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Tels sont les raisonnemens de Tillotson, auxquels nous n'ajoûterons qu'une réflexion pour prévenir cette fausse conséquence qu'on en pourroit tirer: savoir, que ce qu'on lit dans l'Ecriture sur les peines de l'enfer, n'est simplement que comminatoire, comme le prétendent les Sociniens. Sans doute tant que l'homme est en cette vie, il peut les éviter ces peines; mais après la mort, lorsque l'iniquité est consommée, & qu'il n'y a plus lieu au mérite pour fléchir le courroux d'un Dieu outragé & justement irrité, le pécheur peut - il l'accuser d'injustice, de lui infliger des peines éternelles? puisque pendant la vie il étoit à son choix de les éviter, & de parvenir à une éternelle félicité. D'ailleurs, il est également révelé, & que ces menaces ont déjà été accomplies réellement dans les anges rebelles, & qu'elles seront réellement accomplies dans les réprouvés à la fin des siecles; ce qui prouve que la raison seule ne suffit pas pour décider cette question, & qu'il faut nécessairement avoir recours à la révélation, pour démontrer l'éternité & la justice des peines de la vie future. (G)
Enfer (Page 5:670)
Les Théologiens sont divisés sur l'article du symbole des apôtres où il est dit que Notre Seigneur a été crucifié, qu'il est mort, qu'il a été enseveli, & qu'il est descendu aux enfers, hades; quelques - uns n'entendent par cette descente aux enfers, que la descente dans le tombeau ou dans le sepulcre. Les autres leur objectent que dans le symbole même, ces deux descentes se trouvent expressément distinguées, & qu'il y est fait mention de la descente du Sauveur dans le sépulcre, sepultus est, avant qu'il soit parlé de sa descente aux enfers, descendit ad inferos. Ils soûtiennent donc que l'ame de Jesus - Christ descendit effectivement dans l'enfer soûterrain ou local, & qu'il y triompha des démons. Autrement les expressions du symbole seroient une pure tautologie.
Les Catholiques ajoûtent que Jesus - Christ descendit
dans les lymbes, c'est - à - dire dans les lieux bas de
la terre, où étoient détenues les ames des justes
morts dans la grace de Dieu avant l'avenement &
la passion du Sauveur, & qu'il les emmena avec lui
dans le paradis, suivant ces passages d'Osée: ero mors
tua, ô mors, & morsus tuus ero, inferne. Et de S. Paul:
ascendens Christus in altum, captivam duxit captivitatem.
Voyez
Enfer (Page 5:670)
Cet endroit contenoit, entre autres demeures,
les champs Elysées, & le Tartare environné de cinq
fleuves, qu'on nomme le Styx, le Cocyte, l'Achéron, le Lethé, & le Phlégéton. Cerbere, chien à trois
têtes & à trois gueules, admirablement dépeint par
Virgile, étoit toûjours à la porte des enfers, pour empêcher
les hommes d'y entrer & les ames d'en sortir.
Avant que d'arriver à la cour de Pluton & au
tribunal de Minos, il falloit passer l'Achéron dans
une barque conduite par Caron, à qui les ombres
donnoient une piece de monnoie pour leur passage.
Virgile fait encore de ce batelier un portrait inimitable:
Portitor has horrendus aquas & flumina servat, Terribili squalore Charon, cui plurima mento Canities inculta jacet, stant lumina flamma; Sordidus ex humeris nodo dependet amictus; Jam senior, sed cruda deo, viridisque senectus.
Presque tous les peuples du monde ont imaginé un paradis & un enfer, conformément à leur génie; détail immense de la folie des humains, dans lequel nous n'entrerons point ici ! On peut lire là - dessus Thomas Hyde, Vossius, Marsham, & M. Huet. Borné présentement à la Mythologie, je remarquerai seulement que c'est Orphée, qui au retour de ses voyages d'Egypte, jetta en Grece le plan d'un nouveau système sur ce sujet, & que c'est de lui qu'est venu l'idée des champs Elysées & du Tartare, que tous les auteurs ont suivi, quoiqu'ils ayent extremement varié sur la situation des lieux destinés à punir les méchans, & à récompenser les bons.
Cest pourquoi l'on trouve dans les Poëtes tant d'entrées différentes qui conduisent aux enfers. Voyez sur cela l'article précédent.
En un mot, chacun a choisi pour l'endroit de la position des enfers, dont la religion payenne n'apprenoit rien de certain, le lieu qui lui a paru le plus propre à devenir le séjour du malheur; & en conséquence, chacun a décrit ce lieu diversement, suivant le caractere de son imagination.
Mais aucun poëte n'a mieux réussi que Virgile. Il a mis dans le plus beau jour tout ce qu'Homere, & après lui Platon, avoient enseigné sur cet article. La description des enfers, du chantre de Mantoüe, est supérieure à celle de l'auteur de l'Odyssée, & encore plus au - dessus de celle de Sylvius Italicus, de Claudien, de Lucain, & de tous les autres qui ont travaillé après lui: c'est une topographie parfaite de l'empire de Pluton; c'est le chef - d'oeuvre de l'art; c'est le plus beau morceau de l'Enéïde.
Dans cette admirable carte topographiqne, le poëte divise le séjour des ombres en sept demeures. La premiere est celle des enfans morts en naissant, qui gémissent de n'avoir fait qu'entrevoir la lumiere du jour.
Infantumque animoe flentes in limine primo, Quos dulcis vitoe exortes, & ab ubere raptos Abstulit atra dies, & funere mersit acerbo. AEnéid. Liv. VI.
Ceux qui avoient été injustement condamnés à perdre la vie, occupent la seconde demeure.
Hos juxtà, falso damnati crimine mortis. Ibid.
Dans la troisieme, sont ceux qui, sans être coupables, mais vaincus par le chagrin & les miseres d'ici - bas, se sont eux - mêmes donné la mort.
Proxima deindè tenent moesti loca, qui sibi lethum Insontes peperêre manu, lucemque perosi Projecere animas: quam vellent oethere in alto Nunc & pauperiem & duros perferre labores! &c. Fata obstant tristique palus inamabilis undâ Alligat, & novies styx interfusa coercet.
M. de Voltaire, dans ses mêlanges de Littérature & de Philosophie, a traduit ces vers ainsi:
Là sont ces insensés, qui d'un bras téméraire Ont cherché dans la mort un secours volontaire; Ils n'ont pû supporter, foibles & furieux, Le fardeau de la vie imposé par les dieux. . . . Ils regrettent le jour, ils pleurent; & le sort, Le sort pour les punir les enchaîne à la mort, L'abysme du Cocyte & l'Achéron terrible Met entr'eux & la vie un obstacle invincible. [p. 671]
La quatrieme, appellée le champ des larmes, est le séjour de ceux qui avoient éprouvé les rigueurs de l'amour; Phedre, Procris, Pasiphaë, Didon, &c.
Hîc, quos durus amor crudeli tabe peredit; Secreti celant calles, & myrthea circum Sylva tegit; curoe non ipsâ in morte relinquunt. His, Phoedram, Procrinque locis, moestamque Eriphylem, Crudelis gnati monstrantem vulnera cernit, Evadnenque, & Papsiphaën, &c.
La cinquieme, est le quartier des fameux guerriers qui avoient péri dans les combats; Tydée, Adraste, Polybure, &c.
Hîc illi occurrit Tydeus, hîc inclytus armis Parthenopoeus, & Adrasti pallentis imago, &c.
L'affreux Tartare, prison des scélérats, fait la sixieme demeure, environnée du bourbeux Cocyte & du brûlant Phlégéton. Là regnent les Parques, les Furies, &c. & c'est là aussi que Virgile se surpasse lui - même.
. . . . . tùm Tart arus ipse Bis patet in proeceps tantum, tenditque sub umbras, Quantus ad oethereum coeli suspectus Olympum. Hîc genus antiquum terroe, Titania pubes, Fulmine dejecti fundo volvuntur in imo. &c.
Enfin la septieme demeure fait le séjour des bienheureux, les Champs Elysées.
His demùm exactis, perfecto munere divoe, Devenêre locos loetos, & amoena vireta Fortunatorum nemorum, sedesque beatas, &c.
Je supprime à regret les autres détails admirables que Virgile nous donne des enfers, & je ne pense point à mettre à leur place ceux des auteurs qui l'ont précédé ou qui l'ont suivi; il vaut beaucoup mieux nous attacher à ramener le système des fictions poétiques à leur véritable origine; & en recherchant celle de la fable des enfers, démontrer en général qu'elle vient d'Egypte; après quoi l'on jugera sans peine que la plûpart des circonstances dont on l'a embellie dans la suite, sont le fruit de l'imagination des poëtes grecs & romains.
Non - seulement Hérodote nous apprend que presque tous les noms des dieux sont venus d'Egypte dans la Grece, mais Diodore de Sicile nous explique, par le secours des traditions égyptiennes, la plûpart des fables qu'on a débité sur les enfers.
Il y a, dit cet excellent auteur, (liv. I.) un lac en Egypte au - delà duquel on enterroit anciennement les morts. Après les avoir embaumés, on les portoit sur le bord de ce lac. Les juges préposés pour examiner la conduite & les moeurs de ceux qu'on devoit faire passer de l'autre côté, s'y rendoient au nombre de quarante; & après une longue délibération, s'ils jugeoient celui dont on venoit de faire l'information, digne de la sépulture, on mettoit son cadavre dans une barque, dont le batelier se nommoit Caron. Cette coûtume étoit même pratiquée à l'égard des rois; & le jugement qu'on portoit contre eux étoit quelquefois si severe, qu'il y en eut qui furent réputés indignes de la sépulture.
La fable rapporte que le Caron des Grecs est toûjours sur le lac; celui des Egyptiens avoit établi sa demeure sur les bords du lac Querron. Le Caron des poëtes grecs exigeoit impitoyablement son péage: celui des Egyptiens ne vouloit pas même faire grace au fils du roi; il devoit justifier au prince régnant, qu'il n'amassoit tant de richesses que pour son service. Le lac des enfers étoit formé d'un fleuve: celui du Querron étoit formé des eaux du Nil. Le premier faisoit neuf fois le tour des enfers, novies Styx interfusa; jamais pays n'a été plus arrosé que
L'idée de la prison du Tartare, dont une partie, selon Virgile, étoit aussi avant dans la terre que le ciel en est éloigné, ne paroît - elle pas prise du fameux labyrinthe d'Egypte, qui étoit composé de deux bâtimens, dont l'un étoit sous terre? Les crocodiles sacrés que les Egyptiens nourrissoient dans des chambres soûterraines, désignent assez clairement les monstres affreux qu'on met dans le royaume de Pluton.
En un mot, il semble qu'aux circonstances près,
on trouve en Egypte tout ce qui compose l'enfer des
poëtes de la Grece & de Rome. Homere dit que
l'entrée des enfers étoit sur le bord de l'Océan; le
Nil est appellé par ce même poëte
Mais sans trop appuyer sur ces étymologies, & moins encore sans compter sur de plus recherchées, par lesquelles Bochart, le Clerc, & autres savans, trouvent chez les Egyptiens le système complet des enfers & des champs élysées; c'est assez d'en connoître la premiere origine, il n'en faut pas demander davantage: de minimis non curandum.
Quant aux voyages que les poëtes font faire à
leurs héros dans les enfers, je crois qu'ils n'ont d'autre
fondement que les évocations, auxquelles eurent
autrefois recours les hommes superstitieux pour s'éclaircir
de leur destinée. Orphée, qui avoit été lui - même
dans la Thesprotie pour évoquer le phantôme
d'Eurydice sa chere épouse, nous en parle comme
d'un voyage aux enfers, & prend occasion de - là de
nous débiter tous les dogmes de la théologie payenne
sur cette matiere. Les autres poëtes ne manquerent
pas de suivre son exemple. Bayle, réponse aux questions
d'un provincial. Voyez
Quoi qu'il en soit, il arriva que les Grecs, contens d'avoir saisi en général les idées des Egyptiens sur l'immortalité des ames, & leur état après la mort, donnerent carriere à leur génie, & inventerent sur ce sujet quantité de fables dont ils n'avoient aucun modele. L'Italie suivit l'exemple des Grecs, & ajoûta de nouvelles fictions aux anciennes; telles sont celles du rameau d'or, des furies, des parques, & des illustres scélérats que leurs poëtes placerent dans le Tartare.
Enfin, tant d'auteurs travaillerent successivement
& en différens lieux à former le système poétique
des enfers, que ce systême produisit un mêlange
monstrueux de fables ridicules, dont tout le monde
vint à se moquer. Cicéron rapporte que de son tems
il n'y avoit point de vieilles assez sottes pour y ajoûter
la moindre foi. Dic, quoeso, nùm, te illa tenent,
triceps apud inferos Cerberus, Cocyti fremitus, & transvectio
Acherontis? Adeòne me delirare censes, ista ut
credam? . . . Quoe anus tam excors inveniri potest, quoe
illa, quoe quondam credebantur, apud inferos portenta,
extimescat? De nat. deor. Juvenal nous assûre de son
côté, que les enfans mêmes croyoient à peine l'ancienne
doctrine des enfers. Voyez l'article précédent.
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