ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
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ENSEIGNE (Page 5:708)

ENSEIGNE, s. m. (Hist. anc. & mod.) signe mili<pb-> [p. 709] taire sous lequel se rangent les soldats, selon les différens corps dont ils sont, ou les différens partis qu'ils suivent.

Dans la premiere antiquité, les enseignes militaires furent aussi simples que l'étoient les premieres armes; & les diverses nations ou partis, pour se reconnoître dans les combats, employerent pour signal des choses très - communes, comme des branches de verdure, des oiseaux en plume, des têtes d'animaux, des poignées de foin mises au haut d'une perche; mais à mesure qu'on se perfectionna dans la maniere de s'armer & de combattre, on imagina des enseignes ou plus solides ou plus riches, & chaque peuple voulut avoir les siennes caractérisées par des symboles qui lui fussent propres. Les Grecs, par les termes génériques de SU/MBOLON & de POLU/SMA, & les Latins par ceux de signum & de vexillum, désignoient toutes sortes d'enseignes, soit qu'elles fussent en figure de relief, soit qu'elles fussent d'étoffe unie, peinte ou brodée; néanmoins chaque enseigne d'une forme particuliere, avoit son nom propre, tant pour la donner à connoître sous sa forme, que pour montrer à quelle espece de milice elle convenoit.

Le nom d'enseigne est donc générique; & parmi nous ce genre se subdivise en deux especes, drapeau pour l'infanterie, & étendard pour la cavalerie.

Les Juifs eurent des enseignes, chacune des douze tribus d'Israel ayant une couleur à elle affectée, avoit un drapeau de cette couleur, sur lequel on voyoit, à ce qu'on prétend, la figure ou le symbole qui désignoit chaque tribu, selon la prophétie de Jacob. L'Ecriture parle souvent du lion de la tribu de Juda, du navire de Zabulon, des étoiles & du firmament d'Issachar. Mais quoique chaque tribu eût son enseigne, on prétend que sur les douze il y en avoit qu tre prédominantes: savoir, celle de Juda, où l'on voyoit un lion; celle de Ruben. de Dan & d'Ephraim, sur lesquelles on voyoit des figures d'hommes, d'aigles, d'animaux. L'existence des enseignes chez les Hébreux est attestée par l'Ecriture: Singuli per turmas, signa atque vexilla castrametabuntur filii Israel, dit Moyse, chap. ij. des nombres. Mais la représentation d'hommes & d'animaux sur ces enseignes n'est pas également prouvée; elle paroît même directement contraire à la défense que Dieu, dans les Ecritures, réitere si souvent aux Israélites de faire des figures. On croit qu'après la captivité de Babylone, leurs drapeaux ne furent plus chargés que de quelques lettres qui formoient des sentences à la gloire de Dieu.

Il n'en étoit pas de même des nations idolatres; leurs enseignes ou drapeaux portoient l'image de leurs dieux ou des symboles de leurs princes. Ainsi les Egyptiens eurent le taureau, le crocodile, &c. Les Assvriens avoient pour enseignes des colombes ou pigeons; parce que le nom de leur fameuse reine Semiramis, originairement Chemirmor, signifie colombe. Jéremie, chap. xlvj. pour détourner les Juif d'entrer en guerre avec les Assyriens, leur conseille de fuir devant l'épée de la colombe, à facie gladii columboe fugiamus, ce que les commentateurs ont entendu des drapeaux des Chaldéens.

Chez les Grecs, dans les tems héroïques, c'étoit un bouclier, un casque ou une cuirasse au haut d'une lance, qui servoient d'enseignes militaires. Cependant Homere nous apprend qu'au siége de Troye, Agamemnon prit un voile de pourpre & l'éleva en - haut avec la main, pour le faire remarquer aux soldats & les rallier à ce signal. Ce ne fut que peu - à - peu que s'introduisit l'usage des enseignes avec les devises. Celles des Athéniens étoient Minerve, l'olivier, & la chouette: les autres peuples de la Grece avoient aussi pour enseignes ou les figures de leurs dieux tutelaires, ou des symboles particuliers élevés au bout d'une pique. Les Corinthiens portoient un pégase ou cheval aîlé, les Messeniens la lettre greque m, & les Lacédemoniens le , qui étoit la lettre initiale de leur nom.

Les Perses avoient pour enseigne principale une aigle d'or au bout d'une pique, placée sur un charriot, & la garde en étoit confiée à deux officiers de la premiere distinction, comme on le voit à la bataille de Thymbrée sous Cyrus; & Xénophon dans la Cyropédie, dit que cette enseigne fut en usage sous tous les rois de Perse. Les anciens Gaulois avoient aussi leurs enseignes, & juroient par elles dans les ligues & les expéditions militaires; on croit qu'elles représentoient des figures d'animaux, & principalement le taureau, le lion, & l'ours.

Il n'en est pas de même de celles des Romains; à ces premieres enseignes grossieres, ces manipules ou poignées de foin qu'ils portoient pour signaux lorsqu'ils n'étoient encore qu'une troupe de brigands, ils substituerent, selon Pline, des figures d'animaux, comme de loup, de cheval, de sanglier, de minotaure; mais Marius les réduisit toutes à l'aigle, si connue sous le nom d'aigle romaine.

Elles furent d'abord en relief; les unes d'or, les autres d'argent, d'airain, ou de bois. Une légion étoit divisée en cohortes, la cohorte en manipules, & le manipule en centuries. Chaque cohorte étoit commandée par un tribun; il en étoit, pour ainsi dire, le colonel. C'étoit ces officiers qui avoient seuls le droit d'avoir une aigle dans la cohorte que chacun d'eux commandoit. Il n'y avoit que deux aigles par légion, & les enseignes des autres cohortes étoient d'une autre forme. Les aigles des légions étoient d'argent, à l'exception de la premiere aigle de la premiere légion, qui, dans une armée consulaire ou impériale, étoit d'or. Cette aigle d'or étoit regardée comme l'enseigne principale de la nation, & comme un symbole de Jupiter qu'elle reconnoissoit pour protecteur. Les autres enseignes inférieures aux aigles, telles que celles des manipules & des centuries, n'étoient que d'airain ou de bois.

Les enseignes romaines inférieures aux aigles étoient composées de plusieurs médaillons mis les uns sur les autres, attachés ou cloüés sur le bois d'une pique, & surmontés par quelques signes, soit d'une main symbole de la justice, soit d'une couronne de laurier symbole de la victoire. Une enseigne à médailles en contenoit depuis une jusqu'à cinq ou six, sur lesquelles se voyoit le monogramme des quatre lettres majuscules S. P. Q. R. & les portraits des empereurs, tant du prince regnant que de celui de ses prédecesseurs qui avoit créé le corps à qui appartenoit l'enseigne. Elles contenoient aussi l'embleme ou l'image du dieu que ce corps avoit choisi pour son dieu tutelaire; mais les enseignes d'infanterie étoient chargés de plus de médaillons que celles de la cavalerie. Voyez nos Planches d'antiquités.

Dans toutes les enseignes au - dessous de la partie en relief étoit un petit morceau d'étoffe appellé labarum, qui pendoit en forme de banniere, & qui servoit, soit par sa couleur, soit par son plus ou moins de grandeur, à faire distinguer le manipule ou la centurie à qui l'enseigne appartenoit.

Quoique l'aigle d'or n'eût pas de labarum du tems de la république, il paroît qu'elle en a eu sous les empereurs, du moins du tems de Constantin; car on sait qu'après la conversion de ce prince au Christianisme les enseignes romaines changerent de devises; au lieu des emblèmes ou des figures des dieux empreintes sur les médaillons, on grava des croix. Si la légion conserva une de ses aigles, l'autre fut supprimée, & l'une des deux enseignes surmontée d'une croix. De plus le prince & ses successeurs se donnerent une enseigne de corps ou d'accompagnement de leurs per<pb-> [p. 710] sonnes dans les batailles; on la nomma labarum: elle étoit d'une riche étoffe & en forme d'une banniere, sur laquelle étoit brodé en pierreries le monograme de Jesus - Christ ainsi figuré , & qu'on avoit substitué à celui - ci S. P. Q. R. On ne portoit le labarum à l'armée que quand l'empereur y étoit en personne. Julien l'apostat rétablit le labarum dans sa premiere forme, & mit dans tous les autres drapeaux la figure de quelque divinité du paganisme: mais cette innovation ne dura pas plus long - tems que le regne de ce prince, & le labarum de Constantin fut remis en honneur.

En tems de paix, les légions qui n'étoient point campées sur les frontieres déposoient leurs enseignes au thrésor public, qui étoit dans le temple de Saturne, & on les en tiroit quand il falloit ouvrir la campagne. On ne passoit pas devant les aigles sans les saluer; & on mettoit auprès, comme dans un asyle assûré, le butin & les prisonniers de guerre; les officiers & les soldats y portoient leur argent en dépôt, & le porte - aigle en étoit le gardien. Après une victoire on les ornoit de fleurs & de lauriers, & l'on brûloit devant elles des parfums précieux.

A l'exemple des Grecs & des Romains, & pour la même fin, les nations qui se sont établies en Europe sur les débris de la puissance romaine, ont eu des enseignes dans leurs armées. Nous parlerons ici principalement de celles des François, dont le nombre, la couleur, & la forme n'ont pas toûjours été les mêmes. Ce que nous en dirons est extrait du commentaire qu'a donné sur cette matiere M. Beneton.

En remontant jusqu'à l'établissement de notre monarchie, on voit que les François qui entrerent dans les Gaules avoient des enseignes chargées de divers symboles. Les Ripuaires avoient pour symbole une épée qui designoit le dieu de la guerre, & les Sicambres une tête de boeuf, qui, selon cet auteur, désignoit Apis dieu de l'Egypte, parce que ces deux nations étoient originairement descendues des Egyptiens & des Troyens, si on l'en croit. Quoi qu'il en soit, on convient assez communément que nos premiers rois portoient des crapauds dans leurs étendards.

Depuis la conversion de Clovis au Christianisme, la nouvelle religion ne permettant plus ces symboles qui se ressentoient de l'idolatrie, ce prince ne voulut plus que sa nation fût désignée que par une livrée prise de la religion qu'il suivoit. Ainsi l'enseigne ou la banniere de S. Martin de Tours qui fut le premier patron de la France, & qui étoit d'un bleu uni, fut pour les troupes le premier étendard, comme le labarum l'avoit été pour les Romains depuis la conversion de Constantin. Dans le même esprit on avoit coûtume de porter dans les armées des châsses & des reliquaires. Mais outre ces enseignes de dévotion destinées à exciter la piété, il y avoit encore des enseignes de politique faites pour exciter la valeur, c'est - à - dire des enseignes ordinaires.

Auguste Galland a cru que ce qui étoit porté autrefois dans nos armées sous le nom de chape de S. Martin, étoit effectivement le manteau de ce saint attaché au haut d'une pique pour servir d'enseigne. Mais par le mot cappa, il faut entendre ce qui est signifié par capsa, c'est - à - dire une châsse, un coffret renfermant des reliques de saint Martin, qu'on pouvoit porter à l'armée suivant l'usage de ces tems - là. La véritable enseigne étoit une banniere bleue saite comme nos bannieres d'église. La cérémonie d'aller lever la banniere de S. Martin de dessus le tombeau du saint, où elle étoit mise, quand il étoit question de la porter à la guerre, étoit précédée d'un jeûne & de prieres. Les rois faisoient souvent cette levée eux - mêmes; & comme il ne convenoit pas à un gé<cb-> néral de porter continuellement une enseigne, ils la consioient à quelque grand seigneur, duc, comte, ou baron pour la porter pendant l'expédition pour laquelle on la portoit. Les comtes d'Anjou comme advoüés de l'église de S. Martin de Tours avoient ordinairement cette commission. Voyez Advoué.

La dévotion envers S. Martin ayant peu - à - peu diminué, & les rois depuis Hugues Capet ayant fixé leur séjour à Paris, S. Denis patron de leur capitale devint bientôt celui de tout le royaume; & le comté de Vexin, dont le comte étoit l'advoüé de l'abbaye de S. Denis, ayant été réuni à la couronne par Louis le Gros, ce prince mit la banniere de S. Denis au même crédit & au même rang qu'avoit eu celle de S. Martin sous ses prédécesseurs. On la nomma l'oriflamme; elle étoit rouge, couleur affectée aux martyrs: quelques - uns ont prétendu qu'elle étoit chargée de flammes d'or, & que de - là étoit venu son nom, mais c'est une tradition peu fondée. L'oriflamme consistoit en un morceau d'étoffe de soie couleur de feu, monté sur un bâton qui faisoit la croix auhaut d'une lance; l'étoffe de l'oriflamme se terminoit en pointe, ou, selon des auteurs, étoit fendu par le bas comme pour former une flamme à plusieurs pointes. En tems de guerre, avant que d'entrer en campagne, le roi alloit en grande pompe à S. Denis lever cet étendard, qu'il confioit à un guerrier distingué par sa naissance & par sa valeur, chargé de garder cette enseigne & de la rapporter à l'abbaye à la fin de la guerre; mais les derniers portes - oriflamme négligerent cette derniere cérémonie, & la retinrent chez eux. On croit communément que l'oriflamme disparut à la bataille d'Azincourt sous Charles VI. du moins depuis cette époque il n'en est plus mention dans nos historiens.

Mais dans le tems même que cette enseigne étoit le plus en honneur dans nos armées, & qu'on la portoit à leur tête gardée par une troupe de cavalerie d'élite, il y avoit encore deux enseignes principales; savoir, la banniere ou l'étendard de France, qui étoit la premiere enseigne séculiere de la nation, & qui tenoit la tête du corps de troupes le plus distingué qu'il y eût alors dans l'armée: 2°. le pennon royal, qui étoit une enseigne faite pour être inséparable de la personne du roi. Successivement les differens corps de troupes, infanterie & cavalerie & leurs divisions, ont eu leurs enseignes, qu'on a nommées bannieres, pennons, fanons, gonsanons, drapeaux, étendards, guidons.

La banniere, qui vient du mot ban ou pan, & celui - ci de pannus en latin drap ou étoffe, étoit commune à la cavalerie & à l'infanterie, & de la même forme que nos bannieres d'église, avec cette différence que celles des fantassins étoient plus grandes que celles des gens de cheval; qu'elles étoient toutes unies, au lieu que celles de la cavalerie étoient chargées de chiffres, de devises. La banniere de France étoit aussi plus remarquable que les autres par sa grandeur, elle étoit d'abord d'une étoffe bleue unie, qu'on chargea de fleurs de lis d'or quand elles eurent été introduites dans les armoiries de nos rois. On nomma les plus grandes bannieres gonfanons. Depuis, le morceau d'étoffe qui composoit la banniere fut attaché au bois de la pique par un de ses côtés, sans traverse, comme on le voit aux drapeaux d'aujourd'hui qui ont succedé aux bannieres de l'infanterie, comme l'étendard & le pennon aux bannieres de cavalerie. Le pennon ou fanon étoit un morceau d'étoffe attaché le long de la pique aussi - bien que l'étendard, mais avec cette différence que celui - ci étoit quarré, & l'autre plus étroit, plus allongé, & terminé en pointe. Il y avoit des pennons à plus de pointes les uns que les autres. Le pennon d'un banneret suserain, par exemple, n'avoit qu'une pointe, & les pennons des ban<pb-> [p. 711] nerets ses vassaux en avoient deux. De plus, parmi les chefs de pennonies rangés sous une banniere, quelques - uns étoient chevaliers, d'autres n'étoient que bacheliers ou écuyers, & les pennons marquoient la distinction de tous ces grades, ce qui montroit des pennons à une, à deux, à trois pointes.

Sous Charles VII. le changement arrivé dans notre ancienne gendarmerie, dont on forma des compagnies d'ordonnance, en introduisit aussi dans toutes les enseignes; les bannieres & les pennons disparurent pour faire place aux drapeaux de l'infanterie, aux étendards & aux guidons de la gendarmerie, & aux cornettes de la cavalerie legere.

Le drapeau qui vient encore de pannus ou pennus, d'où l'on a fait par corruption pellus, pelletus, pellum, drapellum, & nos ancêtres drapel, est un morceau d'étoffe quarré, cloüé par un de les côtés sur le bois d'une pique. L'usage d'y mettre des croix avoit commencé au tems des croisades, & ces croix furent touges dans les enseignes de France jusqu'au tems de Charles VI. C'étoit alors la couleur de la nation, mais les Anglois qui avoient jusqu'alors porté dans leurs enseignes la croix blanche ayant pris la rouge à cause des prétendus droits qu'ils croyoient avoir au royaume de France, Charles VII. qui n'étoit alors que dauphin changea la croix rouge des enseignes de sa nation en une croix blanche; & pour marquer plus intelligiblement qu'il établissoit cette couleur pour être desormais celle de la nation, il se donna à lui - même une enseigne toute blanche qu'il nomma cornette, & la donna pour enseigne à la premiere des compagnies de gendarmene qu'il créa, & c'est ce qu'on nomma la cornette bla he.

Depuis qu'il y a des croix sur les enseignes, la couleur dont est cette croix montre la nation à qui appartient l'enseigne; pour le fonds sur lequel est placé la croix, il fait partie de l'un forme de la troupe à qui est l'enseigne. A mesure que les corps militaires qui subsistent aujourd'hui ont eté créés, le premier commandant de chacun de ces corps a eu occasion de leur communiquer sa livrée dans ses enseignes, ce qui a tenu lieu d'uniforme jusqu'à ce que l'on ait imaginé l'uniforme des habits.

Depuis Charles VII. jusqu'à François , il n'y eut en France que deux enseignes royales blanches; savoir, la cornette de France ou la cornette blanche dont nous venons de parler, & la cornette royale qui étoit comme l'étendard de corps du prince, qu'on portoit auprès de lui, soit dans les batailles, & quelquefois en tems de paix dans les grandes solennités, comme aux entrées publiques, &c. Mais depuis les guerres du Calvinisme, outre les coinettes blanches des généraux d'armée à qui le roi accordoit cette prérogative par distinction, il y eut en France, sur - tout sous Charles IX, autant d'enseignes blanches qu'il y avoit de colonels généraux des différentes milices. En ce tems - là l'infanterie françoise étoit partagée sous deux colonels, savoir celui de l'infanterie qui étoit dans le royaume, & celui de l'infanterie qui étoit en Italie, qu'on appelloit colonel de l'infanterie de de - là les monts. Chacun de ces colonels avoit son drapeau blanc: le colonel des Suisses au service de la France avoit le sien, & les colonels des Lansquenets & des Corses avoient aussi les leurs. Chaque colonel mit son drapeau blanc dans sa compagnie colonelle; & par la suite lorsque l'infanterie fut enrégimentée, le colonel général voulut avoir une compagnie dans chaque régiment, & que cette companie eût un drapeau blanc; ce qui se pratique encore aujourd'hui pour toutes les compagnies colonelles, quoique la charge de colonel général de l'infanterie ne subsiste plus; le droit du drapeau blanc a passé de la compagnie colonelle générale a la compagnie colonelle, la premiere ayant été supprimée, chaque mestre - de - camp ou colonel d'un corps particulier s'étant à cet égard arrogé les prérogatives du colonel général, usage qui a commencé sous Henri III. vers l'an 1580.

Les enseignes de la cavalerie ont été nommées étendards & guidons, au lieu de banniere & pennon, ensorte que l'étendard est au guidon ce que la banniere étoit au pennon; ccpendant cette distinction ne subsiste plus parce que l'étendard est commun à tous les corps de cavalerie, ainsi l'on dit un étendard de cavalerie & un guidon de gendarmerie; mais dans cette derniere troupe c'est la charge qu'on nomme guidon & non pas l'enseigne, on la nomme étendard comme dans les autres corps: ces deux enseignes avoient tiré leur nom par similitude de l'action à laquelle elles sont propres. Le guidon est propre à guider & à conduire, l'étendard est fait pour être vû étendu; car il est attaché à sa lance de soûtien de maniere à paroître tel, soit au moyen du vent, ou par le moyen d'une verge de fer à laquelle le chifon qui fait proprement l'étendard peut être attaché comme il l'étoit autrefois: un étendard ainsi envergé restoit bien étendu au - haut de sa pique, & il y tournoit tout d'une piece comme une giroüette. Depuis l'introduction de la cornette blanche royale, le premier régiment de cavalerie a pris une cornette blanche pour sa compagnie colonelle, & outre cela il se nomme la cornette blanche, comme on a autrefois designé les compagnies de cavalerie par le nom de cornettes; ainsi l'on disoit qu'il y avoit dans une armée 100 cornettes de cavalerie, pour signifier 100 compagnies.

Les etendards des dragons ont quelque ressemblance avec les anciens pennons, en ce qu'ils sont plus longs que ceux de la cavalerie, & se terminent en double pointe. Les étendards sont chargés d'armes ou de devises & de legendes en broderie. Les enseignes d'infanterie ne sont qu'une grande piece de fort taffetas, avec une croix dont les bras s'étendent jusqu'aux bords; le fonds est un champ peint de couleurs différentes, avec des fleurs de lis semées sans nombre dans quelques - uns, dans d'autres une couleur pleine, & dans quelques autres encore des flammes de diverses couleurs comme dans les drapeaux des Suisses.

Dans l'infanterie l'officier qui porte le drapeau s'appelle enseigne, & dans la cavalerie celui qui porte l'étendard s'appelle cornette. Chaque bataillon a trois drapeaux dans l'infanterie, la cavalerie a deux étendards par escadron, & les dragons n'en ont qu'un; il s'appelle drapeau lorsque les dragons sont en bataillon, & étendard lorsqu'ils sont en escadron. Quand l'armée est rangée en bataille, tous les étendards sont à la premiere ligne, portés chacun sur le front de leurs escadrons; & à droite & à gauche du porteétendard sont deux cavaliers qu'on choisit parmi les plus braves pour le défendre, & empêcher que l'ennemi ne s'en saisisse. Chaque étendard porte d'un côté un soleil d'or brodé, avec la devise de Louis XIV. nec pluribus impar en lettres d'or, & de l'autre la devise du régiment.

Il y a à chaque drapeau & chaque étendard un morceau de taffetas noüé entre l'étoffe de l'étendard ou drapeau & le bout de la lance: on appelle ce morceau de taffetas la cravate; sa couleur est ordinairement celle de la nation à laquelle appartient l'enseigne & la troupe; comme la France, blanc; l'Espagne, rouge; l'Empereur, verd; Baviere, bleu; Hollande, jaune, &c.

Chaque nation a aussi ses enseignes particulieres.

Les enseignes des Turcs, comme celles de toutes les autres nations, sont attachées à une lance dont l'extrémité passe au dessus de l'étendard même.

Leurs étendards en général sont d'une étoffe de soie de diverses couleurs, chargée d'une épée flam<pb-> [p. 712] boyante, environnée de caracteres arabes en broderie; une grosse pomme dorée, attachée au bout de la lance, & surmontée d'un croissant d'argent, termine l'étendard; ce qui, selon eux, représente le Soleil & la Lune. Si au - dessous de la pomme dorée & autour de la lance il n'y a que de gros floccons de queue de cheval à longs crins teints de diverses couleurs, on appelle ces étendards tongs. L'étendue du commandement regle le nombre de ces queues; plus on a droit d'en faire porter devant soi, & plus on a d'autorité. On dit, un bacha à deux queues, un bacha à trois queues, pour signifier que celui - ci a plus de pouvoir que le premier.

Le principal étendard des Turcs est celui qu'ils appellent l'étendard du prophete, soit que ce soit celui de Mahomet même, ou quelqu'autre fait à son imitation. Il est verd. Les Turcs supposent que le salavat ou confession de foi mahométane, y étoit autrefois écrit en lettres noires; mais il y a long - tems que toute cette écriture est effacée: pour toute inscription on y voit le mot alem au bout de la lance. Il paroît déchiré en beaucoup d'endroits; aussi, pour le ménager, ne le déploye - t - on jamais. On le porte roulé autour d'une lance devant le grand - seigneur, & il demeure ainsi exposé jusqu'à ce que les troupes se mettent en marche. Aussi - tôt que l'armée est arrivée à son premier campement, on met l'étendard dans une caisse dorée, où se conservent aussi l'alcoran & la robe de Mahomet; & toutes ces choses chargées sur un chameau, précedent le sultan ou le grand - visir. Autrefois cet étendard étoit en si grande vénération, que lorsqu'il arrivoit quelque sédition à Constantinople ou dans l'armée, il suffisoit de l'exposer à la vûe des rebelles pour les faire rentrer dans le devoir.

Le chevalier d'Arvieux, tome IV. en décrivant la marche du grand - seigneur pour se rendre à l'armée, dit qu'entre deux tongs qui le précédoient, étoit un autre cavalier qui portoit un grand drapeau de toile ou d'étoffe de laine verte, simple & sans ornement; que le haut de la pique où il étoit attaché, étoit garni d'une boîte d'argent doré en forme d'un as de pique, qui renfermoit un alcoran; & que ce drapeau uni & sans ornement, qui représentoit la pauvreté & la simplicité dont Mahomet faisoit profession, étoit suivi de deux autres fort grands de damas rouge ornés de passages de l'alcoran dont les lettres étoient formées de feuilles d'or appliquées à l'huile, après lequel suivoit un troisieme de toile ou d'étoffe de laine legere, tout rouge & sans ornement, qui est l'étendard de la maison impériale.

Sept grands étendards ou tongs précedent le grand - seigneur lorsqu'il va en campagne. Tous les gouverneurs de provinces ont aussi leurs étendards particuliers, comme des symboles de leur pouvoir, qui les accompagnent dans toutes leurs cérémonies, qu'ils placent dans un lieu remarquable de leur logis, & en guerre à la porte de leur tente.

S'il est question de lever une armée, tous les particuliers se rangent sous l'étendard du sanjac, chaque sanjac sous celui du bacha, & chaque bacha sous celui du beglerbeg. On arbore aussi à Constantinople les queues de cheval en différens endroits, pour marque de déclaration de guerre. Les bachas qui ne sont point d'un rang inférieur aux visirs, quoiqu'ils ne soient pas honorés de ce titre, ont deux queues de cheval, un alem verd, & deux autres étendards, aussi - bien que les princes de Moldavie & de Vala chie; un beg ou sanjac a les mêmes marques d'honneur, excepté qu'il n'a qu'un tong. L'alem ou grand étendart du grand - visir, quand il est à la tête des troupes, est beaucoup plus distingué que ceux des autres officiers généraux. Celui qu'on trouva devant la tente du grand - visir à la levée du siége de Vienne en 1683, étoit de crin de cheval marin travaillé à l'aiguille, brodé de fleurs & de caracteres arabesques. La pomme étoit de cuivre doré, & le bâton couvert de feuilles d'or. Celui que le roi de Pologne envoya à Rome pour marque de cette victoire, étoit encore plus riche. Le milieu de cet étendard étoit de brocard d'or à fond rouge; le tout de brocard, argent, & verd, & les lambrequins de brocard incarnat & argent. On y voit ces paroles brodées en lettres arabes, la illahe illa allah Mahamet resul allah; ce qui signifie, il n'y a point d'autre Dieu que le seul Dieu, & Mahomet envoyé de Dieu. On lisoit encore dans les rebords d'autres caracteres arabes, qui signifioient plaise à Dieu nous assister avec un secours puissant; c'est lui qui a mis un repos dans le coeur des fideles pour fortifier leur foi. Le bâton de l'étendard étoit surmonté d'une pomme de cuivre doré, avec des houpes de soie verte.

Les étendards ou drapeaux des jannissaires sont fort petits, & mi - partis de rouge & de jaune, surchargés d'une épée flamboyante en forme d'un éclat de foudre, vis - à - vis d'un croissant. Ceux des spahis sont rouges, & ceux des selictarlis sont jaunes. Tous les étendards des provinces sont à la garde d'un officier nommé émir alem, c'est - à - dire chef des drapeaux. Il a aussi la garde de ceux du sultan, qu'il précede immédiatement à l'armée, faisant porter devant lui une cornette mi - partie de blanc & de verd, pour marque de sa dignité.

Parmi les Tartares Monguls, ou Orientaux, chaque tribu a son ki ou étendard, qui consiste en un morceau d'étoffe appellé kitaika, qui est d'une aune en quarré, attaché à une lance de douze piés de haut. Chez les Tartares mahométans, chaque ki a une sentence particuliere avec son nom écrit en arabe sur cette enseigne: mais chez les Tartares idolatres, tels que les Kalmouts, chaque horde ou tribu a un chameau, un cheval, ou quelqu'autre animal, & encore quelqu'autre marque distinctive, pour reconnoître les familles d'une même tribu. Les Tartares européens ont aussi des drapeaux & étendards, chargés de figures & de symboles: tels que celui d'un kam des Tartares de Crimée, pris par les Moscovites en 1738; il étoit verd portant une main ouverte, deux cimeteres croisés, un croissant, & quelques étoiles, & le bouton d'en - haut étoit garni de plumes. Guer, moeurs des Turcs, tome II. mém. du chevalier d'Arvieux, tome IV. Beneton, comm. sur les enseignes.

Les Sauvages d'Amérique ont aussi des especes d'enseignes. Ce sont, dit le P. de Charlevoix dans son journal d'un voyage d'Amérique, de petit morceaux d'écorce coupée en rond, qu'ils mettent au bout d'une perche, & sur lesquels ils ont tracé la marque de leur nation, ou de leur village. Si le parti est nombreux, chaque famille ou tribu a son enseigne avec sa marque distinctive, qui leur sert à se reconnoitre & à se rallier. (G)

Enseigne de Vaisseau (Page 5:712)

Enseigne de Vaisseau, (Marine.) c'est un officier qui a rang après le lieutenant, & qui lui doit obéir; mais en son absence, l'enseigne fait les fonctions du lieutenant. (Z)

Enseigne de Poupe (Page 5:712)

Enseigne de Poupe, (Marine.) c'est le pavillon qui se met sur la poupe. L'enseigne de poupe dans les vaisseaux françois est blanche pour les vaisseaux de guerre, & bleue pour les vaisseaux marchands. (Z)

Enseigne (Page 5:712)

Enseigne, s. s. petit tableau pendu à une boutique de marchand, ou à une chambre d'ouvrier pour le désigner. L'on appelle encore enseigne, un tableau qu'on met sous l'auvent d'une boutique, & qui tient toute sa longueur.

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