ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"426"> renvoyerai le lecteur aux réflexions intéressantes de M. Marmontel, qui suivent immédiatement cet article.

Le mot d'églogue ou d'éclogue, est tout grec: le latin l'a adopté; soit en grec soit en latin; il ne signifie autre chose qu'un choix, un triage, & il ne s'applique pas seulement à des pieces de poésie, il s'étend à toutes les choses que l'on choisit par préférence, pour les mettre à part comme les plus précieuses. On le dit des ouvrages de prose ainsi que des ouvrages de poésie, jusque - là que les anciens l'ont employé en parlant des oeuvres d'Horace. Servius est peut - être le premier qui lui ait donné en latin, le sens que nous lui donnons en françois, & qui ait appellé églogue les idyles bucoliques de Théocrite.

Ainsi le mot églogue, dont la signification étoit vague & indéterminée, a été restrainte parmi nous aux poésies pastorales, & n'a conservé dans notre langue que cette seule acception. Nous devons ce terme, de même que celui d'idyle, aux grammairiens grecs & latins; car les dix pieces de Virgile que l'on nomme églogues, ne sont pas toutes des pieces pastorales. Mais je me servirai du mot d'églogue dans le sens reçu parmi nous, qui désigne uniquement un poëme bucolique.

L'églogue est une espece de poëme dramatique où le poëte introduit des acteurs sur une scene & les fait parler. Le lieu de la scene doit être un paysage rustique, qui comprend les bois, les prairies, le bord des rivieres, des fontaines, &c. & comme pour former un paysage qui plaise aux yeux, le peintre prend un soin particulier de choisir ce que la nature produit de plus convenable au caractere du tableau qu'il veut peindre, de même le poëte bucolique doit choisir le lieu de sa scene conformément à son sujet.

Quoique la poésie bucolique ait pour but d'imiter ce qui se passe & ce qui se dit entre les bergers, elle ne doit pas s'en tenir à la simple représentation du vrai réel qui rarement seroit agréable; elle doit s'élever jusqu'au vrai idéal qui tend à embellir le vrai tel qu'il est dans la nature, & qui produit soit en poésie, soit en peinture, le dernier point de perfection.

Il en est de la poésie pastorale comme du paysage, qui n'est presque jamais peint d'après un lieu particulier, mais dont la beauté résulte de l'assemblage de divers morceaux réunis sous un seul point de vûe; de même que les belles antiques ont été ordinairement copiées, non d'après un objet particulier, mais ou sur l'idée de l'ouvrier, ou d'après diverses belles parties prises sur différens corps, & réunies en un même sujet.

Comme dans les spectacles ordinaires la décoration du théatre doit faire en quelque sorte partie de la piece qu'on y représente, par le rapport qu'elle doit avoir avec le sujet; ainsi dans l'églogue, la scene & ce que les acteurs y viennent dire, doivent avoir ensemble une sorte de conformité qui en fasse l'union, afin de ne pas porter dans un lieu triste des pensées inspirées par la joie, ni dans un lieu où tout respire la gaieté, des sentimens pleins de mélancolie & de desespoir. Par exemple, dans la seconde églogue de Virgile, la scene est un bois obscur & triste, parce que le berger que le poëte y veut conduire, vient s'y plaindre des chagrins que lui donne une passion malheureuse.

Tantùm inter densas, umbrosa cacumina fagos Assiduè veniebat. Ibi, hoec incondita solus Montibus & sylvis studio jactabat inani.

Il en est de même d'une infinité d'autres traits qu'il seroit trop long de citer.

Après avoir préparé les scenes, nous y pouvons maintenant introduire les acteurs.

Ce sont nécessairement des bergers; mais c'est ici que le poëte qui les fait parler, doit se ressouvenir, que le but de son art est de ne se pas tromper dans le choix de ses acteurs & des choses qu'ils doivent exprimer. Il ne faut pas qu'il aille offrir à l'imagination la misere & la pauvreté de ces pasteurs, lorsqu'on attend de lui qu'il en découvre les vraies richesses, l'aisance & la commodité. Il ne faut pas non plus, qu'il en fasse des personnages plus subtils en tendresse que ceux de Gallus & de Virgile; des chantres pleins de métaphysique amoureuse, & qui se montrent capables de commenter l'art qu'Ovide professoit à Rome sous Auguste.

Ainsi, suivant la remarque de l'abbé du Bos, l'on ne sauroit approuver ces porte - houlettes doucereux qui disent tant de choses merveilleuses en tendresse, & sublimes en fadeur, dans quelques - unes de nos églogues. Ces prétendus bergers ne sont point copiés ni même imités d'après nature; mais ils sont des êtres chimériques, inventés à plaisir par des poëtes qui ne consultoient jamais que leur imagination pour les forger. Ils ne ressemblent en rien aux habitans de nos campagnes & à nos bergers d'aujourd'hui; malheureux paysans, occupés uniquement à se procurer par les travaux pénibles d'une vie laborieuse, dequoi subvenir aux besoins les plus pressans d'une famille toûjours indigente!

L'âpreté du climat sous lequel nous sommes les rend grossiers, & les injures de ce climat multiplient encore leurs besoins. Ainsi les bergers langoureux de nos églogues ne sont point d'après nature; leur genre de vie dans lequel ils font entrer les plaisirs délicats entremêlés des soins de la vie champêtre & sur - tout de l'attention à bien faire paître leur cher troupeau, n'est pas le genre de vie d'aucun de nos concitoyens.

Ce n'est point avec de pareils phantômes que Virgile & les autres poëtes de l'antiquité ont peuplé leurs aimables paysages; ils n'ont fait qu'introduire dans leurs églogues les bergers & les paysans de leur pays & de leur tems un peu annoblis. Les bergers & les pasteurs d'alors étoient libres de ces soins qui dévorent les nôtres. La plûpart de ces habitans de la campagne étoient des esclaves que leur maître avoit autant d'attention à bien nourrir qu'un laboureur en a du moins pour bien nourrir ses chevaux. Aussi tranquilles sur leur subsistance que les religieux d'une riche abbaye, ils avoient la liberté d'esprit nécessaire pour se livrer au goût que la douceur du climat, dans les contrées qu'ils habitoient, faisoit naître en eux. L'air vif & presque toûjours serein de ces régions subtilisoit leur sang, & les disposoit à la musique, à la poésie, & aux plaisirs les moins grossiers.

Aujourd'hui même, quoique l'état politique de ces contrées n'y laisse point les habitans de la campagne dans la même aisance où ils étoient autrefois; quoiqu'ils n'y recoivent plus la même éducation, on les voit encore néanmoins sensibles à des plaisirs fort au - dessus de la portée de nos paysans. C'est avec la guitarre sur le dos que ceux d'une partie de l'Italie gardent leurs troupeaux, & qu'ils vont travailler à la culture de la terre; ils savent encore chanter leurs amours dans des vers qu'ils composent sur le champ, & qu'ils accompagnent du son de leur instrument; ils les touchent sinon avec délicatesse, du moins avec assez de justesse; & c'est ce qu'ils appellent improviser.

Il faut donc choisir, élever, annoblir l'état d'un berger, parce que si anciennement les enfans des rois étoient bergers, les bergers d'aujourd'hui ne sont plus que de vils mercénaires; mais le poëte ne doit peindre en eux que des hommes, qui séparés des autres, vivent sans trouble & sans ambition; qui vêtus simplement, avec leur houlette & leurs chiens, s'occupent de chansons & de démelés innocens. [p. 427]

Après avoir établi & le lieu de la scene & le caractere des personnages, déterminons à - peu - près combien dans une églogue on peut admettre de bergers fur le théatre rustique.

Un seul berger fait une églogue; souvent l'églogue en admet deux: un troisieme y peut avoir place en qualité de juge des deux autres. C'est ainsi que Théocrite & Virgile en ont usé dans leurs pieces bucoliques; & cette conduite est conforme à la vraissemblance qui ne permet pas de mettre une multitude dans un desert. Elle est aussi conforme à la vérité, puisque les auteurs qui ont écrit des choses rustiques, nous apprennent qu'on ne donnoit qu'un berger à un troupeau souvent fort considérable.

Mais, de quoi peuvent s'entretenir des bergers? sans doute c'est principalement des choses rustiques & de celles qui sont entierement à leur portée; de sorte que dans le repos dont ils joüissent, leur premier mérite doit être celui de leurs chansons. Ils chantent donc à l'envi, & font voir que les hommes sont toûjours sensibles à l'émulation, puisqu'elle naît avec eux, & que même dans les retraites les plus solitaires, elle ne les abandonne pas. Mais quoique l'amour fasse nécessairement la matiere de leurs chansons, il ne doit pas avoir trop de violence; il ne faut pas d'une églogue faire une tragédie.

Quant aux choses libres que Théocrite & Virgile, mais beaucoup plus Théocrite, se sont quelquefois permises dans leurs églogues, on ne sauroit les justifier. Comme un peintre seroit blâmable, s'il remplissoit un paysage d'objets obscenes; aussi l'on blâmera un poëte qui fera tenir à des bergers des discours contraires à l'innocence qu'on doit supposer dans des hommes qu'Astrée n'a encore qu'à peine abandonnés.

La connoissance des bergers & leur savoir s'étend à leurs troupeaux, aux lieux champêtres, aux montagnes, aux ruisseaux, en un mot à tout ce qui peut entrer dans la composition du paysage rustique. Ils connoissent les rossignols & les oiseaux les plus remarquables par leur plumage ou par leur chant; ils connoissent les abeilles qui habitent le creux des arbres, ou qui sorties de leurs ruches, voltigent sur l'émail des fleurs; ils connoissent les fleurs qui couvrent les prairies; ils connoissent les lieux & les herbes propres à leurs troupeaux, & de ces seules connoissances ils tirent leurs discours & toutes leurs comparaisons.

S'ils connoissent des héros, ce sont des héros de leur espece. Dans Théocrite rien n'est plus célebre que le berger Daphnis. Les malheurs que lui attira son peu de fidélité avoient passé en proverbe; les bergers célebroient avec joie ou le bonheur de sa naissance, ou les charmes de sa personne, ou les cruels déplaisirs qui lui causerent enfin la mort. Dans les églogues de Virgile on trouve des noms fameux parmi les bergers.

Il résulte de ce détail, que ce genre de poésie est renfermé dans des bornes assez étroites: aussi les grands maîtres ont fait un petit nombre d'églogues. Les critiques n'en comptent que dix dans le recueil de Théocrite, & que sept ou huit dans celui de Virgile; encore peut - on indiquer celles où le poëte latin a imité le poëte grec. En un mot, nous n'avons dans l'antiquité qu'un très - petit nombre d'églogues qu'on puisse nommer ainsi, suivant l'acception fran<-> oise de ce mot. Il y en a bien moins encore dans les auteurs modernes: car pour ceux qui croyent avoir fait une jolie églogue, lorsque dans une piece de vers à laquelle ils donnent ce titre, ils ont ingénieusement démêlé les mysteres du coeur, & manié avec finesse les sentimens & les maximes de la galanterie la plus délicate; ils ont beau nommer bergers, les personnages qu'ils introduisent sur la scene; ils n'ont point fait une églogue, ils n'ont point rempli leur titre; non plus qu'un peintre, qui ayant promis un paysage rustique, nous offriroit un tableau où il auroit peint avec soin les jardins de Marly, de Versailles, ou de Trianon, ne rempliroit point ce qu'il auroit promis.

Mais quoiqu'il soit très - difficile de bien traiter l'églogue, on est assez d'accord sur le genre du style qui lui convient. Il doit être simple, parce que les bergers parlent simplement; il ne doit point être trop concis, parce que l'églogue reçoit les détails des petites choses, qui font partie du loisir de la campagne & du caractere des bergers; ils peuvent par cette raison se permettre des digressions, parce que leurs momens ne sont point comptés, parce qu'ils joüissent d'un loisir tranquille, & qu'il s'agit ici de peindre leur vie. Concluons que le style bucolique doit être moins orné qu'élégant; les pensées doivent être naïves, les images riantes ou touchantes, les comparaisons naturelles & tirées des choses les plus communes, les sentimens tendres & délicats, le tour simple, les vers libres, & leur cadence harmonieuse.

Théocrite a observé cette cadence dans presque tous les vers qui composent ses pieces bucoliques; la variété infinie & l'harmonie des mots grecs, lui en donnoient la facilité. Virgile n'a pu mesurer ses vers avec la même exactitude; parce que la langue latine n'est ni si féconde, ni si cadencée que la greque. La langue françoise est encore plus éloignée de cette cadence. L'italienne en approche davantage, & les églogues de leurs poëtes l'emportent à tous égards sur les nôtres. L'établissement de l'académie des Arcadiens à Rome, dont les commencemens sont de l'an 1690, a renouvellé dans l'Italie le goût de l'églogue, établie par Aquilano dans le xv. siecle, mais qui étoit abandonné. Cependant ils n'ont pû s'empêcher de faire parler leurs bergers avec un esprit, une finesse, une délicatesse qui n'est point dans le caractere pastoral.

Les François n'ont pas mieux réussi. Ronsard est fastidieux par son jargon & son pédantisme; il fait faire dans une de ses églogues, l'éloge de Budée & de Vatable, par la bergere Margot: ces savans - là ne devoient point être de la connoissance de Margot. Il a suivi le mauvais goût de Clément Marot, le premier de nos poëtes qui ait composé des églogues, & il a saisi son ton en appellant Charles IX. Carlin, Henri II. Henriot, &c. En un mot il s'est rendu ridicule en fredonnant des idyles gothiques.

Et changeant, sans respect de l'oreille & du son, Lycidas en Pierrot, & Phylis en Toinon. Desp.

Honorat de Beuil marquis de Racan, né en Touraine en 1589, l'un des premiers de l'académie françoise, mort en 1670, & M. de Segrais (Jean Renaud) né à Caën l'an 1624, décédé à Paris en 1701, sont les seuls qui, depuis le renouvellement de la poésie françoise par Malherbe, ayent connu en partie la nature du poëme bucolique. Les bergeries de l'un, & mieux encore les églogues de l'autre, sont avant celles de M. de Fontenelle, ce que nous avons de meilleur en ce genre, & cependant ce sont des ouvrages pleins de défauts. Si M. Despréaux les a loüés, ce n'est que par comparaison, & il étoit bien éloigné d'en être content. Il trouvoit que tous les auteurs ou avoient follement entonné la trompette, ou étoient abjects dans leur langage, ou se métamorphosoient en bergers imaginaires, entêtés de métaphysique amoureuse. Enfin convaincu qu'aucun poëte françois n'avoit saisi l'esprit, le génie, le caractere de l'églogue, il en a donné lui - même le véritable portrait, par lequel je terminerai cet article. Suivez, dit - il, pour vous éclairer de la nature de ce genre de poëme:

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