leur paroîtra plus éloigné, & par cette

(a) L'auteur des Sentimens d'un homme de guerre fur la colonne de M. de Folard, tient à - peu - près le même langage que M. de Puységur. « Il est très - certain, dit cet auteur, premierement que dans un terrein libre il dépend toûjours de celui à qui l'envie en prend, de combattre de loin & de près, tout comme il le trouve à propos; secondement que celui qui ne voudroit que combattre de loin n'en est jamais le maitre; son ennemi lui donne l'ordre; s'il refuse d'y obéir il faut céder. S'il obéit sans être préparé, il est maltraité: en un mot, d'une maniere ou d'autre il est puni, soit pour cause de desobéissance, soit pour cause d'imprudence; & il le mérite ».
[p. 628] considération elles en seront moins effrayées, & moins disposées à fuir. D'ailleurs il est alors plus aisé de les contenir, que si l'ennemi paroissoit prêt à tomber sur elles.

De cette maniere en général, pour accoûtumer insensiblement de nouvelles troupes à envisager l'ennemi avec moins de crainte lorsqu'elles y seront une fois parvenues, il sera fort aisé de leur faire comprendre qu'en marchant résolument à l'ennemi pour le charger la bayonnette au bout du fusil, le danger durera bien moins de tems qu'en restant exposé à son feu, & en tiraillant les uns contre les autres. Car lorsqu'on marche avec fermeté pour tomber sur une troupe, il arrive rarement qu'elle attende pour se retirer, qu'elle soit chargée la bayonnette au bout du fusil. On prétend au moins qu'il y a peu d'exemple du contraire. Il y a même des officiers qui ont beaucoup de pratique de la guerre, & qui doutent qu'il y en ait aucun; M. le maréchal de Puységur assûroit cependant l'avoir vû une fois. On peut conclure de - là que le choc de pié ferme de deux troupes d'infanterie dans un combat est un évenement si peu commun à la guerre, qu'on peut presque assûrer qu'il n'arrive jamais. C'est aussi ce que dit sur ce sujet l'auteur des Sentimens d'un homme de guerre sur la colonne de M. de Folard: « lorsqu'un bataillon voit qu'un autre s'avance pour l'attaquer, le soldat étonné de l'intrépidité avec laquelle son ennemi lui vient au - devant, le tiraille, ajuste mal son coup, & tire, pour la plûpart, en l'air. Le feu auquel il avoit mis sa principale confiance n'arrête pas son ennemi, & qui pis est, il n'est plus tems de recharger. La bayonnette qui lui reste ne sauroit le rassûrer; le trouble augmente, il fait volte - face, & quitte ainsi la partie. S'il en arrive autrement, c'est chose rare, & peut - être même hors d'exemple

Lorsqu'un bataillon marche pour en attaquer un autre, doit - il essuyer le feu du bataillon ennemi, & le joindre, ou, pour mieux dire, chercher à le joindre sans tirer? Cette question n'est pas un problème à resoudre dans la milice françoise.

L'usage constant des troupes de France est d'essuyer le feu de l'ennemi, & de tomber ensuite dessus sans tirer. Les évenemens heureux qui suivent presque toûjours cette pratique, comme on vient de le voir précédemment, semblent en démontrer la bonté. Cependant les autres peuples de l'Europe ne l'ont point encore adoptée J. c'est apparemment que leurs troupes ne vont point à l'abordage avec la même impétuosité & la même ardeur que le François; car si tout étoit égal de part & d'autre, il est certain qu'il y auroit un desavantage considérable à essuyer les décharges de l'ennemi en s'approchant pour le combattre, sans faire usage de son feu.

En effet, supposons deux troupes d'infanterie, ou deux bataillons, composés chacun de soldats également braves & disciplinés, & que l'un arrive fierement sur l'autre sans tirer, tandis que celui - ci lui fait successivement essuyer, dès qu'il est à portée, le feu de ses différens rangs, & cela avec fermeté, sans se troubler & en ajustant bien; peut - on douter que le bataillon assaillant qui a souffert plusieurs décharges, ne soit dans un plus grand desordre, & un plus grand état de foiblesse que l'autre? Comme on suppose que les soldats de ce dernier bataillon ne s'étonnent point, qu'ils savent les pertes que leur feu a dû faire souffrir à l'ennemi, & la supériorité qu'il a dû par conséquent leur donner; il paroît évident que dans ces circonstances le bataillon qui a tiré, doit l'emporter sur celui qui a été plus ménagé de son feu: s'il en arrive autrement, c'est que les soldats ne sont point assez exercés, qu'on ne leur fait pas sentir, comme on le devroit, le dommage que des décharges faites avec attention & justesse doivent causer à l'ennemi. Dans cet état il n'est pas étonnant que la frayeur s'empare de leur esprit, & qu'elle les porte à faire volte - face, comme on vient de le dire ci - devant. C'est pourquoi les succès de la méthode d'aborder l'ennemi sans tirer, ne prouvent point que cette méthode soit la meilleure; mais seulement que les troupes contre lesquelles elle a réussi avoient peu de fermeté, qu'elles mettoient uniquement leur confiance dans leur feu, & qu'elles n'étoient point suffisamment exercées.

Il suit de - là que si l'on attaquoit des troupes également fermes & aguerries, il seroit très - important de se servir de son feu en allant à l'abordage. C'est le sentiment de M. le marquis de Santa - Crux.

Si dès que vous êtes à portée de tirer sur les ennemis, vous ne le faites pas, dit ce savant auteur, « vous vous privez de l'avantage d'en tuer plusieurs & d'en intimider plusieurs autres par le sifflement des balles & par le spectacle de leurs camarades morts ou blessés: vous ne profitez pas de l'effet, continue - t - il, que cette frayeur & ce spectacle auroient fait sur les ennemis, & principalement sur leurs hommes de recrue & leurs nouveaux soldats qui sont plus troublés par le danger, & ayant leurs mains & leurs armes aussi tremblantes que leur pouls est agité, tireront aussi - tôt vers le ciel que vers la terre; au lieu que n'étant point encore effrayés par aucune perte, ils coucheront en joue avec moins de trouble, & vous aborderont ensuite avec l'arme blanche, lorsque par leur feu votre armée sera déjà beaucoup diminuée & intimidée ».

M. de Santa - Crux confirme ce raisonnement par un exemple qu'il rapporte de l'attaque des lignes de Turin, au dernier siége de cette ville en 1706.

Lorsque les Impériaux voulurent forcer ces lignes, ils furent d'abord repoussés par les décharges qu'on leur fit essuyer: « mais lorsque peu après Victor Amedée roi de Sardaigne, le prince Eugene de Savoie, & le prince d'Anhalt, eurent par leurs paroles & par leurs exemples rallié ces mêmes troupes, on donna ordre aux troupes françoises (qui défendoient les lignes) de reserver leur feu, & de ne tirer qu'à brûle - pourpoint. Dans cette seconde attaque, les Allemands n'ayant eu que ce seul feu à essuyer, aborderent avec toutes leurs forces, & sans avoir le tems de refléchir sur le danger, ils franchirent en un instant le retranchement ».

Cet exemple, quoique d'une espece un peu différente de celle de deux troupes d'infanterie qui se chargent en plaine ou en terrein uni, prouve au moins l'impression que fait sur les troupes le feu qui précede le moment où elles peuvent se joindre ou s'aborder; car à l'égard de celles qui sont derriere des lignes ou des retranchemens, personne n'ignore qu'elles doivent faire le plus grand feu qu'il est possible, lorsque l'ennemi est une fois parvenu à la portée du fusil; c'est même pour l'y exposer plus longtems qu'on fait des avant - fossés, des puits, &c. Voy. Lignes.

En supposant les troupes d'infanterie à quatre de hauteur, comme elles l'étoient dans la guerre de 1701, & dans les deux dernieres guerres, M. de Santa - Crux propose de les faire tirer par rang, mais en faisant une espece de feu roulant par demi - rang de compagnie. Le premier demi - rang de la premiere compagnie à droite ou à gauche, doit d'abord commencer à faire feu; les premiers demi - rangs de chaque compagnie en font successivement de même, en suivant tout le front de la ligne; le second rang fait ensuite la même manoeuvre, puis le troisieme & le quatrieme.

Cet auteur pense aussi, comme beaucoup d'autres habiles militaires, qu'il faut dans un combat

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