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Il faut dire encore que la fable monta sur le théatre comme sur son throne, & ajoûter que les Peintres & les Sculpteurs travaillant d'après leur imagination, ont aussi donné cours aux histoires fabuleuses, en les consacrant par les chefs - d'oeuvre de leur art. On a tâché de surprendre le peuple de toutes manieres: les Poëtes dans leurs écrits, le théatre dans ses représentations, les Sculpteurs dans leurs statues, & les Peintres dans leurs tableaux; ils y ont tous concouru.
6°. Une sixieme source des fables est la pluralité ou l'unité des noms. La pluralité des noms étant fort commune parmi les Orientaux, on a partagé entre plusieurs les actions & les voyages d'un seul: de - là vient ce nombre prodigieux de Jupiters, de Mercures, &c. On a quelquefois fait tout le contraire; & quandil est arrivé que plusieurs personnes ont porté le même nom, on a attribué à un seul ce qui devoit être partagé entre plusieurs: telle est l'histoire de Jupiter fils de Saturne, dans laquelle on a rassemblé les avantures de divers rois de Crete qui ont porté ce nom, aussi commun dans ce pays - là, que l'a été celui de Ptolemée en Egypte.
7°. Une 7
8°. Une 8
Nous ne donnerons point pour une source des fables, l'abus que les Poëtes ont pû faire de l'ancien Testament, comme tant de gens pleins de savoir se le sont persuadés; les Juifs étoient une nation trop méprisée de ses voisins, & trop peu connue des peuples éloignés, d'ailleurs trop jalouse de sa loi & de ses cérémonies, qu'elle cachoit aux étrangers, pour qu'il y ait quelque rapport entre les héros de la bible & ceux de la fable.
9°. Mais une source réellement féconde des fables payennes, c'est l'ignorance de l'Histoire & de la Chronologie. Comme on ne commença que fort tard, surtout dans la Grece, à avoir l'usage de l'écriture, il se passa plusieurs siecles pendant lesquels le souvenir des évenemens remarquables ne fut conservé que par tradition. Après qu'on avoit remonté jusqu'à trois ou quatre générations, on se trouvoit dans le labyrinthe de l'histoire des dieux, où l'on rencontroit toûjours Jupiter, Saturne, le Ciel & la
10°. L'ignorance de la Physique est une 10
Ce n'est pas la vapeur qui produit le tonnerre, C'est Jupiter armé pour effrayer la terre; Un orage terrible aux yeux des matelots, C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots; Echo n'est pas un son qui dans l'air retentisse, C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse. Ainsi furent formées plusieurs divinités physiques, & tant de fables astronomiques, qui eurent cours dans le monde.
11°. L'ignorance des langues, sur - tout de la phénicienne, doit être regardée comme une onzieme source des plus fécondes d'une infinité de fables du Paganisme. Il est sûr que les colonies sorties de Phénicie, allerent peupler plusieurs contrées de la Grece; & comme la langue phénicienne a plusieurs mots équivoques, les Grecs les expliquerent selon le sens qui étoit le plus de leur génie: par exemple, le mot Ilpha dans la langue phénicienne, signifie également un taureau, ou un navire. Les Grecs amateurs du merveilleux, au lieu de dire qu'Europe avoit été portée sur un vaisseau, publierent que Jupiter changé en taureau l'avoit enlevée. Du mot mon qui veut dire vice, ils firent le dieu Momus censeur des défauts des hommes; & sans citer d'autres exemples, il suffit de renvoyer le lecteur aux ouvrages de Bochart sur cette matiere.
12°. Non - seulement les équivoques des langues orientales ont donné lieu à quantité de fables payennes, mais même les mots équivoques de la langue greque en ont produit un grand nombre: ainsi Vénus est sortie de l'écume de la mer, parce que Aphrodite qui étoit le nom qu'ils donnoient à cette déesse, signifioit l'écume. Ainsi le premier temple de Delphes avoit été construit par le secours des ailes d'abeilles, qu'Apollon avoit fait venir des pays hyperboréens; parce que Pteras dont le nom veut dire une aile de plume, en avoit été l'architecte.
13°. On - a prouvé par des exemples incontestables, que la plûpart des fables des Grecs venoient d'Egypte & de Phémcie. Les Grecs en apprenant la religion des Egyptiens, changerent & les noms & les cérémonies des dieux de l'Orient, pour faire croire qu'ils étoient nés dans leur pays; comme nous le voyons dans l'exemple d'Isis, & dans une infinité d'autres. Le culte de Bacchus fut formé sur celui d'Osiris: Diodore le dit expressément. Une regle générale qui peut servir à juger de l'origine d'un grand nombre de fables du Paganisme, c'est de voir seulement les noms des choses, pour décider s'ils sont phéniciens, grecs, ou latins; l'on découvrira par ce seul examen, le pays natal, ou le transport de quantité de fables.
En quatorzieme lieu, il ne faut point douter que [p. 344]
Quinziemement, il est encore vraissemblable que
plusieurs fables tirent leur source du prétendu commerce
des dieux, imaginé à dessein de sauver l'honneur
des dames qui avoient eû des foiblesses pour
leurs amans; on appelloit au secours de leur réputation
quelque divinité favorable; c'étoit un dieu
métamorphosé qui avoit triomphé de l'insensibilité
de la belle. La fable de Rhéa Sylvia mere de Remus
& de Romulus, en est une preuve bien connue.
Amulius son oncle, armé de toutes pieces, & sous
la figure de Mars, entra dans sa cellule; & Numitor
fit courir le bruit que les deux enfans qu'elle mit au
monde, avoient pour pere le dieu de la guerre. Souvent même les prêtres étant amoureux de quelque
femme, lui annonçoient qu'elle étoit aimée du dieu
qu'ils servoient: à cette nouvelle, elle se préparoit
à aller coucher dans le temple du dieu, & les parens
l'y conduisoient en cérémonie. Si nous en croyons
Hérodote (liv. I. ch. xviij.), il y avoit une dame de
Babylone, de celles que Jupiter Belus avoit fait
choisir par son premier pontife, qui ne manquoit
jamais de se rendre toutes les nuits dans son temple: de - là ce grand nombre de fils qu'on donne aux
dieux. Voyez
Enfin, pour ne rien laisser à desirer, s'il est possible, sur les sources des fables, on doit ajoûter ici que presque toutes celles qui se trouvent dans les métamorphoses d'Ovide, d'Hyginus, & d'Antonius Liberalis, ne sont fondées que sur des manieres de s'exprimer figurées & métaphoriques: ce sont ordinairement de véritables faits, auxquels on a ajoûté quelque circonstance surnaturelle pour les parer. La cruauté de Lycaon qui condamnoit à mort les étrangers, l'a fait métamorphoser en loup. La stupidité de Mydas, ou peut - être l'excellence de son ouie, lui a fait donner des oreilles d'âne. Cérès avoit aimé Jasion, parce qu'il avoit perfectionné l'agriculture dont cette déesse, suivant l'imagination des Poëtes, avoit appris l'usage à la Grece. Dans d'autres occasions, les métamorphoses qu'on attribue à Jupiter & aux autres dieux, étoient des symboles qui marquoient les moyens, que les princes qui portoient ces noms, avoient mis en oeuvre pour séduire leurs maîtresses. Ainsi l'or dont se servit Pretus pour tromper Danaé, fit dire qu'il s'étoit changé en pluie d'or; ou bien, comme le remarque Eustathius, ces prétendues métamorphoses n'étoient que des médailles d'or, sur lesquelles on les voyoit gravées, & que les amans donnoient à leurs maitresses; présent plus propre par la rareté du métal & la finesse de la gravure, à rendre sensibles les belles, que de véritables métamorphoses. Tel est le fondement des fables dont on vient de parler; & si l'on n'en trouve pas le dénoüement dans les sources
Ce seroit présentement le lieu de discuter en quel tems ont commencé les fables: mais il est impossible d'en fixer l'époque. Il suffit de savoir que nous les trouvons déjà établies dans les écrits les plus anciens qui nous restent de l'antiquité profane; il suffit encore de ne pas ignorer que les premiers berceaux des fables sont l'Egypte & la Phénicie, d'où elles se répandirent avec les colonies en Occident, & surtout dans la Grece, où elles trouverent un sol propre à leur multiplication. Ensuite, de la Grece elles passerent en Italie, & dans les autres contrées voisines. Il est certain qu'en suivant un peu l'ancienne tradition, on découvre aisément que c'est - là le chemin de l'idolatrie & des fables, qui ont toûjours marché de compagnie. Qu'on ne dise donc point qu'Hésiode & Homere en sont les inventeurs, ils n'en parlent pas eux - mêmes sur ce ton; elles existoient avant leur naissance dans les ouvrages des poëtes qui les précéderent; ils ne firent que les embellir.
Mais il faut convenir que le siecle le plus fécond en fables & en héroïsme, a été celui de la guerre de Troye. On sait que cette célebre ville fut prise deux fois; la premiere par Hercule, l'an du monde 2760; & la seconde, une quarantaine d'années après, par l'armée des Grecs, sous la conduite d'Agamemnon. Au tems de la premiere prise, on vit paroître Thélamon, Hercule, Thésée, Jason, Orphée, Castor, Pollux, & tous les autres héros de la toison d'or. A la seconde prise parurent leurs fils ou leurs petitsfils, Agamemnon, Ménélaüs, Achille, Diomede, Ajax, Hector, Enée, &c. Environ le même tems se fit la guerre de Thebes, où brillerent Adraste, OEdipe, Ethéocle, Polinice, Capanée, & tant d'autres héros, sujets éternels des poëmes épiques & tragiques. Aussi les théatres de la Grece ont - ils retenti mille fois de ces noms illustres; & depuis ce tems tous les théatres du monde ont cru devoir les faire reparoître sur la scene.
Voilà pourquoi la connoissance, du moins une
connoissance superficielle de la fable, est si générale.
Nos spectacles, nos pieces lyriques & dramatiques, &
nos poésies en tout genre, y font de perpétuelles allusions;
les estampes, les peintures, les statues qui décorent
nos cabinets, nos galeries, nos plafonds, nos
jardins, sont presque toûjours tirées de la fable: enfin
elle est d'un si grand usage dans tous nos écrits,
nos romans, nos brochures, & même dans nos discours
ordinaires, qu'il n'est pas possible de l'ignorer
à un certain point, sans avoir à rougir de ce manque
d'éducation; mais de porter sa curiosité jusqu'à tenter
de percer les divers sens, ou les mysteres de la
fable, entendre les différens systèmes de la théologie,
connoître les cultes des divinités du Paganisme, c'est
une science reservée pour un petit nombre de savans;
& cette science qui fait une partie très - vaste
des Belles - Lettres, & qui est absolument nécessaire
pour avoir l'intelligence des monumens de l'antiquité,
est ce qu'on nomme la Mythologie. Voy.
Fable (Page 6:344)
Les savans font remonter l'origine de la fable, à
l'invention des caracteres symboliques & du style figuré,
c'est - à - dire à l'invention de l'allégorie dont la
fable est une espece. Mais l'allégorie ainsi réduite à
une action simple, à une moralité précise, est communément
attribuée à Esope, comme à son premier
inventeur. Qnelques - uns l'attribuent à Héfiode & à
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