ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"NA13"> dès le premier pas s'avancera sûrement, rapidement, & toujours par la voie la plus courte. Il faut donc s'attacher à donner les raisons des choses, quand il y en a; à assigner les causes, quand on les connoît; à indiquer les effets, lorsqu'ils sont certains; à résoudre les noeuds par une application directe des principes; à démontrer les vérités; à dévoiler les erreurs; à décréditer adroitement les préjugés; à apprendre aux hommes à douter & à attendre; à dissiper l'ignorance; à apprétier la valeur des connoissances humaines; à distinguer le vrai du faux, le vrai du vraissemblable, le vraissemblable du merveilleux & de l'incroyable, les phénomenes communs des phénomenes extraordinaires, les faits certains des douteux, ceux - ci des faits absurdes & contraires à l'ordre de la nature; à connoître le cours général des évenemens, & à prendre chaque chose pour ce qu'elle est, & par conséquent à inspirer le goût de la science, l'horreur du mensonge & du vice, & l'amour de la vertu; car tout ce qui n'a pas le bonheur & la vertu pour sin derniere n'est rien.

Je ne peux souffrir qu'on s'appuie de l'autorité des auteurs dans les questions de raisonnement; & qu'importe à la vérité que nous cherchons, le nom d'un homme qui n'est pas infaillible? Point de Vers sur - tout, ils ont l'air si foible & si mesquin au - travers d'une discussion philosophique. Il faut renvoyer ces ornemens légers aux articles de littérature; c'estla que je peux les approuver, pourvû qu'ils y soient placés par le goût, qu'ils y servent d'exemple, & qu'ils fassent sortir avec force le défaut qu'on reprend, ou qu'ils donnent de l'éclat à la beauté qu'on recommande.

Dans les traités scientifiques, c'est l'enchaînement des idées ou des phénomenes qui dirige la marche; à mesure qu'on avance, la matiere se développe, foit en se généralisant, soit en se particularisant, selon la méthode qu'on a préferée. Il en sera de même par rapport à la forme générale d'un article particulier d'Encyclopédie, avec cette différence que le dictionnaire ou la co - ordination des articles aura des avantages qu'on ne pourra guere se procurer dans un traité scientifique, qu'aux dépens de quelque qualité; & de ces avantages, elle en sera redevable aux renvois, partie de l'ordre ency clopédique la plus importante.

Je distingue deux sortes de renvois: les uns de choses, & les autres de mots. Les renvois de choses éclaircissent l'objet, indiquent ses liaisons prochaines avec ceux qui le touchent immédiatement, & ses liaisons éloignées avec d'autres qu'on en croiroit isolés; rappellent les notions communes & les principes analogues; fortifient les conséquences; entrelacent la branche au tronc, & donnent au tout cette unité si favorable à l'établissement de la vérité & à la persuasion. Mais quand il le faudra, ils produiront aussi un effet tout contraire; ils opposeront les notions; ils feront contraster les principes; ils attaqueront, ébranleront, renverseront secretement quelques opinions ridicules qu'on n'oseroit insulter ouvertement. Si l'auteur est impartial, ils auront toujours la double fonction de confirmer & de réfuter; de troubler & de concilier.

Il y auroit un grand art & un avantage infini dans ces derniers renvois. L'ouvrage entier en recevroit une force interne & une utilité secrete, dont les effets sourds seroient nécessairement sensibles avec le tems. Toutes les fois, par exemple, qu'un préjugé national mériteroit du respect, il faudroit à son article particulier l'exposer respectueusement, & avec tout son cortege de vraissemblance & de séduction; mais renverser l'édifice de fange, dissiper un vain amas de poussiere, en renvoyant aux articles où des principes solides servent de base aux vérités opposées. Cette maniere de détromper les hommes opere très<cb-> promptement sur les bons esprits, & elle opere infailliblement & sans aucune fâcheuse conséquence, secretement & sans éclat, sur tous les esprits. C'est l'art de déduire tacitement les conséquences les plus fortes. Si ces renvois de confirmation & de réfutation sont prévus de loin, & préparés avec adresse, ils donneront à une Encyclopédie le caractere que doit avoir un bon dictionnaire; ce caractere est de changer la façon commune de penser. L'ouvrage qui produira ce grand effet général, aura des défauts d'exécution; j'y consens. Mais le plan & le fond en seront excellens. L'ouvrage qui n'opérera rien de pareil, sera mauvais. Quelque bien qu'on en puisse dire d'ailleurs; l'éloge passera, & l'ouvrage tombera dans l'oubli.

Les renvois de mots sont très - utiles. Chaque science, chaque art a sa langue. Où en seroit - on, si toutes les fois qu'on employe un terme d'art, il falloit en faveur de la clarté, en répéter la définition? Combien de redites? & peut - on douter que tant de digressions & de parenthèses, tant de longueurs ne rendissent obscur. Il est aussi commun d'être diffus & obscur, qu'obscur & serré; & si l'un est quelquefois fatiguant, l'autre est toûjours ennuyeux. Il faut seulement, lorsqu'on fait usage de ces mots & qu'on ne les explique pas, avoir l'attention la plus scrupuleuse de renvoyer aux endroits où il en est question, & ausquels on ne seroit conduit que par l'analogie, espece de fil qui n'est pas entre les mains de tout le monde. Dans un Dictionnaire universel des Sciences & des Arts, on peut être contraint en pluseurs circonstances à supposer du jugement, de l'esprit, de la pénétration; mais il n'y en a aucune où l'on ait dû supposer des connoissances. Qu'un homme peu intelligent se plaigne, s'il le veut, ou de l'ingratitude de la nature, ou de la difficulté de la matiere, mais non de l'auteur, s'il ne lui manque rien pour entendre, ni du côté des choses ni du côté des mots.

Il y a une troisieme sorte de renvois à laquelle il ne faut ni s'abandonner, ni se refuser entierement; ce sont ceux qui en rapprochant dans les sciences certains rapports, dans des substances naturelles des qualités analogues, dans les arts des manoeuvres semblables, conduiroient ou à de nouvelles vérités spéculatives, ou à la perfection des arts connus, ou à l'invention de nouveaux arts, ou à la restitution d'anciens arts perdus. Ces renvois sont l'ouvrage de l'homme de génie. Heureux celui qui est en état de les appercevoir. Il a cet esprit de combinaison, cet instinct que j'ai défini dans quelques - unes de mes pensées sur l'interprétation de la nature. Mais il vaut encore mieux risquer des conjectures chimériques, que d'en laisser perdre d'utiles. C'est ce qui m'enhardit à proposer celles qui suivent.

Ne pourroit - on pas soupçonner sur l'inclinaison & la déclinaison de l'aiguille aimantée, que son extrémité décrit d'un mouvement composé une petite ellipse semblable à celle que décrit l'extrémité de l'axe de la terre?

Sur les cas très - rares où la nature nous offre des phénomenes solitaires qui soient permanens, tels que l'anneau de Saturne; ne pourroit - on pas faire rentrer celui - ci dans la loi générale & commune, en considérant cet anneau, non comme un corps continu, mais comme un certain nombre de satellites mus dans un même plan, avec une vîtesse capable de perpétuer sur nos yeux une sensation non - interrompue d'ombre ou de lumiere? C'est à mon collegue M. d'Alembert à apprétier ces conjectures.

Ou pour en venir à des objets plus voisins de nous, & d'une utilité plus certaine; pourquoi n'exécuteroiton pas des figures de plantes, d'oiseaux, d'animaux & d'hommes, en un mot des tableaux, sur le métier des ouvriers en soie, où l'on exécute déjà des fleurs & des feuilles si parfaitement nuancées? [p. 643]

Quelle impossibilité y auroit - t - il à remplir sur les mêmes métiers les fonds de ces tapisseries en laine qu'on fait à l'aiguille, & à ne laisser que les endroits du dessein à nuancer, vuides & prêts à être achevés à la main, soit en laine, soit en soie? ce qui donneroit pour la célérité de l'exécution de ces sortes d'ouvrages au métier, celle qu'on a dans la machine à bas pour la façon des mailles. J'invite les Artistes à méditer là - dessus.

Ne pourroit - on pas étendre le petit art d'imprimer en caracteres percés, à l'impression ou à la copie de la Musique? On auroit du papier réglé. Les portées de ce papier seroient aussi tracées sur les petites lames des caracteres. A l'aide de ces traits & des jours mêmes des caracteres, on les rangeroit facilement sur les portées. Les barres qui séparent les mesures, celles qui lient les notes, & tous les autres signes de la Musique seroient au nombre des caracteres. On donneroit aux lames des largeurs qui seroient entr'elles comme les valeurs des notes; conséquemment les notes occuperoient sur une portée des espaces proportionnés à leurs valeurs, & les mesures se correspondroient rigoureusement les unes aux autres, sur différentes portées, sans la moindre attention de la part du musicien. Cela fait, on auroit un chassi qui contiendroit chaque portée, qu'on appliqueroit successivement sur autant de papiers différens qu'on voudroit, ce qui donneroit autant de copies d'un même morceau. La seule peine qu'il faudroit prendre, ce seroit de hausser & baisser avec un petit instrument les petites lames mobiles les unes entre les autres, dans les endroits où elles ne correspondroient pas aussi exactement qu'il le faut, soit aux lignes, soit aux entre - lignes. J'abandonne le jugement de cette idée à mon ami M. Rousseau.

Enfin. une derniere sorte de renvoi qui peut être ou de mot, ou de chose, ce sont ceux que j'appellerois volontiers satyriques ou épigrammatiques; tel est, par exemple, celui qui se trouve dans un de nos articles, où à la suite d'un éloge pompeux on lit, voyez Capuchon. Le mot burlesque capuchon, & ce qu'on trouve à l'article capuchon, pourroit faire soupçonner que l'éloge pompeux n'est qu'une ironie, & qu'il faut lire l'article avec précaution, & en peser exactement tous les termes.

Je ne voudrois pas supprimer entierement ces renvois, parce qu'ils ont quelquefois leur utilité. On peut les diriger secretement contre certains ridicules, comme les renvois philosophiques contre certains préjugés. C'est quelquefois un moyen délicat & léger de repousser une injure, sans presque se mettre sur la défensive, & d'arracher le masque à de graves personnages, qui curios simulant & bacchanalia vivunt. Mais je n'en aime pas la fréquence; celui - même que j'ai cité ne me plait pas. De fréquentes allusions de cette nature couvriroient de ténebres un ouvrage. La postérité qui ignore de petites circonstances qui ne méritoient pas de lui être transmises, ne sent plus la finesse de l'à - propos, & regarde ces mots qui nous égayent, comme des puérilités. Au lieu de composer un dictionnaire sérieux & philosophique, on tombe dans la pasquinade. Tout bien considéré, j'aimerois mieux qu'on dît la vérité sans détour, & que, si par malheur ou par hasard on avoit à faire à des hommes perdus de réputation, sans connoissances, sans moeurs, & dont le nom fût presque devenu un terme deshonnête, on s'abstînt de les nommer ou par pudeur, ou par charité, ou qu'on tombât sur eux sans ménagement, qu'on leur fit la honte la plus ignominieuse de leurs vices, qu'on les rappellât à leur état & à leurs devoirs par des traits sanglans, & qu'on les poursuivît avec l'amertume de Perse & le fiel de Juvénal ou de Buckanan.

Je sai qu'on dit des ouvrages où les auteurs se sont abandonnés à toute leur indignation: Cela est horrible! On ne traite point les gens avec cette dureté - là! Ce sont des injures grossieres qui ne peuvent se lire, & autres semblables discours qu'on a tenus dans tous les tems & de tous les ouvrages où le ridicule & la méchanceté ont été peints avec le plus de force, & que nous lisons aujourd'hui avec le plus de plaisir. Expliquons cette contradiction de nos jugemens. Au moment où ces redoutables productions furent publiées, tous les méchans allarmés craignirent pour eux: plus un homme étoit vicieux, plus il se plaignoit hautement. Il objectoit au satyrique, l'âge, le rang, la dignité de la personne, & une infinité de ces petites considérations passageres qui s'affoiblissent de jour en jour & qui disparoissent avant la fin du siecle. Croit - on qu'au tems où Juvénal abandonnoit Messaline aux portefaix de Rome, & où Perse prenoit un bas valet, & le transformoit en un grave personnage, en un magistrat respectable, les gens de robe d'un côté, & toutes les femmes galantes de l'autre ne se récrierent pas, ne dirent pas de ces traits qu'ils étoient d'une indécence horrible & punissable? Si l'on n'en croit rien, on se trompe. Mais les circonstances momentanées s'oublient; la postérité ne voit plus que la folie, le ridicule, le vice & la méchanceté, couverts d'ignominie, & elle s'en réjoüit comme d'un acte de justice. Celui qui blâme le vice légerement ne me paroît pas assez ami de la vertu. On est d'autant plus indigné de l'injustice, qu'on est plus éloigne de la commettre; & c'est une foiblesse repréhensible que celle qui nous empêche de montrer pour la méchanceté, la bassesse, l'envie, la duplicité, cette haine vigoureuse & profonde que tout honnête homme doit ressentir.

Quelle que soit la nature des renvois, on ne pourra trop les multiplier. Il vaudroit mieux qu'il y en eût de superflus que d'omis. Un des effets les plus immédiats, & des avantages les plus importans de la multiplicité des renvois, ce sera premierement, de perfectionner la nomenclature. Un article essentiel a rapport à tant d'articles différens, qu'il seroit comme impossible, que quelqu'un des travailleurs n'y eût pas renvoyé. D'où il s'ensuit qu'il ne peut être oublié; car tel mot qui n'est qu'accessoire dans une matiere, est le mot important dans une autre. Mais il en sera des choses ainsi que des mots. L'un fait mention d'un phénomene, & renvoye à l'article particulier de ce phénomene; l'autre d'une qualité, & renvoye à l'article de la substance; celui - ci d'un système, celui - là d'un procédé, & chacun fait son renvoi à l'endroit convenable, non sur ce qu'il contient, car il ne lui a point été communiqué, mais sur ce qu'il présume y devoir être contenu, pour éclaircir & completer l'article qu'il travaille. Ainsi à tout moment la Grammaire renverra à la Dialectique, la Dialectique à la Métaphysique, la Métaphysique à la Théologie, la Théologie à la Jurisprudence, la Jurisprudence à l'Histoire, l'Histoire à la Géographie & à la Chronologie, la Chronologie à l'Astronomie, l'Astronomie à la Géométrie, la Géométrie à l'Algebre, l'Algebre à l'Arithmétique, &c. Une précaution de la derniere conséquence, c'est de n'avoir pas assez bonne opinion de son collegue pour croire qu'il n'aura rien omis. Il y a tant d'autres raisons que la mauvaise foi, soit pour passer un article, soit pour n'y pas traiter tout ce qui est de son objet, qu'on ne peut être trop scrupuleux à y renvoyer.

Ce sera secondement, d'éviter les répétitions. Toutes les Sciences empietent les unes sur les autres: ce sont des rameaux continus & partant d'un même tronc. Celui qui compose un ouvrage, n'entre pas dans son sujet d'une maniere abrupte, ne s'y renferme pas en rigueur, n'en sort pas brusquement:

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