ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"1091"> decimam ex omnibus: mais on ne voit rien en cet endroit qui dénote que cette offrande fût d'obligation, & cela a peu de rapport avec la dixme qui se paye annuellement des fruits de la terre & autres revenus.

On trouve encore dans la Genese, ch. xxviij, que Jacob, après le songe qu'il eut, dans lequel il vit cette échelle merveilleuse qui montoit au ciel, fit un voeu, disant que si Dieu le conservoit dans son voyage, qu'il lui donnât du pain pour sa nourriture, & des vêtemens pour se couvrir, & qu'il revînt à bon port dans la maison de son pere, il offriroit à Dieu le dixieme de tout ce qu'il lui auroit donné; ce n'étoit comme l'on voit qu'un voeu conditionnel, & une offrande, decimas offeram tibi.

Il est vrai que dans l'Exode, ch. xxij. où Dieu instruit Moyse des lois qu'il devoit donner à son peuple, il est dit decimas tuas & primitias non tardabis reddere; ce qui paroît un précepte, mais qui mettant dans la même classe les prémices & les dixmes, semble ne regarder les unes & les autres que comme des offrandes dûes à Dieu même, plûtôt qu'une rétribution dûe à ses ministres.

Il est encore dit au chap. xxviij. du Lévitique, que les dixmes de tous les fruits de la terre & des fruits des arbres appartiennent au Seigneur, & lui sont consacrés; que si quelqu'un veut racheter ses dixmes, il en ajoûtera la cinquieme partie; que le dixieme qui naîtra de tous les boeufs, moutons & chevaux, sera offert au Seigneur; que l'on ne choisira ni le bon, ni le mauvais, & que le dixieme né, ne sera point changé contre un autre; que si quelqu'un fait de ces changemens, il sera tenu de donner en offrande au Seigneur & l'animal dixieme né, & celui qu'il a voulu donner à la place, & qu'il ne pourra le racheter.

Il est aussi écrit aux Nombres, chap. xviij. que Dieu avoit donné à Aaron & aux Lévites les dixmes, oblations & prémices jure perpetuo pour leur subsistance, à cause qu'ils ne devoient posséder rien autre chose, & que la tribu de Lévi qui étoit consacrée à Dieu, n'auroit aucune portion dans le partage que l'on feroit des terres, & que les Lévites offriroient à Dieu les prémices de la dixme, c'est - à - dire la dixieme partie de la dixme.

On voit encore au chap. xxx. du même livre, qu'après la défaite des Madianites par les Hébreux, Moyse en distribuant à toutes les familles les dépouilles des ennemis, en fit donner une partie à Eléazar grand - prêtre, comme d'un fruit qu'ils avoient recueilli dans le champ de bataille.

Les payens même étoient dans l'usage de payer la dixme à leurs sacrificateurs. Hérodote rapporte de Craesus que ce prince disoit à Cyrus: siste ad singulas portas aliquos ex tuis satellitibus custodes qui vetent exportari opes, ut earum decimoe Jovi necessario reddantur.

Les Juifs payoient aussi la dixme à leurs prêtres. Il est dit en S. Matthieu, ch. xxiij. n. 23. & en saint Luc, chap. xj n. 42. que les Pharisiens donnoient la dixme de la menthe, de l'aneth, de la rue, & autres herbes, tandis qu'ils négligeoient les oeuvres de justice & de charité; qu'il falloit faire l'un sans omettre l'autre: quoique l'Ecriture, en parlant de cette dixme, se serve de ces termes, hoec oportuit facere, il paroît néanmoins que c'étoit une oeuvre de surérogation, & que le sens de l'Ecriture est que ces sortes d'oeuvres, quoique bonnes en elles - mêmes, ne dispensent pas des devoirs essentiels.

D'ailleurs l'écriture ne dit pas oportet facere, mais oportuit, ce qui paroît se rapporter à l'ancienne loi; & en effet on ne trouve dans tout le nouveau Testament aucun texte qui ordonne de payer la dixme, ni qui en fasse mention autrement qu'on l'a dit.

Saint Paul parlant de la nourriture dûe au ministre de l'autel n'a point parlé de la dixme, & il n'en est rien dit non plus dans les actes des apôtres.

Il n'en est pas non plus fait mention dans les canons des apôtres, quoique le troisieme & le quatrieme spécifient ce qui doit être offert à l'autel, & que le cinquieme parle des prémices.

S. Clément, dans ses épitres, où il parle de bonis & redditibus ecclesiarum & earum dispensatoribus, ne dit rien des dixmes.

Il est constant que les dixmes n'étoient point connues dans les premiers siecles de l'Eglise. Jusqu'à la dispersion des apôtres & des disciples, les fideles mettoient tous leurs biens en commun; lorsque cette communauté de biens eut cessé, les fideles faisoient des oblations volontaires, dont le clergé tiroit encore toute sa subsistance au troisieme siecle, comme on le voit dans S. Cyprien: la charité des fideles s'étant refroidie, les peres de l'Eglise exho terent les fideles de donner la dixme suivant ce qui se pratiquoit dans l'ancion Testament; mais cela n'étoit proposé que pour exemple, & non comme un précepte, & cet exemple fut d'abord suivi de peu de personnes.

C'est ce que dit S Augustin qui siégeoit dans l'église d'Hyppone jusqu'en 430: il parle de la dixme comme d'une aumône volontaire, & ne dit que le commandement de les payer ne regardoit que les Juifs, parce que la tribu de Lévi n'avoit point été admise au partage de la terre de promission qui fut fait après la mort de Moyse; que les ecclésiastiques ne vivoient que des aumônes & des offrandes des fideles; qu'elles étoient si peu abondantes à son égard, qu'il n'avoit sçu trouver le moyen de payer un maître qui lui avoit enseigné la langue hébraique.

Il est vrai que Gratien, canon 66, rapporte un texte qu'il suppose avoir tiré du sermon 219 de saint Augustin, & dans le canon 68, une prétendue épitre de S. Jerôme qui parlent des dixmes, comme étant déja de précepte; mais les critiques éclairés ont rejetté ces pieces comme supposées.

Il y a apparence que les pasteurs chargés de l'administration des sacremens, se trouvant la plûpart peu avantagés des biens qui avoient été donnés à l'Eglise, demanderent la dixme pour leur subsistance, & que le payement de la dixme étant passé en coûtume, on en fit insensiblement une loi; mais il est difficile de marquer le tems où la dixme est devenue précepte.

Il n'est point fait mention des dixmes dans les lois romaines, mais seulement d'obiations qui étoient volontaires, puisqu'il y étoit défendu d'user de contrainte ni d'excommunication. L. 39. cod. de episc. & cler.

Les dixmes ne sont encore qu'une aumône volontaire dans toute l'église greque.

Les conciles des cinq premiers siecles ne font point mention des dixmes.

Une lettre circulaire écrite par les évêques après le second concile de Tours en 567, paroît ordonner le payement de la dixme, mais comme d'une aumône.

Le second concile de Mâcon tenu en 585, suppose le précepte de la dixme plus ancien, & y ajoûte la peine de l'excommunication.

Charlemagne qui fit plusieurs constitutions en faveur de l'Eglise, ordonna que chacun payeroit la dixme, & qu'elle seroit distribuée par ordre de l'évêque.

Les conciles de Mayence, d'Arles, de Châlons & de Reims, tenus en 813, sont les premiers qui fassent mention des dixmes ecclésiastiques; celui de Mayence, au chap. xiij. ne se sert que de ces ter<pb-> [p. 1092] mes: admonemus vel proecipimus, decima de omnibus dari non neglïgatur.

Le concile de Châlons fut plus rigoureux, ayant ordonné que ceux qui post crebras admonitiones & precationes sacerdoti dare neglexerint, excommunicentur.

Celui de Reims veut que decimoe pleniter dentur.

Enfin au concile de Latran, tenu sous Alexan - III. en 1179, elles sont devenues de précepte, & furent déclarées préférables aux tributs dûs par le peuple.

Ce même concile confirma les laïcs dans la possession des dixmes qui leur avoient été inféodées précédemment.

Il paroît donc que les dixmes ecclésiastiques, quoique réputées spirituelles & consacrées à Dieu pour la subsistance de ses ministres, ne sont point de précepte divin, mais seulement de droit positif; qu'elles ont été établies par la piété des fideles qui nè se sont pas crûs moins obligés de pourvoir à la subsistance de leurs prêtres, que les peuples de l'ancienne loi l'étoient envers la tribu de Lévi; que ces dixmes n'étoient d'abord que des offrandes & aumônes volontaires; mais que le zele & le consentement unanime des fideles, en ayant rendu cet usage général, on en fit peu - à - peu une loi, que l'on obligea tous les chrétiens d'observer par la crainte de l'excommunication.

Ce qui confirme bien que les dixmes ne sont pas de droit divin, c'est:

1°. Que si elles eussent été telles, elles auroient été payées aux prêtres chrétiens dès la naissance de l'Eglise, aucun laic ne s'en seroit pû dispenser sans crime; au lieu qu'il ne paroît point que durant les huit premiers siecles de l'Eglise, où la piété des fideles étoit dans sa plus grande ferveur, les prêtres ni les autres ministres des autels les ayent jamais prétendues; ils ne vivoient que des offrandes qui se faisoient volontairement sur les autels: aussi saint Hilaire qui étoit évêque de Poitiers en 369, dit - il que le joug des dixmes avoit été ôté par J. C.

2°. Si les dixmes étoient de droit divin, elles auroient été payées aux ecclésiastiques dans tout le monde chrétien, ce qui n'a point eu lieu, puisque les prêtres de l'église greque, & même ceux de toute l'église orientale, soit durant les huit premiers siecles de l'Eglise, ou depuis, n'ont jamais prétendu que les laïcs fussent obligés en conscience de leur payer aucune dixme, & ont toûjours pensé que les offrandes sont volontaires, suivant ce que dir saint Jean Chrysostome: ubi decima est, ibi etiam eleemosina.

3°. Si la dixme étoit de droit divin, elle seroit dûe par - tout sur le pié de la dixieme partie des fruits, comme on la payoit aux lévites; au lieu que la quantité n'en est pas par - tout uniforme, étant en un lieu du onzieme, en d'autres du douzieme, vingtieme, trentieme des fruits. S. Thomas, secunda secundoe, quoest. lxxxvij. art. 1 & 2. tient même que les dixmes ne sont point dûes de nécessité expresse, & que par la coûtume le droit de les payer peut être prescrit; mais dans notre usage on tient que les dixmes ordinaires sont imprescriptibles, quant au droit, de la part des laïcs; qu'ils peuvent seulement en prescrire la quotité & la forme de la prestation, mais une église en peut prescrire le fonds contre une autre église.

4°. Les papes eux - mêmes ont donné des dixmes à des laïcs. Urbain donna aux rois d'Espagne celles de toutes les provinces dont ils avoient chassé les Maures. Salgado de Salmoza, tract. de supp. ad sum. pontif. II. part. cap. xxv. n. 41.

5°. Le saint siége a exempté du payement des dixmes des ordres entiers, tels que l'ordre de Malthe, celui de Cîteaux, les Chartreux & les Celestins, du moins pour les terres qu'ils façonnoient & cultivoient par leurs mains.

6°. Les papes ont aussi attribué les novales en tout ou partie à certains ordres, à l'exclusion des curés.

Enfin les accords & compositions faites entre les ecclésiastiques sur le fait des dixmes contestées entre eux, ont toûjours été approuvés & autorisés par le droit canonique.

Ces différens usages observés par rapport aux dixmes, font voir qu'elles sont de droit positif.

Au reste personne ne révoque en doute que les dixmes en général sont ecclésiastiques de leur nature, & qu'elles appartiennent de droit commun aux curés, chacun dans leur territoire, sans qu'ils ayent besoin pour cet effet d'autre titre que de leur clocher, c'est - à - dire de leur qualité de curé. C'est ce que l'on infere du capitulaire de Charlemagne, de l'an 802; & d'une décision du pape Léon, de l'an 850.

Elles peuvent néanmoins appartenir en tout ou partie à d'autres ecclésiastiques, tels que des évêques, abbés & prieurs; & à des chapitres séculiers ou réguliers, lérsqu'ils sont fondés en titre ou possession suffisante.

Autrefois même les évêques avoient de droit un quart dans les dixmes, quand ils n'étoient pas en état de s'en passer, suivant le sixieme concile de Paris, de l'an 829; mais il s'est trouvé peu d'évêques qui se soient attribués les dixmes, & pour en joüir ils ont besoin d'un titre spécial, ou d'une possession de quarante ans.

Un seigneur laïc peut encore posséder toutes les dixmes à titre d'inféodation. Voyez ci - après Dixmes inféodées.

La plûpart des concessions de dixmes faites aux monasteres, sont des x. & xj. siecles. Les évêques, en fondant des monasteres, ce qui étoit la grande dévotion de ces tems - là, leur donnoient pour dotation les dixmes de leurs églises. L'ignorance profonde qui regnoit alors, & les desordres des prêtres séculiers, ayant obligé d'employer les moines à l'administration des cures, ils s'approprierent les dixmes, tellement que quand les coneiles ont ordonné aux religieux de se retirer dans leurs cloîtres, ils ont encore retenu le titre de curés primitifs & les dixmes.

Beaucoup de laïcs qui éroient en possession des dixmes, les remirent aussi pour la décharge de leur conscience, pro remedio animoe suoe, à des chapitres ou à des monasteres; elles sont comprises dans ces concessions sous le titre d'altare & decimas, & quelquefois simplement altare, qui comprend le patronage, les dixmes, & autres droits utiles & honorifiques.

C'est au moyen de ces différentes concessions que les chapitres, monasteres, abbés, prieurs & autrés bénéficiers, sont gros décimateurs de la plus grande partie du royaume.

Il y a eu des dixmes établies par l'Eglise même, lors de la concession qu'elle faisoit de certaines terres à des particuliers; elle se reservoit nonas & decimas: nonas, c'étoit la rétribution dûe pour la connoisiauce. A l'égard de la dixme, elle étoit retenue pour se conformer à l'usage général. Il est parlé de ces nones & dixmes dans des capitulaires des années 756, 779, 802, 803, 819 & 823.

Suivant le droit canonique, la dixme ecclésiaslique est dûe de toutes sortes de fruits, soit de la terre ou des animaux, & de tous autres profits & revenus; mais parmi nous on ne suit pas à cet égard entierement le droit canon, on se conforme à l'usage, aux titres & à la possession.

Il n'est pas nécessaire en matiere de dixme, que l'usage sur lequel on se fonde soit un usage universel

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