ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"670"> tems limité: mais comme il connoissoit l'étendue de son propre droit, il fit ce qu'il voulut; il pardonna à cette ville, en considération de sa pénitence, se relâchant du droit de la punir.

Tels sont les raisonnemens de Tillotson, auxquels nous n'ajoûterons qu'une réflexion pour prévenir cette fausse conséquence qu'on en pourroit tirer: savoir, que ce qu'on lit dans l'Ecriture sur les peines de l'enfer, n'est simplement que comminatoire, comme le prétendent les Sociniens. Sans doute tant que l'homme est en cette vie, il peut les éviter ces peines; mais après la mort, lorsque l'iniquité est consommée, & qu'il n'y a plus lieu au mérite pour fléchir le courroux d'un Dieu outragé & justement irrité, le pécheur peut - il l'accuser d'injustice, de lui infliger des peines éternelles? puisque pendant la vie il étoit à son choix de les éviter, & de parvenir à une éternelle félicité. D'ailleurs, il est également révelé, & que ces menaces ont déjà été accomplies réellement dans les anges rebelles, & qu'elles seront réellement accomplies dans les réprouvés à la fin des siecles; ce qui prouve que la raison seule ne suffit pas pour décider cette question, & qu'il faut nécessairement avoir recours à la révélation, pour démontrer l'éternité & la justice des peines de la vie future. (G)

Enfer (Page 5:670)

Enfer, ades ou hades, (Théologie.) se prend aussi quelquefois, dans le style de l'Ecriture, pour la mort & pour la sépulture, parce que les mots hébreux & grecs signifient quelquefois l'enfer, ou le lieu dans lequel sont les réprouvés, & quelquefois la sépulture des morts. V. Tombeau & Sepulcre.

Les Théologiens sont divisés sur l'article du symbole des apôtres où il est dit que Notre Seigneur a été crucifié, qu'il est mort, qu'il a été enseveli, & qu'il est descendu aux enfers, hades; quelques - uns n'entendent par cette descente aux enfers, que la descente dans le tombeau ou dans le sepulcre. Les autres leur objectent que dans le symbole même, ces deux descentes se trouvent expressément distinguées, & qu'il y est fait mention de la descente du Sauveur dans le sépulcre, sepultus est, avant qu'il soit parlé de sa descente aux enfers, descendit ad inferos. Ils soûtiennent donc que l'ame de Jesus - Christ descendit effectivement dans l'enfer soûterrain ou local, & qu'il y triompha des démons. Autrement les expressions du symbole seroient une pure tautologie.

Les Catholiques ajoûtent que Jesus - Christ descendit dans les lymbes, c'est - à - dire dans les lieux bas de la terre, où étoient détenues les ames des justes morts dans la grace de Dieu avant l'avenement & la passion du Sauveur, & qu'il les emmena avec lui dans le paradis, suivant ces passages d'Osée: ero mors tua, ô mors, & morsus tuus ero, inferne. Et de S. Paul: ascendens Christus in altum, captivam duxit captivitatem. Voyez Lymbes & Ascension. (G)

Enfer (Page 5:670)

Enfer, (Poétique.) ou Enfers, s. m. pl. (Myth.) nom général, qui, dans la théologie du Paganisme, défignoit les lieux soûterrains où alloient les ames des hommes, pour y être jugées par Minos, Eaque, & Rhadamanthe. Pluton en étoit le dieu & le roi; Proserpine son épouse en étoit la déesse & la reine.

Cet endroit contenoit, entre autres demeures, les champs Elysées, & le Tartare environné de cinq fleuves, qu'on nomme le Styx, le Cocyte, l'Achéron, le Lethé, & le Phlégéton. Cerbere, chien à trois têtes & à trois gueules, admirablement dépeint par Virgile, étoit toûjours à la porte des enfers, pour empêcher les hommes d'y entrer & les ames d'en sortir. Avant que d'arriver à la cour de Pluton & au tribunal de Minos, il falloit passer l'Achéron dans une barque conduite par Caron, à qui les ombres donnoient une piece de monnoie pour leur passage. Virgile fait encore de ce batelier un portrait inimitable: « Un air mal - propre, une barbe longue & né<cb-> gligée, la parole rude, des yeux étincelans, les traits d'une vieillesse robuste & vigoureuse ». Tel étoit Caron; mais lisez les vers de l'original; je n'en donne qu'une foible esquisse.

Portitor has horrendus aquas & flumina servat, Terribili squalore Charon, cui plurima mento Canities inculta jacet, stant lumina flamma; Sordidus ex humeris nodo dependet amictus; Jam senior, sed cruda deo, viridisque senectus.

Presque tous les peuples du monde ont imaginé un paradis & un enfer, conformément à leur génie; détail immense de la folie des humains, dans lequel nous n'entrerons point ici ! On peut lire là - dessus Thomas Hyde, Vossius, Marsham, & M. Huet. Borné présentement à la Mythologie, je remarquerai seulement que c'est Orphée, qui au retour de ses voyages d'Egypte, jetta en Grece le plan d'un nouveau système sur ce sujet, & que c'est de lui qu'est venu l'idée des champs Elysées & du Tartare, que tous les auteurs ont suivi, quoiqu'ils ayent extremement varié sur la situation des lieux destinés à punir les méchans, & à récompenser les bons.

Cest pourquoi l'on trouve dans les Poëtes tant d'entrées différentes qui conduisent aux enfers. Voyez sur cela l'article précédent.

En un mot, chacun a choisi pour l'endroit de la position des enfers, dont la religion payenne n'apprenoit rien de certain, le lieu qui lui a paru le plus propre à devenir le séjour du malheur; & en conséquence, chacun a décrit ce lieu diversement, suivant le caractere de son imagination.

Mais aucun poëte n'a mieux réussi que Virgile. Il a mis dans le plus beau jour tout ce qu'Homere, & après lui Platon, avoient enseigné sur cet article. La description des enfers, du chantre de Mantoüe, est supérieure à celle de l'auteur de l'Odyssée, & encore plus au - dessus de celle de Sylvius Italicus, de Claudien, de Lucain, & de tous les autres qui ont travaillé après lui: c'est une topographie parfaite de l'empire de Pluton; c'est le chef - d'oeuvre de l'art; c'est le plus beau morceau de l'Enéïde.

Dans cette admirable carte topographiqne, le poëte divise le séjour des ombres en sept demeures. La premiere est celle des enfans morts en naissant, qui gémissent de n'avoir fait qu'entrevoir la lumiere du jour.

Infantumque animoe flentes in limine primo, Quos dulcis vitoe exortes, & ab ubere raptos Abstulit atra dies, & funere mersit acerbo. AEnéid. Liv. VI.

Ceux qui avoient été injustement condamnés à perdre la vie, occupent la seconde demeure.

Hos juxtà, falso damnati crimine mortis. Ibid.

Dans la troisieme, sont ceux qui, sans être coupables, mais vaincus par le chagrin & les miseres d'ici - bas, se sont eux - mêmes donné la mort.

Proxima deindè tenent moesti loca, qui sibi lethum Insontes peperêre manu, lucemque perosi Projecere animas: quam vellent oethere in alto Nunc & pauperiem & duros perferre labores! &c. Fata obstant tristique palus inamabilis undâ Alligat, & novies styx interfusa coercet.

M. de Voltaire, dans ses mêlanges de Littérature & de Philosophie, a traduit ces vers ainsi:

Là sont ces insensés, qui d'un bras téméraire Ont cherché dans la mort un secours volontaire; Ils n'ont pû supporter, foibles & furieux, Le fardeau de la vie imposé par les dieux. . . . Ils regrettent le jour, ils pleurent; & le sort, Le sort pour les punir les enchaîne à la mort, L'abysme du Cocyte & l'Achéron terrible Met entr'eux & la vie un obstacle invincible. [p. 671]

La quatrieme, appellée le champ des larmes, est le séjour de ceux qui avoient éprouvé les rigueurs de l'amour; Phedre, Procris, Pasiphaë, Didon, &c.

Hîc, quos durus amor crudeli tabe peredit; Secreti celant calles, & myrthea circum Sylva tegit; curoe non ipsâ in morte relinquunt. His, Phoedram, Procrinque locis, moestamque Eriphylem, Crudelis gnati monstrantem vulnera cernit, Evadnenque, & Papsiphaën, &c.

La cinquieme, est le quartier des fameux guerriers qui avoient péri dans les combats; Tydée, Adraste, Polybure, &c.

Hîc illi occurrit Tydeus, hîc inclytus armis Parthenopoeus, & Adrasti pallentis imago, &c.

L'affreux Tartare, prison des scélérats, fait la sixieme demeure, environnée du bourbeux Cocyte & du brûlant Phlégéton. Là regnent les Parques, les Furies, &c. & c'est là aussi que Virgile se surpasse lui - même.

. . . . . tùm Tart arus ipse Bis patet in proeceps tantum, tenditque sub umbras, Quantus ad oethereum coeli suspectus Olympum. Hîc genus antiquum terroe, Titania pubes, Fulmine dejecti fundo volvuntur in imo. &c.

Enfin la septieme demeure fait le séjour des bienheureux, les Champs Elysées.

His demùm exactis, perfecto munere divoe, Devenêre locos loetos, & amoena vireta Fortunatorum nemorum, sedesque beatas, &c.

Je supprime à regret les autres détails admirables que Virgile nous donne des enfers, & je ne pense point à mettre à leur place ceux des auteurs qui l'ont précédé ou qui l'ont suivi; il vaut beaucoup mieux nous attacher à ramener le système des fictions poétiques à leur véritable origine; & en recherchant celle de la fable des enfers, démontrer en général qu'elle vient d'Egypte; après quoi l'on jugera sans peine que la plûpart des circonstances dont on l'a embellie dans la suite, sont le fruit de l'imagination des poëtes grecs & romains.

Non - seulement Hérodote nous apprend que presque tous les noms des dieux sont venus d'Egypte dans la Grece, mais Diodore de Sicile nous explique, par le secours des traditions égyptiennes, la plûpart des fables qu'on a débité sur les enfers.

Il y a, dit cet excellent auteur, (liv. I.) un lac en Egypte au - delà duquel on enterroit anciennement les morts. Après les avoir embaumés, on les portoit sur le bord de ce lac. Les juges préposés pour examiner la conduite & les moeurs de ceux qu'on devoit faire passer de l'autre côté, s'y rendoient au nombre de quarante; & après une longue délibération, s'ils jugeoient celui dont on venoit de faire l'information, digne de la sépulture, on mettoit son cadavre dans une barque, dont le batelier se nommoit Caron. Cette coûtume étoit même pratiquée à l'égard des rois; & le jugement qu'on portoit contre eux étoit quelquefois si severe, qu'il y en eut qui furent réputés indignes de la sépulture.

La fable rapporte que le Caron des Grecs est toûjours sur le lac; celui des Egyptiens avoit établi sa demeure sur les bords du lac Querron. Le Caron des poëtes grecs exigeoit impitoyablement son péage: celui des Egyptiens ne vouloit pas même faire grace au fils du roi; il devoit justifier au prince régnant, qu'il n'amassoit tant de richesses que pour son service. Le lac des enfers étoit formé d'un fleuve: celui du Querron étoit formé des eaux du Nil. Le premier faisoit neuf fois le tour des enfers, novies Styx interfusa; jamais pays n'a été plus arrosé que l'Egypte; jamais fleuve n'a eu plus de canaux que le Nil.

L'idée de la prison du Tartare, dont une partie, selon Virgile, étoit aussi avant dans la terre que le ciel en est éloigné, ne paroît - elle pas prise du fameux labyrinthe d'Egypte, qui étoit composé de deux bâtimens, dont l'un étoit sous terre? Les crocodiles sacrés que les Egyptiens nourrissoient dans des chambres soûterraines, désignent assez clairement les monstres affreux qu'on met dans le royaume de Pluton.

En un mot, il semble qu'aux circonstances près, on trouve en Egypte tout ce qui compose l'enfer des poëtes de la Grece & de Rome. Homere dit que l'entrée des enfers étoit sur le bord de l'Océan; le Nil est appellé par ce même poëte *WX*SANO\S2. C'est en Egypte qu'on voit les portes du soleil; elles ne sont autre chose que la ville d'Héliopolis. Les demeures des morts sont marquées par ce grand nombre de pyramides & de tombeaux, où les momies se sont conservées pendant tant de siecles. Caron, sa barque, l'obole qu'on donnoit pour le passage; tout cela est encore tiré de l'histoire d'Egypte. Il est même très - probable que le nom de l'Achéron vient de l'égyptien Achoucherron, qui signifie les lieux marécageux de Caron; que le Cerbere a pris sa dénomination de quelqu'un des rois d'Egypte, appellé Chebrès ou Kébron; qu'enfin le nom du Tartare vient de l'Egyptien Dardarot, qui signifie habitation éternelle; qualification que les Egyptiens donnoient par excellence à leurs tombeaux.

Mais sans trop appuyer sur ces étymologies, & moins encore sans compter sur de plus recherchées, par lesquelles Bochart, le Clerc, & autres savans, trouvent chez les Egyptiens le système complet des enfers & des champs élysées; c'est assez d'en connoître la premiere origine, il n'en faut pas demander davantage: de minimis non curandum.

Quant aux voyages que les poëtes font faire à leurs héros dans les enfers, je crois qu'ils n'ont d'autre fondement que les évocations, auxquelles eurent autrefois recours les hommes superstitieux pour s'éclaircir de leur destinée. Orphée, qui avoit été lui - même dans la Thesprotie pour évoquer le phantôme d'Eurydice sa chere épouse, nous en parle comme d'un voyage aux enfers, & prend occasion de - là de nous débiter tous les dogmes de la théologie payenne sur cette matiere. Les autres poëtes ne manquerent pas de suivre son exemple. Bayle, réponse aux questions d'un provincial. Voyez Evocation, Manes.

Quoi qu'il en soit, il arriva que les Grecs, contens d'avoir saisi en général les idées des Egyptiens sur l'immortalité des ames, & leur état après la mort, donnerent carriere à leur génie, & inventerent sur ce sujet quantité de fables dont ils n'avoient aucun modele. L'Italie suivit l'exemple des Grecs, & ajoûta de nouvelles fictions aux anciennes; telles sont celles du rameau d'or, des furies, des parques, & des illustres scélérats que leurs poëtes placerent dans le Tartare.

Enfin, tant d'auteurs travaillerent successivement & en différens lieux à former le système poétique des enfers, que ce systême produisit un mêlange monstrueux de fables ridicules, dont tout le monde vint à se moquer. Cicéron rapporte que de son tems il n'y avoit point de vieilles assez sottes pour y ajoûter la moindre foi. Dic, quoeso, nùm, te illa tenent, triceps apud inferos Cerberus, Cocyti fremitus, & transvectio Acherontis? Adeòne me delirare censes, ista ut credam? . . . Quoe anus tam excors inveniri potest, quoe illa, quoe quondam credebantur, apud inferos portenta, extimescat? De nat. deor. Juvenal nous assûre de son côté, que les enfans mêmes croyoient à peine l'ancienne doctrine des enfers. Voyez l'article précédent.

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