ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"490"> versent des larmes sur ce tombeau. Il veut enfin que l'inscription fasse connoître que c'est la perte de Néaera qui a causé sa mort ». Liv. III. élég. 2.

Il est ordinaire de voir la grande douleur s'occuper de raisonnemens faux, alors le délire de cette passion est du caractere essentiel de l'élégie. « Plût à Dieu (dit Tibulle) qu'on fût demeuré dans les moeurs qui regnoient au tems de Saturne, lorsqu'on ne connoissoit point encore l'art de voyager, & que la terre n'étoit point partagée en grands chemins »! Comme si de - là eût dépendu le départ de sa maîtresse, qui avoit entrepris un grand voyage.

La douleur produit aussi des desirs & des espérances, qui sont un adoucissement à nos peines, & qui nous retracent une situation plus heureuse. De - là viennent les digressions du même Tibulle sur des plans de vie imaginaires, si jamais son état venoit à changer. Par ces idées frivoles, entretenant une passion qui le remplit tour - à - tour d'espérances & de craintes, il nourrit la flamme qui le dévore, & qui ne le laisse jamais sans inquiétude.

Voilà ce que l'on peut observer sur les élégies tris<-> tes & passionnées.

Par rapport aux élégies gracieuses, M. Marmontel a remarqué qu'elles doivent être ornées de tous les thrésors de l'imagination, & je n'ai rien de plus à en dire.

Quant aux élégies qui doivent représenter l'état d'un coeur au comble de ses voeux; & ne connoissant rien d'égal au bonheur dont il jouit, le ton peut être hardi, & les pensées exagérées. L'extrème joie n'est pas moins hyperbolique que l'extrème douleur, & souvent il arrive que les figures les plus audacieuses sont l'expression naturelle de ces transports. C'est encore alors que les images riantes répandent dans ce genre d'élégie des graces particulieres.

Pour ce qui regarde les loüanges que les poëtes donnent à leurs maîtresses dans les élégies amoureuses, ou les éloges qu'ils font de leur beauté; comme c'est le coeur qui dicte ces sortes de loüanges, elles doivent en suivre le langage, & par conséquent être amenées simplement & naturellement. Voyez avec quelle naïveté, avec quel goût, avec quel coloris, Tibulle nous peint Sulpicie: « Les Graces (dit - il) président à toutes ses actions, & sont toûjours attachées à ses pas sans qu'elle daigne s'en appercevoir. Elle plaît si elle arrange ses cheveux avec art; si elle les laisse floter, cet air négligé lui donne un nouvel éclat. Soit qu'elle soit vêtue de pourpre, ou qu'elle préfere à la pourpre une autre couleur, elle enchante, elle ravit tous les coeurs. Tel dans l'olympe, l'heureux Vertumne prend mille formes différentes, & plaît sous toutes également ». Liv. IV. élég. 2.

En un mot, de quelque genre qu'on suppose l'élégie, elle doit toûjours suivre le langage de la passion & de la nature; elle doit s'exprimer avec une vérité, une force, une douceur, une noblesse, & un sentiment proportionné au sujet qu'elle traite. Il y faut le choix des pensées & des expressions propres; car ce choix est toûjours ce qu'il y a de plus important & de plus essentiel. Ces réflexions doivent naître du fond même de la pensée, & paroître un sentiment plûtôt qu'une réflexion: il faut aussi que l'harmonie du vers la soûtienne. Enfin, il faut qu'il y ait une liaison secrete entre toutes ses parties, & que le plan soit distribué avec tant d'ordre & de goût, qu'elles se fortifient les unes les autres, & augmentent insensiblement l'intérêt, comme ces côteaux qui s'élevent peu - à - peu, & qui semblent terminés dans un espace éloigné par des montagnes qui touchent aux cieux.

Ce n'est pas d'après ces regles que la plûpart des modernes ont composé leurs élégies; ils paroissent n'avoir pas connu son caractere. Ils ont donné à leurs productions le titre d'élégie, en se contentant d'y donner une certaine forme; comme si cette forme suffisoit toute seule pour caractériser un poëme, sans la matiere qui lui est propre; ou que ce fût la nature des vers, & non pas celle de l'imitation, qui distinguât les poëtes.

Les uns pour briller, se sont jettés dans les écarts de l'imagination, dans des ornemens frivoles, dans des pensées recherchées, dans des images pompeuses, ou dans des traits d'esprit quand il s'agissoit de peindre le sentiment. Les autres ont imaginé de plaire, & d'émouvoir par des loüanges de leurs maîtresses, qui ne sont que des flateries extravagantes; par des gémissemens, dont la feinte saute aux yeux; par des douleurs étudiées, & par des desespoirs de sang froid. C'est à ces derniers poëtes que s'adressent les vers suivans de Despréaux:

Je hais ces vains auteurs, dont la Muse forcée M'entretient de ses feux, toûjours froide & glacée; Qui s'affligent par art; & foux de sens rassis, S'érigent, pour rimer, en amoureux transis: Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines; Ils ne savent jamais que se charger de chaines, Que benir leur martyre, adorer leur prison, Et faire quereller le sens & la raison. Ce n'étoit pas jadis sur ce ton ridicule Qu'Amour dictoit les vers que soupiroit Tibulle. Art. poétiq. chant II. v. 45.

Aussi les Anglois dégoûtés des fadeurs de l'élégie plaintive & amoureuse, ont pris le parti de consacrer quelquefois ce poëme à l'éloge de l'esprit, de la valeur, & des talens; on en verra des exemples dans Waller. Je ne déciderai point s'ils ont eu tort ou raison; cet examen me meneroit trop loin.

Je finis par une récapitulation. L'élégie doit son origine aux plaintes usitées de tout tems dans les funérailles. Après avoir long - tems gémi sur un cercueil, elle pleura les disgraces de l'amour; ce passage fut naturel. Les plaintes continuelles des amans sont une espece de mort; & pour parler leur langage, ils vivent uniquement dans l'objet de leur passion. Soit qu'ils loüent les plaisirs de la vie champêtre, soit qu'ils déplorent les maux que la guerre entraîne après elle, ce n'est pas par rapport à eux qu'ils loüent ces plaisirs & qu'ils déplorent ces maux, c'est par rapport à leurs maîtresses: « Ah, pourvû seulement que j'eusse le bonheur d'être auprès de vous »! . . . dit Tibulle à Délie.

Ainsi l'élégie, destinée dans sa premiere institution aux gémissemens & aux larmes, ne s'occupa que de ses infortunes; elle n'exprima d'autres sentimens, elle ne parla d'autre langage que celui de la douleur: négligée comme il sied aux personnes affligées, elle chercha moins à plaire qu'à toucher; elle voulut exciter la pitié, & non pas l'admiration. Elle retint ce même caractere dans les plaintes des amans, & jusque dans leurs chants de triomphe elle se souvint de sa premiere origine.

Enfin, dans toutes ses vicissitudes, ses pensées furent toûjours vives & naturelles, ses sentimens tendres & délicats, ses expressions simples & faciles; & toûjours elle conserva cette marche inégale dont Ovide lui fait un si grand mérite, & qui, pour le dire en passant, donne à la poésie élégiaque des anciens tant d'avantage sur la nôtre.

Cependant je m'apperçois qu'en traitant ce sujet, qui a été si bien approfondi dans plusieurs ouvrages, & en particulier dans les mémoires de l'académie des inscriptions, je me suis peut - être trop étendu, entraîné par la matiere même, & par les charmes [p. 491] de Tibulle & de Properce. Mais le genre élégiaque a mille attraits, parce qu'il émeut nos passions, parce qu'il est l'imitation des objets qui nous intéressent, parce qu'il nous fait entendre des hommes touchés, & qui nous rendent très - sensibles à leurs peines comme à leurs plaisirs, en nous en entretenant eux - mêmes.

Nous aimons beaucoup à être émus (Voyez Emotion); nous ne pouvons entendre les hommes déplorer leurs infortunes sans en être affligés, sans chercher ensuite à en parler aux autres, sans profiter de la premiere occasion qui s'offre de décharger notre coeur, si je puis parler ainsi, d'un poids qui l'accable.

Voilà pourquoi de tous les poëmes, comme l'a dit avant moi M. l'Abbé Souchay, il n'en est point après le dramatique qui soit plus attrayant que l'élégie. Aussi a - t - on vû dans tous les tems des génies du premier ordre faire leurs délices de ce genre de poésie. Indépendamment de ceux que nous avons cités, élégiographes de profession, les Euripide & les Sophocle ne crurent point, en s'y appliquant, deshonorer les lauriers qu'ils avoient cueillis sur la scene.

Plusieurs poëtes modernes se sont aussi consacrés à l'élégie; heureux, s'ils n'avoient pas substitué d'ordinaire, le faux au vrai, le pompeux au simple, & le langage de l'esprit à celui de la nature! Quoi qu'il en soit, ce genre de poesie a des beautés sans nombre; & c'est ce qui m'a fait espérer d'obtenir quelque indulgence, quand j'ai crû pouvoir les détailler ici d'après les grands maîtres de l'art. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

ELEGIR (Page 5:491)

* ELEGIR, v. act. il se dit dans les arts méchaniques, de toutes pieces en bois ou en fer qu'on rend plus legeres, en les affoiblissant dans les endroits où il n'est point nécessaire qu'elles soient si fortes. Il est particulierement d'usage dans la Menuiserie & la Charpenterie.

ELEEN (Page 5:491)

* ELEEN, adj. (Mythol.) surnom de Bacchus & de ses piêtresses, qu'on appella aussi Eléléides. Eléléen signifie bruyant, ce qui est relatif à la maniere tumultueuse & bruyante dont les fêtes & les mysteres de Bacchus se célébroient. Voyez Bacchantes.

ELEMENS DES SCIENCES (Page 5:491)

ELEMENS DES SCIENCES. (Philosophie.) On appelle en général élémens d'un tout, les parties primitives & originaires dont on peut supposer que ce tout est formé. Pour transporter cette notion aux Sciences en général, & pour connoître quelle idée nous devons nous former des élémens d'une science quelconque, supposons que cette science soit entierement traitée dans un ouvrage, ensorte que l'on ait de suite & sous les yeux les propositions, tant générales que particulieres, qui forment l'ensemble de la science, & que ces propositions soient disposées dans l'ordre le plus naturel & le plus rigoureux qu'il soit possible: supposons ensuite que ces propositions forment une suite absolument continue, ensorte que chaque proposition dépende uniquement & immédiatement des précédentes, & qu'elle ne suppose point d'autres principes que ceux que les précédentes propositions renferment; en ce cas chaque proposition, comme nous l'avons remarqué dans le discours préliminaire, ne sera que la traduction de la premiere, présentée sous différentes faces; tout se réduiroit par conséquent à cette premiere proposition, qu'on pourroit regarder comme l'élément de la science dont il s'agit, puisque cette science y seroit entierement renfermée. Si chacune des sciences qui nous occupent étoit dans le cas dont nous parlons, les élémens en seroient aussi faciles à faire qu'à apprendre; & même si nous pouvions appercevoir sans interruption la chaîne invisible qui lie tous les objets de nos connoissances, les élémens de toutes les Sciences se réduiroient à un principe unique, dont les conséquences principales seroient les élémens de chaque science particuliere. L'esprit humain, participant alors de l'intelligence suprème, verroit toutes ses connoissances comme réünies sous un point de vûe indivisible; il y auroit cependant cette différence entre Dieu & l'homme, que Dieu placé à ce point de vûe, appercevroit d'un coupd'oeil tous les objets, & que l'homme auroit besoin de les parcourir l'un après l'autre, pour en acquérir une connoissance détaillee. Mais il s'en faut beaucoup que nous puissions nous placer à un tel point de vûe. Bien loin d'appercevoir la chaîne qui unit toutes les Sciences, nous ne voyons pas même dans leur totalité les parties de cette chaîne qui constituent chaque science enparticulier. Quclqu'ordre que nous puissions mettre entre les propositions, queiqu'exactitude que nous cherchions à observer dans la déduction, il s'y trouvera toûjours nécessairement des vuides; toutes les propositions ne se tiendront pas immédiatement, & formeront pour ainsi dire des groupes différens & desunis.

Néanmoins quoique dans cette espece de tableau il y ait bien des objets qui nous échappent, il est facile de distinguer les propositions ou vérités générales qui servent de base aux autres, & dans lesquelles celles - ci sont implicitement renfermées. Ces propositions réunies en un corps, formeront, à proprement parler, les élémens de la science, puisque ces élémens seront comme un germe qu'il suffiroit de développer pour connoître les objets de la science fort en détail. Mais on peut encore considérer les élémens d'une science sous un autre point de vûe: en effet, dans la suite des propositions on peut distinguer celles qui, soit dans elles - mêmes, soit dans leurs conséquences, considerent cet objet de la maniere la plus simple; & ces propositions étant détachées du tout, en y joignant même les conséquences détaillées qui en dérivent immédiatement, on aura des élémens pris dans un second sens plus vulgaire & plus en usage, mais moins philosophique que le premier. Les élémens pris dans le premier sens, considerent pour ainsi dire en gros toutes les parties principales de l'objet: les élémens pris dans le second sens, considerent en détail les parties de l'objet les plus grossieres. Ainsi des élémens de Géométrie qui contiendroient non - seulement les principes de la mesure & des propriétés des figures planes, mais ceux de l'application de l'Algebre à la Géométrie, & du calcul différentiel & intégral appliqués aux courbes, seroient des élémens de Géométrie dans le premier sens, parce qu'ils renfermeroient les principes de la Géométrie prise dans toute son étendue; mais ce qu'on appelle des élémens de Géométrie ordinaire, qui ne roulent que sur les propriétés générales des figures planes & du cercle, ne sont que des élémens pris dans le second sens, parce qu'ils n'embrassent que la partie la plus simple de leur objet, soit qu'ils l'embrassent avec plus ou moins de détail. Nous nous attacherons ici aux élémens pris dans le premier sens; ce que nous en dirons pourra facilement s'appliquer ensuite aux élémens pris dans le second.

La plûpart des Sciences n'ont été inventées que peu - à - peu: quelques hommes de génie, à différens intervalles de tems, ont découvertles uns après les autres un certain nombre de vérités; celles - ci en ont fait découvrir de nouvelles, jusqu'à ce qu'enfin le nombre des vérités connues est devenu assez considérable. Cette abondance, du moins apparente, a produit deux effets. En premier lieu, on a senti la difficulté d'y ajoûter, non - seulement parce que les génies créateurs sont rares, mais encore parce que les premiers pas faits par une suite de bons esprits, rendent les suivans plus difficiles à faire; car les

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