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C'est - là certainement une des sources les plus étendues de nos erreurs. Il suffit d'avoir supposé que les mots répondent à la réalité des choses, pour les confondre avec elles, & pour conclure qu'ils en expliquent parfaitement la nature. Voilà pourquoi celui qui fait une question, & qui s'informe ce que c'est que tel ou tel corps, croit, comme Locke le remarque, demander quelque chose de plus qu'un nom; & que celui qui lui répond, c'est du fer, croit aussi lui apprendre quelque chose de plus. Mais avec un tel jargon il n'y a point d'hypothèse, quelqu'inintelligible qu'elle puisse être, qui ne se soûtienne.
Il est donc bien important de ne pas réaliser nos abstractions. Pour éviter cet inconvénient je ne connois qu'un moyen; c'est de substituer toûjours des analyses aux définitions des philosophes: les analyses sont les meilleures définitions qu'on puisse en faire. Mais ce moyen, tout simple qu'il est, a été inconnu aux philosophes. La cause de leur ignorance à cet égard, c'est le préjugé où ils ont toûjours été qu'il falloit commencer par les idées générales; carlorsqu'on s'est défendu de commencer par les particulieres, il n'est pas possible d'expliquer les plus abstraites qui en tirent leur origine. En voici un exemple.
Après avoir défini l'impossible par ce qui implique contradiction, le possible par ce qui ne l'implique pas, & l'être par ce qui peut exister, on n'a pas sû donner d'autre définition de l'existence, sinon qu'elle est le complément de la possibilité. Mais je demande si cette définition présente quelqu'idée, & si l'on ne seroit pas en droit de jetter sur elle le ridicule qu'on a donné à quelques - unes de celles d'A>istote.
Si le possible est ce qui n'implique pas contradiction, la possibilité est la non - implication de contradiction. L'existence est donc le complément de la non - implication de contradiction. Que> langage! En observant mieux l'ordre naturel des idées, on auroit vû que la notion de la possibilité ne se forme que d'apres celle de l'existence. Je pense qu'on n'adopte ces sortes de définitions, que parce que connoissant d'ailleurs la chose définie, on n'y regarde pas de si pres. l'esprit qui est frappé de quelque clarté, la leur attribue, & ne s'apperçoit point qu'elles sont inintelligibles.
Mais si toutes les définitions qu'on fait sur les substances, n'en font point connoître la nature, il n'en est pas de même dans les sciences où l'on raisonne sur des idées archétypes. L'essence d'une chose étant, selon les philosophes, ce qui la constitue ce qu'elle est, c'est une conséquence que nous puissions dans ces occasions avoir des idées des essences; leurs essences se confondent avec les notions que nous nous en sommes faites: aussi leur donnons - nous des noms qui sont également les signes des unes & des autres. Un espace terminé par trois lignes peut être regardé dans ce sens comme l'essence du triangle. Le nom de justice signifie également celle du juste; celui de sagesse, l'essence & la notion du sage, &c. C'est peut - être là une des raisons qui a fait croire aux scholastiques, que pour avoir des noms qui exprimassent les essences des substances, ils n'avoient qu'à suivre l'analogie du langage; ainsi ils ont fait les mots de corporéité, d'animalité & d'humanité, pour désigner les essences du corps, de l'animal & de l'homme: ces termes leur étant devenus familiers, il est bien difficile de leur persuader qu'ils sont vuides de sens.
Il faut observer que la nature des choses purement idéales étant une fois fixée, on en tire des consé<cb->
Nous pouvons ici, après M. Locke, faire utilement l'analyse de la méthode établie dans les écoles, de définir par le moyen du genre & de la différence. Le genre comprend ce que la chose définie a de commun avec d'autres choses; la différence comprend ce que la chose a de particulier, & qui ne lui est commun avec nulle autre chose. Cette méthode n'est qu'un supplément à l'énumération des diverses qualités de la chose définie: comme quand on dit de l'homme, c'est un animal raisonnable, le mot animal renferme les qualités de vivant, mourant, sensible. Cela est si vrai, que s'il ne se trouve point de mot particulier qui exprime toutes les qualités de la chose définie, alors il faut avoir recours à l'énumération des qualités mêmes. Par exemple, si l'on veut définir une perle, on ne le pourra faire en marquant simplement un genre & une différence précise, comme on en marque dans la définition de l'homme; & cela parce qu'il n'y a point de mot qui seul renferme toutes les qualités qu'une perle a de commun avec d'autres êtres. C'est ainsi que la méthode de définir par voie de genre & de différence, est le supplément ou l'abregé de l'énumération des qualités qu'on découvre dans la chose définie; mais ce que l'on en découvre n'étant pas toute sa nature, la définition ne se trouvera autre chose que l'explication de la vtaie signification d'un mot, & du sens que l'usage y a attaché, & non pas de la nature effective, réelle & totale de la chose indiquée par le mot.
On demande ordinairement trois choses pour qu'une définition soit bonne: 1°. qu'elle soit claire, c'est - à - dire qu'elle nous serve à avoir une idée plus claire & plus distincte de la chose qu'on définit, & qu'elle nous en fasse, autant qu'il se peut, comprendre la nature: 2°. qu'elle soit universelle ou adéquate, c'est à - dire qu'elle convienne à tout ce qui est contenu dans l'espece définie: 3°. qu'elle soit propre ou particuliere à la chose définie.
On peut faire sur la définition en général les réflexions suivantes.
1°. L'usage des définitions est impossible, quand il s'agit des idées simples. Locke l'a fait voir, & il est assez singulier qu'il soit le premier qui l'ait remarqué.
Les philosophes qui sont venus avant ce philosophe
Anglois, ne sachant pas discerner les idées qu'il
falloit définir de celles qui ne devoient pas l'être,
qu'on juge de la confusion qui se trouve dans leurs
écrits. Les Cartésiens n'ignoroient pas qu'il y a des
idées plus claires que toutes les définitions qu'on en
peut donner; mais ils n'en savoient pas la raison,
quelque facile qu'elle paroisse à appercevoir. Ainsi
ils font bien des efforts pour définir des idées fort
simples,tandis qu'ils jugent inutile d'en définir de fort
composées. Cela fait voir combien en philosophie
le plus petit pas est difficile à faire. Voyez
2°. Les définitions par lesquelles on veut expliquer les propriétés des choses par un genre & par une différence, sont tout - à - fait inutiles, si par genre & par difference vous n'entendez le supplément ou l'abregé de l'énumération des qualités, que la seule analyse fait découvrir. Le moyen le plus efficace d'étendre ses connoissances, c'est d'étudier la génération des idées dans le même ordre dans lequel elles se sont formées. Cette méthode est sur - tout indispensable, quand il s'agit des notions abstraites: c'est le seul moyen de les expliquer avec netteté. Or c'est - là le propre de l'analyse.
3°. Les définitions ne nous aident jamais à connoître la nature des substances, mais seulement les essences qui se confondent avec les notions que nous nous faisons des choses; notions fondées sur des idées archétypes, & non pas d'après des modeles réellement existans, ainsi que sont les substances.
4°. Comme les définitions, soit de nom, soit de chose, ne sont que des explications des mots, qui signifient le sens qu'on y attache, aux différences près que nous avons marquées entre les unes & les autres; il s'ensuit qu'elles ne peuvent être contestées, & qu'on peut les prendre pour des principes. La raison en est, qu'on ne doit pas contester que l'idée qu'on a désignée, ne puisse être appellée du nom qu'on lui a donné; mais on n'en doit rien conclure à l'avantage de cette idée, ni croire pour cela seul qu'on lui a donné un nom, qu'elle signifie quelque chose de réel: car, par exemple, si un philosophe me dit, j'appelle pesanteur le principe intérieur qui fait qu'une pierre tombe sans que >ien la pousse ou l'attire; je ne contesterai pas cette définition: au contraire, je la recevrai volontiers, parce qu'elle me fait entendre ce qu'il veut dire; mais je pourrai nier que ce qu'il entend par ce mot de pesanteur soit quelque chose de réel.
5°. Une des grandes utilités qu'apporte la définition, c'est de faire comprendre nettement dequoi il s'agit, afin de ne pas disputer inutilement sur des mots, comme on fait si souvent même dans les discours ordinaires. Mais, outre cette utilité, il y en a encore une autre; c'est qu'on ne peut souvent avoir une idée distincte d'une chose, qu'en y employant beaucoup de mots pour la désigner. Or il seroit importun, sur - tout dans les livres de science, de répéter toûjours cette grande suite de mots: c'est pourquoi, ayant fait comprendre la chose par tous ces
6°. Il ne faut point changer les définitions déjà reçûes, quand on n'a point sujet d'y trouver à redire; car il est toûjours plus facile de faire entendre un mot lorsqu'il est déjà consacré par l'usage, au moins parmi les savans, pour signifier une idée, que lorsqu'il faut l'attacher de nouveau à une autre idée, & le détacher de celle à laquelle il étoit ordinairement lié. La raison de cette observation est, que les hommes ayant une fois attaché une idée à un mot, ne s'en défont pas facilement; & ainsi leur ancienne idée revenant toûjours, leur fait aisément oublier la nouvelle que vous voulez leur donner en définissant ce mot: de sorte qu'il seroit plus facile de les accoûtumer à un mot qui ne signifieroit rien, que de les accoûtumer à dépouiller le mot de la premiere idée qui en étoit liée.
C'est un défaut dans lequel sont tombés quelques
Chimistes, qui ont pris plaisir de changer les noms
de la plûpart des choses dont ils parlent, sans qu'il
en revienne aucune utilité, & de leur en donner qui
signifient déjà d'autres choses qui n'ont nul véritable
rapport avec les nouvelles idées auxquelles ils
les lient: ce qui donne même lieu à quelques - uns
de faire des raisonnemens ridicules, comme est
celui d'une personne qui s'imaginant que la peste
étoit un mal saturnin, prétendoit qu'on avoit guéri
des pestiférés en leur pendant au cou un morceau
de plomb, que les Chimistes appellent saturne, sur
lequel on avoit gravé, un jour de samedi, qui porte
aussi le nom de Saturne, la figure dont les Astronomes se servent pour marquer cette planete; & comme
si des rapports arbitraires entre le plomb & la
planete de Saturne, & entre cette planete & le jour
du samedi, & la petite marque dont on la désigne,
pouvoit avoir des effets réels, & guérir effectivement
des maladies. Article de M.
Définition (Page 4:748)
Telle est, comme on l'a déjà observé, la définition du mot quarré, quand on dit qu'on doit entendre par ce mot une figure renfermée par quatre côtés égaux & perpendiculaires l'un à l'autre.
On ne sauroit, en Mathématiques, s'appliquer avec trop de soin à donner des définitions exactes: car l'inexactitude de la définition empêche de bien saisir la vraie signification des mots; le lecteur est à chaque instant en danger de s'écarter du vrai sens des propositions.
Les définitions mathématiques ne sont à la rigueur
que des définitions de nom (pour user de l'expression
des Logiciens); c'est - à - dire qu'on s'y borne à expliquer
ce qu'on entend par un mot, & qu'on ne
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