ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"330"> ame universelle; & l'on doit observer que ce dogme est souvent appellé le dogme de l'immortalité.

Ainsi ces différens passages, & surtout celui de Cicéron, contiennent un trait singulier d'histoire, qui prouve non - seulement que l'opinion de l'ame universelle est une production des Grecs, mais qui même nous découvre quels en furent les auteurs: car Suidas nous dit que Phérécide n'eut de maître que lui - même. L'autorité de Pythagore répandit promptement cette opinion par toute la Grece; & je ne doute point qu'elle ne soit la cause que Phérécide, qui n'eut point soin de la cacher, comme le fit son grand disciple par le moyen de la double doctrine, ait été regardé comme athée.

Quoique les Grecs aient été inventeurs de cette opinion, comme il est cependant très - certain qu'ils ont été redevables à l'Egypte de leurs premieres connoissances, il est vraissemblable qu'ils furent conduits à cette erreur par l'abus de quelques principes Egyptiens.

Les Egyptiens, comme nous l'enseigne le témoignage unanime de toute l'antiquité, furent des premiers à enseigner l'immortalité de l'ame; & ils ne le firent point dans l'esprit des Sophistes Grecs, uniquement pour spéculer, mais afin d'établir sur ce fondement le dogme si utile des peines & des récompenses d'une autre vie. Toutes les pratiques & toutes les instructions des Egyptiens ayant pour objet le bien de la société, le dogme d'un état futur servoit lui - même à prouver & à expliquer celui de la Providence divine: mais cela seul ne leur paroissoit point suffisant pour résoudre toutes les objections qui naissent de l'origine du mal, & qui attaquent les attributs moraux de la divinité, parce qu'il ne suffit pas pour le bien de la société que l'on soit persuadé qu'il y a une providence divine, si l'on ne croit en même tems que cette providence est dirigée par un être parfaitement bon & parfaitement juste: ils n'imaginerent donc point de meilleur moyen pour résoudre cette difficulté, que la métempsycose ou la transmigration des ames, sans laquelle, suivant l'opinion d'Hiéroclès, on ne peut justifier les voies de la providence. La conséquence nécessaire de cette idée, c'est que l'ame est plus ancienne que le corps. Ainsi les Grecs trouvant que les Egyptiens enseignoient d'un côté que l'ame est immortelle à parte post, & qu'ils croyoient d'un autre côté que l'ame existoit avant que d'être unie au corps, ils en conclurrent, pour donner à leur système un air d'uniformité, qu'elle étoit éternelle à parte ante comme à parte post; ou que devant exister éternellement, elle avoit aussi existé de toute éternité.

Les Grecs après avoir donné à l'ame un des attributs de la divinité, en firent bientôt un Dieu parfait; erreur où ils tomberent par l'abus d'un autre principe Egyptien. Le grand secret des mysteres & le premier des mysteres qui furent inventés en Egypte, consistoit dans le dogme de l'unité de Dieu: c'étoit - là le mystere que l'on apprenoit aux Rois, aux Magistrats & à un petit nombre chois d'hommes sages & vertueux; & en cela même cette pratique avoit pour objet l'utilité de la société. Ils représentoient Dieu comme un esprit répandu dans tout le monde, & qui pénétroit la substance intime de toutes choses, enseignant dans un sens moral & figuré que Dieu est tout en tant qu'il est présent à tout, & que sa providence est aussi particuliere qu'universelle. Leur opinion, comme l'on voit, étoit fort différente de celle des Grecs sur l'ame universelle du monde; celle - ci étant aussi pernicieuse à la société, que l'athéisme direct peut l'être. C'est néanmoins de ce principe que Dieu est tout, expression employée figurément par les Egyptiens, & prise à la lettre par les Grecs, que ces derniers ont tiré cette conséquence, que tout est Dieu: ce qui les a entraînés dans toutes les erreurs & les absurdités de notre spinosisme. Les Orientaux d'aujourd'hui ont aussi tiré originairement leur réligion d'Egypte, quoiqu'elle soit infectée du spinosisme le plus grossier: mais ils ne sont tombés dans cet égarement que par le laps de tems, & par l'effet d'une spéculation rafinée, nullement originaire d'Egypte. Ils en ont contracté le goût par la communication des Arabes - Mahométans, grands partisans de la Philosophie des Grecs, & en particulier de leur opinion sur la nature de l'ame. Ce qui le confirme, c'est que les Druides, branche qui provenoit également des anciens Sages de l'Egypte, n'ont jamais rien enseigné de semblable, ayant été éteints avant que d'avoir eu le tems de spéculer & de subtiliser sur des hypotheses & des systèmes. Je sai bien que le dogme monstrueux de l'ame du monde passa des Grecs aux Egyptiens; que ces derniers surent insectés des mauvais principes des premiers: mais cela n'arriva que lorsque la puissance de l'Egypte ayant été violemment ébranlée par les Perses, & enfin entierement détruite par les Grecs, les sciences & la religion de cette nation fameuse subirent une révolution générale. Les Prêtres Egyptiens commencerent alors à philosopher à la maniere des Grecs; & ils en contracterent une si grande habitude, qu'ils en vinrent enfin à oublier la seience simple de leurs ancêtres, trop négligée par eux. Les révolutions du gouvernement contribuerent à celle des Sciences: cette derniere doit paroître d'autant moins surprenante, que toutes leurs sciences étoient transmises de génération en génération, en partie par tradition, & en partie par le moyen mystérieux des hiéroglyphes, dont la connoissance fut bientôt perdue; de sorte que les Anciens qui depuis ont prétendu les expliquer, nous ont appris seulement qu'ils n'y entendoient rien.

Les Peres mêmes ont été fort embarrassés à expliquer ce qui regarde l'origine de l'ame: Tertullien croyoit que les ames avoient été créées en Adam, & qu'elles venoient l'une de l'autre par une espece de production. Anima velut surculus quidam ex matrice Adami in propaginem deducta, & genitalibus semine foveis commodata. Pullulabit tam intellectu quam & sensu. Tert. de animâ, c. xix. J'ajoûterai un passage de S. Augustin, qui renferme les diverses opinions de son tems, & qui démontre en même tems la difficulté de cette question. Harum autem sententiarum quatuor de animâ, utrum de propagine veniant, an in singulis quibusque nascentibus mox fiant, an in corpora nascentium jam alicubi existentes vel mittantur divinitùs, vel suâ sponte labantur, nullam temerè affirmari oportebit; aut enim nondum ista quoestio à divinorum librorum catholicis tractatoribus, pro merito suoe obscuritatis & perplexitatis, evoluta atque illustrata est; aut si jam factum est, nondum in manus nostras hujuscemodi literoe provenerunt. Origene croyoit que les ames existoient avant que d'être unies aux corps, & que Dieu ne les y envoyoit pour les animer, que pour les punir en même tems de ce qu'elles avoient failli dans le ciel, & de ce qu'elles s'étoient écartées de l'ordre.

M. Leibnitz a sur l'origine des ames un sentiment qui lui est particulier. Le voici: il croit que les ames ne sauroient commencer que par la création, ni finir que par l'annihilation; & comme la formation des corps organiques animés ne lui paroit explicable dans l'ordre, que lorsqu'on suppose une préformation déjà organique; il en infere que ce que nous appellons génération d'un animal, n'est qu'une transformation & augmentation: ainsi puisque le même corps étoit déjà organisé, il est à croire, ajoûte - t - il, qu'il étoit déjà animé, & qu'il avoit la même ame. Après avoir établi un si bel ordre, & des regles si générales à l'égard des animaux; il ne lui paroît pas raisonnable que l'homme en soit exclu entierement, & que tout se fasse en lui par miracle par rap<pb-> [p. 331] pott à son ame. Il est donc persuadé que les ames qui seront un jour ames humaines, comme celles des autres especes, ont été dans les semences, & dans les ancêtres jusqu'à Adam, & ont existé par conséquent depuis le commencement des choses, toûjours dans une maniere de corps organisés; doctrine qu'il confirme par les observations microscopiques de M. Leuwenhoek, & d'autres bons observateurs. Il ne faut pas cependant s'imaginer qu'il croye qu'elles aient toûjours existé comme raisonnables; ce n'est point là son sentiment: il veut seulement qu'elles n'aient alors existé qu'en ames sensitives ou animales, doüées de perception & de sentiment, mais destituées de raison; & qu'elles soient demeurées dans cet état jusqu'au tems de la génération de l'homme à qui elles devoient appartenir. Elles ne reçoivent donc, dans ce système, la raison que lors de la génération de l'homme; soit qu'il y ait un moyen naturel d'élever une ame sensitive au degré d'ame raisonnable, ce qu'il est difficile de concevoir; soit que Dieu ait donné la raison à cette ame par une opération particuliere, ou si vous voulez, par une espece de transcréation; ce qui est d'autant plus aisé à admettre, que la révélation enseigne beaucoup d'autres opérations immédiates de Dieu sur nos ames. Cette explication paroît à M. de Leibnitz lever les embarras qui se présentent ici en Philosophie ou en Théologie: il est bien plus convenable à la Justice divine de donner à l'ame déjà corrompue physiquement ou animalement par le péché d'Adam; une nouvelle perféction qui est la raison, que de mettre une ame raisonnable, par création ou autrement, dans un corps où elle doive être corrompue moralement.

La hature de l'ame n'a pas moins exercé les Philosophes anciens & modernes, que son origine: il a été & il sera toûjours impossible de pénétrer comment cet être, qui est en nous & que nous regardons comme nous - mêmes, est uni à un certain assemblage d'esprits animaux qui sont dans un flux continuel. Chaque Philosophe a donné une définition différente de sa nature. Plutarque rapporte les sentimens de plusieurs Philosophes, qui ont tous été d'avis différens. Cela est bien juste, puisqu'ils décidoient positivement sur une chose dont ils ne savoient rien du tout. Voici ce passage, tome II. p. 898. trad. d'Amyot. « Thalès a été le premier qui a défini l'ame une nature se mouvant toûjours en soi - même: Pythagore, que c'est un nombre se mouvant soi - même; & ce nombre - là, il le prend pour l'entendement: Platon, que c'est une substance spirituelle se mouvant soi - même, & par un nombre harmonique: Aristote, que c'est l'acte premier d'un corps organique, ayant vie en puissance: Dicéarchus, que c'est l'hamonie & concordance des quatre élémens: Asclepiade le Medecin, que c'est un exercice commun de tous les sentimens ensemble. Tous ces Philosophes - là, continue - t - il, que nous avons mis ci - devant, supposent que l'ame est incorporelle, qu'elle se meut elle - même, que c'est une substance spirituelle ». Mais ce que les anciens nommoient incorporel, ce n'étoit point notre spirituel, c'étoit simplement ce qui est composé de parties très - subtiles. En voici une preuve sans réplique. Aristote rapportant le sentiment d'Héraclite sur l'ame, dit qu'il la regardoit comme une exhalaison; & il ajoûte que selon ce Philosophe elle étoit incorporelle. Qu'est - ce que cette incorporéité, sinon une extrème ténuité qui rend l'ame impalpable & imperceptible à tous nos sens? C'est à cela qu'il faut rapporter toutes les opinions suivantes. Pythagore disoit que l'ame étoit un détachement de l'air; Empedocle en faisoit un composé de tous les élémens: Démocrite, Leucippe, Parménide, &c. (Diog. Laërt. lib. VIII. fig. 27.) soûtenoient qu'elle étoit de feu: Epithorme avançoit que les ames étoient tirées du soleil: Plutarque rapporte ainsi l'opinion d'Epicure. « Epicure croit que l'ame est un mêlange, une température de quatre choses; de je ne sai quoi de feu, de je ne sai quoi d'air, de je ne sai quoi de vent, & d'un autre quatrieme qui n'a point de nom. (ubi supra.)». Anaxagore, Anaximene, Archelaüs, &c. ont crû que c'etoit un air subtil. Hippon assùra qu'elle étoit d'eau, parce que, selon lui, l'humide étoit le principe de toutes choses. Xenophane la composoit d'eau & de terre; Parmenide, de feu & de terre; Boëce, d'air & de feu. Critius soûtint que l'ame n'étoit que le sang; Hippocrate, que c'étoit un esprit délié répandu par tout le corps. Marc Antonin, qui étoit Stoïcien, étoit persuadé que c'étoit quelque chose de semblable au vent. Critolaüs imagina que son essence étoit une cinquieme substance. Encore aujourd'hui il y a peu d'hommes en Orient qui aient une connoissance parfaite de la spiritualité. Il y a là - dessus un passage de M. de Laloubere (Voyage du royaume de Siam, tome I. page 361.) qui vient ici fort à propos. « Nulle opinion, dit - il, n'a été si généralement reçûe parmi les hommes, que celle de l'immortalité de l'ame: mais que l'ame soit immatérielle, c'est une vérité dont la connoissance ne s'est pas tant étendue; aussi est - ce une difficulté très - grande de donner à un Siamois l'idée d'un pur esprit; & c'est le témoignage qu'en rendent les Missionnaires qui ont été le plus long - tems parmi eux. Tous les payens de l'Orient croyent à la vérité qu'il reste quelque chose de l'homme après sa mort, qui subsiste séparément & indépendamment de son corps: mais ils donnent de l'étendue & de la figure à ce qui reste, & ils lui attribuent les mêmes membres & toutes les mêmes substances solides & liquides dont nos corps sont composes: ils supposent seulement que nos ames sont d'une matiere assez subtile pour se dérober à l'attouchement & à la vûe, quoiqu'ils croyent d'ailleurs que si on en blessoit quelqu'une, le sang qui couleroit de sa blessure pourroit paroître. Telles étoient les manes & les ombres des Grecs & des Romains; & c'est à cette figure des ames, pareille à celle des corps, que Virgile suppose qu Enée reconnut Palnure, Didon & Anchise dans les enfers ». Aux payens anciens & modernes, on peut joindre les anciens Docteurs des Juifs, & même les Peres des premiers siecles de l'Eglise. M. de Beausobre a prouvé démonstrativement dans le second tome de son Histoire du Manichéisme, que les notions de création & de spiritualité ne se trouvent point dans l'ancienne Théologie Judaïque. Pour les Peres, rien n'est plus aisé que d'alléguer des témoignages de leur hétherodoxie sur ce sujet. S. Irénée (lib. II. c. xxxiv. l. V. c. vij. & passim) dit que l'ame est un souffle, qu'elle n'est incorporelle qu'en comparaison des corps grossiers, & qu'elle ressemble au corps qu'elle a habité. Tertullien suppose que l'ame est corporelle; definimus animam Dei flatu natam immortalem, corporalem effigiatam. De animâ, cap. xxij. S. Bernard, selon l'aveu du Pere Mabillon, enseigna à propos de l'ame, qu'après la mort elle ne voyoit pas Dieu dans le ciel, mais qu'elle conversoit seulement avec l'humanité de Jesus - Christ. Voyez l'article de L'lmmatérialisme, ou de la Spiritualité.

Il est donc bien démontré que tous les anciens Philosophes ont crû l'ame matérielle. Parmi les modernes qui se déclarent pour ce sentiment, on peut compter un Averroës, un Calderin, un Politien, un Pomponace, un Bembe, un Cardan, un Cesalpin, un Taurell, un Cremonin, un Berigard, un Viviani, un Hobbes, &c. On peut aussi leur associer ceux qui prétendent que notre ame tire son origine des peres & des meres par la vertu séminale; que d'a<pb->

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