ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"363"> que le motif des unes & des autres soit toûjours la perception claire ou obscure du bien & du mal; car les libres sont déterminées par la raison & la volonté, quoiqu'elles ne soient pas toûjours conformes à la droite raison & à la vérité: ce sont les seules actions qui nous sont imputées; elles sont du ressort de la Jurisprudence & de la Morale.

Mais les actions naturelles sont déterminées par la perception claire ou obscure, mais toûjours confuse du bien & du mal, les sens ne pouvant seuls nous en donner des idées distinctes, & nous nous y portons par une cupidité ou une aversion aveugles dont nous connoissons quelquefois clairement les motifs, comme dans les passions, & quelquefois nous ignorons ce motif, comme dans le mouvement des organes cachés à la vûe, & dans les actions que nous faisons par coûtume.

Faculté (Page 6:363)

Faculté, (Physiol.) terme générique; c'est la puissance par laquelle les parties peuvent satisfaire aux fonctions auxquelles elles sont destinées. Telle est, par exemple, la faculté qu'a l'estomac de retenir les alimens jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment digérés, & de les chasser dans les intestins, lorsque la digestion qui se doit faire dans ce viscere est achevée.

Il y a deux choses à remarquer dans les facultés; 1°. les organes ou les causes instrumentales, par lesquelles les opérations de l'économie animale s'exécutent: ces causes sont purement machinales; elles dépendent uniquement de l'organisation des parties, & du principe vital qui les anime & qui les met en mouvement. 2°. La premiere cause qui donne le mouvement à ce principe matériel qui anime les organes & qui dirige leurs actions. Presque tous les philosophes anciens & modernes ont attribué à la matiere même, cette puissance motrice ou cette ame qui la dirige dans ces mouvemens, & qui l'arrange dans la construction des corps.

Comme les facultés se divisent communément en facultés animales, facultés sensitives, & facultés intellectuelles, nous suivrons ici cette division.

Il y a dans les hommes deux sortes de facultés animales; savoir les facultés du corps qui agissent sur l'ame, & les facultés motrices de l'ame qui agissent sur le corps. Les premieres ont été attribuees par les Medecins, à l'ame sensitive; car il n'y a que quelques philosophes modernes qui n'ont pas voulu reconnoître d'ame sensitive dans les animaux.

Les facultés du corps qui agissent sur l'ame, dépendent des différens organes qui nous procurent différentes sensations; telles sont les sensations de la lumiere & des couleurs qui nous sont procurées par les organes de la vûe; le sentiment du son par les organes de l'oüie; celui des odeurs, par les organes de l'odorat; celui des saveurs, par l'organe du goût; ceux des qualités tactiles, par l'organe du toucher, qui est distribué dans presque toutes les parties du corps; les appétits qui nous avertissent par divers organes des besoins du corps, ou qui nous sollicitent à satisfaire nos inclinations & nos passions: enfin les sentimens de gaïeté & d'angoisse, qui dépendent des différens états de la plûpart des visceres, par exemple du cerveau, du coeur, des poumons, de l'estomac, des intestins, de la matrice, &c.

Les esprits animaux mis en jeu par les objets qui affectent les organes des sens, contractent des mouvemens habituels, & laissent dans le cerveau ou dans les nerfs de ces organes, des traces, des modifications qui rappellent ou causent à l'ame des sensations, semblables à celles qu'elle a eues lorsque les objets mêmes ont agi sur les sens.

Tout ce que nous savons sur les facultés qui rappellent ces sensations, c'est - à - dire sur la mémoire, l'imagination, &c. se réduit à des connoissances vagues, qui ne peuvent nous servir qu'à former des conjectures sur le lieu où résident ces facultés, & sur le méchanisme par lequel elles s'exécutent.

Est - ce dans le cerveau ou dans les nerfs des organes des sens que se forment les traces, les modifications qui rappellent à l'ame, par l'entremise des esprits animaux, des sensations que lui ont causé les objets qui ont frappé les organes des sens? Il est difficile d'assigner dans le cerveau aucun lieu, ni aucun endroit où se puissent graver ou tracer tant d'images différentes: cependant nous savons qu'un foible dérangement dans certaines parties du cerveau, mais particulierement dans le corps calleux, comme l'a prouvé M. de la Peyronie (Mémoires de l'acad. des Scienc. an. 1741.), détruit ou fait cesser entierement l'usage de toutes les facultés du corps qui peuvent agir sur l'ame. Mais que peut - on conclure de - là, si ce n'est que cette partie est le lieu où l'être sensitif reçoit les sensations que lui procurent les facultés du corps qui agissent sur lui?

Ces facultés résident - elles dans toute l'étendue des nerfs, qui se terminent par une de leurs extrémités dans le corps calleux, & par l'autre dans les organes des sens, qui ont d'abord fourni des sensations? Il ne paroît pas qu'elles existent dans la partie de ces nerfs, qui entre dans la composition des organes des sens; car lorsque ces organes sont détruits, ou lorsque leur usage est suspendu, les facultés qui nous rappellent les sensations qu'ils nous ont procurées, subsistent encore. Un aveugle peut se représenter les objets qu'il a vûs; un sourd peut se ressouvenir des airs de musique qu'il a entendus; un homme à qui on a coupé une jambe, souffre quelquefois des douleurs qu'il croit sentir dans la jambe même qui lui manque: cependant ces exemples ne prouvent point absolument que les facultés recordatives ne s'étendent pas jusque dans la partie des nerfs qui entrent dans la composition des organes des sens; mais seulement que ces facultés peuvent subsister indépendamment de cette partie, parce qu'elles subsistent encore dans les nerfs qui vont à ces mêmes organes, & qui restent dans leur état naturel. Concluons qu'on ne sauroit déterminer en quoi consiste le méchanisme des facultés qui nous rappellent des sensations.

La faculté motrice de l'ame sur le corps, est la puissance qu'ont les animaux de mouvoir volontairement quelques parties organiques de leur corps: cette faculté, comme je l'ai dit ci - dessus, a été attribuée à la matiere par la plûpart des philosophes. Selon eux, la matiere n'a rien de déterminé; ce n'est qu'une substance incomplete, qui est perfectionnée par la forme; mais cette même substance est cependant toute en puissance; & c'est de cette puissance que dépendent radicalement les propriétés qu'a la matiere de recevoir toutes les formes par lesquelles elle peut acquérir les facultés de sentir & de se mouvoir.

L'ame n'est point une vraie cause motrice, mais tout au plus une cause dirigente ou déterminante des mouvemens qui paroissent dépendre de la volonté des animaux, & qu'on attribue à leur ame sensitive. L'ame a dans l'homme une puissance active, qui dirige les mouvemens soûmis à sa volonté. Notre ame peut changer, modifier, suspendre, accélérer la direction naturelle du mouvement des esprits, par lequel s'exécutent ces déterminations; elle peut affoiblir, retenir, faire disparoître, & faire renaître quand elle veut, les sensations & les perceptions que lui rappellent la mémoire & l'imagination; elle peut se former des idées composées, des idées abstraites, des idées vagues, des idées précises, des idées factices; elle arrange ses idées, elle les compare, elle en cherche les rapports, elle les apprécie, elle juge, elle pese les motifs qui peuvent la déterminer à agir: toutes ces facultés supposent nécessairement dans no<pb-> [p. 364] tre ame une puissance, une activité qui maîtrise le mouvement des esprits animaux. Cependant nous ne pouvons ni imaginer ni concevoir comment l'ame dirige le mouvement des esprits animaux dans nos déterminations libres. Toutes les sensations que nous recevons d'un objet par les organes des sens, se réunissent à l'endroit du siége de l'ame, au sensorium commun, & nous causent toutes les idées que nos facultés animales peuvent procurer.

Les facultés attribuées à l'ame sensitive nous sont communes avec les bêtes, parce qu'elles se rapportent toutes aux perceptions, aux sensations, & aux sentimens que nous avons des objets qui affectent, ou qui ont affecté nos sens. Elles consistent dans les facultés du corps, qui s'exercent seulement sur la faculté passible de l'ame; mais ces facultés sont beaucoup plus imparfaites dans les bêtes, que dans les hommes; parce que les organes dont elles dépendent, ont des fonctions moins étendues, & parce qu'elles ont en général moins d'aptitude à recevoir les impressions des objets, & à acquérir les dispositions qui perfectionnent ces facultés.

Je dis en général, car quelques unes de ces facultés sont plus parfaites dans certains animaux que dans les hommes; les uns ont l'organe de l'odorat, les autres celui de la vûe, d'autres celui de l'oüie, &c. plus parfaits que nous; mais les autres facultés s'y trouvent beaucoup plus imparfaites que dans les hommes, sur - tout les facultés recordatives, c'est - à - dire celles qui rappellent les sensations des objets: on s'en apperçoit facilement même dans les bêtes les plus dociles, lorsqu'on leur apprend quelques exercices, puisque ce n'est que par une longue suite d'actes répétés, qu'on peut les former à ces exercices.

Les bêtes ne cherchent point & ne découvrent point les différens moyens qui peuvent servir à la même fin; elles ne choisissent point entre ces différens moyens, & ne savent point les varier; leurs travaux ont toûjours la même forme, la même structure, les mêmes perfections, & les mêmes défauts; elles ne conçoivent point différens projets; elles ne tournent point leurs vûes ni leurs talens de divers côtés: que leur ame soit une substance matérielle ou une substance différente de la matiere, il est toûjours vrai qu'elle n'a rien de commun avec la nôtre, que la faculté de sentir; & plus nous l'examinons, plus nous reconnoissons qu'elle n'est ni libre, ni intellectuelle.

Les bêtes sont donc poussées par leurs appétits, conduites par leur instinct, & assujetties en même tems à diverses sensations & perceptions sensibles qui reglent leur volonté & leurs actions, & leur tient lieu de raison & de liberté pour satisfaire à leurs penchans & à leurs besoins.

Mais malgré ces secours, les facultés des bêtes restent très - bornées; elles sont presque entierement incapables d'instructions sur les choses mêmes qui se réduisent à une seule imitation; avec les châtimens, les caresses, & tous les autres moyens que l'on employe pour leur faire contracter des habitudes capables de diriger leurs déterminations, on réussit très rarement.

Le chien, qui est la bête la plus docile, ne peut apprendre que quelques exercices qui ont rapport à son instinct. Le singe, cet animal si imitateur, est le plus inepte de tous les animaux à recevoir quelques instructions exactes, par l'imitation même: tâchez de le former à quelque exercice reglé, à quelques services domestiques les plus simples; employez tout l'art possible pour lui faire acquérir ces petits talens, vos efforts ne serviront qu'à vous convaincre de son imbécillité.

Il faut laisser croire au vulgaire, que c'est par la malice ou mauvaise volonté que le singe est si indo<cb-> cile. Les Philosophes connoissent le ridicule de cette opinion; ils savent que toute volonté, qui n'est pas nécessairement assujettie, se regle par motifs: or il n'y a ni crainte, ni espérance, ni autres motifs qui puissent changer ni regler celle de cet animal; c'est pourquoi il ne laisse, comme les autres bêtes, appercevoir dans tout ce qui passe les bornes de son instinct que des marques d'une insigne stupidité.

Si les hommes montrent très - peu d'intelligence dans les premiers tems de leur vie, ce défaut ne doit pas être attribué à une imperfection de leurs facultés intellectuelles, mais seulement à la privation de sensations & de perceptions qu'ils n'ont pas encore reçûes, & qui leur procurent ensuite les connoissances sur lesquelles s'exercent les facultés intellectuelles, qui sont nécessaires pour regler la volonté & pour délibérer.

C'est pourquoi les enfans se laissent entraîner par des sensations, qui les déterminent immédiatement dans leurs actions; mais lorsqu'ils sont plus instruits, ils refléchissent, ils raisonnent, ils choisissent, ils forment des desseins, ils inventent des moyens pour les exécuter; ils acquierent des connoissances, ils les augmentent par l'exercice; ils apprennent, ils pratiquent, & perfectionnent les Arts & les Sciences. L'avancement de l'âge ne donne point cet avantage aux bêtes, même à celles qui vivent le plus longtems.

Ce sont donc les facultés intellectuelles qui distinguent l'homme des autres animaux; elles consistent dans la puissance de l'ame sur les facultés animales dont nous avons parlé, & dans le pouvoir qu'elle a de s'exercer sur ses sensations & perceptions actuelles; elles rendent les hommes maîtres de leurs délibérations; elles leur font porter des jugemens sûrs, & leur font apprétier les motifs qui les dirigent dans leurs actions.

Mais nous ne pouvons dissimuler ici que les facultés intellectuelles ont une liaison très - étroite avec le bon état des organes du corps; dans les maladies elles s'éclipsent, & la convalescence les fait reparoître: l'ame & le corps s'endorment ensemble. Dès que le cours des esprits, en se rallentissant, répand dans la machine un doux sentiment de repos & de tranquillité, les facultés intellectuelles deviennent paralytiques avec tous les muscles du corps: ceux - ci ne peuvent plus porter le poids de la tête; celles - là ne peuvent plus soûtenir le fardeau de la pensée. Enfin l'état des facultés intellectuelles est si correlatif à l'état du corps, que ce n'est qu'en rétablissant les fonctions de l'un, qu'on rétablit celles de l'autre. Ainsi quiconque sait apprétier les choses, dit Boerhaave, conviendra que tout ce qui nous a été débité par les plus grands maîtres de l'art sur l'excellence de l'ame & de ses facultés, est entierement inutile pour la guérison des maladies.

Quelques physiologistes appellent facultés mixtes intellectuelles, les opérations de l'ame qui s'exercent à l'aide des perceptions & des connoissances intellectuelles: telles sont le goût, le génie, & l'industrie.

Ces sortes de facultés exigent différens genres de sciences pour en étendre & perfectionner l'exercice. Le goût suppose les connoissances, par lesquelles il peut discerner ce qui doit plaire le plus généralement par le sentiment & par la perfection qui doivent réunir, sur - tout dans les productions du génie, le plaisir & l'admiration. L'exercice du génie seroit fort borné sans la connoissance des sujets intéressans qu'il peut représenter, des beautés dont il peut les décorer, des caracteres, des passions qu'il doit exprimer, L'industrie doit être dirigée par la connoissance des propriétés de la matiere, & des lois des mouvemens simples & composés, des facilités & des difficultés que les corps qui agissent les uns sur les autres,

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