ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"NA17"> ne ou mauvaise, les passions subordonnées qui l'accompagnent, les sentimens, les discours & les actions qu'elle suggere, & la sorte de teinte ou d'énergie que tout le système intellectuel & moral en reçoit: d'où l'on voit que les peintures idéales, conçues d'après les relations & l'influence réciproque des vertus & des vices, ne peuvent jamais devenir chimériques; que ce sont elles qui donnent la vraissemblance aux représentations dramatiques & à tous les ouvrages de moeurs; & qu'il se rencontrera éternellement dans la société des individus qui auront le bonheur & le malheur de leur ressembler. C'est ainsi qu'il arrive à un siecle très - éloigné d'élever des statues hideuses ou respectables, au bas desquelles la postérité écrit successivement différens noms: elle écrit Montesquieu où l'on avoit gravé Platon; Desfontaines, où on lisoit auparavant Erostrate ou Zoïle: avec cette différence affligeante, qu'on ne manquera jamais de noms de plus en plus deshonorés pour remplacer celui d'Erostrate ou de Zoïle; au lieu qu'on n'ose espérer de la succession des siecles, qu'elle nous en offre quelques - uns de plus en plus illustres pour succeder à Montesquieu, & pour être le troisieme ou le quatrieme depuis Platon. Nous ne pouvons élever un trop grand nombre de ces statues dans notre ouvrage: elles devroient être en bronze dans nos places publiques & dans nos jardins, & nous inviter à la vertu sur ces pié - d'estaux, où l'on a exposé à nos yeux & aux regards de nos enfans les débauches des dieux du Paganisme.

Après avoir traité de la matiere Encyclopédique en général, on desireroit sans doute que nous entrassions dans l'examen de chacune de ses parties en particulier; mais c'est au public, & non pas à nous, qu'il appartient de juger du travail de nos collegues & du nôtre.

Nous répondrons seulement à ceux qui auroient voulu qu'on supprimât la Théologie, que c'est une science; que cette science est très - etendue & très curieuse, & qu'on auroit pû la rendre plus intéressante que la Mythologie, qu'ils auroient regretée si nous l'eussions omise.

A ceux qui excluent de notre Dictionnaire la Géographie; que les noms, la longitude & la latitude des étoiles qu'ils y admettent, n'ont pas plus de droit d'y rester que les noms, la longitude & la latitude des villes qu'ils en rejettent.

A ceux qui l'auroient desirée moins seche: qu'il étoit nécessaire de s'en tenir à la seule connoissance géographique des villes qui fût scientifique, à la seule qui nous suffiroit pour construire de bonnes cartes des tems anciens, si nous l'avions, & qui suffira à la postérité pour construire de bonnes cartes de nos tems, si nous la lui transmettons; & que le reste, étant entierement historique, est hors de notre objet.

A ceux qui y ont regardé avec dégoût certains traits historiques, la cuisine, les modes, &c. qu'ils ont oublié combien ces matieres ont engendré d'ouvrages d'erudition; que le plus succinct de nos articles en ce genre épargnera peut - être à nos descendans des années de recherches & des volumes de dissertations; qu'en supposant les savans à venir infiniment plus réservés que ceux du siecle passé, il est encore à présumer qu'ils ne dédaigneront pas d'écrire quelques pages pour expliquer ce que c'est qu'un falbala ou qu'un pompon; qu'un écrit sur nos modes, qu'on traiteroit aujourd'hui d'ouvrage frivole, seroit regardé dans deux mille ans, comme un ouvrage savant & profond, sur les habits François; ouvrage très - instructif pour les Littérateurs, les Peintres & les Sculpteurs; quant à notre cuisine, qu'on ne peut lui disputer d'être une branche importante de la Chimie.

A ceux qui se sont plaints que notre Botanique n'étoit ni assez complete ni assez intéressante: que ces reproches sont sans aucun fondement; qu'il étoit impossible de s'étendre au - delà des genres, sans com piler des in - folio; qu'on n'a omis aucune des plantes usuelles; qu'on les a décrites; qu'on en a donné l'analyse chimique, les propriétés, soit comme remedes, soit comme alimens; que la seule chose qu'on auroit pû ajoûter, qui fût scientifique & qui n'auroit pas occupé un espace bien cosidérable, c'eût été d'indiquer à l'article du genre combien on comptoit d'especes, & combien de variétés: & quant à la partie des arbres qui est si importante, qu'elle a dans l'Encyclopédie, à commencer au troisieme volume, toute l'étendue qu'on lui peut desirer.

A ceux qui sont mécontens de la partie des Arts, & à ceux qui en sont satisfaits: qu'ils ont raison les uns & les autres, parce qu'il y a des choses dans cette matiere immense qui sont on ne peut pas plus mal - faites, & d'autres qu'il seroit peut - être difficile de mieux faire.

Mais comme les Arts ont été l'objet principal de mon travail, je vais m'expliquer librement, & sur les défauts dans lesquels je suis tombé, & sur les précautions qu'il y auroit à prendre pour les corriger.

Celui qui se chargera de la matiere des Arts, ne s'acquittera point de son travail dune maniere satisfaisante pour les autres & pour lui - même, s'il n'a profondément étudié l'histoire naturelle, & sur - tout la Minéralogie; s'il n'est excellent Méchanicien; s'il n'est très - versé dans la Physique rationnelle & expérimentale, & s'il n'a fait plusieurs cours de Chimie.

Naturaliste, il connoîtra d'un coup d'oeil les substances que les Artistes employent, & dont ils font communément tant de mystere.

Chimiste, il possédera les propriétés de ces substances: les raisons d'une infinité d'opérations lui seront connues; il éventera les secrets; les Artistes ne lui en imposeront point; il discernera sur le champ l'absurdité de leurs mensonges; il saisira l'esprit d'une manoeuvre: les tours de mains ne lui échapperont point; il distinguera sans peine un mouvement indifférent, d'une précaution essentielle; tout ce qu'il écrira de la matiere des Arts sera clair, certain, lumineux; & les conjectures sur les moyens de perfectionner ceux qu'on a, de retrouver des arts perdus, & d'en inventer de nouveaux, se présenteront en foule à son esprit.

La Physique lui rendra raison d'une infinité de phénomenes dont les ouvriers demeurent étonnés toute leur vie.

Avec de la méchanique & de la géométrie, il parviendra sans peine au calcul vrai & réel des forces; il ne lui restera que l'expérience à acquérir, pour tempérer la rigueur des suppositions mathématiques; qualité qui distingue, sur - tout dans la construction des machines délicates, le grand artiste de l'ouvrier commun à qui on ne donnera jamais une juste idée de ce tempérament, s'il ne l'a point acquise, & en qui on ne la rectifiera jamais, s'il s'en est fait de fausses notions.

Muni de ces connoissances, il commencera par introduire quelque ordre dans son travail, en rapportant les arts aux substances naturelles: ce qui est toujours possible; car l'histoire des Arts n'est que l'histoire de la nature employée. Voyez l'Arbre encyclopédique.

Il tracera ensuite pour chaque artiste un canevas à remplir; il leur imposera de traiter de la matiere dont ils se servent, des lieux d'où ils la tirent, du prix qu'elle leur coûte, &c. des instrumens, des différens ouvrages, & de toutes les manoeuvres.

Il comparera les mémoires des Artistes avec son canevas; il conférera avec eux; il leur fera suppléer de vive voix ce qu'ils auront omis, & éclaircir ce qu'ils auront mal expliqué.

Quelque mauvais que ces mémoires puissent être; [p. 647] quand ils auront été faits de bonne foi, ils contiendront toûjours une infinité de choses que l'homme le plus intelligent n'appercevra pas, ne soupconnera point, & ne pourra demander. Il y en desirera d'autres à - la - vérité; mais ce seront celles que les Artistes ne celent à personne: car j'ai éprouvé que ceux qui s'occupent sans cesse d'un objet, avoient un penchant égal à croire que tout le monde savoit ce dont ils ne faisoient point un secret; & que ce dont ils faisoient un secret n'étoit connu de personne: ensorte qu'ils étoient toûjours tentés de prendre celui qui les questionnoit, ou pour un génie transcendant ou pour un imbécille.

Tandis que les Artistes seront à l'ouvrage, il s'occupera à rectifier les articles que nous lui aurons transmis, & qu'il trouvera dans notre dictionnaire. Il ne tardera pas à s'appercevoir que malgré tous les soins que nous nous sommes donnés, il s'y est glissé des bevûes grossieres (voyez l'article Brique), & qu'il y a des articles entiers qui n'ont pas l'ombre du sens commun (voyez l'article Blanchisserie de Toiles): mais il apprendra, par son expérience, à nous savoir gré des choses qui seront bien, & à nous pardonner celles qui seront mal. C'est sur - tout quand il aura parcouru pendant quelque tems les atteliers, l'argent à la main, & qu'on lui aura fait payer bien cherement les faussetés les plus ridicules, qu'il connoîtra quelle espece de gens ce sont que les Artistes, sur - tout à Paris, où la crainte des impôts les tient perpétuellement en méfiance, & où ils regardent tout homme qui les interroge avec quelque curiosité comme un émissaire des fermiers généraux, ou comme un ouvrier qui veut ouvrir boutique. Il m'a semblé qu'on éviteroit ces inconvéniens, en cherchant dans la province toutes les connoissances sur les Arts qu'on y pourroit recueillir: on y est connu; on s'adresse à des gens qui n'ont point de soupçon; l'argent y est plus rare, & le tems moins cher. D'où il me paroît évident qu'on s'instruiroit plus facilement & à moins de frais, & qu'on auroit des instructions plus sûres.

Il faudroit indiquer l'origine d'un art, & en suivre pié - à - pié les progrès quand ils ne seroient pas ignorés, ou substituer la conjecture & l'histoire hypothétique à l'histoire réelle. On peut assûrer qu'ici le roman seroit souvent plus instructif que la vérité.

Mais il n'en est pas de l'origine & des progrès d'un art, ainsi que de l'origine & des progrès d'une science. Les Savans s'entretiennent: ils écrivent: ils font valoir leurs découvertes: ils contredisent: ils sont contredits. Ces contestations manifestent les faits & constatent les dates. Les Artistes au contraire vivent ignorés, obscurs, isolés; ils font tout pour leur intérêt, ils ne font presque rien pour leur gloire. Il y a des inventions qui restent des siecles entiers renfermées dans une famille: elles passent des peres aux enfans; se perfectionnent ou dégénerent, sans qu'on sache précisément ni à qui, ni à quel tems il faut en rapporter la découverte. Les pas insensibles par lesquels un art s'avance à la perfection, confondent aussi les dates. L'un recueille le chanvre; un autre le fait baigner; un troisieme le tille: c'est d'abord une corde grossiere; puis un fil; ensuite une toile: mais il s'écoule un siecle entre chacun de ces progrès. Celui qui porteroit une production depuis son état naturel jusqu'à son emploi le plus parfait, seroit difficilement ignoré. Comment seroit - il impossible qu'un peuple se trouvât tout - à - coup vêtu d'une étoffe nouvelle, & ne demandât pas à qui il en est redevable? Mais ces cas n'arrivent point, ou n'arrivent que rarement.

Communément le hasard suggere les premieres tentatives; elles sont infructueuses & restent ignorées: un autre les reprend; il a un commencement de succès, mais dont on ne parle point: un troisie<cb-> me marche sur les pas du second: un quatrieme sur les pas du troisieme; & ainsi de suite, jusqu'à ce que le dernier produit des expériences soit excellent: & ce produit est le seul qui fasse sensation. Il arrive encore qu'à peine une idée est - elle éclose dans un attelier, qu'elle en sort & se répand. On travaille en plusieurs endroits à la fois: chacun manoeuvre de son côté; & la même invention, revendiquée en même tems par plusieurs, n'appartient proprcment à personne, ou n'est attribuée qu'à celui qu'elle enrichit. Si l'on tient l'invention de l'étranger, la jalousie nationale taît le nom de l'inventeur, & ce nom reste inconnu.

Il seroit à souhaiter que le gouvernement autorisât à entrer dans les manufactures, à voir travailler, à interroger les ouvriers, & à dessiner les instrumens, les machines, & même le local.

Il y a des circonstances où les Artistes sont tellement impénétrables, que le moyen le plus court, ce seroit d'entrer soi - même en apprentissage, ou d'y mettre quelqu'un de confiance.

Il y a peu de secrets qu'on ne parvînt à connoître par cette voie: il faudroit divulguer tous ces secrets sans aucune exception.

Je sais que ce sentiment n'est pas celui de tout le monde: il y a des têtes étroites, des ames mal nées, indifférentes sur le sort du genre humain, & tellement concentrées dans leur petite société, qu'elles ne voyent rien au - delà de son intérêt. Ces hommes veulent qu'on les appelle bons citoyens; & j'y consens, pourvû qu'ils me permettent de les appeller méchans hommes. On diroit, à les entendre, qu'une Encyclopédie bien faite, qu'une histoire générale des Arts ne devroit être qu'un grand manuscrit soigneusement renfermé dans la bibliotheque du monarque, & inaccessible à d'autres yeux que les siens; un livre de l'Etat, & non du peuple. A quoi bon divulguer les connoissances de la nation, ses transactions secretes, ses inventions, son industrie, ses ressources, ses mysteres, sa lumiere, ses arts & toute sa sagesse! ne sont - ce pas là les choses auxquelles elle doit une partie de sa supériorité sur les nations rivales & circonvoisines? Voilà ce qu'ils disent; & voici ce qu'ils pourroient encore ajoûter. Ne seroit - il pas à souhaiter qu'au lieu d'éclairer l'étranger, nous pussions répandre sur lui des ténebres, & plonger dans la barbarie le reste de la terre, afin de le dominer plus sûrement? Ils ne font pas attention qu'ils n'occupent qu'un point sur ce globe, & qu'ils n'y dureront qu'un moment; que c'est à ce point & à cet instant qu'ils sacrifient le bonheur des fiecles à venir & de l'espece entiere. Ils savent mieux que personne que la durée moyenne d'un empire n'est pas de deux mille ans, & que dans moins de tems peut - être , le nom François, ce nom qui durera éternellement dans l'histoire, seroit inutilement cherché sur la surface de la terre. Ces considérations n'étendent point leurs vûes; il semble que le mot humanité soit pour eux un mot vuide de sens. Encore s'ils étoient conséquens! mais dans un autre moment ils se déchaineront contre l'impénétrabilité des sanctuaires de l'Egypte: ils déploreront la perte des connoissances anciennes; ils accuseront la négligence ou le silence des auteurs qui se sont tûs ou qui ont parlé si mal d'une infinité d'objets importans; & ils ne s'appercevront pas qu'ils exigent des hommes d'autrefois ce dont ils font un crime à ceux d'aujourd'hui, & qu'ils blament les autres d'avoir été ce qu'ils se font honneur d'être.

Ces bons citoyens sont les plus dangereux ennemis que nous ayons eus. En général, il faut profiter des critiques, sans y répondre, quand elles sont bonnes; les négliger, quand elles sont mauvaises. N'est - ce pas une perspective bien agréable pour tous ceux qui

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.