ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"573"> mes continuent leurs éjaculations, & les hommes donnent les mêmes marques de douleur qu'au jour de la mort de ceux dont ils viennent de lever les tristes restes: & ce second acte est suivi d'un festin dans chaque cabane, en l'honneur des morts de sa famille.

Les jours suivans on en fait de publics, accompagnés de danses, de jeux, de combats, pour lesquels il y a des prix proposés. De tems en tems on jette de certains cris, qui s'appellent les cris des ames. On fait des piésens aux étrangers, parmi lesquels il y en a quelquefois qui sont envoyés à 150 lieues, & on en reçoit d'eux. On profite même de ces occasions pour traiter des affaires communes, ou de l'élection d'un chef ... Tout, jusqu'aux danses, y respire je ne sai quoi de lugubre, & on y sent des coeurs percés de la plus vive douleur. ... Au bout de quelques jours on se rend encore processionnellement dans une grande salle du conseil, dressée exprès; on y suspend contre les parois, les ossemens & les cadavres, dans le même état où on les a tirés du cimetiere; on y étale les présens destinés pour les morts. Si parmi ces tristes restes il se trouve ceux d'un chef, son successeur donne un grand repas en son nom, & chante sa chanson. En plusieurs endroits les corps sont promenés de bourgade en bourgade, & reçûs par - tout avec de grandes démonstrations de douleur & de tendresse. Par - tout on leur fait des présens, & on les porte enfin à l'endroit où ils doivent être déposés pour toûjours. ... Toutes ces marches se font au son des instrumens, accompagné des plus belles voix, & chacun y marche en cadence.

La derniere & commune sépulture est une grande fosse qu'on tapisse des plus belles pelleteries & de ce qu'on a de plus précieux. Les présens destinés pour les morts, sont placés à part. A mesure que la procession arrive, chaque famille s'arrange sur des especes d'échafauds dressés autour de la fosse; & au moment que les corps sont déposés, les femmes recommencent à crier & à pleurer; ensuite tous les assistans descendent dans la fosse, & il n'est personne qui n'en prenne un peu de terre, qui se conserve précieusement. Ils s'imaginent que cette terre porte bonheur au jeu. Les corps & les ossemens sont arrangés par ordre, couverts de fourrares toutes neuves, & par - dessus d'écorces, sur lesquelles on jette des pierres, du bois & de la terre. Chacun se retire ensuite chez soi, &c.».

Fête de l (Page 6:573)

Fête de l'O ou des O, (Théol.) que l'on appelle autrement la fête de l'attente des couches de la Vierge. Elie fut établie en Espagne au dixieme concile de Tolede, tenu en 656 sous le regne de Recesuinde, roi des Wisigoths alors maîtres de l'Espagne, & du tems de S. Eugene III. évêque de Tolede. On y ordonna que la fête de l'Annonciation de N. D. & de l'Incarnation du Verbe divin, se célébreroit huit jours avant Noël; parce que le 25 de Mars, auquel ces mysteres ont été accomplis, arrive ordinairement en carême, & assez souvent dans la semaine de la Passion & dans la solennité de Pâque, où l'Eglise est occupée d'autres objets & de cérémonies différentes. Saint Ildephonse, successeur d'Eugene, confirma cet établissement, & ordonna que cette fête seroit aussi appellée de l'attente des couches de N. D. On lui donna encore le nom de fête des O ou de l'O, parce que durant cette octave on chante après le cantique Magnisicat, chaque jour, une antienne solennelle qui commence par O, qui est une exclamation de joie & de desir, comme O Adonaï! O rex gentium! O radix Jesse! O clavis David! &c.

Dans l'église de Rome & dans celle de France, il n'y a point de fête particuliere sous ce nom; mais depuis le 15 Décembre jusqu'au 23 inclusivement, on y chante tous les jours à vêpres, au son des cloches, une de ces antiennes.

Fête des Anes (Page 6:573)

Fête des Anes, (Hist. mod.) cérémonie qu'on faisoit anciennement dans l'église cathédrale de Roüen le jour de Noël. C'étoit une procession où certains ecclésiastiques choisis représentoient les prophetes de l'ancien Testament qui avoient prédit la naissance du Messie, Balaam y paroissoit monté sur une ânesse, & c'est ce qui avoit donné le nom à la fête. On y voyoit aussi Zacharie, sainte Elisabeth, saint Jean - Baptiste, Siméon, la sybille Erythrée, Virgile, à cause de son églogue, Sicelides Musa, &c. Nabuchodonosor, & les trois enfans dans la fournaise - La procession, qui sortoit du cloître, étant entrée dans l'église, s'arrêtoit entre un nombre de personnes qui étoient rangées des deux côtés pour marquer les Juifs & les Gentils, auxquels les chantres disoient quelques paroles; puis ils appelloient les prophetes l'un après l'autre, qui prononçoient chacun un passage touchant le Messie. Ceux qui faisoient les autres personnages, s'avançoient en leur rang, les chantres leur faisant la demande, & chantant ensuite les versets qui se rapportoient aux Juifs & aux Gentils; & après avoir représenté le miracle de la fournaise, & fait parler Nabuchodonosor, la sybille paroissoit la derniere, puis tous les prophetes & les choeurs chantoient un motet qui terminoit la cérémonie. Ducange, gloss. (G)

Fête des Fous (Page 6:573)

Fête des Fous, (Hist. mod.) réjoüissance pleine de desordres, de grossieretés & d'impiétés, que les sous - diacres, les diacres & les prêtres même faisoient dans la plûpart des églises durant l'office divin, principalement depuis les fêtes de Noël jusqu'à l'Epiphanie.

Ducange, dans son glossaire, en parle au mot kalendoe, & remarque qu'on la nommoit encore la fête des sous - diacres; non pas qu'il n'y eût qu'eux qui la fêtassent, mais par un mauvais jeu de mots tombant sur la débauche des diacres, & cette pointe signifioit la fête des diacres saouls & ivres.

Cette fête étoit réellement d'une telle extravagance, que le lecteur auroit peine à y ajoûter foi, s'il n'étoit instruit de l'ignorance & de la barbarie des siecles qui ont précédé la renaissance des Lettres en Europe.

Nos dévots ancêtres ne croyoient pas deshonorer Dieu par les cérémonies bouffonnes & grossieres que je vais décrire, dérivées presque toutes du Paganisme, introduites en des tems peu éclairés, & contre lesquelles l'Eglise a souvent lancé ses foudres sans aucun succès.

Par la connoissance des Saturnales on peut se former une idée de la fête des fous, elle en étoit une imitation; & les puérilités qui regnent encore dans quelques - unes de nos églises le jour des Innocens, ne sont que des vestiges de la fête dont il s'agit ici.

Comme dans les Saturnales les valets faisoient les fonctions de leurs maîtres, de même dans la fête des fous les jeunes clercs & les autres ministres inférieurs officioient publiquement pendant certains jours consacrés aux mysteres du Christianisme.

Il est très - difficile de fixer l'époque de la fête des fous, qui dégénera si promptement en abus monstrueux. Il suffira de remarquer sur son ancienneté, que le concile de Tolede, tenu en 633, fit l'impossible pour l'abolir; & que S. Augustin, long - tems auparavant, avoit recommandé qu'on châtiât ceux qui seroient convaincus de cette impiété. Cedrenus, hist. pag. 639. nous apprend que dans le dixieme siecle Théophylacte, patriarche de Constantinople, avoit introduit cette fête dans son diocèse; d'où l'on peut juger sans peine qu'elle s'étendit de tous côtés dans l'église greque comme dans la latine.

On élisoit dans les églises cathédrales, un évêque [p. 574] ou un archevêque des fous, & son élection étoit confirmée par beaucoup de bouffonneries qui servoient de sacre. Cet évêque élu officioit pontificalement, & donnoit la bénédiction publique & solennelle au peuple, devant lequel il portoit la mitre, la crosse, & même la croix archiépiscopale. Dans les églises qui relevoient immédiatement du saint siége, on élisoit un pape des sous, à qui l'on accordoit les ornemens de la papauté, afin qu'il pût agir & officier solennellement, comme le saint pere.

Des pontifes de cette espece étoient accompagnés d'un clergé aussi licentieux. Tous assistoient ces jours - là au service divin en habits de mascarade & de comédie. Ceux - ci prenoient des habits de pantomimes; ceux - là se masquoient, se barbouilloient le visage, à dessein de faire peur ou de faire rire. Quand la messe étoit dite, ils couroient, sautoient & dansoient dans l'église avec tant d'impudence, que quelques - uns n'avoient pas honte de se mettre presque nuds: ensuite ils se faisoient traîner par les rues dans des tombereaux pleins d'ordures, pour en jetter à la populace qui s'assembloit autour d'eux. Les plus libertins d'entre les séculiers se mêloient parmi le clergé, pour joüer aussi quelque personnage de fou en habit ecclésiastique. Ces abus vinrent jusqu'à se glisser également dans les monasteres de moines & de religieuses. En un mot, dit un savant auteur, c'étoit l'abomination de la desolation dans le lieu saint, & dans les personnes qui par leur état devoient avoir la conduite la plus sainte.

Le portrait que nous venons de tracer des desordres de la fête des fous, loin d'être chargé, est extrèmement adouci; le lecteur pourra s'en convaincre en lisant la lettre circulaire du 12 Mars 1444, adressée au clergé du royaume par l'université de Paris. On trouve cette lettre à la suite des ouvrages de Pierre de Blois; & Sauval, tom. II. pag. 624. en donne un extrait qui ne suffit que trop sur cette matiere.

Cette lettre porte que pendant l'office divin les prêtres & les clercs étoient vêtus, les uns comme des bouffons, les autres en habits de femme, ou masqués d'une façon monstrueuse. Non contens de chanter dans le choeur des chansons des honnêtes, ils mangeoient & joüoient aux dés sur l'autel, à côté du prêtre qui célébroit la messe. Ils mettoient des ordures dans les encensoirs, & couroient autour de l'église, sautant, riant, chantant, proférant des paroles sales, & faisant mille postures indécentes. Ils alloient ensuite par toute la ville se faire voir sur des chariots. Quelquefois, comme on l'a dit, ils sacroient un évêque ou pape des fous, qui célébroit l'office, & qui revêtu d'habits pontificaux, donnoit la bénédiction au peuple. Ces folies leur plaisoient tant, & paroissoient à leurs yeux si bien pensées & si chrétiennes, qu'ils regardoient comme excommuniés ceux qui vouloient les proscrire.

Dans le registre de 1494 de l'église de S. Etienne de Dijon, on lit qu'à la fête des fous on faisoit une espece de farce sur un théatre devant une église, où on rasoit la barbe au préchantre des fous, & qu'on y disoit plusieurs obscénités. Dans les registres de 1521, ibid. on voit que les vicaires couroient par les rues avec fifres, tambours & autres instrumens, & portoient des lanternes devant le préchantre des fous, à qui l'honneur de la fête appartenoit principalement.

Dans le second registre de l'église cathédrale d'Autun, du secrétaire Rotarü, qui commence en 1411 & finit en 1416, il est dit qu'à la fête des fous, follorum, on conduisoit un âne, & que l'on chantoit, hé, sire âne, he, hé, & que plusieurs alloient à l'église déguisés en habits grotesques; ce qui fut alors abrogé. Cet âne étoit honoré d'une chape qu'on lui met<cb-> toit sur le dos. On nous a conservé la rubrique que l'on chantoit alors, & le P. Théophile Raynaud témoigne l'avoir vû dans le rituel d'une de nos églises métropolitaines.

Il y a un ancien manuscrit de l'église de Sens, où l'on trouve l'office des fous tout entier.

Enfin, pour abreger, presque toutes les églises de France ont célébré la fête des fous sans interruption pendant plusieurs siecles durant l'octave des Rois. On l'a marquée de ce nom dans les livres des offices divins: festum fatuorum in Epiphaniâ & ejus octavis.

Mais ce n'est pas seulement en France que s'étendirent les abus de cette fête; ils passerent la mer, & ils regnoient peut - être encore en Angleterre vers l'an 1530: du moins dans un inventaire des ornemens de l'église d'Yorck, fait en ce tems - là, il est parlé d'une petite mitre & d'un anneau pour l'évêque des fous.

Ajoûtons ici que cette fête n'étoit pas célébrée moins ridiculement dans les autres parties septentrionales & méridionales de l'Europe, en Allemagne, en Espagne, en Italie, & qu'il en reste encore çà & là des traces que le tems n'a point effacées.

Outre les jours de la Nativité de Notre Seigneur, de S. Etienne, de S. Jean l'Evangeliste, des lnnocens, de la Circoncision, de l'Epiphanie, ou de l'octave des Innocens, que se célébroit la fête des fous, il se pratiquoit quelque chose de semblable le jour de S. Nicolas & le jour de sainte Catherine dans divers diocèses, & particulierement dans celui de Chartres. Tout le monde sait, dit M. Lancelot, hist. de l'acad. des Inscript. tome IV. qu'il s'étoit introduit pendant les siecles d'ignorance, des fêtes différemment appellées des fous, des ânes, des innocens, des calendes. Cette différence venoit des jours & des lieux où elles se faisoient; le plus souvent c'étoit dans les fêtes de Noël, à la Circoncision ou à l'Epiphanie.

Quoique cette fête eût été taxée de paganisme & d'idolatrie par la Sorbonne en 1444, elle trouva des apologistes qui en défendirent l'innocence par des raisonnemens dignes de ces tems - là. Nos prédécesseurs, disoient - ils, graves & saints personnages, ont toûjours célébré cette fête; pouvons - nous suivre de meilleurs exemples? D'ailleurs la folie qui nous est naturelle, & qui semble née avec nous, se dissipe du moins une fois chaque année par cette douce récréation; les tonneaux de vin creveroient, si on ne leur ouvroit la bonde pour leur donner de l'air: nous sommes des tonneaux mal reliés, que le puissant vin de la sagesse feroit rompre, si nous le laissions bouillir par une dévotion continuelle. Il faut donc donner quelquefois de l'air à ce vin, de peur qu'il ne se perde & ne se répande sans profit.

L'auteur du curieux traité contre le paganisme du roi - boit, prétend même qu'un docteur de Theologie soûtint publiquement à Auxerre sur la fin du xv. siecle, que la fête des fous n'étoit pas moins approuvée de Dieu que la fête de la Conception immaculée de Notre - Dame, outre qu'elle étoit d'une tout autre ancienneté dans l'Eglise.

Aussi les censures des évêques des xiij. & xjv. siecles eurent si peu d'efficace contre la pratique de la fête des fous, que le concile de Sens, tenu en 1460 & en 1485, en parle comme d'un abus pernicieux qu'il falloit nécessairement retrancher.

Ce fut seulement alors que les évêques, les papes & les conciles se réunirent plus étroitement dans toute l'Europe, pour abroger les extravagantes cérémonies de cette fête. Les constitutions lynodales du diocèse de Chartres, publiées en 1550, ordonnerent que l'on bannît des églises les habits des fous qui sont de personnages de théatre. Les statuts synodaux de Lyon, en 1566 & 1577, défendirent tou<pb->

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