ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"536"> fectionnera - t - il, lorsque les expériences d'un artiste ne s'ajoûteront point aux expériences d'un autre artiste, & que celui qui entrera dans la carriere sera obligé de tout inventer, & de perdre à chercher des couleurs, un tems précieux qu'il eût employé à peindre?

On vit immédiatement après Pierre Chartier, plusieurs artistes se livrer à la peinture en émail. On fit des médailles: on exécuta un grand nombre de petits ouvrages: on peignit des portraits. Jean Petitot & Jacques Bordier en apporterent d'Angleterre de si parfaits & de si parfaitement coloriés, que deux bons peintres en mignature, Louis Hance & Louis de Guernier, tournerent leur talent de ce côté. Ce dernier se livra à la peinture en émail avec tant d'ardeur & d'opiniâtreté, qu'il l'eût sans doute portée au point de perfection qu'elle pouvoit atteindre, s'il eût vêcu davantage. Il découvrit cependant plusieurs teintes, qui rendirent ses carnations plus belles que ses prédécesseurs ne les avoient eues. Que sont devenues ces découvertes?

Mais s'il est vrai, dans tous les Arts, que la distance du médiocre au bon est grande, & que celle du bon à l'excellent est presqu'infinie, ce sont des vérités singulierement frappantes dans la peinture en émail. Le degré de perfection le plus leger dans le travail, quelques lignes de plus ou de moins sur le diametre d'une piece, constituent au - delà d'une certaine grandeur des différences prodigieuses.

Pour peu qu'une piece soit grande, il est presque impossible de lui conserver cette égalité de superficie, qui permet seule de joüir également de la peinture de quelque côté que vous la regardiez. Les dangers du feu augmentent en raison des surfaces. M. Rouquet, dont je ne pense pas que qui que ce soit recuse le jugement dans cette matiere, prétend même, dans son ouvrage de l'état des Arts en Angleterre, que le projet d'exécuter de grands morceaux en émail, est une preuve décisive de l'ignorance de l'artiste; que ce genre de peinture perd de son mérite, à proportion qu'on s'éloigne de certaines limites; que l'artiste n'a plus au - delà de ces limites la même liberté dans l'exécution, & que le spectateur seroit plûtôt fatigué qu'amusé par les détails, quand même il arriveroit à l'artiste de réussir.

Jean Petitot né à Geneve en 1607, mourut à Vevay en 1691. Il se donna des peines incroyables pour perfectionner son talent. On dit qu'il dut ses belles couleurs à un habile chimiste avec lequel il travailla. mais on ne nomme point ce chimiste. Cependant c'est l'avis de M. Rouquet: Petitot, dit - il, n'eût jamais mis dans ses ouvrages cette manoeuvre si fine & si séduisante, s'il avoit opéré avec les substances ordinaires. Quelques heureuses découvertes lui fournirent les moyens d'exécuter sans peine des choses surprenantes que, sans le secours de ces découvertes, les organes les plus parfaits, avec toute l'adresse imaginable, n'auroient jamais pû produire. Tels sont les cheveux que Petitot peignoit avec une légéreté dont les instrumens & les préparations ordinaires ne sont nullement capables. S'il est vrai que Petitot ait eu des moyens méchaniques qui se soient perdus, quel regret pour ceux qui sont nés avec un goût vif pour les Arts, & qui sentent tout le prix de la perfection!

Petitot copia plusieurs portraits d'après les plus grands maîtres: on les conserve précieusement. Vandeik se plut à le voir travailler, & ne dédaigna pas quelquetois de retoucher ses ouvrages.

Louis XIV. & sa cour employerent long - tems son pinceau. Il obtint une pension considérable & un logement aux galeries, qu'il occupa jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes. Ce fut alors qu'il se retira dans sa patrie.

Bordier son beau - frere, auquel il s'étoit associé, peignoit les cheveux, les draperies, & les fonds; Petitot se chargeoit toûjours des têtes & des mains.

Ils traiterent non - seulement le portrait, mais encore l'histoire. Ils vêcurent sans jalousie, & amasserent près d'un million qu'il partagerent sans procès.

On dit qu'il y a un très - beau morceau d'histoire de ces deux artistes dans la bibliotheque de Geneve.

M. Rouquet fait l'éloge d'un peintre Suédois appellé M. Zink. Ce peintre a travaillé en Angleterre. Il a fait un grand nombre de portraits, où l'on voit l'émail manié avec une extrème facilité, l'indocilité des matieres subjuguée, & les entraves que l'art de l'émail met au génie entierement brisées. Le peintre de Geneve dit de M. Zink ce qu'il a dit de Petitot, qu'il a possedé des manoeuvres & des matieres qui lui étoient particulieres, & sans lesquelles ses ouvrages n'auroient jamais eu la liberté du pinceau, la fraîcheur, la vérité, l'empâtement qui leur donnent l'effet de la nature. Les mots par lesquels M. Rouquet finit l'éloge de M. Zink sont remarquables: « il est bien humiliant, dit M. Rouquet, pour la nature humaine, que les Génies ayent la jalousie d'être seuls ». M. Zink n'a point fait d'éleve.

Nous avons aujourd'hui quelques hommes habiles dans la peinture en émail; tout le monde connoît les portraits de ce même M. Rouquet que nous venons de citer, ceux de M. Liotard, & les compositions de M. Durand. Je me fais honneur d'être l'ami de ce dernier, qui n'est pas moins estimable par l'honnêteté de ses moeurs & la modestie de son caractere, que par l'excellence de son talent. La postérité qui fera cas de ses ouvrages en émail, recherchera avec le plus grand empressement les morceaux qu'il a exécutés sur la nacre, & qui auront échappé à la barbarie de nos petits - maîtres. Mais je crains bien que la plûpart de ces bas - reliefs admirables, roulés brutalement sur des tables de marbre, qui égratignent & défigurent les plus belles têtes, les plus beaux contours, ne soient effacés & détruits, lorsque les amateurs en connoîtront la valeur, qui n'est pas ignorée aujourd'hui, sur - tout des premiers artistes. C'est en lui voyant travailler un très - beau morceau de peinture en émail, soit qu'on le considere par le sujet, ou par le dessein, ou par la composition, ou par l'expression, ou même par le coloris, que j'écrivois ce que je détaillerai de la peinture en émail, après que j'aurai fait connoître en peu de mots le morceau de peinture dont il s'agit.

C'est une plaque destinée à former le fond d'une tabatiere d'homme, d'une forme ronde, & d'une grandeur qui passe un peu l'ordinaire. On voit sur le devant un grand Amour de dix - huit ans; droit, l'air triomphant & satisfait, appuyé sur son arc, & montrant du doigt Hercule qui apprend à filer d'Omphale: cet amour semble dire à celui qui le regarde ces deux vers:

Qui que tu sois, tu vois ton maître; Il l'est, le fut, ou le doit être. Quand tu serois Jupiter même, Je te ferai filer aussi. Hercule est renversé nonchalamment au pié d'Omphale, sur laquelle il attache les regards les plus tendres & les plus passionnés. Omphale est occupée à lui apprendre à faire tourner un fuseau dont elle tient l'extrémité entre ses doigts. La dignité de son visage, la finesse de son souris, je ne sais quels vestiges d'une passion mal célée qui s'échappe imperceptiblement de tous ses traits, sont autant de choses [p. 537] qu'il faut voir & qui ne peuvent s'écrire. Elle est assise sur la peau du lion de Nemée; un de ses piés délicats est posé sur la tête de l'animal terrible; cependant trois petitsAmours se joüent de la massue du héros qu'ils ont mise en balançoire. Ils ont chacun leur caractere. Un paysage forme le fond du tableau. Ce morceau vû à l'oeil nud fait un grand plaisir; mais regardé à la loupe, c'est toute autre chose encore; on en est enchanté.

C'est l'orfévre qui prépare la plaque sur laquelle on se propose de peindre. Sa grandeur & son épaisseur varient, selon l'usage auquel on la destine. Si elle doit former un des côtés d'une boîte, il faut que l'or en soit à vingt - deux carats au plus: plus fin, il n'auroit pas assez de soûtien; moins fin, il seroit sujet à fondre. Il faut que l'alliage en soit moitié blanc & moitié rouge, c'est - à - dire moitié argent & moitié cuivre; l'émail dont on la couvrira, en sera moins exposé à verdir, que si l'alliage étoit tout rouge.

Il faudra recommander à l'orfévre de rendre son or bien pur & bien net, & de le dégager exactement de pailles & de vent; sans ces précautions il se fera immanquablement des soufflures à l'émail, & ces défauts seront sans remede.

On réservera autour de la plaque un filet qu'on appelle aussi bordement. Ce filet ou bordement retiendra l'émail, & l'empêchera de tomber, lorsqu'étant appliqué on le pressera avec la spatule. On lui donnera autant de hauteur qu'on veut donner d'épaisseur à l'émail; mais l'épaisseur de l'émail variant selon la naure de l'ouvrage, il en est de même de la hauteur du filet ou bordement. On observera seulement que quand la plaque n'est point contre - émaillée, il faudra qu'elle soit moins chargée d'émail, parce l'émail mis au feu tirant l'or à soi, la piece deviendroit convexe.

Lorsque l'émail ne doit point couvrir toute la plaque, alors il faut lui pratiquer un logement. Pour cet effet on trace sur la plaque les contours du dessein; on se sert de la mine de plomb, ensuite du burin. On champleve tout l'espace renfermé dans les contours du dessein, d'une profondeur égale à la hauteur qu'on eût donnée au filet, si la plaque avoit dû être entierement émaillée.

On champleve à l'échope, & cela le plus également qu'on peut: c'est une attention qu'il ne faut pas négliger. S'il y avoit une éminence, l'émail se trouvant plus foible en cet endroit, le verd pourroit y pousser. Les uns pratiquent au fond du champlever des hachures legeres & serrées, qui se croisent en tous sens; les autres y font des traits ou éraflures, avec un bout de lime cassé quarrément.

L'usage de ces éraflures ou hachures, c'est de donner prise à l'émail, qui, sans cette précaution, pourroit se séparer de la plaque. Si l'on observoit de tremper la piece champlevée dans de l'eau régale affoiblie, les inégalités que son action formeroit sur le champlever, pourroient remplir merveilleusement la vûe de l'artiste dans les hachures qu'il y pratique: c'est une expérience à faire. Au reste il est évident qu'il ne faudroit pas manquer de laver la piece dans plusieurs eaux, au sortir de l'eau régale.

Quoi qu'il en soit de cette conjecture, lorsque la piece est champlevée, il faut la dégraisser. Pour la dégraisser on prendra une poignée de cendres gravelées qu'on fera bouillir dans une pinte d'eau ou environ, avec la piece à dégraisser. Au défaut de cendres gravelées on pourroit se servir de celles du foyer, si elles étoient de bois neuf; mais les cendres gravelées leur sont préférables. Voyez Cendres.

Au sortir de cette lessive on lavera la piece dans de l'eau claire où l'on aura mis un peu de vinaigre; & au sortir de ce mêlange d'eau & de vinaigre, on la relavera dans l'eau claire.

Voilà les précautions qu'il importe de prendre sur l'or; mais on se détermine quelquefois, par économie, à émailler sur le cuivre rouge: alors on est obligé d'amboutir toutes les pieces, quelle que soit la figure qu'elles ayent, ronde, ovale, ou quarrée. Les amboutir, dans cette occasion, c'est les rendre convexes du côté à peindre, & concaves du côté à contre émailler. Pour cet effet il faut avoir un poinçon d'acier de la même forme qu'elles, avec un bloc de plomb: on pose la piece sur le bloc, on appuie dessus le poinçon, & l'on frappe sur la tête du poinçon avec un marteau. Il faut frapper assez fort pour que l'empreinte du poinçon se fasse d'un seul coup. On prend du cuivre en feuilles, de l'épaisseur d'un parchemin. Il faut que le morceau qu'on employe, soit bien égal & bien nettoyé: on passe sur sa surface le gratoir, devant & après qu'il a reçû l'empreinte. Ce qu'on se propose en l'amboutissant, c'est de lui donner de la force, & de l'empêcher de s'envoiler.

Cela fait, il faut se procurer un émail qui ne soit ni tendre ni dur: trop tendre, il est sujet à se fendre; trop dur, on risque de fondre la plaque. Quant à la couleur, il faut que la pâte en soit d'un beau blanc de lait. Il est parfait, s'il réunit à ces qualités la finesse du grain. Le grain de l'émail sera fin, si l'endroit de sa surface d'où il s'en sera détaché un éclat, paroît égal, lisse & poli.

On prendra le pain d'émail, on le frappera à petits coups de marteau, en le soûtenant de l'extrémité du doigt. On recueillera tous les petits éclats dans une serviette qu'on étendra sur soi; on les mettra dans un mortier d'agate, en quantité proportionnée au besoin qu'on en a. On versera un peu d'eau dans le mortier: il faut que cette eau soit froide & pure: les artistes préferent celle de fontaine à celle de riviere. On aura une molette d'agate; on broyera les morceaux d'émail, qu'on arrosera à mesure qu'ils se pulveriseront: il ne faut jamais les broyer à sec. On se gardera bien de continuer le broyement trop long - tems. S'il est à - propos de ne pas sentir l'émail graveleux, soit au toucher, soit sous la molette, il ne faut pas non plus qu'il soit en boue: on le réduira en molécules égales; car l'inégalité supposant des grains plus petits les uns que les autres, les petits ne pourroient s'arranger autour des gros, sans y laisser des vuides inégaux, & sans occasionner des vents. On peut en un bon quartd'heure broyer autant d'émail qu'il en faut pour charger une boîte.

Il y a des artistes qui prétendent qu'après avoir mis l'émail en petits éclats, il faut le bien broyer & purger de ses ordures avec de l'eau - forte; le laver dans de l'eau claire, & le broyer ensuite dans le mortier. Mais cette précaution est superflue quand on se sert d'un mortier d'agate; la propreté suffit.

Lorsque l'émail est broyé, on verse de l'eau dessus; on le laisse déposer, puis on décante par inclination l'eau, qui emporte avec elle la teinture que le mortier a pû donner à l'émail & à l'eau. On continue ces lotions jusqu'à ce que l'eau paroisse pure, observant à chaque lotion de laisser déposer l'émail.

On ramassera dans une soûcoupe les différentes eaux des lotions, & on les y laissera déposer. Ce dépôt pourra servir à contre - émailler la piece, s'il en est besoin.

Tandis qu'on prépare l'émail, la plaque champlevée trempe dans de l'eau pure & froide: il faut l'y laisser au moins du soir au lendemain; plus elle y restera de tems, mieux cela sera.

Il faut toûjours conserver l'émail broyé couvert

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