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EMBOUCHER (Page 5:558)
EMBOUCHER, v. act. (Manége.) terme qui dans sa véritable acception signifie & désigne non - seulement l'action de donner un mors quelconque à un cheval, mais l'art de le fabriquer & de l'approprier parfaitement à l'animal auquel on le destine.
Il est aussi difficile de fixer avec précision le tems
où les hommes ont imaginé de réduire le cheval &
de le maîtriser, en profitant adroitement de la sensibilité
de sa bouche & de la disposition de cet organe
à subir les diverses impressions de la main du cavalier,
qu'il le seroit de déterminer véritablement celui
où nous avons commencé à triompher de cet animal,
& à le faire servir à nos besoins & à notre usage.
D'un côté ces points de fait sont ensevelis dans
une nuit dont il ne nous est pas permis de percer
l'obscurité; & de l'autre, ce que la tradition nous en
apprend, en la supposant même dépouillée de toute
ambiguité, ne nous conduiroit point exactement au
vrai noeud de la difficulté que nous nous proposerions
d'éclaircir & de resoudre. Nous ne pouvons
douter que dans la langue des Grecs, une grande
partie des termes consacrés à la navigation étoient
adaptés à l'équitation. Nous trouvons dans Suidas
celui de
Tempore paret equus lentis animosus habenis Et placido duros accipit cre lupos. Ovid. Quadrupedem flectit non cedens virga lupatis. Sil. Lupatis temperet ora frenis. Hor. Asper equus duris contunditur ora lupatis. Virg.
Les commentateurs se sont long - tems exercés sur ce point. Si nous nous en rapportons à eux, & principalement à Servius, nous devons penser que ces freins hérissés de pointes, ou armés & garnis de dents de loup inégales entre elles, étoient destinés aux chevaux dont la bouche étoit en quelque façon dépourvûe de sentiment. Mais comment, avec quelque connoissance de la conformation de cet organe, se persuader qu'une embouchure de cette sorte n'étoit pas plûtôt capable de desespérer l'animal, que de l'assujettir? D'un autre côté, nous voyons dans le t. IV. du suppl. au liv. de l'antiq. du P. de Montfaucon, un mors de bride antique; le fer, qui traversoit la bouche du cheval, est terminé d'une part par la tête d'un cheval: or ne pourroit - on pas présumer avec plus de raison, que ces mots lupata frena doivent s'entendre d'un frein qui avoit non une tête de cheval, mais une tête de loup à l'une de ses extrémités, ou à chacune d'elles? Il est vrai que l'on peut objecter que ce mors prétendu n'en est point un, d'autant plus que sa configuration est très - extraordinaire, & dès - lors nous retomberons dans l'incertitude & dans les ténebres.
Tous les pas que nous pourrions faire, nous menant donc au doute & non à des découvertes sûres & avantageuses, je crois qu'il seroit plus simple & plus naturel de penser que les premiers peuples, qui inspirés par leurs besoins, ont cherché dans le cheval des ressources favorables aux commodités de la vie & du commerce, après l'avoir adouci & rendu familier, le conduisirent d'abord au son de la voix, & dirigerent ensuite sa marche à la maniere des Numides & des Gétules, appellés par tous les auteurs, ainsi qu'Appien appelle en général les Africains, gens inscia freni, c'est - à - dire quils guiderent leurs chevaux avec un bâton, à - peu - près comme les Maures le pratiquerent ensuite, & comme quelques - uns le pratiquent encore aujourd'hui. La nécessité où l'on fut d'attacher le cheval pour le fixer en un lieu quelconque, suggéra l'idée de lui passer une corde autour de l'encolure; telle est celle que l'on observe au - bas du cou du cheval de chaque Maure dans la colonne Trajane. Cette corde servit sans doute insensiblement de frein; Strabon même nous assûre que plusieurs Maures employoient des freins de corde: or quoique celle qui entoure l'encolure ne paroisse point captiver la tête de l'animal, il est vraissemblable qu'elle pouvoit faciliter les moyens d'arrêter & de faire tourner le cheval, puisque nous sommes chaque jour convaincus par nos propres yeux, que des paysans grossiers maîtrisent & soûmettent par cette voie leurs chevaux. Le hasard ayant peut - être encore démontré le plus grand empire de l'homme sur cet animal, lorsqu'il est assujetti & maintenu par la tête, engagea à transporter à cette partie les liens placés au cou; peu - à - peu & à mesure que l'occasion détermina à le retenir, on s'apperçut du pouvoir qu'on acquéroit sur lui, soit en le saisissant par les [p. 559]
Quoi qu'il en soit de ces différentes conjectures,
notre unique objet dans cet ouvrage est d'être utiles,
& non de paroître & de nous montrer érudits. Je dirai
donc que la science d'emboucher les chevaux, est
de toutes les parties que renferme la science de l'Eperonnier, la plus délicate & la plus épineuse: les
autres ouvrages auxquels il se livre demandent l'élégance
dans les formes, la solidité dans la construction,
la propreté, le fini dans l'exécution; mais,
eu égard à celui - ci, ces conditions ne sont pas suffisantes
Les principes d'après lesquels l'Eperonnier
doit agir, doivent être nécessairement fondés sur la
connoissance parfaite, 1°. de la conformation de
quelques parties du cheval: 2°. des situations respectives
que la nature leur a assigné dans chaque individu: 3°. des rapports de force, de sensibilité, &
de mouvemens qu'elle a mis entr'elles & les autres
portions du corps: 4°. des effets méchaniques de
cette machine simple, destinée à entretenir comme
milieu, l'intime réciprocité du sentiment de la bouche
de l'animal & de la main du cavalier; effets qu'il
est indispensable d'apprécier, pour fixer avec précision
les mesures des parties du mors, mais dont cependant
la théorie générale des leviers ne nous
donne pas toutes les solutions que nous desirerions,
parce qu'il entre dans les calculs auxquels nous nous
abandonnons, en la consultant, une multitude d'élémens
purement physiques, dont il est presque impossible
de fixer la valeur. Aussi me suis - je défendu,
dans une telle complication, la desunion de ces différens
objets. J'ai pensé qu'en ne les séparant pas,
& en les présentant sous un seul & unique point de
vûe, je deviendrois plus intelligible. Voyez
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