ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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noissance de leur dessein; ses ennemis insinuerent à
l'empereur qu'il avoit été consulté, en qualité de
théurgiste, & le proconsul Festus eut ordre de l'arrêter
& de le faire mourir, ce qui fut exécuté. Telle
fut la fin tragique d'un des plus habiles & des plus
honnêtes hommes de son siecle, à qui l'on ne peut
reprocher que son enthousiasme & sa théurgie. Festus ne lui survécut pas long - tems, son esprit s'altéra,
il crut voir en songe Maxime qui le traînoit par les
cheveux devant les juges des enfers; ce songe le
suivoit partout, il en perdit tout - à - fait le jugement,
& mourut fou. Le peuple oubliant les disgraces
cruelles auxquelles les dieux avoient abandonné
Maxime pendant sa vie, regarda la mort de Festus
comme un exemple éclatant de leur justice. Festus
étoit odieux; Maxime n'étoit plus, la vénération
qu'on lui portoit en devint d'autant plus grande: le
moyen que le peuple ne vit pas du surnaturel dans
le songe du proconsul, & dans une mort qui le surprend,
sans aucune cause apparente, au milieu de
ses prospérités! On n'est pas communément assez
instruit pour savoir qu'un homme menacé de mort
subite, sent de loin des mouvemens avant - coureurs
de cet évenement; ce sont des atteintes sourdes,
qu'il néglige, parce qu'il n'en prévoit ni n'en craint
les suites; ce sont des frissons passagers, des inquiétudes
vagues, de l'abattement, de l'agitation, des
accès de pusillanimité. Qu'au milieu de ces approches
secretes un homme superstitieux & méchant
ait la conscience chargée de quelque crime atroce &
récent, il en voit les objets, il en est obsédé; il
prend cette obsession pour la cause de son malaise:
& au - lieu d'appeller un medecin, il s'adresse aux
dieux: cependant le germe de mort qu'il portoit en
lui - même se développe & le tue, & le peuple imbécille
crie au prodige. C'est faire injure à l'être supreme,
c'est s'exposer même à douter de son existence,
que de chercher dans les afflictions & les prospérités
de ce monde, des marques de la justice ou de
la bonté divine. Le méchant peut avoir tout, excepté
la faveur du ciel.
Prisque, ami & condisciple de Maxime, étoit de
Thesprotie. Il avoit beaucoup étudié la Philosophie
des anciens; il s'accordoit avec Eusebe de Minde à
regarder la Théurgie comme la honte de l'Eclectisme;
mais né taciturne, renfermé, ennemi des disputes scholastiques,
ayant à - peu - pres du vulgaire Fopinion
qu'il en faut avoir, c'est - à - dire n'en faisant pas assez
de cas pour lui dire la vérité, ce fut un homme peu
propre à s'attacher des disciples & à répandre ses
opinions. Cette maniere de philosopher tranquille
& retirée jetta sur lui une obscurité salutaire, les
ennemis de la Philosophie l'oublierent. Les autres
éclectiques en furent réduits ou à se donner la mort à
eux - mêmes, ou à perdre la vie dans les tourmens;
Prisque ignore acheva tranquillement la sienne dans
les temples deserts du Paganisme.
Chrysanthius disciple d'Edesius & instituteur de
Julien, joignit l'étude de l'Art oratoire à celle de la
Philosophie: C'est assez pour soi, disoit - il, de connoî<->
tre la vérité; mais pour les autres il faut encore savoir la
dire & la faire aimer. La philantropie est le caractere
distinctis de l'homme de bien, il ne doit pas se contenter
d'être bon, il doit travailler à rendre ses semblables meil<->
leurs: la vertu ne le domine pas assez fortement, s'il
peut la contenir au - dedans de lui - même: Lorsque la vertu
est devenue la passion d'un homme, elle remplit son ame
d'un bonheur qu'il ne sauroit cacher, & que les méchans
ne peuvent feindre. C'est à la vertu qu'il appartient de
faire de véritables enthousiastes; c'est elle seule qui con<->
noît le prix des biens, des dignités & de la vie, puisqu'il
n'y a qu'elle qui sache quand il convient de les perdre ou
de les conserver. La Théurgie si fatale à Maxime, servit
utilement Chrysanthius; ce dernier s'en tint avec
fermeté à l'inspection des victimes & aux regles de
la divination, qui lui annonçoient les plus grands
malheurs s'il quittoit sa retraite; ni les instances
de Maxime, ni les invitations réitérées de l'empereur,
ni des députations expresses, ni les prieres
d'une épouse qu'il aimoit tendrement, ni les honneurs
qu'on lui offroit, ni le bonheur qu'il pouvoit
se promettre, ne purent l'emporter sur ses sinistres
pressentimens, & l'attirer à la cour de Julien. Maxime
partit, résolu, disoit - il, de faire violence à la nature &
aux destins. Julien se vengea des refus de Chrysanthius en lui accordant le pontificat de Lydie, où il
l'exhortoit à relever les autels des dieux, & à rappeller
dans leurs temples les peuples que le zèle de
ses prédécesseurs en avoit éloignés. Chrysanthius,
philosophe & pontife, se conduisit avec tant de discrétion
dans sa fonction délicate, qu'il n'excita pas
même le murmure des intolérans; aussi ne fut - il
point enveloppé dans les troubles qui suivirent la
mort de Julien. Il demeura desolé, mais tranquille
au milieu des ruines de la secte éclectique & du paganisme;
il fut même protégé des empereurs chrétiens.
Il se retira dans Athenes, où il montra qu'il
étoit plus facile à un homme comme lui de supporter
l'adversité, qu'à la plûpart des autres hommes
de bien user du bonheur. Il employoit ses journées
à honorer les dieux, à lire les auteurs anciens, à
inspirer le goût de la théurgie, de l'Eclectisme & de
l'enthousiasme à un petit nombre de disciples choisis,
& à composer des ouvrages de Philosophie. Les tendons
de ses doigts s'étoient retirés à force d'écrire.
La promenade étoit son unique délassement; il le
prenoit dans les rues spatieuses, marchant lentement,
gravement, & s'entretenant avec ses amis.
Il évita le commerce des grands, non par mépris,
mais par goùt. Il mit dans son commerce avec les
hommes tant de douceur & d'amén té, qu'on le
soupçonna d'affecter un peu ces qualités. Il parloit
bien; on le loüoit sur - tout de savoir prendre le ton
des choses. S'il ouvroit la bouche, tout le monde
restoit en silence. Il étoit ferme dans ses sentimens:
ceux qui ne le connoissoient pas asse>, s'exposoient
facilement à le contredire; mais ils ne tardoient pas
à sentir à quel homme ils avoient affaire. Nous serions
étonnés qu'avec ces qualités de coeur & d'esprit,
Chrysanthius ait été un des plus grands défenseurs du
Paganisme, si nous ne savions combien le mystère
de la Croix est une étrange folie pour des esprits orgueilleux.
Il joüissoit à l'âge de quatre - vingts ans d'une
santé si vigoureuse, qu'il étoit obligé d'observer des
saignées de précaution; Eunape étoit son medecin;
cependant une de ces saignées faite imprudemment
en l'absence d'Eunape, lui coûta la vie: il fut saisi
d'un froid & d'une langueur dans tous les membres,
qu'Oribase dissipa pour le moment par des fomentations
chaudes, mais qui ne tarderent pas à revenir,
& qui l'emporterent.
Julien, le fléau du Christianisme, l'honneur de l'E<->
clectisme, & un des hommes les plus extraordinaires
de son siecle, fut élevé par les soins de l'empereur
Constance; il apprit la Grammaire de Nicoclès, &
l'Art oratoire d'Eubole: ses premiers maîtres étoient
tous chrétiens, & l'eunuque Mardonius avoit l'inspection
sur eux. Il ne s'agit ici ni du conquérant ni
du politique, mais du philosophe. Nous préviendrons
seulement ceux qui voudront se former une
idée juste de ses qualités, de ses défauts, de ses projets,
de sa rupture avec Constance, de ses expéditions
contre les Parthes, les Gaulois & les Germains,
de son retour à la religion de ses ayeux, de sa mort
prématurée, & des évenemens de sa vie, de se méfier
également & des éloges que la flaterie lui a prodigués
dans l'histoire prophane, & des injures que le ressentiment
a vomi contre lui dans l'histoire de l'Eglise.
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C'est ici qu'il importe sur - tout de suivre une regle
de critique, qui dans une infinité d'autres conjonctures
conduiroit à la vérité plus sûrement qu'aucun
témoignage; c'est de laisser à l'écart ce que les auteurs
ont écrit d'après leurs passions & leurs préjugés,
& d'examiner d'après notre propre expérience
ce qui est vraissemblable. Pour juger avec indulgence
ou avec sévérité du goût effrené de Julien pour
les cérémonies du Paganisme ou de la Théurgie, ce
n'est point avec les yeux de notre siecle qu'il faut
considérer ces objets; mais il faut se transporter au
tems de cet empereur, & au milieu d'une foule de
grands hommes, tous entêtés de ces doctrines superstitieuses;
se sonder soi - même, & voir sans partialité
dans le fond de son coeur, si l'on eût été plus
sage que lui. On craignit de bonne heure qu'il n'abandonnât
la Religion chrétienne; mais l'on étoit
bien éloigné de prévoir que la médiocrité de ses maîtres
occasionneroit infailliblement son apostasie. En
effet, lorsque l'exercice assidu de ses talens naturels
l'eut mis au - dessus de ses instituteurs, la curiosité le
porta dans les écoles des philosophes. Ses maîtres
fatigués d'un disciple qui les embarrassoit, ne répondirent
pas avec assez de scrupule à la confiance de
Constance. Il fréquenta à Nicomédie ce Libanius
avec lequel l'empereur avoit si expressément défendu
qu'il ne s'entretînt, & qui se plaignoit si amerement
d'une défense qui ne lui permettoit pas, disoit - il,
de répandre un seul grain de bonne semence dans
un terrein précieux dont on abandonnoit la culture
à un misérable rhéteur, parce qu'il avoit le talent se
petit & si commun de médire des dieux. Les disputes
des Catnoliques entr'eux & avec les Ariens, acheverent
d'étouffer dans son coeur le peu de christianisme
que les leçons de Libanius n'en avoient point
arraché. Il vit le philosophe Maxime. On prétend
que l'empereur n'ignora pas ces démarches inconsidérées;
mais que les qualités supérieures de Julien
commençant à l'inquietter, il imagina, par un pressentiment
qui n'étoit que trop juste, que pour la
tranquillité de l'empire & pour la sienne propre, il
valoit mieux que cet esprit ambitieux se tournât du
côté des Lettres & de la Philosophie, que du côté
du gouvernement & des affaires publiques. Julien
embrassa l'Eclectisme. Comment se seroit - il garanti de
l'enthousiasme avec un tempérament bilieux & mélancolique,
un caractere impétueux & bouillant,
& l'imagination la plus prompte & la plus ardente?
Comment auroit - il senti toutes les puérilités de la
Theurgie & de la Divination, tandis que les sacrifices,
les évocations, & tous les prestiges de ces especes
de doctrines, ne cessoient de lui promettre la
souveraineté? Il est bien difficile de rejetter en doute
les principes d'un art qui nous appelle à l'empire;
& ceux qui méditeront un peu profondément sur le
caractere de Julien, sur celui de ses ennemis, sur les
conjonctures dans lesquelles il se trouvoit, sur les
hommes qui l'environnoient, seront peut - être plus
étonnés de sa tolérance que de sa superstition. Malgré
la fureur du Paganisme dont il étoit possédé, il ne
répandit pas une goutte de sang chrétien; & il seroit
à couvert de tout reproche, si pour un prince
qui commande à des hommes qui pensent autrement
que lui en matiere de religion, c'étoit assez que de
n'en faire mourir aucun. Les Chrétiens demandoient
à Julien un entier exercice de leur religion, la liberté
de leurs assemblées & de leurs écoles, la participation
à tous les honneurs de la société, dont ils
étoient des membres utiles & fideles; & en cela ils
avoient juste raison. Les Chrétiens n'exigeoient
point de lui qu'il contraignît par la force les Payens
à renoncer aux faux dieux, ils n'avoient garde de
lui en accorder le droit: ils lui reprochoient au contraire,
sinon la violence, du moins les voies indi<cb->
rectes & sourdes dont il se servoit pour déterminer
les Chrétiens à renoncer à Jesus - Christ. Abandonnez
à elle même, lui disoient - ils, l'oeuvre de Dieu: les lois
de notre Eglise ne sont point les lois de l'empire, ni les
lois de l'empire les lois de notre Eglise. Punissez - nous,
s'il nous arrive jamais d'enfreindre celles - là; mais n'im<->
posez à nos consciences aucun joug. Mettez - vous à la
place d'un de vos sujets payens, & supposez à votre place
un prince chrétien: que penseriez - vous de lui, s'il em<->
ployoit toutes les ressources de la politique pour vous at<->
tirer dans nos temples? Vous en faites trop, si l'équité
ne vous autorise pas; vous n'en faites pas assez, si vous
avez pour vous cette autorité. Quoi qu'il en soit, si
Julien eût réfléchi sur ce qui lui étoit arrivé à lui - même,
il eût été convaincu qu'au - lieu d'interdire
l'étude aux Chrétiens, il n'avoit rien de mieux à
faire que de leur ouvrir les écoles de l'Eclectisme: ils
y auroient été infailliblement attirés par l'extreme
conformité des principes de cette secte avec les dogmes
du Christianisme; mais il ne lui fut pas donné
de tendre un piége si dangereux à la Religion. La
Providence qui répandit cet esprit de ténebres sur
son ennemi, ne protégea pas le Christianisme d'une
maniere moins frappante, lorsqu'elle fit sortir des
entrailles de la terre ces tourbillons de flammes qui
dévorerent les Juifs qu'il employoit à creuser les fondemens
de Jérusalem, dont il se proposoit de relever
le temple & les murs. Julien trompé derechef dans
la malice de ses projets, consomma la prophétie
qu'il se proposoit de rendre mensongere, & l'endurcissement
fut sa punition & celle de ses complices.
Il persévera dans son apostasie; les Juifs qu'il avoit
rassemblés, se disperserent comme auparavant; Ammien - Marcellin qui nous a transmis ce fait, n'abjura
point le paganisme; & Dieu voulut qu'un des miracles
les plus grands & les plus certains qui se soient
jamais faits, qui met en défaut la malheureuse dialectique
des philosophes de nos jours, & qui remplit
de trouble leurs ames incrédules, ne convertît personne
dans le tems où il fut opéré. On raconte de
cet empereur superstitieux, qu'assistant un jour à
une évocation de démons, il fut tellement effrayé
à leur apparition, qu'il fit le signe de la croix, &
qu'aussi - tôt les démons s'évanoüirent. Je demanderois
volontiers à un chrétien s'il croit ce fait, ou
non: s'il le nie, je lui demanderai encore si c'est ou
parce qu'il ne croit point aux démons, ou parce
qu'il ne croit point à l'efficacité du signe de la croix,
ou parce qu'il ne croit point à l'efficacité des évocations; mais il croit aux démons, il ne peut être assez
convaincu de l'efficacité du signe de la croix; & pourquoi
douteroit - il de l'efficacité des évocations, tandis
que les livres saints lui en offrent plusieurs exemples?
Il ne peut donc se dispenser d'admettre le fait
de Julien, & conséquemment la plûpart des prodiges
de la Théurgie: & quelle raison auroit - il de nier
ces prodiges? J'avoue, pour moi, que je n'accuserois
point un bon dialecticien bien instruit des faits,
de trop présumer de ses forces, s'il s'engageoit avec
le pere Balthus de démontrer à l'auteur des oracles,
& à tous ceux qui pensent comme lui, qu'il faut ou
donner dans un pyrrhonisme général sur tous les
faits surnaturels, ou convenir de la vérité de plusieurs
opérations théurgiques. Nous ne nous étendrons pas davantage sur l'histoire de Julien; ce que
nous pourrions ajoûter d'intéressant, seroit hors de
notre objet. Julien mourut à l'âge de trente - trois
ans. Il faut se souvenir en lisant son histoire, qu'une
grande qualité naturelle prend le nom d'un grand
vice ou d'une grande vertu, selon le bon ou le mauvais
usage qu'on en a fait; & qu'il n'appartient qu'aux
hommes sans préjugés, sans intérêt & sans partialité,
de prononcer sur ces objets importans.
Eunape fleurit au tems de Théodose; disciple de
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