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Aussi les morceaux vraiment sublimes sont toûjours ceux qui se traduisent le plus aisément. Que vous reste - t - il? moi..... Comment voulez - vous que je vous traite? en roi .... Qu'il mourût.... Dieu dit: que la lumiere se fasse, & elle se fit .... & tant d'autres morceaux sans nombre, seront toûjours sublimes dans toutes les langues. L'expression pourra être plus ou moins vive, plus ou moins précise, selon le génie de la langue; mais la grandeur de l'idée subsistera toute entiere. En un mot on peut être éloquent en quelque langue & en quelque style que ce soit, parce que l'élocution n'est que l'écorce de l'éloquence, avec laquelle il ne faut pas la confondre.
Mais, dira - t - on, si l'éloquence véritable & proprement dite a si peu besoin des regles de l'élocution, si elle ne doit avoir d'autre expression que celle qui est dictée par la nature, pourquoi donc les anciens dans leurs écrits sur l'éloquence ont - ils traité si à fond de l'élocution? Cette question mérite d'être approfondie.
L'éloquence ne consiste proprement que dans des
traits vifs & rapides; son effet est d'émouvoir vivement,
& toute émotion s'affoiblit par la durée. L'éloquence ne peut donc regner que par intervalles dans
un discours de quelque étendue, l'éclair part & la
nue se referme. Mais si les ombres du tableau sont
nécessaires, elles ne doivent pas être trop fortes; il
faut sans doute & à l'orateur & à l'auditeur des endroits
de repos, dans ces endroits l'auditeur doit respirer,
non s'endormir, & c'est aux charmes tranquilles
de l'élocution à le tenir dans cette situation
douce & agréable. Ainsi (ce qui semblera paradoxe,
sans en être moins vrai) les regles de l'élocution n'ont
lieu à proprement parler, & ne sont vraiment nécessaires
que pour les morceaux qui ne sont pas proprement
éloquens, que l'orateur compose plus à
froid, & où la nature a besoin de l'art. L'homme de
génie ne doit craindre de tomber dans un style lâche,
bas & rampant, que lorsqu'il n'est point soûtenu par
le sujet; c'est alors qu'il doit songer à l'élocution, &
s'en occuper. Dans les autres cas, son élocution sera
telle qu'elle doit être sans qu'il y pense. Les anciens,
si je ne me trompe, ont senti cette vérité, &
c'est pour cette raison qu'ils ont traité principalement
de l'élocution dans leurs ouvrages sur l'art oratoire.
D'ailleurs des trois parties de l'orateur, elle
est presque la seule dont on puisse donner des préceptes
directs, détaillés & positifs: l'invention n'a
point de regles, ou n'en a que de vagues & d'insuffisantes;
la disposition en a peu, & appartient plutôt
à la logique qu'à la rhétorique. Un autre motif a
porté les anciens rhéteurs à s'étendre beaucoup sur
les regles de l'élocution: leur langue étoit une espece
de musique, susceptible d'une mélodie à laquelle
le peuple même étoit très - sensible. Des préceptes
sur ce sujet, étoient aussi nécessaires dans les traités
des anciens sur l'éloquence, que le sont parmi nous
les regles de la composition musicale dans un traité
complet de musique. Il est vrai que ces sortes de regles
ne donnent ni à l'orateur ni au musicien du talent
& de l'oreille; mais elles sont propres à l'aider.
Ouvrez le traité de Cicéron intitulé Orator, & dans
lequel il s'est proposé de former ou plutôt de peindre
un orateur parfait; vous verrez non - seulement
que la partie de l'élocution est celle à laquelle il s'attache
principalement, mais que de toutes les qualités
de l'élocution, l'harmonie qui résulte du choix &
de l'arrangement des mots, est celle dont il est le plus
occupé. Il paroît même avoir regardé cet objet comme
très - essentiel dans des morceaux très - frappans
par le fond des choses, & où la beauté de la pensée
sembloit dispenser du soin d'arranger les mots. Je n'en
citerai que cet exemple:
Cette comparaison tirée de la Musique, conduit à une autre idée qui ne paroît pas moins juste. La Musique a besoin d'exécution, elle est muette & nulle sur le papier; de même l'éloquence sur le papier est presque toûjours froide & sans vie, elle a besoin de l'action & du geste; ces deux qualités lui sont encore plus nécessaires que l'élocution; & ce n'est pas sans raison que Démosthene réduisoit à l'action toutes les parties de l'orateur. Nous ne pouvons lire sans être attendris les peroraisons touchantes de Ciceron, pro Fonteio, pro Sextio, pro Plancio, pro Flacco, pro Sylla; qu'on imagine la force qu'elles devoient avoir dans la bouche de ce grand homme: qu'on se représente Cicéron au milieu du barreau, animant par ses pleurs & par une voix touchante le discours le plus pathétique, tenant le fils de Flaccus entre ses bras, le présentant aux juges, & implorant pour lui l'humanité & les lois; on ne sera point surpris de ce qu'il nous rapporte lui - même, qu'il remplit en cette occasion le barreau de pleurs, de gémissemens & de sanglots. Quel effet n'eût point produit la peroraison pro Milone, prononcée par ce grand orateur!
L'action fait plus que d'animer le discours: elle peut même inspirer l'orateur, sur - tout dans les occasions où il s'agit de traiter sur le champ & sur un grand théatre, de grands intérêts, comme autrefois à Athenes & à Rome, & quelquefois aujourd'hui en Angleterre. C'est alors que l'éloquence débarrassée de toute contrainte & de toutes regles, produit ses plus grands miracles. C'est alors qu'on éprouve la vérité de ce passage de Quintilien, lib VII. cap. x. Pectus est quod disertos facit, & vis mentis; ideòque imperitis quoque, si modò sunt aliquo affectu concitati, verba non desunt. Ce passage d'un si grand maître serviroit à confirmer tout ce que nous avons dit [p. 523]
Nous croyons qu'on nous saura gré à cette occasion,
de fixer la vraie signification du mot disertus; il
ne répond certainement pas à ce que nous appellons
en françois disert; M. Diderot l'a très - bien prouvé
au mot
Après cette discussion sur le vrai sens du mot disertus, discussion qui nous paroît mériter l'attention des lecteurs, & qui appartient à l'article que nous traitons, donnons en peu de mots d'après les grands maîtres & d'après nos propres réflexions, les principales regles de l'élocution oratoire.
La clarté, qui est la loi fondamentale du discours oratoire, & en général de quelque discours que ce soit, consiste non - seulement à se faire entendre, mais à se faire entendre sans peine. On y parvient par deux moyens, en mettant les idées chacune à sa place dans l'ordre naturel, & en exprimant nettement chacune de ces idées. Les idées seront exprimées facilement & nettement, en évitant les tours ambigus, les phrases trop longues, trop chargées d'idées incidentes & accessoires à l'idée principale, les tours épigrammatiques, dont la multitude ne peur sentir la finesse; car l'orateur doit se souvenir qu'il parle pour la multitude. Notre langue par le défaut de déclinaisons & de conjugaisons, par les équivoques fréquentes des ils, des elles, des qui, des que, des son, sa, ses, & de beaucoup d'autres mots, est plus sujette que les langues anciennes à l'ambiguité des phrases & des tours. On doit donc y être fort attentif, en se permettant néanmoins (quoique rarement) les équivoques legeres & purement grammaticales, lorsque le sens est clair d'ailleurs par lui - même, & lorsqu'on ne pourroit lever l'équivoque sans affoiblir la vivacité du discours. L'orateur peut même se permettre quelquefois la finesse des pensées & des tours, pourvû que ce soit avec sobriété & dans les sujets qui en sont susceptibles, ou qui l'autorisent, c'est - à - dire qui ne demandent ni simplicité, ni élévation, ni véhémence: ces tours fins & délicats échapperont sans doute au vulgaire, mais les gens d'esprit les saisiront & en sauront gré à l'orateur. En effet, pourquoi lui refuseroit - on la liberté de reserver certains endroits de son ouvrage aux gens d'esprit, c'est - à - dire aux seules personnes dont il doit réellement ambitionner l'estime?
Je n'ai rien à dire sur la correction, sinon qu'elle consiste à observer exactement les regles de la langue, mais non avec assez de scrupule, pour ne pas s'en affranchir lorsque la vivacité du discours l'exige. La correction & la clarté sont encore plus étroitement nécessaires dans un discours fait pour être lû, que dans un discours prononcé; car dans ce dernier cas, une action vive, juste, animée, pour quelquefois aider à la clarté & sauver l'incorrection.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de la clarté &
de la correction grammaticales, qui appartiennent
à la diction: il est aussi une clarté & une correction
non moins essentielles, qui appartiennent au style,
& qui consistent dans la propriété des termes. C'est
principalement cette qualité qui distingue les grands
écrivains d'avec ceux qui ne le sont pas: ceux - ci
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