ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Passons maintenant aux découvertes & aux procédés de M. Bachelier, & parlons - en avec la même impartialité. Pour cela rappellons les principes: colorer des cires, peindre avec ces cires colorées, fixer la peinture par l'inustion; sans quoi une peinture ne peut être l'encaustique des anciens.

Premiere maniere de peindre en cire sur toile ou sur bois, selon M. Bachelier.

Il ne s'agit que de substituer à l'huile, de la cire blanche dissoute dans l'essence de térébenthine.

Imprimez votre toile avec cette cire: prenez des couleurs en poudre, broyez - les sur le porphyre en les délayant avec cette cire; formez - en votre palette; entretenez la fluidité des teintes avec quelques gouttes de la même essence; peignez avec la brosse & le pinceau comme à l'ordinaire.

Il est évident que cette peinture n'est nullement un encaustique. Premierement, on y employe l'essence de térébenthine: or il n'y a pas la moindre apparence que les anciens connussent aucune essence distillée; c'est un produit chimique. La Chimie nous vient des Arabes, & même on ne peut guere la dater que du tems d'Avicenne. Secondement, on ne brûle point le tableau quand il est achevé: or l'inustion est le caractere distinctif de la peinture encaustique. Ajoûtons, si on veut, que les anciens ne peignoient point sur toile; mais outre qu'avec cette maniere on peut peindre aussi sur bois, on ne voit pas ce que cette différence peut ajoûter ou ôter à ce genre de peinture.

Seconde maniere de peindre en cire, particulierement sur toile, selon M. Bachelier.

Ayez une toile forte & serrée de telle grandeur qu'il vous plaira; lavez - la pour en ôter l'apprêt; tendez - la sur un chassis, & disposez - le de maniere que vous puissiez tourner autour: ayez des couleurs telles qu'on les employe dans la peinture à la détrempe, & peignez; mais à mesure que vous peindrez, faites humecter par derriere votre toile, avec une éponge: par ce moyen vous retoucherez votre ouvrage, vous y mettrez l'accord, vous le travaillerez, & le finirez aussi parfaitement que vous êtes capable de le faire.

Ayez ensuite de la cire vierge très - pure; faites - la fondre simplement, ou dissolvez - la par le moyen que nous indiquerons dans la maniere suivante: prenez des brosses, & donnez au derriere de votre toile une, deux, ou trois couches de cire plus ou moins fortes, selon l'épaisseur de la toile & la force des teintes: laissez sécher, ou plûtôt essuyer vos couches.

Ayez ensuite des réchauts de doreur, remplis de charbons ardens; faites - les promener au - derriere du tableau; & cependant placé vis - à - vis la peinture, examinez les effets de l'inustion & de la fusion de la cire, laquelle pénétrera la toile & les couleurs: dirigez le mouvement des réchauts, en commandant qu'ils haussent, ou baissent, ou s'arrêtent, &c. jusqu'à ce que tout le tableau soit suffisamment brûlé. Il ne faut pas plus d'un jour pour brûler un tableau de vingt à trente piés quarrés de surface. Représenter cette manoeuvre comme pénible, c'est montrer qu'on ne l'a jamais pratiquée.

Il peut arriver de deux choses l'une, ou que le tableau soit tel que l'artiste le desire, ou qu'il faille le retoucher. On le retouchera, soit avec des couleurs préparées, comme nous allons l'indiquer; soit avec des pastels faits de ces mêmes couleurs; soit avec de la cire dissoute par l'essence de térébenthine ou une autre. Tous ces moyens sont au choix du peintre.

Cette maniere est un excellent encaustique; mais ce n'est point celui des anciens. La premiere condition n'est pas remplie, cerae tinguntur coloribus ad picturas. On y employe la cire, on y brûle; mais les couleurs ne sont pas des cires colorées, & de plus on est dans le cas d'y employer autre chose que de la cire & des couleurs. A cela près, on peut dire sans témérité, que de toutes les manieres de peindre en cire connues jusqu'à cejour, c'est la plus avantageuse, la plus sûre, la plus prompte; puisqu'outre la vigueur & la solidité que la cire & l'inustion donnent à la détrempe, on peut faire des chefs d'oeuvre sur toile, & de telle grandeur qu'on voudra, & finir les tableaux les plus étendus avec autant de perfection & d'aisance, qu'on feroit à l'huile les plus petits morceaux de chevalet. Quelque idée qu'on ait de l'encaustique des anciens, il n'est pas croyable qu'il eût ces avantages.

Troisieme maniere de peindre en cire, selon M. Bachelier.

Prenez du sel de tartre; faites - en dissoudre dans de l'eau tiede jusqu'à saturation; filtrez cette eau saturée à - travers un papier gris, & recevez - la dans un vaisseau de terre neuf & vernisse; mettez ce vaisseau sur un feu doux; jettez - y des morceaux de cire vierge blanche les uns après les autres, à mesure qu'ils s'y dissoudront: cette solution se gonflera, montera comme le lait, se répandra même si le feu est trop poussé. On fournira de la cire à cette eau alkaline, tant qu'elle en pourra dissoudre; on s'assûrera que la dissolution est parfaite & uniforme, en la remuant doucement avec une spatule de bois; & pour lors on aura une masse d'une blancheur ébloüissante, une espece de savon d'une consistance de bouillie qui se dissoudra dans l'eau pure en aussi grande & en aussi petite quantité qu'on voudra; & ce savon dissous vous donnera une eau de cire. Servez - vous de cette eau pour délayer & broyer vos couleurs.

Ayez une toile tendue sur un chassis; dessinez votre sujet avec des crayons blancs: tenez vos couleurs dans des godets, & entretenez - les dans une fluidité convenable, en les humectant avec quelques gouttes d'eau pure, ou d'eau de cire. Servez - vous des pinceaux & autres instrumens ordinaires. Préparez seulement votre palette, en la trempant dans la cire bouillante pour qu'elle s'en pénetre, & en la serrant sous une presse de peur qu'elle ne s'envoile; ratissezen le superflu, & formez vos teintes sur cette palette.

Ayez à côté de vous deux vaisseaux de terre pleins d'eau, pour nettoyer de l'un à l'autre vos pinceaux & les décharger de couleurs, & essuyez - les sur une éponge au sortir de la seconde eau.

Ayez un petit matelas fait de deux ou trois serviettes; humectez - le d'eau pure, & le tenez appliqué derriere votre toile à l'endroit où vous peindrez. Si vous trouvez ce matelas incommode, ayez une éponge, imprégnez - la d'eau de cire, & faites - en arroser votre toile par - derriere, deux ou trois fois par jour en hyver, & trois ou quatre en été. Peignez, & continuez votre ouvrage jusqu'à ce qu'il soit achevé.

Au reste le matelas & l'éponge ne sont nécessaires qu'à ceux qui n'ayant pas la pratique de la détrempe, ne savent pas fondre une teinte humide avec une teinte seche; ils feront bien de tenir leur toile fraîche.

Cela fait, brûlez le tableau; cette opération est indispensable. Pour cet effet, allumez un grand feu qui forme une nappe ardente; présentez - y votte tableau par le côté opposé à la peinture; approchez le à mesure qu'il cessera de fumer: vous verrez la cire se gonfler, le gonflement se promener sur la surface, & disparoître quand il sera devenu général; alors le tableau sera brûlé. Retirez - le peu - à - peu comme vous l'avez approché, de peur que la surface ne reste inégale par un refroidissement brusque & irrégulier. L'inustion loin de détruire la peinture, la rend solide & fixe. D'un enduit sans consistance & sans [p. 613] corps que le frotement le plus leger pourroit emporter, elle fait une couche dure, compacte, adhérente, mince, flexible, & capable de prendre du poli.

Si le tableau étoit grand, on le brûleroit par parties en promenant par - derriere le réchaut du doreur, comme dans la méthode qui précede.

Le tableau étant brûlé, tout est fait, à moins que l'artiste n'y veuille retoucher; & pour cela il faut l'humecter d'eau de cire. Mais il convient de glacer sa couleur; c'est - à - dire que si l'endroit est trop brun, on y étendra une teinte plus claire, & on y répétera l'inustion: elle rétablira l'accord contre l'attente du peintre. On pourra aussi, pour retoucher l'ouvrage, se servir des pastels dont nous allons parler.

Il est évident que cette maniere est un véritable encaustique, qu'elle satisfait aux trois conditions requises, & dans l'ordre prescrit. Les cires sont colorées, on peint avec ces cires, & on brûle le tableau. Cette invention est certainement heureuse, & les effets en sont sûrs.

Quatrieme maniere de peindre en cire, selon M. Bachelier.

Prenez de l'eau de cire dont vous venez de voir la préparation; donnez - en aux couleurs la quantité convenable; broyez - les, transportez - les du porphyre sur un papier gris qui en boive l'humidité: appliquez dessus un morceau de carton, avant qu'elles soient entierement seches; donnez - leur la forme ordinaire de pastels en les roulant, & laissez - les ensuite sécher lentement à l'air libre: ces pastels seront tendres & mous à s'étendre sous le doigt; travaillez avec, & fixez la peinture par l'inustion.

C'est un encaustique du même genre que le précédent; d'ailleurs on en sent la commodité.

Ces mêmes pastels peuvent devenir fermes & durs comme la sanguine; il ne faut qu'avoir un petit fourneau d'émailleur avec une moufle, les mettre sous la moufle, entretenir dans le fourneau le même degré de chaleur que celui auquel on acheve de brûler un tableau, & les - y laisser exposés environ un quartd'heure: on en pourra faire des desseins colorés qu'il n'est pas nécessaire de brûler, & que rien n'altere.

L'eau de cire de M. Bachelier a encore d'autres propriétés. Il la donne comme un excellent vernis qui n'a point les défauts des autres, & même pour le pastel. On peut l'appliquer à la brosse sur les plafonds, les lambris, le plâtre, le marbre, les boiseries des appartemens, les parquets, les équipages, &c. Quand elle est seche, il faut employer l'inustion avec le réchaut de doreur, pour l'incorporer avec les substances; & quand elle est froide, la froter avec une brosse rude pour lui donner de l'éclat: c'est - à - dire que M. Bachelier, vraissemblablement sans le savoir, redonne le vernis encaustique de Vitruve, ou l'équivalent.

Il prétend aussi que c'est un bon mordant pour la dorure; d'autant plus que ne faisant point d'épaisseur, elle laisse paroître tout l'art & la délicatesse de la sculpture. Il veut même qu'on puisse l'employer avec avantage pour l'or faux, en passant ensuite par - dessus une seconde couche de la même eau: tellement que la dorure étant sale, on la nettoyeroit comme de l'or fin, & qu'on pourroit y employer l'eau - forte.

Observons que les couleurs sortent de la boutique du marchand impures & mêlées de substances hétérogenes, qui venant à se combiner avec le savon de cire, produiroient peut - être des effets nuisibles. M. Bachelier les purifie de la maniere suivante.

Délayez la couleur dans l'eau pure; partie demeurera suspendue dans l'eau, partie tombera au fond; décantez la partie suspendue, & délayez celle qui est tombée au fond; & ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne tombe au fond de l'eau qu'un dépôt de matiere noncolorante. A chaque opération, la partie suspendue se déposera; on réitérera sur ce dépôt les lotions prescrites, cinq ou six fois, & l'on aura enfin des couleurs aussi pures qu'il le faut pour être délayées avec l'eau de cire sans aucun inconvénient.

Cependant ce lavage des couleurs n'a pas paru sans difficulté, & l'eau de cire en a essuyé de plus fortes encore. Il ne s'agit pas de les dissimuler, mais d'y répondre.

Quant au lavage des couleurs, l'expérience du peintre fait face à toutes les théories qu'on lui oppose; on sait qu'il excelle à peindre les fleurs, nul genre n'exige des couleurs plus fraîches & plus brillantes: néanmoins il lave ses couleurs, & le carmin sur - tout, & ses teintes n'en sont que plus riches; il ne prétend pas en enlever l'excès de la partie grasse, mais les sables, les sels, & d'autres parties non colorantes. On lui démontrera, si l'on veut, que cela ne doit pas être; mais il le pratique ainsi, & il réussit.

Quant au savon & à l'eau de cire, on dit 1°. « que regarder ce savon comme une découverte singuliere, c'est montrer qu'on n'a aucune connoissance des livres de Chimie; qu'il n'y a pas un de ces livres qui n'apprenne que toute substance grasse est propre à faire du savon; & l'on cite les mémoires que M. Geoffroi donna il y a environ quinze ans à l'académie, sur les savons de toute espece!». L'on répond à cette objection & à cette citation très - imprudente, pour n'en rien dire de plus, qu'il n'y a pas un chimiste qui ait parlé d'un savon de cire; que dans le mémoire de M. Geoffroi on ne trouve pas seulement le mot de cire; & que si cette découverte n'étoit ni impossible ni singuliere en elle - même, elle est du moins toute neuve & très - singuliere par l'usage que le peintre en fait.

On objecte 2°. « que tout savon en général étoit inconnu aux anciens; qu'on ne trouve parmi eux aucun vestige de cette composition; que tous les Chimistes conviennent que c'est une découverte moderne; qu'elle ne peut donc avoir servi à leur peinture encaustique». On répond qu'ils peuvent n'y avoir point employé de savon, & encore moins ce savon de cire; mais qu'ils ne connussent aucun savon, & qu'on n'en trouve parmi eux aucun vestige, c'est ce qu'on n'a garde d'avoüer; & les Chimistes auroient grand tort d'en convenir.

L'interprete de Théocrite rend le mot SMP=*UMA par SAW=W/NION, qui est le sapo des Latins, du savon.

On lit dans Paul d'Egine, SA/W=WN RUW=TIKH=S2 E)STI DUNA/<-> MEWS2, le savon a une vertu détersive.

Pline plus ancien qu'eux est tout autrement précis. Il dit (l. XXVIII. c. 12.) Prodest & sapo: Gallorum hoc inventum est rutilandis capillis: Fit ex sebo & cinere: Optimus fagino & caprino: Duobus modis, spissus ac liquidus: Uterque apud Germanos majore est usu viris quam feminis. « On se sert aussi du savon. C'est une invention des Gaulois pour rendre les cheveux blonds. On le fait de suif & de cendre. Le meilleur est de cendre de hêtre & de suif de chevre. Il y en a de deux sortes, du dur & du liquide. Les Germains employent l'un & l'autre, mais les hommes plus que les femmes ». Voilà le nom du savon, son origine, sa composition, ses especes, ses usages. En est - ce assez?

On croit 3°. « que le savon de cire a tous les inconvéniens de la détrempe; qu'on ne peut ni laver les tableaux peints en cette maniere, ni les exposer dans des endroits humides; que ce savon s'humecteroit & se fondroit facilement, parce que l'alkali fixe qui entre dans sa composition, a toûjours une disposition prochaine à s'humecter, & que ce sel n'étant point décomposé dans le savon,

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