RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
E (Page 5:183)
E, E, e, s. m. c'est la cinquieme
lettre de la plûpart des alphabets,
& la seconde des voyelles. Voy.
les articl.
Les anciens Grecs s'étant apperçus
qu'en certaines syllabes
de leurs mots l'e étoit moins long
& moins ouvert qu'il ne l'étoit en d'autres syllabes,
trouverent - à - propos de marquer par des caracteres
particuliers cette différence, qui étoit si sensible dans
la prononciation. Ils désignerent l'e bref par ce caractere
E,
Les Grecs marquerent l'e long & plus ouvert par
ce caractere H,
Avant cette distinction quand l'e étoit long & ouvert, on écrivoit deux e de suite; c'est ainsi que nos peres écrivoient aage par deux a, pour faire connoître que l'a est long en ce mot: c'est de ces deux E rapprochés ou tournés l'un vis - à - vis de l'autre qu'est venue la figure H; ce caractere a été long - tems, en grec & en latin, le signe de l'aspiration. Ce nom èta vient du vieux syriaque ketha, ou de keth, qui est le signe de la plus forte aspiration des Hébreux; & c'est de - là que les Latins prirent leur signe d'aspiration H, en quoi nous les avons suivis.
La prononciation de l'eta a varié: les Grecs modernes prononcent ita; & il y a des savans qui ont adopté cette prononciation, en lisant les livres des anciens.
L'université de Paris sait prononcer êta. Voyez les preuves que la méthode de P. R. donne pour faire voir que c'est ainsi qu'il faut prononcer; & sur - tout lisez ce que dit sur ce point le P. Giraudeau jésuite, dans son introduction à la langue greque; ouvrage très méthodique & très - propre à faciliter l'étude de cette langue savante, dont l'intelligence est si nécessaire à un homme de lettres.
Le P. Giraudeau, dis - je, s'explique en ces termes,
pag. 4.
En latin, & dans la plûpart des langues, l'e est prononcé comme notre e ouvert commun au milieu des mots, lorsqu'il est suivi d'une consonne avec laquelle il ne fait qu'une même syllabe, coe - lèbs, mèl, pèr, pa - trèm, omnipo - tèn - tèm, pès, èt, &c. mais selon notre maniere de prononcer le latin, l'e est fermé quand il finit le mot, mare, cubile, patre, &c. Dans nos provinces d'au - delà de la Loire, on prononce l'e final latin comme un e ouvert; c'est une faute.
Il y a beaucoup d'analogie entre l'e fermé & l'i; c'est pour cela que l'on trouve souvent l'une de ces lettres au lieu de l'autre, herè, heri; c'est par la même raison que l'ablatif de plusieurs mots latins est en e ou en i, prudente & prudenti.
Mais passons à notre e françois. J'observerai d'abord que plusieurs de nos grammairiens disent que nous avons quatre sortes d'e. La méthode de P. R. au traité des lettres, p. 622, dit que ces quatre prononciations différentes de l'e, se peuvent remarquer en ce seul mot détèrrement; mais il est aisé de voir
La prononciation de nos mots a varié. L'écriture n'a été inventée que pour indiquer la prononciation, mais elle ne sauroit en suivre tous les écarts, je veux dire tous les divers changemens: les enfans s'éloignent insensiblement de la prononciation de leurs peres; ainsi l'ortographe ne peut se conformer à sa destination que de loin en loin. Elle a d'abord été liée dans les livres au gré des premiers inventeurs: chaque signe ne signifioit d'abord que le son pour lequel il avoit été inventé, le signe a marquoit le son a, le signe é le son é, &c. C'est ce que nous voyons encore aujourd'hui dans la langue greque, dans la latine, & même dans l'italienne & dans l'espagnole; ces deux dernieres, quoique langues vivantes, sont moins sujettes aux variations que la nôtre.
Parmi nous, nos yeux s'accoûtument dès l'enfance
à la maniere dont nos peres écrivoient un mot,
conformément à leur maniere de le prononcer; de
sorte que quand la prononciation est venue à changer,
les yeux accoûtumés à la maniere d'écrire de
nos peres, se sont opposés au concert que la raison
auroit voulu introduire entre la prononciation & l'ortographe
selon la premiere destination des caracteres;
ainsi il y a eu alors parmi nous la langue qui
parle à l'oreille, & qui seule est la véritable langue,
& il y a eu la maniere de la représenter aux
yeux, non telle que nous l'articulons, mais telle que
nos peres la prononçoient, ensorte que nous avons
à reconnoître un moderne sous un habillement antique.
Nous faisons alors une double faute; celle d'écrire
un mot autrement que nous ne le prononçons,
& celle de le prononcer ensuite autrement qu'il n'est
écrit. Nous prononçons a & nous écrivons e, uniquement
parce que nos peres prononçoient & écrivoient e. Voyez
Cette maniere d'ortographier est sujette à des variations continuelles, au point que, selon le prote de Poitiers & M. Restaut, à peine trouve - t - on deux livres où l'ortographe soit semblable (traité de l'Or<-> togr. franç. p. 1.) Quoi qu'il en soit, il est évident que l'e écrit & prononcé a, ne doit être regardé que comme une preuve de l'ancienne prononciation, & non comme une espece particuliere d'e. Le premier e dans les mots empereur, enfant, femme, &c. fait voir seulement que l'on prononçoit empereur, énfant, fé<-> me, & c'est ainsi que ces mots sont prononcés dans quelques - unes de nos provinces; mais cela ne fait pas une quatrieme sorte d'e.
Nous n'avons proprement que trois sortes d'e; ce qui les distingue, c'est la maniere de prononcer l'e, ou en un tems plus ou moins long, ou en ouvrant plus ou moins la bouche. Ces trois sortes d'e sont l'e ouvert, l'e fermé, & l'e muet: on les trouve tous trois en plusieurs mots, férmeté, honnêteté, évêque, sévère, échèlle, &c.
Le prenuer e de fermeté est ouvert, c'est pourquoi il est marqué d'un accent grave; la seconde syllabe me n'a point d'accent, parce que l'e y est muet; té est marqué de l'accent aigu, c'est le signe de l'e fermé.
Ces trois sortes d'e sont encore susceptibles de plus & de moins.
L'e ouvert est de trois sortes; I. l'e ouvert commun, II. l'e plus ouvert, III. l'e très - ouvert.
I. L'e ouvert commun: c'est l'e de presque toutes les langues; c'est l'e que nous prononçons dans les [p. 184]
Toutes les fois qu'un mot finit par un e muet, on ne sauroit soûtenir la voix sur cet e muet, puisque si on la soûtenoit, l'e ne seroit plus muet: il faut donc que l'on appuie sur la syllabe qui précede cet e muet; & alors si cette syllabe est elle - même un e muet, cet e devient ouvert commun, & sert de point d'appui à la voix pour rendre le dernier e muet; ce qui s'entendra mieux par les exemples. Dans mener, appeller, &c. le premier e est muet & n'est point accentué; mais si je dis je mène, j'appèlle, cet e muet devient ouvert commun, & doit être accentué, je mène, j'appèlle. De même quand je dis j'aime, je demande, le dernier e de chacun de ces mots est muet; mais si je dis par interrogation, aimé - je? ne demandé - je pas? alors l'e qui étoit muet devient e ouvert commun.
Je sai qu'à cette occasion nos Grammairiens disent
que la raison de ce changement de l'e muet, c'est
qu'il ne sauroit y avoir deux e muets de suite; mais il
faut ajoûter, à la fin d'un mot: car dès que la voix
passe, dans le même mot, à une syllabe soûtenue,
cette syllabe peut être précédée de plus d'un e muet,
II. L'e est plus ouvert en plusieurs mots, comme dans la premiere syllabe de fermeté, où il est ouvert bref; il est ouvert long dans grèffe.
III. L'e est très - ouvert dans accès, succès, être, tempête, il èst, abbèsse, sans cèsse, profèsse, arrêt, fo<-> rêt, trève, la Grève, il rève, la tête.
L'e ouvert commun au singulier, devient ouvert long au pluriel, le chéf, les chèfs; un mot bréf, les mots brèfs; un autél, des autèls. Il en est de même des autres voyelles qui deviennent plus longues au pluriel. Voyez le traité de la Prosodie de M. l'abbé d'Olivet.
Ces différences sont très - sensibles aux personnes
qui ont reçû une bonne éducation dans la capitale.
Depuis qu'un certain esprit de justesse, de précision
& d'exactitude s'est un peu répandu parmi nous,
nous marquons par des accens la différence des e.
Voyez ce que nous avons dit sur l'usage & la destination
des accens, même sur l'accent perpendiculaire,
au mot
C'est sur - tout à l'occasion de nos e brefs & de nos e longs, que nos Grammairiens font deux observations qui ne me paroissent pas justes.
La premiere, c'est qu'ils prétendent que nos peres
L'e est ouvert long dans abbèsse, profèsse, sans cèsse, malgré l's redoublée. Je crois que ce prétendu effet de la consonne redoublée, a été imaginé par zele pour l'ancienne ortographe. Nos peres écriyoient ces doubles lettres, parce qu'ils les prononçoient ainsi qu'on les prononce en latin; & comme on a trouvé par tradition ces lettres écrites, les yeux s'y sont tellement accoûtumés, qu'ils en souffrent avec peine le retranchement: il falloit bien trouver une raison pour excuser cette foiblesse.
Quoi qu'il en soit, il faut considérer la voyelle en elle - même, qui en tel mot est breve, & en tel autre longue: l'a est bref dans place, & long dans grace, &c.
Quand les poëtes latins avoient besoin d'allonger
une voyelle, ils redoubloient la consonne suivante,
relligio; la premiere de ces consonnes étant prononcée
avec la voyelle, la rendoit longue: cela paroît
raisonnable. Nicot dans son dictionnaire, au mot aage,
observe que
La seconde observation, qui ne me paroît pas exacte, c'est qu'on dit qu'anciennement les voyelles longues étoient suivies d's muettes qui en marquoient la longueur. Les Grammairiens qui ont fait cette remarque, n'ont pas voyagé au midi de la France, où toutes ces s se prononcent encore, même celle de la troisieme personne du verbe est; ce qui fait voir que toutes ces s n'ont été d'abord écrites que parce qu'elles étoient prononcées. L'ortographe a suivi d'abord fort exactement sa premiere destination; on écrivoit une s, parce qu'on prononçoit une s. On prononce encore ces s en plusieurs mots qui ont la même racine que ceux où elle ne se prononce plus. Nous disons encore festin, de fête; la bastille, & en Provence la bastide, de bâtir: nous disons prendre une ville par escalade, d'échelle; donner la bastonnade, de bâton: ce jeune homme a fait une escapade, quoique nous disions s'échapper, sans s.
En Provence, en Languedoc & dans les autres provinces méridionales, on prononce l's de Pasques; & à Paris, quoiqu'on dise Pâques, on dit pascal, Pasquin, pasquinade.
Nous avons une espece de chiens qu'on appelloit autrefois espagnols, parce qu'ils nous viennent d'Espagne: aujourd'hui on écrit épagneuls, & communément on prononce ce mot sans s, & l'e y est bref. On dit prestolet, presbytere, de prêtre; presta<-> tion de serment; prestesse, celeritas, de proesto esse, être prêt.
L'e est aussi bref en plusieurs mots, quoique suivi d'une s, comme dans presque, modeste, leste, terrestre, trimestre, &c.
Selon M. l'abbé d'Olivet, Prosod. p. 79. il y a aussi plusieurs mots où l'e est bref, quoique l's en ait été retranchée, échelle: être est long à l'infinitif, mais il est bref dans vous êtes, il a été. Prosod. p. 80.
Enfin M. Restaut, dans le Dictionnaire de l'orto<-> graphe françoise, au mot registre, dit que l's sonne aussi sensiblement dans registre que dans liste & funeste; & il observe que du tems de Marot on prononçoit [p. 185]
L'é fermé est celui que l'on prononce en ouvrant moins la bouche qu'on ne l'ouyre lorsqu'on prononce un è ouvert commun; tel est l'e de la derniere syllabe de fermeté, bonté, &c.
Cet e est aussi appellé masculin, parce que lorsqu'il se trouve à la fin d'un adjectif ou d'un participe, il indique le masculin, aifé, habillé, aimé, &c.
L'e des infinitifs est fermé, tant que l'r ne se prononce point; mais si l'on vient à prononcer l'r, ce qui arrive toutes les fois que le mot qui suit commence par une voyelle; alors l'e fermé devient ouvert commun; ce qui donne lieu à deux observations. 1°. L'e fermé ne rime point avec l'e ouvert: aimer, abîmer, ne riment point avec la mer, mare; ainsi madame des Houlieres n'a pas été exacte lorsque dans l'idylle du ruisseau elle a dit:
Dans votre sein il cherche à s'abîmer; Vous & lui jusques à la mer Vous n'êtes qu'une même chose. 2°. Mais comme l'e de l'infinitif devient ouvert commun, lorsque l'r qui le suit est lié avec la voyelle qui commence le mot suivant, on peut rappeller la rime, en disant:
Dans votre sein il cherche à s'abîmer, Et vous & lui jusqu'à la mer Vous n'êtes qu'une même chose.
L'e muet est ainsi appellé relativement aux autres e; il n'a pas, comme ceux - ci, un son fort, distinct & marqué: par exemple, dans mener, demander, on fait entendre l'm & le d, comme si l'on écrivoit mner, dmander.
Le son foible qui se fait à peine sentir entre l'm &
l'n de mener, & entre le d & l'm de demander, est précisément
l'e muet: c'est une suite de l'air sonore qui
a été modifié par les organes de la parole, pour faire
entendre ces consonnes. Voyez
L'e muet des monosyllabes me, te, se, le, de, est un peu plus marqué; mais il ne faut pas en faire un e ouvert, comme font ceux qui disent amène - lè: l'e prend plûtôt alors le son de l'eu foible.
Dans le chant, à la fin des mots, tels que gloire, fidele, triomphe, l'e muet est moins foible que l'e muet commun, & approche davantage de l'eu foible.
L'e muet foible, tel qu'il est dans mener, demander, se trouve dans toutes les langues, toutes les fois qu'une consonne est suivie immédiatement par une autre consonne; alors la premiere de ces consonnes ne sauroit être prononcée sans le secours d'un esprit foible: tel est le son que l'on entend entre le p & l's dans pseudo, psalmus, psittacus; & entre l'm & l'n de mna, une mine, espece de monnoie; Mnemosyne, la mere des Muses, la déesse de la mémoire.
On peut comparer l'e muet au son foible que l'on entend après le son fort que produit un coup de marteau qui frappe un corps solide.
Ainsi il faut toûjours s'arrêter sur la syllabe qui précede un e muet à la fin des mots.
Nous avons déjà observé qu'on ne sauroit prononcer deux e muets de suite à la fin d'un mot, & que c'est la raison pour laquelle l'e muet de mener devient ouvert dans je mène.
2°. Les vers qui finissent par un e muet, ont une syllabe de plus que les autres, par la raison que la derniere syllabe étant muette, on appuie sur la pénultieme: alors, je veux dire à cette pénultieme, l'oreille est satisfaite par rapport au complément du rithme & du nombre des syllabes; & comme la derniere tombe foiblement, & qu'elle n'a pas un son
L'oreille est satisfaite à la pénultieme, ges, qui est le point d'appui, après lequel on entend l'e muet de la derniere syllabe se.
L'e muet est appellé féminin, parce qu'il sert à former le féminin des adjectifs; par exemple, saint, sainte; pur, pure; bon, bonne, &c. au lieu que l'e fermé est apellé masculin, parce que lorsqu'il termine un adjectif, il indique le genre masculin, un homme aimé, &c.
L'e qu'on ajoûte après le g, il mangea, &c. n'est que pour empêcher qu'on ne donne au g le son fort ga, qui est le seul qu'il devroit marquer: or cet e fait qu'on lui donne le son foible, il manja: ainsi cet e n'est ni ouvert, ni fermé, ni muet; il marque seulement qu'il faut adoucir le g, & prononcer je, comme dans la derniere syllabe de gage: on trouve en ce mot le son fort & le son foible du g.
L'e muet est la voyelle foible de eu, ce qui paroît dans le chant, lorsqu'un mot finit par un e muet moins foible:
Rien ne peut l'arrêter Quand la gloire l'appelle. Cet eu qui est la forte de l'e muet, est une véritable voyelle: ce n'est qu'un son simple sur lequel on peut faire une tenue. Cette voyelle est marquée dans l'écriture par deux caracteres; mais il ne s'ensuit pas de - là que eu soit une diphtongue à l'oreille, puisqu'on n'entend pas deux sons voyelles. Tout ce que nous pouvons en conclure, c'est que les auteurs de notre alphabet ne lui ont pas donné un caractere propre.
Les lettres écrites qui, par les changemens survenus à la prononciation, ne se prononcent point aujourd'hui, ne doivent que - nous avertir que la prononciation a changé; mais ces lettres multipliées ne changent pas la nature du son simple, qui seul est aujourd'hui en usage, comme dans la derniere syllabe de ils aimoient, amabant.
L'e est muet long dans les dernieres syllabes des troissemes personnes du pluriel des verbes, quoique cet e soit suivi d'nt qu'on prononçoit autrefois, & que les vieillards prononcent encore en certaines provinces: ces deux lettres viennent du latin amant, ils aiment.
Cet e muet est plus long & plus sensible qu'il ne l'est au singulier: il y a peu de personnes qui ne sentent pas la différence qu'il y a dans la prononciation entre il aime & ils aiment. (F)
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.