ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"554"> avec elle, il est évident que la gratification est inutile: le profit seul que présente l'exportation, est un appas suffisant pour les spéculations du commerce.

Si les grains sont au dernier prix auquel ils puissent recevoir une gratification, & qu'en même tems ils soient à très - bon marché à Dantzick & à Hambourg, il y aura du bénéfice à transporter en fraude les grains de ces ports dans ceux de la grande - Bretagne, d'où ils ressortiront de nouveau avec la gratification. Dans ce dernier cas, il est clair que la culture des terres n'aura point joüi de la faveur qui lui étoit destinée: la navigation y aura gagné quelque chose à la vérité, mais c'est en chargeant l'état & le peuple d'une dépense beaucoup plus considérable que ce profit.

Quoique le profit particulier des sujets par la différence du prix d'achat des grains sur le prix de la vente, rembourse à la totalité de la nation la somme avancée, & même au - delà; jusqu'à ce que ceux qui ont payé effectivement leur contingent de la gratification en soient remboursés avec l'intérêt par la circulation, il se passera un tems considérable pendant lequel ils eussent pû faire un meilleur emploi de ce même argent dans un pays où le commerce, les manufactures, la pêche, & les colonies sont dans un état florissant.

Ce n'est pas que ce moyen de gagner soit méprisable; il n'en est aucun de ce genre dans le commerce extérieur d'un état: mais il faut bien distinguer les principes du commerce d'oeconomie ou de réexportation des denrées étrangeres, des principes du commerce qui s'occupe des denrées nationales.

Les encouragemens accordés au premier sont un moyen de se procurer un excédent de population; ils sont utiles tant qu'ils ne sont point onéreux à la masse des hommes, qu'on peut regarder comme le fond d'une nation. Au lieu que le commerce qui s'occupe de l'exportation des denrées nationales, doit être favorisé sans restriction. Il n'en coûte jamais un à l'état qu'il n'en retire dix & plus: le remboursement du contingent qu'a fourni chaque particulier lui revient plus rapidement & avec un plus gros profit, parce que tout appartient à la terre directement ou à la main - d'oeuvre. D'un autre côté la quantité des denrées nationales ne s'accroît jamais sans augmenter la masse des hommes, qui peuvent être regardés comme le fond de la nation.

Il est difficile dans une île considérable, dont les atterrages sont faciles, de prévenir l'introduction des grains étrangers. Ainsi il faut conclure que la gratification devoit être momentanée & reglée d'après les circonstances sur le prix des grains dans les pays qui en vendent en concurrence. Alors l'opération eût été véritablement salutaire & digne du principe admirable dont elle émane.

Peut - être pourroit - on dire encore que cette gratification ne tombe pas toûjours aussi immédiatement au profit des laboureurs qu'il le sembleroit d'abord. Car dans les années abondantes, où les grains s'achetent pour les magasiner en attendant l'occasion de les exporter, il n'est pas naturel de penser que les acheteurs, toûjours en plus petit nombre que les vendeurs, leur en tiennent compte sur le prix de leurs achats. Dans un pays où un très - petit nombre de cultivateurs auroit le moyen de garder ses grains, la gratification s'éloigneroit encore plus de la terre.

J'ai remarqué comme un desavantage de la trop grande concurrence extérieure, que l'Angleterre fournit aux ouvriers étrangers du pain à meilleur marché qu'aux siens propres: c'est une affaire de calcul. Si nous y supposons le froment à 42 s. 3 d. st. prix commun depuis cinquante - sept années, il est clair qu'il peut être vendu en Hollande, en Flan<cb-> dre, à Calais, à Bordeaux même, à 40 s. 3 d. ster. avec un bénéfice honnête. La gratification est de 5 s. st. par quarter; le fret & les assûrances n'iront pas à plus de 2 s. par quarter; restera encore un profit d'un sol sterling, c'est - à - dire, de 3% dans une affaire qui ne dure pas plus d'un mois, & dans un pays où l'intérêt de l'argent est à 3% par an.

Je n'ignore point qu'on répliquera que par ce moyen l'Angleterre décourage l'agriculture dans les autres pays. Mais ce raisonnement est plus spécieux que solide, si le prix commun des grains en Angleterre est assez haut pour que les autres peuples n'y ayent recours que lorsqu'ils éprouvent chez eux de grandes diminutions de récolte. Or cela est de sait, du moins à l'égard de la France. Nous avons déjà observé que le prix commun du froment en Angleterre a été de 42 s. 3 d. st. le quarter, c'est - à - dire de 49 liv. 12 s. 10 d. de notre monnoie depuis cinquante - sept années: ce qui revient à 24 liv. 16 s. 5 d. le setier de Paris, qui passe pour être de 240 liv. p. & qui dans le fait n'excede point 230 liv. p. si j'en crois les personnes pratiques. Son prix commun n'a été en Brie que de 18 liv. 13 s. 8 d. pendant les quarante années écoulées depuis 1706 jusqu'en 1745; malgré la famine de 1709, la disette de 1740 & 1741, & les chertés de 1713, 1723, 4, 5, 6, & de 1739 (Voyez Essai sur les monnoies, ou réflexions sur le rapport entre l'argent & les denrées). Ainsi la subsistance de notre peuple commence à devenir difficile, lorsque l'Angleterre nous fournit du blé à son prix commun. Pour trouver la raison de cette différence sur le prix des deux royaumes, il faut remonter à un principe certain.

Deux choses reglent dans un état le prix des salaires; d'abord le prix de la subsistance, ensuite le profit des diverses occupations du peuple par l'augmentation successive de la masse de l'argent que fait entrer le commerce étranger.

Pendant tout le tems que l'Angleterre prohiba la sortie des grains, ou n'envisagea point l'agriculture du côté du commerce, elle fut exposée à des disettes très - fréquentes: la subsistance des ouvriers étant chere, les salaires y furent chers dans la même proportion. D'un autre côté ayant peu de concurrens dans son travail industrieux, elle ne laissa pas de faire en peu d'années de très - grands profits dans son commerce étranger: l'argent qu'il produisoit se repartissant entre les ouvriers occupés par le travail industrieux, augmenta encore leurs salaires, en raison de la demande des étrangers & de la concurrence des ouvriers. Lorsque plus éclairée sur ses véritables intérêts, cette nation envisagea l'agriculture comme objet de commerce, elle sentit qu'il étoit impossible en ramenant l'abondance des grains, de diminuer sur les salaires ce que la cherté de la subsistance y avoit ajoûté. Pour ranimer la culture, il falloit aussi que cette profession se ressentît comme les autres de l'augmentation de la masse de l'argent: car sans cet équilibre aussi juste qu'essentiel, le législateur perd ou ses hommes, ou un genre d'occupation. Ainsi l'état laissa jouir les terres du haut prix des grains que les salaires des autres classes du peuple pouvoient porter.

En France au contraire la sortie des grains n'a jamais été aussi libre, que dans le tems où l'Angleterre suivoit les principes contraires: les salaires y étoient moins chers, & réciproquement les frais de culture à meilleur marché. Depuis 1660 environ, les guerres fréquentes qu'elle a eu à soûtenir & ses nombreuses armées, ont paru exiger que les permissions de sortir les grains fussent restraintes: cependant ce n'a jamais été pendant de longs intervalles; cette incertitude, & l'alternative de quelques chertés, ont un peu entretenu l'espérance du laboureur. Le laboura<pb-> [p. 555] ge n'a pas laissé de diminuer, puisqu'une bonne récolte ne rend aujourd'hui que la subsistance d'une année & demie; au lieu qu'autrefois elle suffisoit à la nourriture de plus de deux années quoique le peuple fût plus nombreux. Mais l'attention continuelle que le gouvernement a toûjours eu de forcer par diverses opérations le pain de rester à bas prix, jointe à la bonté de nos terres, aux alternatives de chertés & de permissions d'exporter les grains, ont empêché les salaires d'augmenter à un certain point à raison de la subsistance. D'un autre côté, nos augmentations sur les monnoies ont beaucoup diminué la masse d'argent que la balance du commerce faisoit entrer annuellement; ainsi les ouvriers occupés par le travail industrieux, n'ont pas eu à partager entr'eux annuellement une masse d'argent proportionnée à celle qu'ils avoient commencé à recevoir lors de la premiere époque de notre commerce, ni dans la même proportion que les ouvriers de l'Angleterre depuis l'établissement de son commerce jusqu'en 1689. D'où il s'ensuit que le prix des grains doit être plus cher dans ce pays qu'en France; qu'il le seroit encore davantage, si la culture n'y avoit augmenté à la faveur de son excellente police & de la diminution des intérêts de l'argent; enfin que lorsque toutes les terres de l'Angleterre seront en valeur, si la balance du commerce lui est annuellement avantageuse, il faudra nécessairement non - seulement que l'intérêt de l'argent y diminue encore, mais que le prix des grains y remonte à la longue; sans quoi l'équilibre si nécessaire entre les diverses occupat ons du peuple n'existera plus. S'il cessoit d'exister, l'agriculture retrograderoit intensiblement; & si l'on ne conservoit pas de bons mémoires du tems, on pourroit penser dans quelques siecles que c'est la sortie des grains qui est la cause des disettes.

De tout ce que nous venons de dire, on doit conclure en examinant la position & les intéréts de la France, que le principe employé par les Anglois pourroit lui être très - avantageux, mais que la maniere d'opérer doit être fort differente.

Elle est obligée d'entretenir pour sa défense un grand nombre de places fortes, des armées de terre très - nombreuses, & un grand nombre de matelots. Il est nécessaire que la denrée la plus nécessaire à la subsistance des hommes soit à bon marché, ou que l'état augmente considérablement ses dépenses. L'étendue de nos terres est si considérable, qu'une partie de nos manufactures a des trajets longs & dispendieux à faire par terre; il est essentiel que la maind'oeuvre se soûtienne parmi nous à plus bas prix qu'ailleurs. Le pain est la principale nourriture de nos artisans: aucun peuple ne consomme autant de blés relativement à sa population. Tant que nos denrées de premiere nécessité se maintiendront dans cette proportion, le commerce & les manufactures, si on les protege, nous donnéront annuellement une balance avantageuse qui augmentera notre population ou la conservera; qui donnera à un plus grand nombre d'hommes les moyens de consommer abondamment les denrées de deuxieme, troisieme, & quatrieme nécessité que produit la terre; & qui enfin par l'augmentation des salaires augmentera la valeur du blé même.

D'un autre côté, il est juste & indispensable d'établir l'équilibre entre les diverses classes & les diverses occupations du peuple. Les grains sont la plus forte partie du produit des terres comme la plus nécessaire: ainsi la culture des grains doit procurer au cultivateur un bénéfice capable de le maintenir dans sa profession, & de le dédommager de ses fatigues.

Ce qui paroîtroit le plus avantageux, seroit donc d'entretenir continuellement le prix des grains autour de ce point juste auquel le cultivateur est en<cb-> couragé par son gain, tandis que l'artisan n'est point forcé d'augmenter son salaire pour se nourrir ou se procurer une meilleure subsistance. Ce ne peut jamais être l'effet d'une gestion particuliere, toûjours dangereuse & plus certainement suspecte: mais la police générale de l'état peut y conduire

Le premier moyen est sans contredit d'établir une communication libre au - dedans entre toutes les provinces. Elle est essentielle à la subsistance facile d'une partie des sujets. Nos provinces éprouvent entr'elles de si grandes différences par rapport à la nature du sol & à la variété de la température, que quelquesunes ne recueillent pas en grains la moitié de leur subsistance dans les meilleures années. Elles sont telles, ces différences, qu'il est physiquement impossible que la récolte soit réputée abondante dans toutes à la fois. Il semble que la providence ait voulu par ce partage heureux nous préserver des disettes, en même tems qu'elle multiplioit les commodités. C'est donc aller contre l'ordre de la nature, que de suspendre ainsi la circulation intérieure des grains. Ce sont les citoyens d'un même état, ce sont les enfans d'un même pere qui se tendent mutuellement une main secourable; s'il leur est défendu de s'aider entr'eux, les uns seront forcés d'acheter cher des secours étrangers, tandis que leurs freres vivront dans une abondance onéreuse.

Parmi tous les maux dont cet état de prohibition entre les sujers est la source, ne nous arrêtons que sur un seul. Je parle du tort qu'il fait à la balance générale du commerce, qui intéresse la totalité des terres & des manufactures du royaume. Car lorsque les communications sont faciles, le montant de cette balance se repartit entre chaque canton, chaque ville, chaque habitant: c'est à quoi il ne fait point assez d'attention. L'inégalité des saisons & des recoltes ne produit pas aussi souvent l'inégalité des revenus, que le fait celle de la balance. Dans le premier cas le prix supplée assez ordinairement à la quantité, & pour le dire en passant, cette remarque seule nous indique qu'un moyen assùré de diminuer la culture de terres, le nombre des bestiaux, & la population, c'est d'entretenir par une police forcée les grains à très - bas prix; car le laboureur n'aura pas plutôt apperçu qu'en semant moins il peut faire le même revenu, qu'il cherchera à diminuer ses frais & ses fatigues, d'où résultera toùjours de plus en plus la rareté de la denrée.

Dans le second cas le cultivateur ne trouve plus le prix ordinaire de ses grains, de sa laine, de ses troupeaux, de ses vins; le propriétaire est payé difficilement de sa rente, & cette rente baisseroit si la balance étoit desavantageuse pendant un petit nombre d'années seulement. L'ouvrier travaille moins, ou est forcé par le besoin de dim nuer son salaire raisonnable; parce que la quantité de la substance qui avoit coutume de vivifier le corps politique est diminuée. Tel est cependant le premier effet de l'interdiction dans une province. C'est un tocsin qui répand l'alarme dans les provinces voisines; les grains se resserrent; la frayeur, en grossissant les dangers, multiplie les importations étrangeres & les pertes de l'état.

Avant de se résoudre à une pareille démarche, il ne suffit pas de connoître exactement les besoins & les ressources d'une province; il faudroit être instruit de l'état de toutes les autres dont celle - ci peut devenir l'entrepôt. Sans cette recherche préliminaire, l'opération n'est appuyée sur aucun principe: le hasard seul en rend les effets plus ou moins funestes.

Je conviens cependant que dans la position actuelle des choses, il est naturel que les personnes chargées de conduire les provinces, s'efforcent dans le cas d'un malheur général d'y soustraire la portion du peu<pb->

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