ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"332"> bord elle n'est que végétative & semblable à celle d'une plante; qu'ensuite elle devient sensitive en se perfectionnant; & qu'enfin elle est rendue raisonnable par la coopération de Dieu. Une chose corporelle ne peut devenir incorporelle: si l'ame raisonnable est la même que la sensitive, mais plus épurée, elle est alors matérielle nécessairement. C'est là le système des Epicuriens, à cela près que l'ame chez les Philosophes payens avoit en elle la faculté de se perfectionner; au lieu que chez les Philosophes chrétiens, c'est Dieu qui par sa puissance la conduit à la perfection: mais la matérialité de l'ame est toûjours nécessaire dans les deux opinions. Ceux qui disent que l'embryon est animé jusqu'au quarantieme jour, tems auquel se fait la conformation des parties, prêtent, sans le vouloir, des armes à ceux qui soûtennent la matérialité de l'ame. Comment se peut - il faire que la vertu séminale, qui n'est secourue d'aucun principe de vie, puisse produire des actions vitales? Or si vous accordez, continuent - ils, qu'il y a un principe de vie dans les semences capable de produire la conformation des parties, d'agir, de mouvoir; en perfectionnant ce principe & lui donnant la liberté d'augmenter & d'agir librement par les organes parfaits, il est aisé de voir qu'il peut & doit même devenir ce qu'on appelle ame, qui par conséquent est matérielle.

Spinosa ayant une fois posé pour principe qu'il n'y a qu'une substance dans l'univers, s'est vû forcé par la suite de ses principes à détruire la spiritualité de l'ame. Il ne trouve entre elle & le corps d'autre différence que celle qu'y mettent les modifications diverses, modifications qui sortent néanmoins d'une même source, & possedent un même sujet. Comme il est un de ceux qui paroît avoir le plus étudié cette matiere, qu'il me soit permis de donner ici un précis de son système & des raisons sur lesquelles il prétend l'appuyer. Ce Philosophe prétend donc qu'il y a une ame universelle répandue dans toute la matiere, & surtout dans l'air, de laquelle toutes les ames particulieres sont tirées; que cette ame universélle est composée d'une matiere déliée & propre au mouvement, telle qu'est celle du feu; que cette matiere est toûjours prête à s'unir aux sujets disposés à recevoir la vie, comme la matiere de la flamme est prête à s'attacher aux choses combustibles qui sont dans la disposition d'être embrasées.

Que cette matiere unie au corps de l'animal y entretient, du moment qu'elle y est insinuée jusqu'à celui qu'elle l'abandonne, & se réunit à son tout, le double mouvement des poumons dans lequel la vie consiste, & qui est la mesure de sa durée.

Que cette ame ou cet esprit est constamment, & sans variation de substance, le même en quelque corps qu'il se trouve, séparé ou réuni; qu'il n'y a enfin aucune diversité de nature dans la matiere animante, qui fait les ames particulieres raisonnables, sensitives, végétatives, comme il vous plaira de les nommer; mais que la différence qui se voit entr'elles ne consiste que dans celle de la matiere qui s'est trouvée animée, & dans la différence des organes qu'elle est employée à mouvoir dans les animaux, ou dans la différente disposition des parties de l'arbre ou de la plante qu'elle anime; semblable à la matiere de la flamme uniforme dans son essence, mais plus ou moins brillante ou vive, suivant la substance à laquelle elle se trouve réunie; en effet elle paroît belle & nette, lorsqu'elle est attachée à une bougie de cire purifiée; obscure & languissante, lorsqu'elle est jointe à une chandelle de suif grossier. Il ajoûte que même parmi les cires, il y en a de plus nettes & de plus pures; qu'il y a de la cire jaune & de la cire blanche.

Il y a aussi des hommes de différentes qualités; ce qui seul constitue plusieurs degrés de perfections dans leur raisonnement, y ayant une différence infinie là - dessus. On peut même, ajoûte - t - il, perfectionner en l'homme les puissances de l'ame ou de l'entendement, en fortifiant les organes par le secours des Sciences, de l'éducation, de l'abstinence, de certaines nourritures ou boissons; ou les dégrader par une vie déréglée, par des passions violentes, les calamités, les maladies, & la vieillesse: ce qui est même une preuve invincible, que ces puissances ne sont que l'effet des organes du corps constituées d'une certaine maniere.

La portion de l'ame universelle qui aura servi à animer un corps humain, pourra servir à animer celui d'une autre espece; & pareillement celle dont les corps d'autres animaux auront été animés, & celle qui aura fait pousser un arbre ou une plante, pourra être employée réciproquement à animer des corps humains; de la même maniere que les parties de la flamme qui auroient embrasé du bois pourroient aussi embraser une autre matiere combustible.

Ce Philosophe moderne pousse cette pensée plus loin, & il prétend qu'il n'y a pas de moment où les ames particulieres ne se renouvellent dans les corps animés, par des parties de l'ame universelle qui succédent aux ames particulieres; ainsi que les particules de la lumiere d'une bougie ou d'une autre flamme sont suppléées par d'autres qui les chassent, & sont chassées à leur tour par d'autres.

La réunion des ames particulieres à la générale, à la mort de l'animal, est aussi prompte & aussi entiere que le retour de la flamme à son principe aussitôt qu'elle est séparée de la matiere à laquelle elle étoit unie. L'esprit de vie dans lequel les ames consistent, d'une nature encore plus subtile que celle de la flamme, si elle n'est la même, n'est ni susceptible d'une séparation permanente de la matiere dont il est tiré, ni capable d'être mangé, & est immédiatement & essentiellement uni dans l'animal vivant avec l'air, dont sa respiration est entretenue. Cet esprit est porté sans interruption dans les poumons de l'animal avec l'air qui entretient leur mouvement: il est poussé avec lui dans les veines par le souffle des poulmons; il est répandu par celles - ci dans toutes les autres parties du corps. Il fait le marcher & le coucher dans les unes, le voir, l'entendre, le raisonner dans les autres. Il donne lieu aux diverses passions de l'animal. Ses fonctions se perfectionnent & s'affoiblissent, selon l'accroissement ou diminution des forces dans les organes, elles cessent totalement; & cet esprit de vie s'envole & se réunit au général, lorsque les dispositions qu'il maintenoit dans le particulier viennent à cesser.

Avant de bien pénétrer le système de Spinosa, il faut remonter jusqu'à la plus haute antiquité, pour savoir ce que les anciens pensoient de la substance. Il paroît qu'ils n'admettoient qu'une seule substance, naturelle, infinie, & ce qui surprendra le plus, indivisible, quoique pourtant divisée en trois parties; & ce sont elles, qui réunies & jointes ensemble, forment ce que Pythagore appelloit le tout, hors duquel il n'y a rien. La premiere partie de cette substance, inaccessible aux regards de tous les hommes, est proprement ce qui détermine l'essence de Dieu, des Anges & des génies; elle se répand de - là sur tout le reste de la nature. La seconde partie compose les globes célestes, le soleil, les étoiles fixes, les planetes, & ce qui brille d'une lumiere primitive & originale. La troisieme enfin compose les corps, & généralement tout l'empire sublunaire, que Platon dans le Timée nomme le séjour du changement, la mere & la nourrice du sensible. Voilà en gros quelle idée on avoit de la substance unique dont on croyoit que les êtres tiroient le fond même de leur nature, chacun [p. 333] suivant le degré de perfection qui lui convient. Et comme cette substance passoit pour indivisible, quoiqu'elle fût divisée en trois parties, de même elle passoit pour immuable, quoiqu'elle se modifiât de différentes manieres. Mais ces modifications étant de peu de durée, on les comptoit pour rien, même on les regardoit comme non existantes, & cela par rapport au tout, qui seul existe véritablement. Ce qu'on doit observer avec soin: la substance joüit de l'être, & ses modifications esperent en joüir sans jamais pouvoir y arriver.

Le trop fameux Spinosa, en écrivant à Henri Oldenbourg Secrétaire de la Societé Royale de Londres, convient que c'est parmi les plus anciens Philosophes qu'il a puisé son système, qu'il n'y a qu'une substance dans l'univers. Mais il ajoûte qu'il a pris les choses d'un biais plus favorable, soit en proposant de nouvelles preuves, soit en leur donnant la forme observée par les Géometres. Quoi qu'il en soit, son système n'est point devenu plus probable, les contradictions n'y sont pas mieux sauvées. Les anciens confondoient quelquefois la matiere avec la substance unique, & ils disoient conséquemment que rien ne lui est essentiel que d'exister, & que si l'étendue convient à quelques - unes de ses parties, ce n'est que lorsqu'on les considere par abstraction. Mais le plus souvent ils bornoient l'idée de la matiere à ce qu'ils appelloient eux - mêmes l'empire sublunaire, la nature corporelle. Le corps, selon eux, est ce qu'on conçoit par rapport à lui seul, & en le détachant du tout dont il fait partie. Le tout ne s'apperçoit que par l'entendement, & le corps que par l'imagination aidée des sens. Ainsi les corps ne sont que des modifications qui peuvent exister ou non exister sans faire aucun tort à la substance; ils caractérisent & déterminent la matiere ou la substance, à peu près comme les passions caractérisent & déterminent un homme indifférent à être mû ou à rester tranquille. En conséquence, la matiere n'est ni corporelle ni incorporelle; sans doute, parce qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers, corporelle en ce qui est corps, incorporelle en ce qui ne l'est point. Ils disoient aussi, selon Proclus de Lycie, que la matiere est animée; mais que les corps ne le sont pas, quoiqu'ils aient un principe d'organisation, un je ne sai quoi de décisif qui les distingue l'un de l'autre; que la matiere existe par elle - même, mais non les corps qui changent continuellement d'attitude & de situation. Donc on peut avancer beaucoup de choses des corps, qui ne conviennent point à la matiere; par exemple, qu'ils sont déterminés par des figures, qu'ils se meuvent plus ou moins vîte, qu'ils se corrompent & se renouvellent, &c. au lieu que la matiere est une substance de tous points inaltérable. Aussi Pythagore & Platon conviennent - ils l'un & l'autre, que Dieu existoit avant qu'il y eût des corps, mais non avant qu'il y eût de la matiere, l'idée de la matiere ne demandant point l'existence actuelle du corps.

Mais pour percer ces ténebres, & pour se faire jour à travers, il faut demander à Spinosa ce qu'il entend par cette seule substance, qu'il a puisée chez les anciens. Car ou cette substance est réelle, existe dans la nature & hors de notre esprit, ou ce n'est qu'une substance idéale, métaphysique & abstraite. S'il s'en tient au premier sens, il avance la plus grande absurdité du monde. Car à qui persuadera - t - il que le corps A qui se meut vers l'orient, est la même substance numérique que le corps B qui se meut vers l'occident? A qui fera - t - il croire que Pierre qui pense aux propriétés d'un triangle, est précisément le même que Paul qui médite sur le flux & reflux de la mer? Quand on presse Spinosa pour savoir si l'esprit humain est la même chose que le corps, il répond que l'un & l'autre sont le même sujet, la même matiere qui a différentes modifications, qu'elle est esprit en tant qu'on l'a considere comme pensante; & qu'elle est corps en tant qu'on se la représente comme étendue & figurée. Mais je voudrois bien savoir ce qu'auroit dit Spinosa, à un homme assez ridicule pour affirmer qu'un cercle est un triangle, & qui auroit répondu à ceux qui lui auroient objecté la différence des définitions & des propriétés du cercle & du triangle, pour prouver que ces figures sont différentes, que c'est pourtant la même figure, mais diversement modifiée; que quand on la considere comme une figure qui a tous les côtés de la ciroonférence également distans du centre, & que cette circonférence ne touche jamais une ligne droite ou un plan que par un point, on la nomme cercle; mais que quand on la considere comme figure composée de trois angles & de trois côtés, alors on la nomme triangle; cette réponse seroit semblable à celle de Spinosa. Cependant je suis persuadé que Spinosa se seroit moqué d'un tel homme, & qu'il lui auroit dit que ces deux figures ayant des définitions & des propriétés diverses, sont nécessairement différentes malgré sa distinction imaginaire & son frivole quatenus. Voyez l'article du Spinosisme. Ainsi, en attendant que les hommes soient faits d'une autre espece, & qu'ils raisonnent d'une autre maniere qu'ils ne font, & tant qu'on croira qu'un cercle n'est pas un triangle, qu'une pierre n'est pas un cheval, parce qu'ils ont des définitions, des propriétés diverses & des effets différens; nous conclurrons par les mêmes raisons, & nous croirons que l'esprit humain n'est pas corps. Mais si par substance Spinosa entend une substance idéale métaphysique & arbitraire, il ne dit rien; car ce qu'il dit ne signifie autre chose, sinon qu'il ne peut y avoir dans l'univers deux essences différentes qui aient une même essence? Qui en doute? C'est à la faveur d'une équivoque aussi grossiere qu'il soûtient qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers. Vous ne vous imagineriez pas qu'il eût le front de soûtenir que la matiere est indivisible: il ne vous vient pas seulement dans l'esprit comment il pourroit s'y prendre pour soûtenir un tel paradoxe. Mais de la maniere dont il entend la substance, rien n'est plus aisé. Il prouve donc que la matiere est indivisible, parce qu'il considere métaphysiquement l'essence ou la définition qu'il en donne; & parce que la définition ou l'essence de toutes choses, c'est d'être précisément ce qu'on est, sans pouvoir être ni augmenté ni diminué, ni divisé; de - là il conclut que le corps est indivisible. Ce sophisme est semblable à celui - ci. L'essence d'un triangle consiste à être une figure composée de trois angles; on ne peut ni en ajoûter ni en diminuer: donc le triangle est un corps ou une figure indivisible. Ainsi, comme l'essence du corps est d'être une substance étendue, il est certain que cette essence est indivisible. Si on ôte ou la substance, ou l'extension, on détruit nécessairement la nature du corps. A cet égard donc le corps est quelque chose d'indivisible. Mais Spinosa donne grossierement le change à ses Lecteurs, ce n'est pas de quoi il s'agit. On prétend que ce corps ou cette substance étendue, a des parties les unes hors des autres, quoi qu'à parler métaphysiquement, elles soient toutes de même nature. Or c'est du corps tel qu'il existe dans la nature, que je soûtiens contre Spinosa qu'il n'est pas capable de penser.

L'esprit de l'homme est de sa nature indivisible. Coupez le bras ou la jambe d'un homme, vous ne divisez ni ne diminuez son esprit, il demeure toûjours semblable à lui - même, & suffisant à toutes ses opérations comme il étoit auparavant. Or si l'ame de l'homme ne peut être divisée, il faut nécessairement que ce soit un point, ou que ce ne soit pas un corps. Ce seroit une extravagance de dire que l'esprit de

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