ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"250"> tion: on ne devroit néanmoins les y exercer que lorsqu'ils se sont fortifiés dans l'école, & non avant de les avoir parfaitement confirmés dans les leçons du galop & du partir; il semble même qu'il seroit plus avantageux de leur présenter alors, dans des évolutions de cavalerie, dans les différentes dispositions dont un escadron est susceptible, dans des conversions, dans des marches, des contre - marches, dans des doublemens de rangs ou de file, enfin dans le maniement des armes à cheval, une image non moins agréable & plus instructive des vraies manoeuvres de la guerre. Les effets qui suivroient cette nouvelle attention, prévaudroient inévitablement sur ceux qui résultent des courses dont il s'agit, & de ces jours d'enrubannemens, voüés d'autant plus inutilement à la satisfaction des spectateurs, que les ornemens dont on décore les chevaux, ainsi que la parure des cavaliers, ne sont très - souvent dans le tableau galant que l'on s'empresse d'offrir, que des ombres defavorables qui mettent dans un plus grand jour les défauts les uns & des autres.

Les évolutions militaires à pié, la danse, les exercices sur le cheval de bois, & l'escrime, sont encore des occupations indispensables; mais les succès en tout genre dépendent également des éleves & des maîtres. Il importeroit donc que des écuyers eussent les yeux sans cesse fixés sur les travaux des premiers. Quant aux maîtres, c'est aux chefs des académies à en faire le choix; & ce choix ne pourra être juste, qu'autant qu'il leur appartiendra d'en décider non conséquemment au titre dont ils sont revêtus, mais conséquemment aux connoissances étendues qu'ils doivent avoir.

Je ne peux me dispenser de m'élever ici contre la tyrannie du préjugé & de l'éducation. J'ignore en effet par quel aveuglement on contraint tous les hommes à renoncer, dès leurs premieres années, à une ambi - dextérité qui leur est naturelle, & à laisser languir leur main gauche dans une sorte d'inaction. Il n'est pas douteux que toutes les parties doubles sont en même proportion dans les corps régulierement organisés, leur décomposition ne nous y laisse appercevoir aucune cause d'inégalité, & nous voyons que celles dont nous faisons un usage pareillement constant, ne different entre elles ni par l'agilité, ni par la force: ce n'est donc qu'à l'oisiveté presque continuelle de la main gauche, que nous devons attribuer son inaptitude; elle n'a d'autre source dans les hommes qui se servent communément de la main droite, que l'affluence toûjours moins considérable des esprits dans une partie qui agit moins fréquemment que l'autre; & si elle nous frappe d'une maniere sensible dans ceux mêmes que nous désignons par le terme de gauchers, il est certain que nous ne pouvons en accuser que nos propres yeux, habitués à ne considérer principalement que des mouvemens opérés par la droite. Ces réflexions devroient nous fortifier contre une opinion & contre une coûtume commune à toutes les nations, mais peut - être aussi ridicule que celle qui tendroit à la recherche ou à l'emploi des moyens de priver les enfans de la faculté d'entendre des deux oreilles ensemble. Quelques peuples, à la vérité plus sensés & convaincus de l'utilité dont deux mains doivent être à l'homme, s'en sont affranchis pendant un tems. Platon, de leg. liv. VII. en se recriant sur l'idée singuliere des meres & des nourrices, attentives à gêner les mouvemens des mains des enfans, tandis qu'elles sont indifférentes à l'égard de ceux de leurs jambes, recommandoit à tous les princes l'observation d'une loi formelle, qui astraignoit tous les Scythes à tirer de l'arc également des deux mains. Nous voyons encore qu'un certain nombre de soldats de la tribu de Benjamin, qui dans une occasion importante en fournit sept cents à ses alliés, étoient dressés à combattre de l'une & de l'autre. Mais le préjugé l'a emporté; & il a tellement prévalu, qu'Henri IV. lui - même congédia cinq de ses gendarmes, sans égard à leur bravoure, & par la seule considération de l'abandon dans lequel ils laissoient leur main droite, & de la préférence qu'ils donnoient à leur main gauche. Il seroit tems sans doute que la raison triomphât de l'usage, & que la nature rentrât dans tous ses droits; on en retireroit de véritables avantages: d'ailleurs, dans une foule de circonstances, des enfans doués d'une adresse égale, & ambi - dextres à tous les exercices, ne se verroient pas, après la perte de leur bras droit, dans la triste impuissance, ou dans une étonnante difficulté, de satisfaire leurs besoins au moyen d'une main qui leur reste, mais qui par une suite d'une éducation mal - entendue n'est plus, pour ainsi dire, en eux qu'un membre inutile & superflu.

Les soins qu'exigent les uns & les autres de ces objets seroient néanmoins insuffisans. Ce n'est pas un corps, ce n'est pas une ame que l'on dresse, dit Montagne, c'est un homme, il n'en faut pas faire à deux. Il s'agiroit d'éclairer en même tems l'esprit, & de former le coeur des jeunes gens.

Exercices de l'esprit. L'étude de la Géométrie élémentaire est la seule à laquelle nos académistes sont astraints: rarement outre - passent - ils les définitions des trois dimensions, considérées ensemble ou séparément; & le nombre de ceux qui seroient en état de démontrer comment d'un point donné hors d'une ligne donnée, on tire une perpendiculaire sur cette ligne, est très - petit. Quant à l'architecture militaire, quelques plans fort irrégulierement tracés, non sur le terrein, mais sur le papier, d'après ceux qui leur sont fournis par les maîtres, & dont les lavis n'annoncent d'aucune maniere les progrès qu'ils ont faits dans le dessein, sont les uniques opérations auxquelles tout leur savoir se réduit.

Des leçons importantes, si on les avoit forcés d'y apporter l'application nécessaire, & s'ils en eussent exactement suivi le fil, ne peuvent donc que leur être nuisibles, en ce qu'elles ne servent qu'à seconder en eux l'importune demangeaison que presque tous les hommes ont de discourir sur ce qu'ils ignorent, & sur des points dont ils n'entreprendroient assûrément pas de parler, s'ils ne les avoient jamais effleurés.

Rien n'est aussi plus singulier que l'oubli dans lequel on laisse la science du cheval; l'éleve le mieux instruit sait à peine, au sortir de nos écoles, en nommer & en indiquer les différentes parties. D'où peut naître le mépris que quelques écuyers ou, pour parler plus vrai, que presque tous les écuyers en général témoignent hautement pour des travaux qu'ils abandonnent aux maréchaux, & par le secours desquels ils développeroient néanmoins la conformation extérieure & intérieure de l'animal, les maladies auxquelles il est en proie, leurs causes, leurs symptomes & les remedes qui peuvent en opérer la guérison? Il me semble que renoncer à ces connoissances, c'est vouloir s'avilir non - seulement en s'assujettissant dans des circonstances critiques au caprice & à l'ignorance d'un ouvrier, qu'ils devroient conduire & non consulter, mais en se bornant à la portion la moins utile de leur profession; portion qui en seroit encore envisagée comme la moins noble, si les hommes mesuroient la noblesse par l'utilité. Il en est de même des lumieres qui concernent les embouchures & la construction des harnois, des selles, &c. Ils s'en rapportent aux selliers & à l'éperonnier, & ne se reservent, en un mot, que l'honneur d'entreprendre d'inviter un animal, dont le méchanisme & les ressorts leur sont connus, à des mouvemens justes quelquefois par le hasard, mais le plus souvent forcés & contraires à [p. 251] sa nature. Il suit de ce dedain marqué pour les recherches les plus essentielles, que ces mêmes maîtres dès qu'ils ne sont pas éclairés sur ce que peut l'animal & sur ce qu'il ne peut, ne sauroient en asservir constamment l'action aux nombres, aux tems & aux mesures dont elle est susceptible: ainsi la partie du manege qu'ils ont embrassée par préférence, est absolument imparfaite entre leurs mains. Voyez Manege. On doit en second lieu, après l'éducation qu'ils ont reçûe, présumer que les moyens d'acquérir leur seroient plus faciles qu'à des ouvriers dont on n'a mû que le bras, & dont l'esprit est en quelque façon condamné à demeurer toûjours brut & oisif. Or tant que leur vanité se croira intéressée à morceller & à démembrer l'art qu'ils professent, pour ne s'attacher encore que foiblement à ce qui dans ce même art les satisfait & les amuse; il est certain qu'il ne parviendra jamais dans aucune de ses branches au degré d'accroissement, & au période lumineux où il seroit également possible & avantageux de le porter. Que toutes les parties en soient en effet exactement cultivées, chacune d'elles sera moins éloignée de la perfection, & elles recevront les unes des autres un nouveau jour & de nouveaux appuis: alors nous vanterons plùtôt notre raison éclairée par des principes sûrs, que cette vaine habitude, qui n'a de l'expérience que le nom, & qui comme une espece de manteau très à la mode, est communément le vêtement de l'amour - propre & l'enveloppe de l'ignorance: alors nous plierons beaucoup plus aisément & avec plus de succès l'animal à toutes nos volontés, parce que nous saurons ne le travailler que conformément aux lois de sa propre structure: outre le savant usage que nous en ferons, nous n'aurons pas à nous reprocher notre impuissance en ce qui regarde sa conservation, & en ce qui concerne la multiplication de l'espece. Nous formerons des sujets utiles à l'état, utiles à eux - mêmes, capables de rendre les services les plus essentiels dans l'administration des haras, & de préserver le royaume de ces pertes fréquentes qui le plongent dans un épuisement total, & auxquelles il sera sans cesse exposé, jusqu'à ce qu'on remédie à l'impéritie des marechaux, mal véritablement plus funeste & plus redoutable par sa constance & par ses effets, que les épidémies les plus cruelles.

L'éducation des académies peche encore par notre peu d'attention à tourner l'esprit des jeunes gens, sur les objets qui doivent principalement occuper le reste de leur vie. On ne leur donne pas la moindre idée des devoirs qu'ils contracteront. Ils entrent dans des régimens, sans savoir qu'il est un code & des élémens de l'Art militaire. Ils n'ont aucun maître qui leur explique, & qui puisse leur faire extraire avec fruit les bons ouvrages relatifs au métier auquel on les destine, tels que les principes de la guerre du maréchal de Puysegur, les commentaires sur Polybe du chevalier Follard, les mémoires de Feuquieres, &c. ensorte qu'ils ne cheminent dans leur corps, que parce que l'ancienneté, & non le mérite, y regle les rangs, & qu'ils n'y vivent que dans cette dépendance avcugle faite pour le soldat, mais non pour des gentilshommes dont l'obéissance sage & raisonnée est dans la suite un titre de plus pour commander dignement.

La réalité des ressources qu'ils trouvent dans les langues étrangeres, sur - tout dans celles des pays qui sont le théatre ordinaire de nos guerres, nous impose l'obligation d'attacher à nos écoles des professeurs en ce genre. Nous devrions y joindre des maîtres versés dans la connoissance des intérêts des diverses nations. Tels de nos éleves apportent en naissant un esprit de souplesse & d'intrigue, fait pour démêler & pour mouvoir les différens ressorts des gouverne<cb-> mens; la moindre culture les eût rendus propres à de grandes choses, aux négociations les plus épineuses & qui demandent le plus d'adresse; mais ce même génie, qui d'un oeil actif & perçant eût pénétré le fond des affaires les plus délicates, & en eût découvert en un moment toutes les faces & toutes les suites, se perd & s'égare dès qu'il est négligé, & ne nous montre dans ces hommes, dont les talens restent enfoüis, que des politiques obscurs, dignes à peine d'occuper une place dans ces cercles, où par une sorte de délire une foule de sujets oisifs apprécient, reglent, & prédisent ce qui se passe dans l'intérieur du cabinet des souverains.

L'étude de l'Histoire seconderoit nos vûes à cet égard, d'autant plus que les gentilhommes confiés à nos soins sont dans un âge où non - seulement il leur convient de l'apprendre, mais où il leur appartient d'en juger. Il en est de cette science comme de toutes les autres, elles ne sont profitables qu'autant qu'elles nous deviennent propres. Non vita, pourroient dire les enfans dans les colléges, sed schola discimus (Sen. ep. 106. in fine): ne nous occupons donc point à surcharger vainement leur mémoire; ce que l'on dépose uniquement entre les mains de cette gardienne infidele n'est d'aucune valeur, parce que savoir par coeur n'est pas savoir; ce qu'on sait véritablement, on en dispose, & d'ailleurs la date de la ruine de Carthage doit moins attacher un jeune homme que les moeurs d'Annibal & de Scipion. Observons encore que le jugement humain est éclairé par la fréquentation du monde; or de jeunes gens trouvent dans ces archives, où les actions des hommes sont consacrées, un monde qui n'est plus, mais qui semble exister & revivre encore pour eux; elles ne nous offrent, selon un des plus beaux génies de notre siecle,

« qu'une vaste scene de foiblesses, de fautes, de crimes, d'infortunes, parmi lesquelles on voit quilques vertus & quelques succès, comme on voit des vallées fertiles dans une longue chaîne de rochers & de précipices». Le theatre sur lequel nous joüons nous - mêmes un rôle plus ou moins brillant, ne présente que ce spectacle à qui sait l'envisager; mais l'histoire, en nous rappellant à des jours que la nuit des tems nous auroit infailliblement dérobés, multiplie les exemples & nous fait participer à des faits & à des révolutions dont la vie la plus longue ne nous auroit jamais rendus les témoins: par elle nos connoissances & nos affections s'étendent encore, nos vûes bien loin d'être bornées & concentrées sur les objets qui frappent nos yeux, embrassent tout l'univers; & ce livre énorme qui constate la variation perpétuelle & surprenante de tant d'humeurs, de sectes, d'opinions, de lois & de coûtumes, ne peut enfin que nous apprendre à juger sainement des nôtres.

La religion & la probité s'étayent mutuellement & ne se séparent point: que l'on inspire à la jeunesse des sentimens d'honneur, elle ne s'écartera point des principes, qui, dès sa plus tendre enfance, doivent avoir été imprimés dans son coeur. Mais on doit substituer à des pratiques ridicules, à des démonstrations superstitieuses, à des déchiremens de vêtemens, à des actes de manie & de desespoir, à toutes les inépties, en un mot, dans lesquelles consistent toutes les instructions que la plûpart des jeunes gens reçoivent dans certains colléges, & qui les menent plûtôt à l'idiotisme ou au mépris de la religion qu'au ciel, des leçons sur des vérités importantes qu'on leur a laissé ignorer; ils y puiseront la vraie science des moeurs, & la connoissance de cette vertu aimable & non farouche, qui ne se permet que ce qu'elle peut se permettre, & qui sait joüir & posséder.

Quant aux maîtres de Musique & d'Instrumens, le délassement ainsi que le desir & le besoin de plaire

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