ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"328"> qu'entre ces ames ainsi multipliées, ils croyoient qu'il n'y en avoit qu'une seule qui fût partie de la Divinité. Les autres étoient seulement une matiere élémentaire, ou de pures qualités.

Quelque différence de sentiment qu'il y eût sur la nature de l'ame, tous ceux qui croyoient que c'étoit une substance réelle, s'accordoient en ce point, qu'elle étoit une partie de la substance de Dieu, qu'elle en avoit été séparée, & qu'elle devoit y retourner par réfusion: la proposition est évidente par elle - même à l'égard de ceux qui n'admettoient dans toute la nature qu'une seule substance universelle; & ceux qui en admettoient deux, les considéroient comme réunies & composant ensemble l'univers, précisément comme le corps & l'ame composent l'homme: Dieu en étoit l'ame, & la matiere le corps; & de même que le corps retournoit à la masse de la matiere dont il étoit sorti, l'ame retournoit à l'esprit universel, de qui tous les esprits tiroient leur substance & leur existence.

C'est conformément à ces idées que Ciceron expose les sentimens des Philosophes Grecs: « Nous tirons, dit - il, nous puisons nos ames dans la nature des Dieux, ainsi que le soûtiennent les hommes les plus sages & les plus savans ». Les expressions originales sont plus fortes & plus énergiques: A naturâ deorum, ut doctissimis sapientissimisque placuit, haustos animos & libatos habemus. De div. Lib. II. c. xlix. Dans un autre endroit, il dit que l'esprit humain qui est tiré de l'esprit divin ne peut être comparé qu'à Dieu: Humanus autem animus decerptus est, mente divina, cum alio nullo nisi cum ipso Deo comparari potest. Tuscul. quoest. Lib. V. c. xv. Et afin qu'on ne s'imagine pas que ces sortes de phrases, que l'ame est une partie de Dieu, qu'elle est tirée de lui, de sa nature (phrases qui reviennent continuellement dans les écrits des anciens) ne sont que des expressions figurées, & que l'on ne doit point interpréter avec une sévérité métaphysique, il ne faut qu'observer la conséquence que l'on tiroit de ce principe, & qui a été universellement adoptée par toute l'antiquité, que l'ame étoit éternelle, à parte ante & à parte post; c'est - à - dire, qu'elle étoit sans commencement & sans fin, ce que les Latins exprimoient par le seul mot de sempiternelle. C'est ce que Ciceron indique assez clairement quand il dit qu'on ne peut trouver sur la terre l'origine des ames: « On ne rencontre rien, dit - il, dans la nature terrestre, qui ait la faculté de se ressouvenir & de penser, qui puisse se rappeller le passé, considérer le présent, & prévoir l'avenir. Ces facultés sont divines; & l'on ne trouvera point d'où l'homme peut les avoir, si ce n'est de Dieu. Ainsi ce quelque chose qui sent, qui goûte, qui veut, est céleste & divin, & par cette raison il doit être nécessairement éternel ». La maniere dont Ciceron tire la conséquence, ne permet pas d'envisager le principe dans un autre sens queans un sensrécis & métaphysique.

Lorsqu'on dit que les Anciens croyoient l'éternité de l'ame, sans commencement comme sans fin, on ne doit pas s'imaginer qu'ils crussent que l'ame existât de toute éternité d'une maniere distincte & particuliere, mais seulement qu'elle étoit tirée ou détachée de la substance éternelle de Dieu, dont elle faisoit partie, & qu'elle s'y devoit réunir & y rentrer de nouveau. C'est ce qu'ils expliquoient par l'exemple d'une bouteille remplie d'eau & nageant dans la mer, venant à se briser; l'eau coule de nouveau & se réunit à la masse commune: il en étoit de même de l'ame à la dissolution du corps. Ils ne différoient que sur le tems de cette réunion; la plus grande partie soûtenoit qu'elle se faisoit à la mort, & les Pythagoriciens prétendoient qu'elle ne se faisoit qu'après plusieurs transmigrations. Les Platoniciens marchant entre ces deux opinions, ne réunissoient à l'esprit universel, immédiatement après la mort, que les ames pures & sans tache. Celles qui s'étoientsouillées par des vices ou par des crimes, passoient par une succession de corps différens, pour se purifier avant que de retourner à leur substance primitive. C'étoit - là les deux especes de métempsycoses naturelles, dont faisoient réellement profession ces deux écoles de Philosophie.

Que ce soient - là les véritables sentimens de l'antiquité, nous le prouvons par les quatre grandes sectes de l'ancienne Philosophie; savoir les Pythagoriciens, les Platoniciens, les Péripatéticiens, & les Stoïciens: l'exposition de leurs sentimens confirmera ce que nous avons dit de ceux des Philosophes en général sur la nature de l'ame.

Ciceron dans la personne de Velleius l'Epicurien, accuse Pythagore de soûtenir que l'ame étoit une substance détachée de celle de Dieu, ou de la nature universelle, & de ne pas voir que par là il mettoit Dieu en pieces & en morceaux. « Pythagore & Empédocle, dit Sextus Empiricus, croyoient, ainsi que toute l'école Italique, que nos ames sont non - seulement de la même nature les unes que les autres, mais qu'elles sont encore de la même nature que celles des dieux, & que les ames irrationnelles des brutes; n'y ayant qu'un seul esprit infus dans l'univers qui lui fournit des ames, & qui unit les nôtres avec toutes les autres ».

Platon appelle souvent l'ame sans aucun détour, Dieu, une partie de Dieu. Plutarque dit que Pythagore & Platon croyoient l'ame immortelle, & que s'élançant dans l'ame universelle de la nature, elle retournoit à sa premiere origine. Arnobe accuse les Platoniciens de la même opinion, en les apostrophant de la sorte: « Pourquoi donc l'ame, que vous dites être immortelle, être Dieu, est - elle malade dans les malades, imbécille dans les enfans, caduque dans les vieillards? ô folie, démence, infatuation »!

Aristote, à quelques modifications près, pensoit sur la nature de l'ame comme les autres Philosophes. Après avoir parlé des ames sensitives, & déclaré qu'elles étoient mortelles, il ajoûte que l'esprit ou l'intelligence existe de tout tems, & qu'elle est de nature divine: mais il fait une seconde distinction; il trouve que l'esprit est actif ou passif, & que de ces deux sortes d'esprit le premier est immortel & éternel, le second corruptible. Les plus savans Commentateurs de ce Philosophe ont regardé ce passage comme inintelligible, & ils se sont imaginés que cette obscurité provenoit des formes & des qualités qui infectent sa philosophie, & qui confondent ensemble les substances corporelles & incorporelles. S'ils eussent fait attention au sentiment général des Philosophes Grecs sur l'ame universelle du monde, ils auroient trouvé que ce passage est clair, & qu'Aristote, de ce principe commun que l'ame est une partie de la substance divine, tire ici une conclusion contre son existence particuliere & distincte dans un état futur: sentiment qui a été embrassé par tous les Philosophes, mais qu'ils n'ont pas tous avoüé aussi ouvertement. Lorsqu'Aristote dit que l'intelligence active est seule immortelle & éternelle, & que l'intelligence passive est corruptible; le sens de ces expressions ne peut être que celui - ci: que les sensations particulieres de l'ame, en quoi consiste son intelligence passible, cesseront à la mort: mais que la substance, en quoi consiste son intelligence active, continuera de subsister, non séparément, mais confondue dans l'ame de l'univers. Car l'opinion d'Aristote, qui comparoit l'ame à une table rase, étoit que les sensations & les réflexions ne sont que des passions de l'ame, & c'est ce qu'il appelle l'intelligence passive, qui comme il le dit, cessera d'exister, ou qui en d'autres termes [p. 329] équivalens, est corruptible. Ses commentateurs & ses paroles mêmes nous apprennent ce qu'il faut entendre par l'intelligence active, en la caractérisant d'intelligence divine, ce qui en indique & l'origine & la fin. Par là cette distinction, extravagante en apparence, de l'esprit humain en intelligence active & passive, paroît simple & exacte. Pour n'avoir point eu la clé de cette ancienne métaphysique, les partisans d'Aristote ont été fort partagés entr'eux, pour décider ce que leur maître croyoit de la mortalité ou de l'immortalité de l'ame. Les expressions d'intelligence passive ont même fait imaginer à quelques - uns, comme à Némesius, qu'Aristote croyoit que l'ame n'étoit qu'une qualité.

Quant aux Stoïcïens, voyons la maniere dont Séneque expose leurs sentimens: « Et pourquoi, dit - il, ne croiroit - on pas qu'il y a quelque chose de divin dans celui qui est une partie de la divinité même? Ce tout dans lequel nous sommes contenus est un, & cet un est Dieu. Nous sommes ses associés, nous sommes ses membres ». Epictete dit que les ames des hommes ont la relation la plus étroite avec Dieu; qu'elles en sont des parties; qu'elles sont des fragmens séparés & arrachés de sa substance. Enfin Marc Antonin combat par ces réflexions la crainte de la mort. « La mort, dit - il, est non - seulement conforme au cours de la nature, mais elle est encore extrèmement utile. Que l'on examine combien un homme est étroitement uni à la divinité; dans quelle partie de nous - mêmes cette union réside, & quelle sera la condition de cette partie ou portion de l'humanité au moment de sa réfusion dans l'ame du monde.»

Les sentimens des quatre grandes sectes de Philosophes sont, comme on le voit, à peu près uniformes sur ce point. Ceux qui croyoient, comme Plutarque, qu'il y avoit deux principes, l'un bon & l'autre mauvais, croyoient que l'ame étoit tirée, partie de la substance de l'un, & partie de la substance de l'autre; & ce n'étoit qu'en cette circonstance seule qu'ils différoient des autres Philosophes.

Peu de tems après la naissance du Christianisme, les Philosophes étant puissamment attaqués par les écrivains chrétiens, altérerent leur philosophie & leur religion, en rendant leur philosophie plus religieuse, & leur religion plus philosophique. Parmi les rafinemens du paganisme, l'opinion qui faisoit de l'ame une partie de la substance divine, fut adoucie. Les Platoniciens la bornerent à l'ame des brutes. Toute puissance irrationnelle, dit Porphire, retourne par réfusion dans l'ame du tout. Et l'on doit remarquer que ce n'est seulement qu'alors que les Philosophes commencerent à croire réellement & sincerement le dogme des peines & des récompenses d'une autre vie. Mais les plus sages d'entre - eux n'eurent pas plûtôt abandonné l'opinion de l'ame universelle, que les Gnostiques, les Manichéens & les Priscilliens s'en emparerent: ils la transmirent aux Arabes, de qui les athées de ces derniers siecles, & notamment Spinosa, l'ont empruntée.

On demandera peut - être d'où les Grecs ont tiré cette opinion si étrange de l'ame universelle du monde; opinion aussi détestable que l'athéisme même, & que M. Bayle trouve avec raison plus absurde que le système des atomes de Démocrite & d'Epicure. On s'est imaginé qu'ils avoient tiré cette opinion d'Egypte. La nature seule de cette opinion fait suffisamment voir qu'elle n'est point Egyptienne: elle est trop rafinée, trop subtile, trop métaphysique, trop systématique: l'anciennè philosophie des Barbares (sous ce nom les Grecs entendoient les Egyptiens comme les autres nations) consistoit seulement en maximes détachées, transmises des maîtres aux disciples par la tradition, où rien ne ressentoit la spéculation, & où l'on ne trouvoit ni les rafinemens ni les subtilités qui naissent des systèmes & des hypotheses. Ce caractere simple ne régnoit nulle part plus qu'en Egypte. Leurs Sages n'étoient point des sophistes scholastiques & sédentaires, comme ceux des Grecs; ils s'occupoient entierement des affaires publiques de la religion & du gouvernement; & en conséquence de ce caractere, ils ne poussoient les Sciences que jusqu'où elles étoient nécessaires pour les usages de la vie. Cette sagesse si vantée des Egyptiens, dont il est parlé dans les saintes Ecritures, consistoit essentiellement dans les arts du gouvernement, dans les talens de la législature, & dans la police de la société civile.

Le caractere des premiers Grecs, disciples des Egyptiens, confirme cette vérité; savoir, que les Egyptiens ne philosophoient ni sur des hypotheses, ni d'une maniere systématique. Les premiers Sages de la Grece, conformément à l'usage des Egyptiens leurs maîtres, produisoient leur philosophie par maximes détachées & indépendantes, telle certainement qu'ils l'avoient trouvée, & qu'on la leur avoit enseignée. Dans ces anciens tems le Philosophe & le Théologien, le Législateur & le Poëte, étoient tous réunis dans la même personne: il n'y avoit ni diversité de sectes, ni succession d'écoles: toutes ces choses sont des inventions Greques, qui doivent leur naissance aux spéculations de ce peuple subtil & grand raisonneur.

Quoique l'opposition du génie de la Philosophie Egyptienne avec le dogme de l'ame universelle, soit seule suffisanre pour prouver que ce dogme n'étant point Egyptien ne peut être que Grec, nous en confirmerons la vérité en prouvant que les Grecs en furent les premiers inventeurs. Le plus beau principe de la Physique des Grecs eut deux auteurs, Démocrite & Séneque: le principe le plus vicieux de leur Métaphysique eut de même deux auteurs, Phérécide le Syrien, & Thalès le Milésien, Philosophes contemporains.

Phérécide le Syrien, dit Cicéron, fut le premier qui soûtint que les ames des hommes étoient sempiternelles; opinion que Pythagore son disciple accrédita beaucoup.

Quelques personnes, dit Diogene Laërce, prétendent que Thalès fut le premier qui soûtint que les ames des hommes étoient sempiternelles. Thalès, dit encore Plutarque, fut le premier qui enseigna que l'ame est une nature éternellement mouvante, ou se mouvant par elle - même.

On entend communément par le passage ci - dessus de Cicéron, & par celui de Diogene Laërce, que les Philosophes, dont il y est fait mention, sont les premiers qui aient enseigné l'immortalité de l'ame. Mais comment accorder ce sentiment avec ce que dit Cicéron, ce que dit Plutarque, ce qu'ont dit tous les Anciens, que l'immortalité de l'ame étoitune chose que l'on avoit crue de tout tems? Homere l'enseigne, Hérodote rapporte que les Egyptiens l'avoient enseignée depuis les tems les plus reculés: c'est sur cette opinion qu'étoit fondée la pratique si ancienne de déifier les morts. Il en faut conclurre, qu'il n'est pas question dans ces passages de la simple immortalité, considérée comme une existence qui n'aura point de fin, mais qu'il faut entendre une existence sans commencement, aussi - bien que sans fin: c'est ce que signifie le mot de sempiternelle dont se sert Cicéron. Or l'éternité de l'ame étoit, comme nous l'avons déjà fait voir, une conséquence qui ne pouvoit naître que du principe qui faisoit l'ame de l'homme une partie de Dieu, & qui par conséquent faisoit Dieu l'ame universelle du monde. Enfin l'antiquité nous apprend que ces deux Philosophes pensoient qu'il y avoit une

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