ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"NA16"> fieurs inventaires de maisons de grands seigneurs & de bourgeois; tous les traités sur les Arts en général & en particulier, les réglemens du Commerce, les statuts des Communautés, tous les recueils des Académies, sur - tout la collection académique dont le discours préliminaire & les premiers volumes viennent de paroître. Cet ouvrage ne peut manquer d'être excellent, à en juger par les sources où l'on se propose de puiser, & par l'étendue des connoissances, la fécondité des idées, & la fermeté de jugement & de goût de l'homme qui dirige cette grande entreprise. Le plus grand bonheur qui pût arriver à ceux qui nous succéderont un jour dans l'Encyclopédie, & qui se chargeront des éditions suivantes, c'est que le dictionnaire de l'Académie françoise, tel que je le conçois, & qu'il est conçu par les meilleurs esprits de cette illustre compagnie, ait été publié, que l'histoire naturelle ait paru toute entiere, & que la collection académique soit achevée. Combien de travaux épargnés!

Entre les livres dont il est encore essentiel de se pourvoir, il faut compter les catalogues des grandes bibliotheques; c'est - là qu'on apprend à connoître les sources où l'on doit puiser: il seroit même à souhaiter que l'éditeur fût en correspondance avec les bibliothécaires. S'il est nécessaire de consulter les bons ouvrages, il n'est pas inutile de parcourir les mauvais. Un bon livre fournit un ou plusieurs articles excellens; un mauvais livre aide à faire mieux. Votre tâche est remplie dans celui - ci, l'autre l'abrege. D'ailleurs, faute d'une grande connoissance de la Bibliographie, on est exposé sans cesse à composer médiocrement, avec beaucoup de peine, de tems, & de dépense, ce que d'autres ont supérieurement exécuté. On se tourmente pour découvrir des choses connues. Observons qu'excepté la matiere des Arts, il n'y a proprement du ressort d'un dictionnaire que ce qui est déjà publié, & que par conséquent il est d'autant plus à souhaiter que chacun connoisse les grands livres composés dans sa partie, & que l'éditeur soit muni des catalogues les plus complets & les plus étendus.

La citation exacte des sources seroit d'une grande utilité: il faudroit s'en imposer la loi. Ce seroit rendre un service important à ceux qui se destinent à l'étude particuliere d'une science ou d'un art, que de leur donner la connoissance des bons auteurs, des meilleures éditions, & de l'ordre qu'ils doivent suivre dans leurs lectures. L'Encyclopédie s'en est quelquefois acquité, elle auroit dû n'y manquer jamais.

Il faut analyser scrupuleusement & fidelement tout ouvrage auquel le tems a assûré une réputation constante. Je dis le tems, parce qu'il y a bien de la différence entre une Encyclopédie & une collection de journaux. Une Encyclopédie est une exposition rapide & desintéressée des découvertes des hommes dans tous les lieux, dans tous les genres, & dans tous les siecles, sans aucun jugement des personnes; au lieu que les journaux ne sont qu'une histoire momentanée des ouvrages & des auteurs. On y rend compte indistinctement des efforts heureux & malheureux, c'est - à - dire que pour un feuillet qui mérite de l'attention, on traite au long d'une infinité de volumes qui tombent dans l'oubli avant que le dernier journal de l'année ait paru. Combien ces ouvrages périodiques seroient abregés, si on laissoit seulement un an d'intervalle entre la publication d'un livre & le compte qu'on en rendroit ou qu'on n'en rendroit pas: tel ouvrage dont on a parlé fort au long dans le journal, n'y seroit pas même nommé. Mais que devient l'extrait quand le livre est oublié? Un dictionnaire universel & raisonné est destiné à l'instruction générale & permanente de l'espece humaine; les écrits périodiques, à la satisfaction momen<cb-> tanée de la curiosité de quelques oisifs. Ils sont peu lus des gens de lettres.

Il faut particulierement extraire des auteurs les systèmes, les idées singulieres, les observations, les expériences, les vûes, les maximes, & les faits.

Mais il y a des ouvrages si importans, si bien médités, si précis, en petit nombre à la vérité, qu'une Encyclopédie doit les engloutir en entier. Ce sont ceux où l'objet général est traité d'une maniere méthodique & profonde, tels que l'essai sur l'entendement humain, quoique trop diffus; les considérations sur les moeurs, quoique trop serrées; les institutions astronomiques, bien qu'elles ne soient pas assez élémentaires, &c.

Il faut distribuer les observations, les faits, les expériences, &c. aux endroits qui leur sont propres.

Il faut savoir dépecer artistement un ouvrage, en ménager les distributions, en présenter le plan, en faire une analyse qui forme le corps d'un article, dont les renvois indiqueront le reste de l'objet. Il ne s'agit pas de briser les jointures, mais de les relâcher; de rompre les parties, mais de les desassembler & d'en conserver scrupuleusement ce que les Artistes appellent les repères.

Il importe quelquefois de faire mention des choses absurdes; mais il faut que ce soit légerement & en passant, seulement pour l'histoire de l'esprit humain, qui se dévoile mieux dans certains travers singuliers, que dans l'action la plus raisonnable. Ces travers sont pour le moraliste, ce qu'est la dissection d'un monstre pour l'historien de la Nature: elle lui sert plus que l'étude de cent individus qui se ressemblent. Il y a des mots qui peignent plus fortement & plus completement que tout un discours. Un homme à qui on ne pouvoit reprocher aucune mauvaise action, disoit un mal infini de la nature humaine. Quelqu'un lui demanda: mais où avez - vous vû l'homme si hideux? en moi, répondit - il. Voilà un méchant qui n'avoit jamais fait de mal; puisse - t - il mourir bien - tôt! Un autre disoit d'un ancien ami: un tel est un très - honnête - homme; il est pauvre, mais cela ne m'empêche pas d'en faire un cas singulier. Il y a quarante ans que je suis son ami, & il ne m'a jamais demandé un sou. Ah, Moliere, où étiez - vous? ce trait ne vous eût pas échappé, & votre Avare n'en offriroit aucun ni plus vrai ni plus énergique.

Comme il est au moins aussi important de rendre les hommes meilleurs, que de les rendre moins ignorans, je ne serois pas fâché qu'on recueillît tous les traits frappans des vertus morales. Il faudroit qu'ils fussent bien constatés: on les distribueroit chacun à leurs articles qu'ils vivifieroient. Pour quoi seroit - on si attentif à conserver l'histoire des pensées des hommes, & négligeroit - on l'histoire de leurs actions? celle - ci n'est - elle pas la plus utile? n'est - ce pas celle qui fait le plus d'honneur au genre humain? Je ne veux pas qu'on rappelle les mauvaises actions; il se roit à souhaiter qu'elles n'eussent jamais été. L'homme n'a pas besoin de mauvais exemples, ni la nature humaine d'être plus décriée. Il ne faudroit faire mention des actions deshonnêtes, que quand elles auroient été suivies, non de la perte de la vie & des biens, qui ne sont que trop souvent les suites funestes de la pratique de la vertu, mais que quand elles auroient rendu le méchant malheureux & méprisé au milieu des récompenses les plus éclatantes de ses forfaits. Les traits qu'il faudroit sur - tout recueillir, ce seroit ceux où le caractere de l'honnêteté est joint à celui d'une grande pénétration, ou d'une fermeté héroïque. Le trait de M. Pelisson ne seroit sûrement pas oublié. Il se porte accusateur de son maître & de son bienfaiteur: on le conduit à la bastille: on le confronte avec son accusé, qu'il charge de quelque malversation chimérique. L'accusé lui en demande la preuve. La preuve, lui répond Pelisson? [p. 646] hé Monsieur, elle ne se peut tirer que de vos papiers, & vous savez - bien qu'ils sont tous brûlés: en effet ils l'étoient. Pelisson les avoit brûlés lui - même, mais il falloit en instruire le prisonnier; & il ne balança pas de recourir à un expédient, sûr à la vérité, puisque tout le monde y fut trompé; mais qui exposoit sa liberté, peut - être sa vie, & qui, s'il eût été ignoré, comme il pouvoit l'être, attachoit à son nom une nfamie éternelle, dont la honte pouvoit réjaillir sur la république des lettres, où Pelisson occupoit un rang distingué. M. Gobinot de Reims supporte pendant quarante ans l'indignation publique qu'il encouroit par une excessive parcimonie dont il tiroit les sommes immenses qu'il destinoit à des monumens de la plus grande utilité. Associons - lui un prélat respectable par ses qualités apostoliques, ses dignités, sa naissance, la noble simplicité de ses moeurs, & la solidité de ses vertus. Dans une grande calamité, ce prélat, après avoir soulagé par d'abondantes distributions gratuites en argent & en grains la partie de son troupeau qui laissoit voir toute son indigence, songe à secourir celle qui cachoit sa misere, en qui la honte étouffoit la plainte, & qui n'en étoit que plus malheureuse, contre l'oppression de ces hommes de sang, dont l'ame nage dans la joie au milieu du gémissement général, & il fait porter sur la place des grains qu'on y distribua à un prix fort au - dessous de celui qu'ils avoient coûté. L'esprit de parti qui abhorre tout acte vertueux qui n'est pas de quelqu'un des siens, traite sa charité de monopole, & un scélérat obscur inscrit cette atroce calomnie parmi celles dont il remplit depuis si long - tems ses feuilles hebdomadaires. Cependant il survient de nouvelles calamités: le zele inaltérable de ce rare pasteur continue de s'exercer, & il se trouve enfin un honnête homme qui eleve la voix, qui dit la vérité, qui rend hommage à la vertu, & qui s'écrie transporté d'admiration: quel courage! quelle patience héroïque! qu'il est consolant pour le genre humain que la méchanceté ne soit pas capable de ces efforts Voilà les traits qu'il faut recueillir; & qui est - ce qui les liroit sans sentir son coeur s'échauffer? Si l'on publioit un recueil qui contînt beaucoup de ces grandes & belles actions, qui est - ce qui se resoudroit à mourir sans y avoir fourni la matiere d'une ligne? Croit - on qu'il y eût quelque ouvrage d'un plus grand pathétique? Il me semble, quant à moi, qu'il y auroit peu de pages dans celui - ci, qu'un homme né avec une ame honnête & sensible n'arrosât de ses larmes.

Il faudroit singulierement se garantir de l'adulation. Quant aux éloges mérités, il y auroit bien de l'injustice à ne les accorder qu'à la cendre insensible & froide de ceux qui ne peuvent plus les entendre: l'equité qui doit les dispenser, le cedera - t - elle à la modestie qui les refuse? L'éloge est un encouragement à la vertu; c'est un pacte public que vous faites contracter à l'homme vertueux. Si ses belles actions étoient gravées sur une colonne, perdroit - il un moment de vûe ce monument imposant? ne seroit - il pas un des appuis les plus forts qu'on pût prêter à la foiblesse humaine; il faudroit que l'homme se déterminât à briser lui - même sa statue. L'éloge d'un honnête homme est la plus digne & la plus douce récompense d'un autre honnête homme: après l'éloge de sa conscience, le plus flateur est celui d'un homme de bien. O Rousseau, mon cher & digne ami, je n'ai jamais eu la force de me refuser à ta loüange: j'en ai senti croître mon goût pour la vérité, & mon amour pour la vertu. Pourquoi tant d'oraisons funebres, & si peu de panégyriques des vivans? Croit - on que Trajan n'eût pas craint de démentir son panégyriste? Si on le croit, on ne connoit pas toute l'autorité de la considération générale. Après les bonnes actions qu'on a faites, l'aiguillon le plus vif pour en multiplier le nombre, c'est la notoriété des premieres; c'est cette notoriété qui donne à l'homme un caractere public auquel il lui est difficile de renoncer. Ce secret innocent n'est - il pas même un des plus importans de l'éducation vertueuse? Mettez votre fils dans l'occasion de pratiquer la vertu; faites - lui de ses bonnes actions un caractere domestique; attachez à son nom quelque épithete qui les lui rappelle; accordez - lui de la considération: s'il franchit jamais cette barriere, j'ose assûrer que le fond de son ame est mauvais; que votre enfant est mal né, & que vous n'en ferez jamais qu'un méchant; avec cette différence qu'il se fût précipité dans le vice tête baissée, & qu'arrêté par le contraste qu'il remarquera entre les dénominations honorables qu'on lui a accordées, & celles qu'il va encourir, il se laissera glisser vers le mal, mais par une pente qui ne sera pas assez insensible pour que des parens attentifs ne s'apperçoivent point de la dégradation successive de son caractere.

Je hais cent fois plus les satyres dans un ouvrage, que les éloges ne m'y plaisent: les personnalités sont odieuses en tout genre d'écrire; on est sûr d'amuser le commun des hommes, quand on s'étudie à repaître sa méchanceté. Le ton de la satyre est le plus mauvais de tous pour un dictionnaire; & l'ouvrage le plus impertinent & le plus ennuyeux qu'on pût concevoir, ce seroit un dictionnaire satyrique: c'est le seul qui nous manque. Il faut absolument bannir d'un grand livre ces à - propos légers, ces allusions fines, ces embellissemens délicats qui feroient la fortune d'une historiette: les traits qu'il faut expliquer deviennent fades, ou ne tardent pas à devenir inintelligibles. Ce seroit une chose bien ridicule, que le besoin d'un commentaire dans un ouvrage, dont les différentes parties seroient destinées à s'interpréter réciproquement. Toute cette légereté n'est qu'une mousse qui tombe peu - à - peu; bien - tôt la partie volatile s'en est évaporée, & il ne reste plus qu'une vase insipide. Tel est aussi le sort de la plûpart de ces étincelles qui partent du choc de la conversation: la sensation agréable, mais passagere, qu'elles excitent, naît des rapports qu'elles ont au moment, aux circonstances, aux lieux, aux personnes, à l'évenement du jour; rapports qui passent promptement. Les traits qui ne se remarquent point, parce que l'éclat n'en est pas le mérite principal, pleins de substance, & portant en eux le caractere de la simplicité jointe à un grand sens, sont les seuls qui se soûtiendroient au grand jour: pour sentir la frivolité des autres, il n'y a qu'à les écrire. Si l'on me montroit un auteur qui eût composé ses mêlanges d'après des conversations, je serois presque sûr qu'il auroit recueilli tout ce qu'il falloit négliger, & négligé tout ce qu'il importoit de recueillir. Gardons-nous bien de commettre avec ceux que nous consulterons, la même faute que cet écrivain commettroit avec les personnes qu'il fréquenteroit. Il en est des grands ouvrages ainsi que des grands édifices; ils ne comportent que des ornemens rares & grands. Ces ornemens doivent être répandus avec économie & discernement, ou ils nuiront à la simplicité en multipliant les rapports; à la grandeur, en divisant les parties & en obscurcissant l'ensemble; & à l'intérêt, en partageant l'attention, qui sans ce défaut qui la distrait & la disperse, se rassembleroit toute entiere sur les masses principales.

Si je proscris les satyres, il n'en est pas ainsi ni des portraits, ni des réflexions. Les vertus s'enchaînent les unes aux autres, & les vices se tiennent, pour ainsi dire, par la main. Il n'y a pas une vertu, pas un vice qui n'ait son cortege: c'est une sorte d'association nécessaire. Imaginer un caractere, c'est trouver d'après une passion dominante donnée, bon<pb->

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