ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Enfin Montécuculli, le Vegece de nos jours, estime que la cavalerie pesante doit au moins faire la moitié de l'infanterie, & la legere le quart au plus de la pesante: les sentimens de ces grands généraux de nations différentes, ceux des anciens & des plus grands capitaines, la raison & l'expérience, les opérations les plus importantes de la guerre, & tous les besoins d'une armée, sont autant de témoignages de la nécessité de la cavalerie.

C'est sans doute à cause de l'importance des services de la cavalerie en campagne, que de tout tems on a jugé que dans les occations où il se trouve mêlange des deux corps, l'officier de cavalerie commanderoit le tout, parce que les opérations de la cavalerie exigent une expérience particuliere que ne peut avoir l'officier d'infanterie; & l'on peut dire que si celle - ci attend la mort avec fermeté, l'autre y vole avec intrépidité.

On a prouvé de tout tems que des cavaliers épars n'auroient aucune solidité; c'est ce qui a obligé d'en joindre plusieurs ensemble, & c'est cette union, comme on l'a déja dit, qu'on nomme escadron.

Bien des peuples formoient leurs escadrons en triangle, en coin, en quarré de toutes especes: le losange étoit l'ordonnance la plus généralement reçue, mais l'expérience a fait sentir qu'elle seroit vicieuse, & a fait prendre à toutes les nations la forme des escadrons quarrés. Les Turcs seuls se servent encore du losange & du coin; ils pensent, comme les anciens, que cette forme est la plus propre pour mettre la cavalerie en bataille sur toutes sortes de terrein, & la faire servir avantageusement aux différentes opérations de la guerre d'autant plus facilement, qu'il y a un officier à chacun de ses angles: d'ailleurs comme cet escadron se présente en pointe, ils croyent qu'il lui est aisé de percer par un moindre intervalle; que n'occupant pas un grand espace, il a plus de vivacité dans ses mouvemens, & qu'enfin il n'est pas sujet, lorsqu'il veut faire des conversions, à tracer de grands circuits comme l'escadron quarré, qui est contraint dans ce cas de parcourir une grande portion de cercle. Mais si les escadrons en losange ont effectivement ces avantages, ils ont aussi les défauts de ne présenter qu'un très - petit nombre de combattans; les parties intérieures en sont inutiles, & la gauche n'en peut combattre avec avantage. Cet escadron, pris par un autre, formé sur un quarré long qui se recourbe de droite & de gauche, est immanquablement enveloppé sans avoir la liberté de se défendre; & lorsqu'il est une fois rompu, il ne lui est plus possible de se reformer: ainsi il ne peut tout - au - plus être bon que pour une petite troupe servant de garde, & plûtôt faite pour avertir & se retirer que pour combattre. Voici en deux mots qu'elles étoient les différentes manieres de former ces escadrons en triangle.

Les Thessaliens, chez qui l'art de combattre à cheval étoit connu bien avant la guerre de Troye, furent les premiers qui donnerent à leurs escadrons la forme d'un losange: on sait que parmi les Grecs cette cavalerie thessalienne étoit en fort grande réputation; ce fut Iléon le thessalien qui le premier établit cet ordre, & dont il porte le nom d'ilé. Voyez la tactique d'Elien.

Celui qui commandoit l'escadron ou losange s'appelloit ilarque, il tenoit la pointe de la tête; ceux qui fermoient les droites & les gauches du rang du milieu étoient les gardes - flancs, & celui de la queue se nommoit le serre - file.

Il y avoit quatre manieres de former l'escadron en losange; la premiere avec des files & des rangs, la seconde sans rangs & sans files, la troisieme avec des files, mais sans rangs, & la quatrieme avec des rangs & point de files.

Les Macédoniens, les Scythes & les Thraces trouverent les escadrons en losange trop pesans; ils en retrancherent la queue & formerent, moyennant cette réforme, ce qu'ils appellerent le coin. On assûre que Philippe fut l'auteur de cette ordonnance: quoi qu'il en soit il ne paroît pas que ce fût - là l'ordre qu'observerent le plus communément les Macédoniens, puisque Polybe (l. VI. ch. xij.) nous apprend que leur cavalerie se rangeoit pour l'ordinaire sur huit de hauteur; c'est, dit - il, la meilleure méthode. Tacite nous apprend que les Germains formoient aussi en coin les différens corps de leur armée.

Les Siciliens & la plûpart des peuples de la Grece formerent de leur cavalerie des escadrons quarrés; ils leur sembloient plus faciles à former, & devoir marcher plus unis & plus serrés: d'ailleurs dans cet ordre, le front se trouve composé d'officiers & de ce qu'il y a de meilleurs cavaliers, & le choc se faisant tout ensemble; a plus de force & d'impétuosité. Le losange ou le coin, au contraire, ne présente qu'un seul combattant, lequel étant hors de combat cause infailliblement la perte de l'escadron.

Les Perses se servirent aussi des formes quarrées pour former leurs escadrons; & comme ils avoient une nombreuse cavalerie, ils donnerent à ces escadrons beaucoup de profondeur: les files étoient de douze, quelquefois de seize cavaliers; ce qui rendoit leurs escadrons si pesans, qu'ils furent presque toûjours battus, malgré la supériorité du nombre.

Les Romains formerent leurs escadrons ou leurs turmes sur une autre espece de quarré, les quarrés longs; ils leur donnoient un front & une épaisseur beaucoup moins grands que les Grecs en général n'avoient fait: c'etoit l'usage reçu parmi les Romains pour la disposition de leurs escadrons; mais ils n'y étoient pas tellement assujettis, que suivant les circonstances ils ne changeassent cet ordre. A la bataille de Pharsale nous voyons que Pompée, de beaucoup supérieur en cavalerie, joignit ensemble quatré turmes, & forma ses escadrons de quinze cavaliers de front sur huit de hauteur; ce qui obligea César, qui n'avoit que trente - trois turmes, chacune de trente hommes, de les ranger sur dix de front & trois de hauteur, suivant l'usage ordinaire.

L'usage de ne faire combattre la cavalerie que sur un seul rang, a'duré long tems en Europe dans les premiers tems de notre monarchie; l'espece de cavalerie, les armes offensives & défensives exigeoient cet ordre: il a duré jusqu'au milieu du regne d'Henri II. qui voyant les files de gendarmerie aisément renversées par les escadrons de lances & par ceux de reistres que l'empereur Charles V. avoit créés, donna à notre cavalerie la forme quarrée, mais avec une excessive profondeur. Cet usage, bien que sujet à mille inconvéniens, a subsisté en Europe depuis Henri II. jusqu'à Henri IV. sous lequel les escadrons de dix rangs qu'ils avoient auparavant furent réduits à huit, puis à six rangs. Alors les compagnies formoient autant d'escadrons; elles étoient de quatre cents maîtres, & les capitaines qui vouloient combattre à la tête de leur compagnie, ne vouloient pas partager le commandement en la partageant: mais ces compagnies ayant depuis été mises à deux cents hommes, les escadrons eurent moins de front & moins de profondeur; ils étoient encore trop lourds, & ne furent réduits à la proportion la plus convenable, que lorsqu'on les enrégimenta sous Louis XIII. en 1635. On les disposa sous trois ou quatre rangs de quarante ou de cinquante maîtres chacun; c'est - là l'ordre que notre cavalerie observe encore aujourd'hui, & c'est en effet celui que l'expérience a prouvé être le meilleur. Les officiers les plus expérimentés estiment que l'escadron de cavalerie sur trois rangs, à quarante - huit maîtres chacun, est préférable à tout [p. 925] autre, étant le plus juste dans ses proportions; celui de cent vingt, à quarante maîtres par rangs, peut être bon quand les compagnies sont foibles, parce qu'il comporte huit divisions égales: l'autre peut être divisé en seize.

Quelques personnes cependant se sont élevées contre la méthode de former nos escadrons sur trois rangs, & ont soûtenu qu'il seroit plus avantageux de leur en donner un quatrieme: quoique leur système puisse être appuyé de l'autorité des Gustaves & des Turennes, qui donnoient à leurs escadrons quatre, quelquefois même jusqu'à cinq rangs de profondeur, il faut croire que si l'usage de faire combattre les escadrons sur trois rangs n'étoit pas effectivement le meilleur, l'Europe entiere ne l'auroit pas adopté, ou ne l'eût pas au moins toûjours conservé depuis.

D'autres au contraire trouvent encore trop de profondeur aux escadrons disposés sur trois rangs, & prétendent que l'ordre des escadrons en bataille sur deux rangs est le plus avantageux à la cavalerie. Ceux qui sont prévenus de ce séntiment le soûtiennent, parce que l'ancienne cavalerie & la gendarmerie, qui ont fait si long - tems la principale force des armées de France, alloient à l'ennemi sur un seul rang. Mais que conclure de - là? Dans ces tems reculés aucun peuple ne formoit sa cavalerie en escadrons, les ennemis n'avoient alors à cet égard aucun avantage sur nous; d'ailleurs cette cavalerie étoit composée de l'élite de la noblesse françoise, hommes & chevaux étoient couverts d'une armure qui les rendoient presque invulnérables, & qui auroient donné une excessive pesanteur à des escadrons ainsi composés: leur arme offensive étoit la lance, qui ne permettoit pas non plus qu'ils combattissent en escadrons. N'auroit - ce pas été perdre sans nécessité d'excellens champions; que de doubler de pareils rangs? D'ailleurs on sait que cette cavalerie fut toûjours battue lorsqu'elle eut à faire contre une autre disposée sur plusieurs rangs de hauteur.

La maison du roi combat sur trois rangs: comparable sans doute à tous égards à cette ancienne cavalerie, elle lui est de beaucoup supérieure pour la discipline; & s'il y avoit un avantage récl de combattre sur deux rangs, il est aisé de penser que cet usage eût été établi dans ce corps, à qui une longue expérience a appris à toûjours vaincre, & dont deux rangs paroissent suffire pour cela. Le premier des trois rangs dans les escadrons des gardes - du corps est composé entierement d'officiers; & quand il ne s'en trouve pas suffisamment pour le completer, on y admet les gardes qu'on nomme Carabiniers.

Si l'on veut comparer notre cavalerie avec la maison du roi, on se croira forcé de lui donner plûtôt six rangs que trois: ce sont bien les mêmes armes, mais ce ne sont pas les mêmes hommes ni les mêmes chevaux; la nécessité oblige pendant la guerre d'ajoûter aux bons cavaliers des cavaliers médiocres, & même de mauvais, c'est - à - dire de jeunes gens ou de jeunes chevaux non exercés, dont il n'est pas possible de tirer un grand service. S'il est un moyen de remédier à ces défauts, ce ne peut être qu'en donnant à cette cavalerie la meilleure forme dont elle est susceptible; elle doit être solide, mais en même tems facile à mouvoir: & pour cela il faut que la hauteur de l'escadron soit proportionnée à sa longueur, de maniere qu'il n'occupe ni trop ni trop peu de terrein. La disposition de l'escadron sur trois rangs est sans contredit la plus propre à réunir ces avantages: on espere le démontrer, en supposant toûjours que les escadrons doivent être de cent vingt à cent quarante - quatre hommes; car s'ils étoient de cent & au - dessous de ce nombre, il seroit nécessaire de ne leur donner que deux rangs.

Le terrein qui dans un champ de bataille contient la cavalerie en escadrons disposés sur trois rangs, est déjà d'une étendue très - considérable. Si on ne donnoit plus que deux rangs à ces escadrons, on seroit obligé de prolonger la ligne d'un tiers; cela est évident.

Qui ne voit d'un premier coup - d'oeil combien une pareille disposition entraîne de difficulté? car enfin quand il seroit possible de trouver pour toutes les occasions des plaines assez vastes pour sonner sur deux rangs deux lignes de cinquante escadrons chacune (nombre aujourd'hui le plus ordinaire dans les armées), que d'inconvéniens ne résulte - t - il pas de la trop grande étendue d'un champ de bataille, où le général ne pouvant juger de tout par lui - même, ne sauroit donner des ordres à propos (a)? Les secours arrivent trop tard, les momens sont précieux à la guerre; & d'ailleurs quelle apparence que des aîles composées d'escadrons formés sur deux rangs puissent tenir contre le choc d'autres escadrons plus forts d'un rang? Ce sont les aîles qui, comme on sait, décident presque toûjours du sort des batailles; dénuée de leur secours, l'infanterie est bien - tôt prise tout - à - la - fois en flanc & en queue par la cavalerie ennemie, & de front par l'infanterie; on ne sauroit donc trop rapprocher des yeux du général la cavalerie; & la meilleure maniere de le faire, est d'en former les escadrons sur trois rangs; le poste qu'elle occupe n'en est déjà que trop éloigné: d'ailleurs ses combats sont vifs, de peu de durée, & presque toûjours décisifs. Le général seul par sa présence est en état de parer à mille accidens que toute la prudence humaine n'auroit pû prévoir.

La trop grande étendue d'un escadron rend sa marche flotante & inégale; ses mouvemens sont moins legers & plus difficiles; il est fort à craindre qu'il ne s'ouvre ou qu'il ne creve par quelque endroit; alors un tel escadron est vaincu avant que d'avoir combattu. Savéritable force consiste à être également serré de toutes parts, mais sans gêne; l'union en doit être parfaite: car, comme le remarque Montecuculli, « tout l'avantage à la guerre consiste à former un corps solide, si ferme & si impénétrable, qu'en quelque endroit qu'il soit ou qu'il aille, il y arrête l'ennemi comme un bastion mobile, & se défende par lui - même ».

Les mouvemens de l'escadron sur deux rangs ne peuvent être que fort lents & fort difficiles à exécuter; il ne faut pour l'arrêter, ou au moins pour retarder considérablement sa marche, qu'un fossé, un ravin, une haie, une hauteur ou un ruisseau, qui se rencontrent sur sa route; plus l'espace de terrein qu'il doit parcourir sera étendue, & plus il y a lieu de présumer qu'il trouvera de ces obstacles à vaincre; obstacles bien moins à craindre pour l'escadron sur trois rangs, qui peut plus aisément les éviter ou les vaincre par le peu d'étendue de son front.

Dans l'escadron sur trois rangs, le premier de ces rangs est composé de l'élite de toute la troupe; ce ne sont que des officiers, des brigadiers, des carabiniers, ou au moins les anciens cavaliers, dont les exercices, la valeur & l'expérience sont garants de leur conduite; elle sert d'exemple, & pique d'émulation les deux rangs qui suivent. Dans l'escadron ordonné sur deux rangs, ils sont l'un & l'autre d'un tiers plus nombreux; & il est impossible que le premier rang de celui - ci soit aussi - bien composé que le premier rang de l'escadron sur trois; on sera forcé d'y admettre des hommes de recrues qui n'auront point été exercés, des chevaux neufs, ou des chevaux rétifs, qui n'étant point faits au bruit de la guerre, rompront infailliblement l'escadron. Les officiers d'ail<->

(a) Melius est post aciem plura servare proesidia quam latius militem spargere. Veget. lib. III. cap. xxvj.

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