ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"279"> noissance de leur dessein; ses ennemis insinuerent à l'empereur qu'il avoit été consulté, en qualité de théurgiste, & le proconsul Festus eut ordre de l'arrêter & de le faire mourir, ce qui fut exécuté. Telle fut la fin tragique d'un des plus habiles & des plus honnêtes hommes de son siecle, à qui l'on ne peut reprocher que son enthousiasme & sa théurgie. Festus ne lui survécut pas long - tems, son esprit s'altéra, il crut voir en songe Maxime qui le traînoit par les cheveux devant les juges des enfers; ce songe le suivoit partout, il en perdit tout - à - fait le jugement, & mourut fou. Le peuple oubliant les disgraces cruelles auxquelles les dieux avoient abandonné Maxime pendant sa vie, regarda la mort de Festus comme un exemple éclatant de leur justice. Festus étoit odieux; Maxime n'étoit plus, la vénération qu'on lui portoit en devint d'autant plus grande: le moyen que le peuple ne vit pas du surnaturel dans le songe du proconsul, & dans une mort qui le surprend, sans aucune cause apparente, au milieu de ses prospérités! On n'est pas communément assez instruit pour savoir qu'un homme menacé de mort subite, sent de loin des mouvemens avant - coureurs de cet évenement; ce sont des atteintes sourdes, qu'il néglige, parce qu'il n'en prévoit ni n'en craint les suites; ce sont des frissons passagers, des inquiétudes vagues, de l'abattement, de l'agitation, des accès de pusillanimité. Qu'au milieu de ces approches secretes un homme superstitieux & méchant ait la conscience chargée de quelque crime atroce & récent, il en voit les objets, il en est obsédé; il prend cette obsession pour la cause de son malaise: & au - lieu d'appeller un medecin, il s'adresse aux dieux: cependant le germe de mort qu'il portoit en lui - même se développe & le tue, & le peuple imbécille crie au prodige. C'est faire injure à l'être supreme, c'est s'exposer même à douter de son existence, que de chercher dans les afflictions & les prospérités de ce monde, des marques de la justice ou de la bonté divine. Le méchant peut avoir tout, excepté la faveur du ciel.

Prisque, ami & condisciple de Maxime, étoit de Thesprotie. Il avoit beaucoup étudié la Philosophie des anciens; il s'accordoit avec Eusebe de Minde à regarder la Théurgie comme la honte de l'Eclectisme; mais né taciturne, renfermé, ennemi des disputes scholastiques, ayant à - peu - pres du vulgaire Fopinion qu'il en faut avoir, c'est - à - dire n'en faisant pas assez de cas pour lui dire la vérité, ce fut un homme peu propre à s'attacher des disciples & à répandre ses opinions. Cette maniere de philosopher tranquille & retirée jetta sur lui une obscurité salutaire, les ennemis de la Philosophie l'oublierent. Les autres éclectiques en furent réduits ou à se donner la mort à eux - mêmes, ou à perdre la vie dans les tourmens; Prisque ignore acheva tranquillement la sienne dans les temples deserts du Paganisme.

Chrysanthius disciple d'Edesius & instituteur de Julien, joignit l'étude de l'Art oratoire à celle de la Philosophie: C'est assez pour soi, disoit - il, de connoî<-> tre la vérité; mais pour les autres il faut encore savoir la dire & la faire aimer. La philantropie est le caractere distinctis de l'homme de bien, il ne doit pas se contenter d'être bon, il doit travailler à rendre ses semblables meil<-> leurs: la vertu ne le domine pas assez fortement, s'il peut la contenir au - dedans de lui - même: Lorsque la vertu est devenue la passion d'un homme, elle remplit son ame d'un bonheur qu'il ne sauroit cacher, & que les méchans ne peuvent feindre. C'est à la vertu qu'il appartient de faire de véritables enthousiastes; c'est elle seule qui con<-> noît le prix des biens, des dignités & de la vie, puisqu'il n'y a qu'elle qui sache quand il convient de les perdre ou de les conserver. La Théurgie si fatale à Maxime, servit utilement Chrysanthius; ce dernier s'en tint avec fermeté à l'inspection des victimes & aux regles de la divination, qui lui annonçoient les plus grands malheurs s'il quittoit sa retraite; ni les instances de Maxime, ni les invitations réitérées de l'empereur, ni des députations expresses, ni les prieres d'une épouse qu'il aimoit tendrement, ni les honneurs qu'on lui offroit, ni le bonheur qu'il pouvoit se promettre, ne purent l'emporter sur ses sinistres pressentimens, & l'attirer à la cour de Julien. Maxime partit, résolu, disoit - il, de faire violence à la nature & aux destins. Julien se vengea des refus de Chrysanthius en lui accordant le pontificat de Lydie, où il l'exhortoit à relever les autels des dieux, & à rappeller dans leurs temples les peuples que le zèle de ses prédécesseurs en avoit éloignés. Chrysanthius, philosophe & pontife, se conduisit avec tant de discrétion dans sa fonction délicate, qu'il n'excita pas même le murmure des intolérans; aussi ne fut - il point enveloppé dans les troubles qui suivirent la mort de Julien. Il demeura desolé, mais tranquille au milieu des ruines de la secte éclectique & du paganisme; il fut même protégé des empereurs chrétiens. Il se retira dans Athenes, où il montra qu'il étoit plus facile à un homme comme lui de supporter l'adversité, qu'à la plûpart des autres hommes de bien user du bonheur. Il employoit ses journées à honorer les dieux, à lire les auteurs anciens, à inspirer le goût de la théurgie, de l'Eclectisme & de l'enthousiasme à un petit nombre de disciples choisis, & à composer des ouvrages de Philosophie. Les tendons de ses doigts s'étoient retirés à force d'écrire. La promenade étoit son unique délassement; il le prenoit dans les rues spatieuses, marchant lentement, gravement, & s'entretenant avec ses amis. Il évita le commerce des grands, non par mépris, mais par goùt. Il mit dans son commerce avec les hommes tant de douceur & d'amén té, qu'on le soupçonna d'affecter un peu ces qualités. Il parloit bien; on le loüoit sur - tout de savoir prendre le ton des choses. S'il ouvroit la bouche, tout le monde restoit en silence. Il étoit ferme dans ses sentimens: ceux qui ne le connoissoient pas asse, s'exposoient facilement à le contredire; mais ils ne tardoient pas à sentir à quel homme ils avoient affaire. Nous serions étonnés qu'avec ces qualités de coeur & d'esprit, Chrysanthius ait été un des plus grands défenseurs du Paganisme, si nous ne savions combien le mystère de la Croix est une étrange folie pour des esprits orgueilleux. Il joüissoit à l'âge de quatre - vingts ans d'une santé si vigoureuse, qu'il étoit obligé d'observer des saignées de précaution; Eunape étoit son medecin; cependant une de ces saignées faite imprudemment en l'absence d'Eunape, lui coûta la vie: il fut saisi d'un froid & d'une langueur dans tous les membres, qu'Oribase dissipa pour le moment par des fomentations chaudes, mais qui ne tarderent pas à revenir, & qui l'emporterent.

Julien, le fléau du Christianisme, l'honneur de l'E<-> clectisme, & un des hommes les plus extraordinaires de son siecle, fut élevé par les soins de l'empereur Constance; il apprit la Grammaire de Nicoclès, & l'Art oratoire d'Eubole: ses premiers maîtres étoient tous chrétiens, & l'eunuque Mardonius avoit l'inspection sur eux. Il ne s'agit ici ni du conquérant ni du politique, mais du philosophe. Nous préviendrons seulement ceux qui voudront se former une idée juste de ses qualités, de ses défauts, de ses projets, de sa rupture avec Constance, de ses expéditions contre les Parthes, les Gaulois & les Germains, de son retour à la religion de ses ayeux, de sa mort prématurée, & des évenemens de sa vie, de se méfier également & des éloges que la flaterie lui a prodigués dans l'histoire prophane, & des injures que le ressentiment a vomi contre lui dans l'histoire de l'Eglise. [p. 280] C'est ici qu'il importe sur - tout de suivre une regle de critique, qui dans une infinité d'autres conjonctures conduiroit à la vérité plus sûrement qu'aucun témoignage; c'est de laisser à l'écart ce que les auteurs ont écrit d'après leurs passions & leurs préjugés, & d'examiner d'après notre propre expérience ce qui est vraissemblable. Pour juger avec indulgence ou avec sévérité du goût effrené de Julien pour les cérémonies du Paganisme ou de la Théurgie, ce n'est point avec les yeux de notre siecle qu'il faut considérer ces objets; mais il faut se transporter au tems de cet empereur, & au milieu d'une foule de grands hommes, tous entêtés de ces doctrines superstitieuses; se sonder soi - même, & voir sans partialité dans le fond de son coeur, si l'on eût été plus sage que lui. On craignit de bonne heure qu'il n'abandonnât la Religion chrétienne; mais l'on étoit bien éloigné de prévoir que la médiocrité de ses maîtres occasionneroit infailliblement son apostasie. En effet, lorsque l'exercice assidu de ses talens naturels l'eut mis au - dessus de ses instituteurs, la curiosité le porta dans les écoles des philosophes. Ses maîtres fatigués d'un disciple qui les embarrassoit, ne répondirent pas avec assez de scrupule à la confiance de Constance. Il fréquenta à Nicomédie ce Libanius avec lequel l'empereur avoit si expressément défendu qu'il ne s'entretînt, & qui se plaignoit si amerement d'une défense qui ne lui permettoit pas, disoit - il, de répandre un seul grain de bonne semence dans un terrein précieux dont on abandonnoit la culture à un misérable rhéteur, parce qu'il avoit le talent se petit & si commun de médire des dieux. Les disputes des Catnoliques entr'eux & avec les Ariens, acheverent d'étouffer dans son coeur le peu de christianisme que les leçons de Libanius n'en avoient point arraché. Il vit le philosophe Maxime. On prétend que l'empereur n'ignora pas ces démarches inconsidérées; mais que les qualités supérieures de Julien commençant à l'inquietter, il imagina, par un pressentiment qui n'étoit que trop juste, que pour la tranquillité de l'empire & pour la sienne propre, il valoit mieux que cet esprit ambitieux se tournât du côté des Lettres & de la Philosophie, que du côté du gouvernement & des affaires publiques. Julien embrassa l'Eclectisme. Comment se seroit - il garanti de l'enthousiasme avec un tempérament bilieux & mélancolique, un caractere impétueux & bouillant, & l'imagination la plus prompte & la plus ardente? Comment auroit - il senti toutes les puérilités de la Theurgie & de la Divination, tandis que les sacrifices, les évocations, & tous les prestiges de ces especes de doctrines, ne cessoient de lui promettre la souveraineté? Il est bien difficile de rejetter en doute les principes d'un art qui nous appelle à l'empire; & ceux qui méditeront un peu profondément sur le caractere de Julien, sur celui de ses ennemis, sur les conjonctures dans lesquelles il se trouvoit, sur les hommes qui l'environnoient, seront peut - être plus étonnés de sa tolérance que de sa superstition. Malgré la fureur du Paganisme dont il étoit possédé, il ne répandit pas une goutte de sang chrétien; & il seroit à couvert de tout reproche, si pour un prince qui commande à des hommes qui pensent autrement que lui en matiere de religion, c'étoit assez que de n'en faire mourir aucun. Les Chrétiens demandoient à Julien un entier exercice de leur religion, la liberté de leurs assemblées & de leurs écoles, la participation à tous les honneurs de la société, dont ils étoient des membres utiles & fideles; & en cela ils avoient juste raison. Les Chrétiens n'exigeoient point de lui qu'il contraignît par la force les Payens à renoncer aux faux dieux, ils n'avoient garde de lui en accorder le droit: ils lui reprochoient au contraire, sinon la violence, du moins les voies indi<cb-> rectes & sourdes dont il se servoit pour déterminer les Chrétiens à renoncer à Jesus - Christ. Abandonnez à elle même, lui disoient - ils, l'oeuvre de Dieu: les lois de notre Eglise ne sont point les lois de l'empire, ni les lois de l'empire les lois de notre Eglise. Punissez - nous, s'il nous arrive jamais d'enfreindre celles - là; mais n'im<-> posez à nos consciences aucun joug. Mettez - vous à la place d'un de vos sujets payens, & supposez à votre place un prince chrétien: que penseriez - vous de lui, s'il em<-> ployoit toutes les ressources de la politique pour vous at<-> tirer dans nos temples? Vous en faites trop, si l'équité ne vous autorise pas; vous n'en faites pas assez, si vous avez pour vous cette autorité. Quoi qu'il en soit, si Julien eût réfléchi sur ce qui lui étoit arrivé à lui - même, il eût été convaincu qu'au - lieu d'interdire l'étude aux Chrétiens, il n'avoit rien de mieux à faire que de leur ouvrir les écoles de l'Eclectisme: ils y auroient été infailliblement attirés par l'extreme conformité des principes de cette secte avec les dogmes du Christianisme; mais il ne lui fut pas donné de tendre un piége si dangereux à la Religion. La Providence qui répandit cet esprit de ténebres sur son ennemi, ne protégea pas le Christianisme d'une maniere moins frappante, lorsqu'elle fit sortir des entrailles de la terre ces tourbillons de flammes qui dévorerent les Juifs qu'il employoit à creuser les fondemens de Jérusalem, dont il se proposoit de relever le temple & les murs. Julien trompé derechef dans la malice de ses projets, consomma la prophétie qu'il se proposoit de rendre mensongere, & l'endurcissement fut sa punition & celle de ses complices. Il persévera dans son apostasie; les Juifs qu'il avoit rassemblés, se disperserent comme auparavant; Ammien - Marcellin qui nous a transmis ce fait, n'abjura point le paganisme; & Dieu voulut qu'un des miracles les plus grands & les plus certains qui se soient jamais faits, qui met en défaut la malheureuse dialectique des philosophes de nos jours, & qui remplit de trouble leurs ames incrédules, ne convertît personne dans le tems où il fut opéré. On raconte de cet empereur superstitieux, qu'assistant un jour à une évocation de démons, il fut tellement effrayé à leur apparition, qu'il fit le signe de la croix, & qu'aussi - tôt les démons s'évanoüirent. Je demanderois volontiers à un chrétien s'il croit ce fait, ou non: s'il le nie, je lui demanderai encore si c'est ou parce qu'il ne croit point aux démons, ou parce qu'il ne croit point à l'efficacité du signe de la croix, ou parce qu'il ne croit point à l'efficacité des évocations; mais il croit aux démons, il ne peut être assez convaincu de l'efficacité du signe de la croix; & pourquoi douteroit - il de l'efficacité des évocations, tandis que les livres saints lui en offrent plusieurs exemples? Il ne peut donc se dispenser d'admettre le fait de Julien, & conséquemment la plûpart des prodiges de la Théurgie: & quelle raison auroit - il de nier ces prodiges? J'avoue, pour moi, que je n'accuserois point un bon dialecticien bien instruit des faits, de trop présumer de ses forces, s'il s'engageoit avec le pere Balthus de démontrer à l'auteur des oracles, & à tous ceux qui pensent comme lui, qu'il faut ou donner dans un pyrrhonisme général sur tous les faits surnaturels, ou convenir de la vérité de plusieurs opérations théurgiques. Nous ne nous étendrons pas davantage sur l'histoire de Julien; ce que nous pourrions ajoûter d'intéressant, seroit hors de notre objet. Julien mourut à l'âge de trente - trois ans. Il faut se souvenir en lisant son histoire, qu'une grande qualité naturelle prend le nom d'un grand vice ou d'une grande vertu, selon le bon ou le mauvais usage qu'on en a fait; & qu'il n'appartient qu'aux hommes sans préjugés, sans intérêt & sans partialité, de prononcer sur ces objets importans.

Eunape fleurit au tems de Théodose; disciple de

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