ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"248"> permis à Pluvinel de joüir plus long - tems de la confiance de son prince. Il y a lieu de croire encore que les reproches qu'il fait aux écuyers de son tems sont légitimes. L'intérêt & le devoir se concilient rarement, & il n'est qu'un fond inépuisable d'amour pour la patrie qui puisse porter à se consacrer de sens froid à un état dans lequel on est nécessairement contraint d'immoler l'un à l'autre. Tel fut le sort de Salomon de la Broüe. Cette illustre & malheureuse victime de l'honneur & du zele se trouva sans ressource, sans appui, n'ayant aucune retraite, & ne possédant, pour me servir de ses propres termes, qu'un mauvais caveçon use prêt à mettre au croc. Accablé de vieillesse, d'infirmités & de misere, il eut néanmoins le courage de mettre au jour un ouvrage utile & précieux. Les grands hommes ont seuls le droit de se vanger ainsi; mais les témoignages qu'ils laissent à la postérité de leurs travaux & de leurs mérites, sont en même tems des monumens honteux de l'ingratitude & des injustices qu'ils éprouvent.

Quelque considérable que pût être alors la somme de 30000 liv. par année, somme qui proportionnément au tems où nous vivons, formeroit aujourd'hui, eu égard à une semblable fondation, un objet très modique, je ne doute point que la noblesse gratifiée par le prince, & les bénéficiers, n'eussent supporté avec une sorte d'empressement cette imposition & cette charge. Premierement elle étoit répartie sur un trop grand nombre de personnes, pour que chacune d'elles en particulier pût en être blessée, & souffrit de cette diminution: en second lieu les gentilshommes auroient incontestablement saisi cette circonstance, pour prouver par leur soûmission & par leur zele à contribuer à l'éducation de leurs pareils, combien ils étoient dignes de la faveur du souverain & des récompenses dont ils joüissoient. Enfin les bénéficiers eux - mêmes poussés par cet esprit de religion qui doit tous les animer, n'auroient peut - être recherché que les voies de concourir avec efficacité à élever un édifice dont le vice devoit être banni, & dans lequel la vertu devoit être cultivée, inspirée & chérie.

Rien n'est plus énergique que le discours que Lucien met dans la bouche de Solon; ce Syrien qui nous a laissé des traits marqués d'une philosophie épurée, pour rappeller l'idée de l'ancienne vertu des Athéniens, fait parler ainsi le législateur dans un de ses dialogues. « Nous croyons qu'une ville ne consiste pas dans l'enclos de ses murailles, mais dans le corps de ses habitans; c'est pourquoi nous avons plus de soin de leur éducation que des bâtimens & des fortifications. En leur apprenant à se gouverner dans la paix & dans la guerre, nous les rendons invincibles & la cité imprenable. Après que les enfans sont sortis de dessous l'aile de leurs meres, & dès qu'ils commencent à avoir le corps propre au travail & l'esprit capable de raison & de discipline, nous les prenons sous notre conduite, & nous exerçons l'un & l'autre. Nous croyons que la nature ne nous a pas fait tels que nous devons être, & que nous avons besoin d'instruction & d'exercice pour corriger nos défauts, & pour accroître nos avantages. Semblables à ces jeunes plantes que le jardinier soûtient avec des bâtons, & couvre contre les injures de l'air jusqu'à ce qu'elles soient assez fortes pour supporter le chaud & le froid, & résister aux vents & aux orages. Alors on les taille, on les redresse, on coupe les branches superflues pour leur faire porter plus de fruit, on ôte les bâtons & les couvertures pour les endurcir & pour les fortifier ».

Avec de tels principes, & une attention aussi scrupuieuse à former & à instruire la jeunesse, il n'est pas étonnant que les Grecs ayent été par les lois, par les sciences, & par les armes, un des plus fameux peuples de l'antiquité. Les Romains les imiterent en ce point. Dès l'âge de dix - sept ans ils exerçoient leurs enfans à la guerre; & pendant tout le tems qu'ils étoient adonnés aux exercices militaires, ils étoient nourris aux dépens de la république ou de l'état. Ils s'appliquoient de plus à en regler le coeur, à en éclairer l'esprit; c'est ainsi qu'ils devinrent dans la suite les maîtres du monde, & qu'ils étendirent par leurs moeurs autant que par leurs victoires un empire dont la grandeur fut la récompense de leur sagesse.

Je ne sai si l'examen de la plûpart des jeunes gens qui sortent de nos académies ne nous rappelleroit pas l'exemple que nous propose Xenophon dans un enfant qui croyoit avoir tout appris, & posséder toutes les parties de la science de la guerre, tandis qu'il n'avoit puisé dans l'école que la plus legere teinture de la Tactique, & qu'il n'en avoit remporté qu'une estime outrée de lui - même accompagnée d'une parfaite ignorance. Je ne rechercherai point si l'on peut & si l'on doit comparer les progrès qu'ils y ont faits avec ceux de leurs premieres années (voyez les mots College & Etude); & si ces mêmes progrès se bornent pour les uns & pour les autres à imiter leurs maîtres dans leurs vêtemens & dans leurs manieres, à être très - mal placés à cheval par la raison qu'ils y sont à leur aise, à tenir leurs coudes en l'air, à agir sans cesse des bras, sans penser aux sacades que produisent des mouvemens ainsi desordonnés, & sous le prétexte d'éviter un air affecté, à se vanter par - tout de fautes & d'exploits qu'ils n'ont jamais faits, à loüer leur adresse sur les sauteurs qu'ils n'ont pas même montés, à parler de la force de leurs jarrêts, à méconnoître jusqu'aux premiers principes qui indiquent le plat de la gourmette, à retenir des mots impropres qu'ils regardent comme des mots reçus, comme celui de dégeler des chevaux, que quelques - uns par une élégante métaphore substituent au mot dénoüer; à faire usage enfin de quelques termes généraux qu'ils appliquent toûjours mal, & sur le souvenir desquels ils se fondent pour persuader, ainsi que l'enfant dont parle Xenophon, qu'ils ont acquis par la profondeur de leur savoir l'autorité de juger du mérite des maîtres, & de couronner les uns aux dépens des autres; tous ces détails nous entraîneroient trop loin, & m'écarteroient infailliblement de mon but. Les plus grands législateurs ont envisagé comme un point important du gouvernement, l'éducation de la jeunesse; ce seul point m'arrête & m'occupe. Voüé par goût à son instruction, & non par nécessité, je crois pouvoir espérer que toutes les idées que me suggéreront le bien & l'avantage public, ne seront point suspectes: un objet aussi intéressant doit mettre en effet la franchise à l'abri des reproches de l'indiscrétion dont elle est souvent accompagnée: & pour me prémunir d'ailleurs contre les efforts d'une basse jalousie dont on n'est que trop souvent contraint de repousser vivement les traits, je proteste d'avance contre toute imputation absurde, & contre toute maligne application.

Tout vrai citoyen est en droit d'attendre des soins généreux de sa patrie; mais les jeunes gens, & surtout la noblesse, demandent une attention spéciale. « La fougue des pasfions naissantes, dit Socrate, donne à cet âge tendre les secousses les plus violentes: il est nécessaire d'adoucir l'âpreté de leur éducation par une certaine mesure de plaisir; & il n'est que les exercices où se trouve cet heureux mélange de travail & d'agrément, dont la pratique constante puisse leur agréer & leur plaire ». Ces exercices sont purement du ressort des académies. [p. 249] Or dès que dans ces écoles nous sommes certains par ce mélange heureux, de pouvoir parer au dégoût qu'inspireroit naturellement une carriere toûjours hérissée d'épines, au milieu desquelles on n'appercevroit pas la moindre fleur, il ne nous reste qu'à chercher les moyens d'y mettre un ordre, & de donner à ces établissemens une forme qui en assûre à jamais l'utilité.

Académie. Architecture. Je ne prétends point que nous devrions nécessairement imiter dans la construction de nos académies la splendeur de ces lieux, autrefois appellés gymnases, ou les magnifiques éphébées que l'on remarquoit au milieu des portiques des thermes, & qui étoient destinés aux différens exercices, qui faisoient parmi les anciens l'occupation & l'amusement de la jeunesse. Si les maisons qui en tiennent lieu parmi nous, étoient des édifices stables & perpétuellement consacrés à ce seul objet, sans doute qu'elles annonceroient au - dehors & à l'intérieur la grandeur du souverain - dont le nom en décore l'entrée. Quand on considere cependant l'immensité dont devroient être ces colléges militaires, eu égard au terrein que demandent des maneges couverts & découverts (voyez Manege), des écuries pour les chevaux sains & pour les chevaux malades (voyez Ecurie), des fenils & des greniers pour les approvisionnemens de toute espece, des cours différentes pour y construire des forges (voyez Forges), des travails (voyez Travail), & pour y déposer les fumiers; des appartemens pour les écuyers, pour les officiers & pour les domestiques de l'hôtel, pour les cuisines, les offices & les salles à manger, des salles d'exercices, des chapelles, des logemens multipliés & appropriés aux divers âges des pensionnaires, à leur état, à leur faculté, à leur suite plus ou moins nombreuse, &c. on est étonné que l'on ait imaginé pouvoir rassembler & réunir toutes ces vûes dans des lieux souvent si resserrés, qu'à peine certains particuliers pourroient - ils y établir & y fixer leur domicile. Il seroit par conséquent à souhaiter que les villes, qui ont l'avantage de renfermer dans seur sein de semblables écoles, fussent tenues de construire & d'entretenir des bâtimens convenables, & toûjours affectés à ces colléges; non - seulement les éleves y seroient plus décemment, mais l'etat en général se refsentiroit des sommes qu'une foule d'étrangers, également attirés par l'attention avec laquelle ces sortes d'établissemens seroient alors soûtenus & envisagés, & par la réputation de ceux qui en seroient les chefs, répandroient dans le royaume; & chacune de ces villes en particulier seroit par leur abord & par l'affluence des académistes nationnaux, amplement dédommagée des dépenses dans lesquelles elles auroient été primordialement engagées. Je conviens que ces premiers frais seroient au - dessus des forces des villes de la plûpart des provinces; mais de pareils projets ne peuvent avoir leur exécution que dans de grandes villes, soit parce qu'il est plus facile d'y fixer d'excellens maîtres en tout genre, soit parce qu'elles trouvent plus aisément en elles - mêmes, & dans leur propre opulence, les ressources nécessaires. Le vaste édifice élevé depuis peu par la ville de Strasbourg, & le plan de celui dont la ville d'Angers se propose de jetter incessamment les fondemens, nous en offrent une preuve. D'ailleurs si telle étoit leur impuissance que cette loi leur fût réellement à charge, & qu'elles en souffrissent véritablement, on pourroit exiger une sorte de contribution des villes & des provinces que leur proximité mettroit en quelque façon dans le district de ces académies; car dès que ces mêmes provinces profiteroient de ces écoles, il est juste qu'elles y concourent proportionnément à leurs facultés.

Chefs d'académie. L'opinion de ceux qui limitent les devoirs des chefs d'académie dans l'enceinte étroite de leur manege, seroit - elle un préjugé dont ils ne pourroient revenir? Pluvinel & la Broue ne pensoient pas ainsi; ils étendoient ces devoirs à tout, & se recrioient avec raison l'un & l'autre sur la difficulté de rencontrer des hommes d'un mérite assez éminent pour les remplir.

Exercices du corps. Ne fournir à de jeunes gens dans le manege que des instructions qui n'ont pour tout fondement qu'une aveugle routine, & ne les faire agir que conséquemment à ce que nous pratiquons nous - mêmes simplement par habitude, c'est leur proposer notre ignorance pour modele, c'est leur faire envisager l'art par des difficultés qu'il leur sera impossible de surmonter, & que des maîtres qui enseignent ainsi, n'ont jamais eux - mêmes vaincues. L'exécution est d'une nécessité indispensable, j'en conviens; nos écoles doivent être pourvûes de chevaux de toute espece, susceptibles de tous les mouvemens possibles, dressés à toutes sortes d'airs; il est de plus important que nous leur suggérions plus ou moins de finesse, que nous les approprions à la force & à l'avancement de nos éleves, que nous les divisions en différentes classes, pour ainsi dire, afin de faire insensiblement parcourir à nos disciples cette sorte d'échelle, s'il m'est permis d'user de cette expression, qui marque les différentes gradations des lumieres & des connoissances: or croira - t - on que toutes ces attentiens puissent avoir lieu par le secours de la pratique seule, & imaginera - t - on sérieusement qu'il soit permis de former une liaison, un enchaînement utile de principes, dès qu'on n'en est pas éclairé soi - même? Que résulteroit - il d'une école dont le chef ne rapporteroit d'autre titre de son savoir, qu'une expérience toûjours stérile, dès qu'elle est informe, ou dont tout le mérite consisteroit dans le frivole avantage, ou plûtôt dans la honte réelle d'avoir inutilement vieilli; d'un côté ce même maître deviendroit avec raison le juste objet du mépris des personnes instruites; & de l'autre les académistes doüés de la faculté de se mouvoir, & non de refléchir & d'observer, seroient à - peu - près à cet égard semblables à ces machines & à ces automates qui n'agissent que sans choix & par ressort. Saint Evremont dit, que les docteurs de morale s'en tiennent ordinairement à la théorie, & descendent rarement à la pratique. Ne pourroiton pas appliquer le sens contraire de cette vérité à la plûpart des écuyers? Il est cependant certain que sans la théorie, sans des préceptes dont le cheval atteste sur le champ, dès qu'ils sont mis en usage, la certitude & l'évidence par son obéissance & par sa soûmission; il est absolument impossible de montrer, d'applanir, & d'abréger les routes de la science, d'assûrer les pas des éleves, & de créer des sujets. Des leçons particulieres sur les principes de l'art, données chaque jour de travail, à une heure fixe, aux commençans, par les maîtres chargés de les initier, aux disciples plus avancés, par le chef même de l'école, seroient donc essentielles & faciliteroient l'intelligence des maximes, qu'on ne peut entierement développer dans le cours de l'exercice. Mais bien loin de satisfaire la curiosité des académistes, on blâme communément, dans la plus grande partie d'entre eux, le desir loüable de s'instruire; quels que soient les vains dehors dont on se pare, on a toûjours un sentiment intime & secret de son insuffisance: on redoute donc les épreuves, on élude jusqu'aux moindres questions; parce qu'elles sont la pierre de touche de la capacité, & qu'elles ne peuvent que provoquer la chûte du masque dont on se couvre.

Les courses de tête & de bague sont sans doute utiles. Ces sortes de jeux militaires, qui de tous ceux que l'on pratiquoit autrefois sont les seuls en usage parmi nous, donnent à de jeunes gens de l'adresse, de la vigueur, & excitent en eux une noble émula<pb->

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