ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"224"> a été transmise par une tradition non interrompue depuis Hénoch jusqu'aujourd'hui. Selden, liv. IV. ch. vij. de jure natur. & gent. nous a conservé cette formule d'excommunication, qui est fort longue, & porte avec elle des caracteres évidens de supposition. Il y est parlé de Moyse, de Josué, d'Elisée, de Giezi, de Rarac, de Meroz, de la grande synagogue, des anges qui président à chaque mois de l'année, des livres de la loi, des 390 préceptes qui y sont contenus, &c. toutes choses qui prouvent que si Hénoch en est le premier auteur, ceux qui sont venus après lui y ont fait beaucoup d'additions.

Quant à l'absolution de l'excommunication, elle pouvoit être donnée par celui qui avoit prononcé l'excommunication, pourvû que l'excommunié fût touché de repentir, & qu'il en donnât des marques sinceres. On ne pouvoit absoudre que présent celui qui avoit été excommunié présent. Celui qui avoit été excommunié par un particulier, pouvoit être absous par trois hommes à son choix, ou par un seul juge public. Celui qui s'étoit excommunié soi - même, ne pouvoit s'absoudre soi - même, à moins qu'il ne fût éminent en science ou disciple d'un sage; hors ce cas, il ne pouvoit recevoir son absolution que de dix personnes choisies du milieu du peuple. Celui qui avoit été excommunié en songe, devoit encore employer plus de cérémonies: il falloit dix personnes savantes dans la loi & dans la science du talmud; s'il ne s'en trouvoit autant dans le lieu de sa demeure, il devoit en chercher dans l'étendue de quatre mille pas; s'il ne s'y en rencontroit point assez, il pouvoit prendre dix hommes qui sûssent lire dans le Pentateuque; ou, à leur défaut, dix hommes, ou tout au moins trois. Dans l'excommunication encourue pour cause d'offense, le coupable ne pouvoit être absous que la partie lésée ne fût satisfaite: si par hasard elle étoit morte, l'excommunié devoit se faire absoudre par trois hommes choisis, ou par le prince du sanhédrin. Enfin c'est à ce dernier qu'il appartient d'absoudre de l'excommunication prononcée par un inconnu. Sur l'excommunication des Juifs on peut consulter l'ouvrage de Selden, de Synedrüs; Drusius, de novem sect. lib. III. c. xj. Buxtorf, epist. hebr. le P. Morin, de poenit. la continuat. de l'hist. des Juifs, par M. Basnage; la dissertation de dom Calmet sur les supplices des Juifs; & son dictionnaire de la Bible, au mot Excommunication.

Les Chrétiens dont la société doit être, suivant l'institution de Jesus - Christ, très - pure dans la foi & dans les moeurs, ont toûjours eu grand soin de séparer de leur communion les hérétiques & les personnes coupables de crimes. Relativement à ces deux objets, on distinguoit dans la primitive Eglise l'excommunication médicinale de l'excommunication mortelle. On usoit de la premiere envers les pénitens que l'on séparoit de la communion, jusqu'à ce qu'ils eussent satisfait à la pénitence qui leur étoit imposée. La seconde étoit portée contre les hérétiques, & les pécheurs impénitens & rebelles à l'Eglise. C'est à cette derniere sorte d'excommunication que se rapportera tout ce qui nous reste à dire dans cet article. Quant à l'excommunication médicinale, voyez Pénitence & Pénitens.

L'excommunication mortelle en général est une censure ecclésiastique qui prive un fidele en tout, ou en partie, du droit qu'il a sur les biens communs de l'Eglise, pour le punir d'avoir desobéi à l'Eglise dans une matiere grave. Depuis les decrétales, on a distingué deux especes d'excommunication; l'une majeure, & l'autre mineure. La majeure est proprement celle dont on vient de voir la définition, par laquelle un fidele est retranché du corps de l'Eglise, jusqu'à ce qu'il ait mérité par sa pénitence d'y rentrer. L'excommunication mineure est celle qui s'en<cb-> court par la communication avec un excommunié d'une excommunication majeure, qui a été légitimement dénoncée. L'effet de cette derniere excommunication ne prive celui qui l'a encourue que du droit de recevoir les sacremens, & de pouvoir être pourvû d'un bénéfice.

Le pouvoir d'excommunier a été donné à l'Eglise dans la personne des premiers pasteurs; il fait partie du pouvoir des clés que Jesus - Christ même conféra aux apôtres immédiatement & dans leur personne aux évêques, qui sont les successeurs des apôtres. Jesus - Christ, en S. Matthieu, ch. xviij. V. 17. & 18. a ordonné de regarder comme un payen & un publicain, celui qui n'écouteroit pas l'Eglise. S. Paul usa de ce pouvoir, quand il excommunia l'incestueux de Corinthe; & tous les apôtres ont eu recours à ce dernier remede, quand ils ont anathématisé ceux qui enseignoient une mauvaise doctrine. L'Eglise a dans la suite employé les mêmes armes, mais en mêlant beaucoup de prudence & de précautions dans l'usage qu'elle en faisoit; il y avoit même différens degrés d'excommunication, suivant la nature du crime & de la desobéissance. Il y avoit des fautes pour lesquelles on privoit les fideles de la participation au corps & au sang de Jesus - Christ, sans les priver de la communion des prieres. L'évêque qui avoit manqué d'assister au concile de la province, ne devoit avoir avec ses confreres aucune marque extérieure de communion jusqu'au concile suivant, sans être cependant séparé de la communion extérieure des fideles de son diocèse, ni retranché du corps de l'Eglise. Ces peines canoniques étoient, comme on voit, plûtôt médicinales que mortelles. Dans la suite, l'excommunication ne s'entendit que de l'anathème, c'est - à - dire du retranchement de la société des fideles; & les supérieurs ecclésiastiques n'userent plus avec tant de modération des foudres que l'Eglise leur avoit mis entre les mains.

Vers le neuvieme siecle on commença à employer les excommunications pour repousser la violence des petits seigneurs qui, chacun dans leurs cantons, s'étoient érigés en autant de tyrans; puis pour défendre le temporel des ecclésiastiques, & enfin pour toutes sortes d'affaires. Les excommunications encourues de plein droit, & prononcées par la loi sans procédures & sans jugement, s'introduisirent après la compilation de Gratien, & s'augmenterent pendant un certain tems d'année en année. Les effets de l'excommunication furent plus terribles qu'ils ne l'avoient été auparavant; on déclara excommuniés tous ceux qui avoient quelque communication avec les excommuniés. Grégoire VII. & quelques - uns de ses successeurs, pousserent l'effet de l'excommunication jusqu'à prétendre qu'un roi excommunié étoit privé de ses états, & que ses sujets n'étoient plus obligés de lui obéir.

Ce n'est pas une question, si un souverain peut & doit même être excommunié en certains cas graves, où l'Eglise est en droit d'infliger des peines spirituelles à ses enfans rebelles, de quelque qualité ou condition qu'ils soient: mais aussi comme ces peines sont purement spirituelles, c'est en connoître mal la nature & abuser du pouvoir qui les inflige, que de prétendre qu'elles s'étendent jusqu'au temporel, & qu'elles renversent ces droits essentiels & primitifs, qui lient les sujets à leur souverain.

Ecoutons sur cette matiere un écrivain extrèmement judicieux, & qui nous fera sentir vivement les conséquences affreuses de l'abus du pouvoir d'excommunier les souverains, en prétendant soûtenir les peines spirituelles par les temporelles: c'est M. l'abbé Fleuri, qui dans son discours sur l'histoire ecclésiastique, depuis l'an 600 jusqu'à l'an 1200, s'exprime ainsi: « J'ai remarqué que les évêques em<pb-> [p. 225] ployoient le bras séculier pour forcer les pécheurs à pénitence, & que les papes avoient commencé plus de deux cents ans auparavant à vouloir par autorité regler les droits des couronnes; Grégoire VII. suivit ces nouvelles maximes, & les poussa encore plus loin, prétendant ouvertement que, comme pape, il étoit en droit de déposer les souverains rebelles à l'Eglise. Il fonda cette prétention principalement sur l'excommunication. On doit éviter les excommuniés, n'avoir aucun commerce avec eux, ne pas leur parler, ne pas même leur dire bon jour, suivant l'apôtre S. Jean, ép. II. c. j: donc un prince excommunié doit être abandonné de tout le monde; il n'est plus permis de lui obéir, de recevoir ses ordres, de l'approcher; il est exclus de toute société avec les Chrétiens. Il est vrai que Grégoire VII. n'a jamais fait aucune décision sur ce point; Dieu ne l'a pas permis: il n'a prónoncé formellement dans aucun concile, ni par aucune decrétale, que le pape ait droit de déposer les rois; mais il l'a supposé pour constant, comme d'autres maximes aussi peu fondées, qu'il croyoit certaines. Il a commencé par les faits & par l'exécution.

Il faut avoüer, continue cet auteur, qu'on étoit alors tellement prévenu de ces maximes, que les défenseurs de Henri IV. roi d'Allemagne se retranchoient à dire, qu'un souverain ne pouvoit être excommunié. Mais il étoit facile à Grégoire VII. de montrer que la puissance de lier & de delier a été donnée aux apôtres généralement, sans distinction de personne, & comprend les princes comme les autres. Le mal est qu'il ajoûtoit des propositions excessives. Que l'Eglise ayant droit de juger des choses spirituelles, elle avoit, à plus forte raison, droit de juger des temporelles: que le moindre exorciste est au - dessus des empereurs, puisqu'il commande aux démons: que la royauté est l'ouvrage du démon, fondé sur l'orgueil humain; au lieu que le sacerdoce est l'ouvrage de Dieu: enfin que le moindre chrétien vertueux est plus véritablement roi, qu'un roi criminel; parce que ce prince n'est plus un roi, mais un tyran: maxime que Nicolas Ier. avoit avancée avant Grégoîre VII. & qui semble avoir été tiréc du livre apocryphe des constitutions apostoliques, où elle se trouve expressément. On peut lui donner un bon sens, la prenant pour une expression hyperbolique, comme quand on dit, qu'un méchant homme n'est pas un homme: mais de telles hyperboles ne doivent pas être réduites en pratique. C'est toutefois sur ces fondemens que Grégoire VII. prétendoit en général, que suivant le bon ordre c'étoit l'Eglise qui devoit distribuer les couronnes & juger les souverains, & en particulier il prétendoit que tous les princes chrétiens étoient vassaux de l'eglise romaine, lui devoient préter serment de fidélité & payer tribut.

Voyons maintenant les conséquences de ces principes. Il se trouve un prince indigne & chargé de crimes, comme Henri IV. roi d'Allemagne; car je ne prétens point le justifier. Il est cité à Rome pour rendre compte de sa conduite; il ne comparoît point. Après plusieurs citations, le pape l'excommunie: il méprise la censure. Le pape le déclare déchû de la royauté, absout ses sujets du serment de fidélité, leur défend de lui obéir, leur permet ou leur ordonne d'élire un autre roi. Qu'en arrivera - t - il? Des séditions, des guerres civiles dans l'état, des schismes dans l'Eglise. Allons plus loin: Un roi déposé n'est plus un roi: donc, s'il continue à se porter pour roi, c'est un tyran, c'est - à - dire un ennemi public, à qui tout homme doit courir sus. Qu'il se trouve un fanatique, qui ayant lû dans Plutarque la vie de Timoléon ou de Brutus, se per<cb-> suade que rien n'est plus glorieux que de délivrer sa patrie; ou qui prenant de travers les exemples de l'Ecriture, se croye suscité comme Aod, ou comme Judith, pour affranchir le peuple de Dieu: voilà la vie de ce prétendu tyran exposée au caprice de ce visionnaire, qui croira faire une action héroïque, & gagner la couronne du martyre. Il n'y en a, par malheur, que trop d'exemples dans l'histoire des derniers siecles; & Dieu a permis ces suites affreuses des opinions sur l'excommunication, pour en desabuser au moins par l'expérience.

Revenons donc aux maximes de la sage antiquité. Un souverain peut être excommunié comme un particulier, je le veux; mais la prudence ne permet presque jamais d'user de ce droit. Supposé le cas, très - rare, ce seroit à l'évêque aussi - bien qu'au pape, & les effets n'en seroient que spirituels; c'est - à - dire qu'il ne seroit plus permis au prince excommunié de participer aux sacremens, d'entrer dans l'église, de prier avec les fideles, ni aux fideles d'exercer avec lui aucun acte de religion: mais les sujets ne seroient pas moins obligés de lui obéir en tout ce qui ne seroit point contraire à la loi de Dieu. On n'a jamais prétendu, au moins dans les siecles de l'Eglise les plus éclairés, qu'un particulier excommunié perdît la propriété de ses biens, ou de ses esclaves, ou la puissance paternelle sur ses enfans. Jesus - Christ, en établissant son évangile, n'a rien fait par force, mais tout par persuasion, suivant la remarque de S. Augustin; il a dit que son royaume n'étoit pas de ce monde, & n'a pas voulu se donner seulement l'autorité d'arbitre entre deux freres; il a ordonné de rendre à César ce qui étoit à César, quoique ce César fût Tibere, non - seulement payen, mais le plus méchant de tous les hommes: en un mot il est venu pour réformer le monde, en convertissant les coeurs, sans rien changer dans l'ordre extérieur des choses humaines. Ses apôtres & leurs successeurs ont suivi le même plan, & ont toûjours prêché aux particuliers d'obéir aux magistrats & aux princes, & aux esclaves d'être soûmis à leurs maîtres bons ou mauvais, chrétiens ou insideles ».

Plus ces principes sont incontestables, & plus on a senti, sur - tout en France, que par rapport à l'excommunication il falloit se rapprocher de la discipline des premiers siecles, ne permettre d'excommunier que pour des crimes graves & bien prouvés; diminuer le nombre des excommunications prononcées de plein droit; réduire à une excommunication mineure la peine encourue par ceux qui communiquent sans nécessité avec les excommuniés dénoncés; & enfin soûtenir que l'excommunication étant une peine purement spirituelle, elle ne dispense point les sujets des souverains excommuniés de l'obéissance dûe à leur prince, qui tient son autorité de Dieu même; & c'est ce qu'ont constamment reconnu non seulement les parlemens, mais même le clergé de France, dans les excommunications de Boniface VIII. contre Philippe - le - Bel, de Jules II. contre Louis XII; de Sixte V. contre Henri III; de Grégoire XIII. contre Henri IV; & dans la fameuse assemblée du clergé de 1682.

En effet, les canonistes nouveaux qui semblent avoir donné tant d'étendue aux effets de l'excommunication, & qui les ont renfermées dans ce vers technique:

Os, orare, vale, communio, mensa negatur. c'est - à - dire qu'on doit refuser aux excommuniés la conversation, la priere, le salut, la communion, la table, choses pour la plûpart purement civiles & temporelles; ces mêmes canonistes se sont relâchés de cette sévérité par cet autre axiome aussi exprimé en forme de vers:

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