ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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CULTURE DES TERRES (Page 4:552)

CULTURE DES TERRES, (Comm. polit.) La terre est le dépôt de toutes les matieres propres à satisfaire les besoins physiques auxquels les hommes sont assujettis, & ceux que la commodité a inventés. L'agriculture est l'art de se procurer ces matieres par le travail de la terre. Voyez Agriculture.

Cette définition même indique l'objet de l'agriculture. Son effet est de procurer de l'occupation à une partie des hommes; sa perfection consiste à fournir la plus grande quantité possible des matieres propres à satisfaire nos besoins, soit réels, soit d'opinion.

Le Commerce en général est la communication réciproque que les hommes se font des choses dont ils ont besoin. Ainsi il est évident que l'agriculture est la base nécessaire du commerce.

Cette maxime est d'une telle importance, que l'on ne doit jamais craindre de la répéter, quoiqu'elle se trouve dans la bouche de tout le monde. La persuasion où l'on est d'un principe ne forme qu'une connoissance imparfaite, tant que l'on n'en conçoit pas toute la force; & cette force consiste principalement dans la liaison intime du principe reconnu avec un autre. C'est ce défaut de combinaison qui fait souvent regarder avec indifférence à un négociant l'aisance ou la pauvreté du cultivateur, les encouragemens qu'il peut recevoir, ou les gênes qui peuvent lui être imposées. Par la même raison la plûpart des propriétaires des terres sont portés à envier au commerce ses facilités, ses profits, les hommes qu'il occupe. L'excès seroit bien plus grand, si ces mêmes propriétaires venoient à séparer l'intérêt de leur domaine de l'intérêt du laboureur; s'ils se dissimuloient un instant que cet homme destiné par le hazard à tracer péniblement les sillons d'un champ, ne le soignera jamais qu'en raison de ses facultés, des espérances ou de l'opinion qui peuvent animer son travail. Une nation où de pareils préjugés se trouveroient fort répandus, seroit encore dans l'enfance de l'agriculture & du commerce, c'est - à - dire de la science des deux principales branches de l'administration intérieure: car on ne doit pas toûjours juger des progrès de cette partie, par les succès d'un état au - dehors; comme on ne peut pas décider de la bonne conduite d'un particulier dans la gestion de ses biens, par la grande dépense qu'il paroît faire.

L'agriculture ne sera envisagée ici que sous ce point, de vûe politique.

L'idée de conservation est dans chaque individu immédiatement attachée à celle de son existence; ainsi l'occupation qui remplit son besoin le plus pressant, lui devient la plus chere. Cet ordre fixé par la nature, ne peut être changé par la formation d'une société, qui est la réunion des volontés particulieres. Il se trouve au contraire confirmé par de nouveaux motifs, si cette société n'est pas supposée exister seule sur la terre. Si elle est voisine d'autres sociétés, elle a des rivales; & sa conservation exige qu'elle soit revêtue de toutes les forces dont elle est susceptible. L'agriculture est le premier moyen & le plus naturel de se les procurer.

Cette société aura autant de citoyens que la culture de son territoire en pourra nourrir & occuper: citoyens rendus plus robustes par l'habitude des fatigues, & plus honnêtes gens par celle d'une vie occupée.

Si ses terres sont plus fertiles, ou ses cultivateurs plus industrieux, elle aura une surabondance de denrées qui se répandront dans les pays moins fertiles ou moins cultivés.

Cette vente aura dans la société qui la fait, des effets réels & relatifs.

Le premier sera d'attirer des étrangers ce qui aura été établi entre les hommes, comme mesure com<cb-> mune des denrées, ou les richesses de convention.

Le second effet sera de décourager par le bas prix les cultivateurs des nations rivales, & de s'assûrer toûjours de plus en plus ce bénéfice sur elles.

A mesure que les richesses de convention sortent d'un pays, & que le profit du genre de travail le plus essentiel y diminue au point de ne plus procurer une subsistance commode à celui qui s'en occupe, il est nécessaire que ce pays se dépeuple, & qu'une partie des habitans mendie; ce qui est encore plus funeste. Troisieme effet de la vente supposée.

Enfin par une raison contraire il est clair que les richesses de convention s'accumulant sans cesse dans un pays, le nombre des besoins d'opinion s'accroîtra dans la même proportion. Ces nouveaux besoins multiplieront les genres d'occupation; le peuple sera plus heureux; les mariages plus fréquens, plus féconds; & les hommes qui manqueront d'une subsistance facile dans les autres pays, viendront en foule habiter celui qui sera en état de la leur fournir.

Tels sont les effets indispensables de la supériorité de l'agriculture dans une nation, sur celle des autres nations; & ses effets sont ressentis en raison de la fertilité des terres réciproques, ou de la variété de leurs productions: car le principe n'en seroit pas moins certain, quand même un pays moins bien cultivé qu'un autre, ne seroit pas dépeuplé à raison de l'infériorité de sa culture: si d'ailleurs ce pays moins cultivé fournit naturellement une plus grande variété de productions. Il est évident qu'il aura toûjours perdu son avantage d'une maniere réelle & relative.

Ce que nous venons de dire conduit à trois conséquences tres - importantes.

1°. Si l'agriculture mérite dans un corps politique le premier rang entre les occupations des hommes, celles des productions naturelles, dont le besoin est le plus pressant & le plus commun, exigent des encouragemens de préférence chacune dans leur rang: comme les grains, les fruits, les bois, le charbon de terre, le fer, les fourrages, les cuirs, les laines, c'est - à - dire le gros & le menu bétail; les huiles, le chanvre, les lins, les vins, les eaux - de - vie, les soies.

2°. On peut décider sûrement de la force réelle d'un état, par l'accroissement ou le déclin de la population de ses campagnes.

3°. L'agriculture sans le secours du commerce, seroit très - bornée dans son effet essentiel, & dès - lors n'atteindroit jamais à sa perfection.

Quoique cette derniere déduction de nos principes soit évidente, il ne paroit point inutile de s'y arrêter, parce que cet examen sera l'occasion de plusieurs détails intéressans.

Les peuples qui r'ont envisagé la culture des terres que du côté de la subsistance, ont toûjours vécu dans la crainte des disettes, & les ont souvent éprouvées. (Voy. le livre intitulé, Considérations sur les finances d'Espagne.) Ceux qui l'ont envisagée comme un objet de commerce, ont joüi d'une abondance assez soûtenue pour se trouver toûjours en état de suppléer aux besoins des étrangers.

L'Angleterre nous fournit tout - à - la - fois l'un & l'autre exemple. Elle avoit suivi, comme presque tous les autres peuples, l'esprit des lois romaines sur la police des grains; lois gênantes & contraires à leur objet dans la division actuelle de l'Europe en divers états dont les intérêts sont opposés: au lieu que Rome maîtresse du monde, n'avoit point de balance à calculer avec ses propres provinces. Elle les épuisoit d'ailleurs par la pesanteur des tributs, aussi bien que par l'avarice de ses préfets; & si Rome ne leur eût rien rendu par l'extraction de ses besoins, elle eût englouti les trésors de l'univers, comme elle en avoit envahi l'empire. [p. 553]

En 1689 l'Angleterre ouvrit les yeux sur ses véritables intérêts. Jusqu'alors elle avoit peu exporté de grains, & elle avoit souvent eu recours aux étrangers, à la France même, pour sa subsistance. Elle avoit éprouvé ces inégalités fâcheuses & ces révolutions inopinées sur les prix, qui tour - à - tour découragent le laboureur ou desesperent le peuple.

La Pologne, le Dannemark, l'Afrique & la Sicile étoient alors les greniers publics de l'Europe. La conduite de ces états, qui n'imposent aucune gêne sur le commerce des grains, & leur abondance constante, quoique quelques - uns d'entr'eux ne joüissent ni d'une grande tranquillité ni d'une bonne constitution, suffisoient sans doute pour éclairer une nation aussi réfléchie, sur la cause des maux dont elle se plaignoit; mais la longue possession des pays que je viens de nommer, sembloit trop bien établie par le bas prix de leurs grains, pour que les cultivateurs anglois pussent soûtenir leur concurrence dans l'étranger. Le commerce des grains supposoit une entiere liberté de les magasiner, & pour autant de tems que l'on voudroit: liberté dont l'ignorance & le préjugé rendoient l'usage odieux dans la nation.

L'état pourvut à ce double inconvénient, par un de ces coups habiles dont la profonde combinaison appartient aux Anglois seuls, & dont le succès n'est encore connu que d'eux, parce qu'ils n'ont été imités nulle part. Je parle de la gratification qu'on accorde à la sortie des grains sur les vaisseaux anglois seulement, lorsqu'ils n'excedent pas les prix fixés par la loi, & de la défense d'introduire des grains étrangers, tant que leur prix courant se soûtient au - dessous de celui que les statuts ont fixé. Cette gratification facilita aux Anglois la concurrence des pays les plus fertiles, en même tems que cette protection déclarée changea les idées populaires sur le commerce & la garde des grains. La circonstance y étoit très - propre à la vérité; la nation avoit dans le nouveau gouvernement, cette confiance sans laquelle les meilleurs réglemens n'ont point d'effet.

Le froment reçoit 5 sols sterling, ou 5 iiv. 17 sols 6 den. tournois par quarter, mesure de 460 l. poids de marc, lorsqu'il n'excede pas le prix de 2 liv. 8 s. sterl. ou 56 liv. 8 s. tourn.

Le seigle reçoit 3 sols 6 den. sterl. ou 3 liv. 10 s. 6 d. tourn. au prix de 1 l. 12 s. sterl. ou 37 i. 12 s. tourn.

L'orge reçoit 2 s. 6 d. sterl. ou 2 liv. 18 sols 9 d. tourn. au prix de 1 liv. 4 sols sterl. ou 28 liv. 4 sols tourn.

L'évenement a justifié cette belle méthode: depuis son époque l'Angleterre n'a point éprouvé de famine, quoiqu'elle ait exporté presqu'annuellement des quantités immenses de grains; les inégalités sur les prix ont été moins rapides & moins inopinées, les prix communs ont même diminué: car lorsqu'on se fut déterminé en 1689 à accorder la gratification, on rechercha quel avoit été le prix moyen des grains pendant les quarante - trois années précédentes. Celui de froment fut trouvé de 2 liv. 10 sols 2 d. sterl. le quarter, ou 58 l. 18 s. 11 d. tourn. & les autres especes de grains à proportion. Par un recueil exact du prix des fromens depuis 1689 jusqu'en 1752, le prix commun pendant ces cinquante - sept années ne s'est trouvé que de 2 liv. 2 s. 3 d. sterl. ou 49 livres 12 s. 10 d. tourn. Ce changement, pour être aussi frappant, n'en est pas moins dans l'ordre naturel des choses. Le cultivateur, dont le gouvernement avoit en même tems mis l'industrie en sûreté en fixant l'impôt sur la terre même, n'avoit plus qu'une inquiétude; c'étoit la vente de sa denrée, lorsqu'elle seroit abondante. La concurrence des acheteurs au - dedans & au - dehors, lui assûroit cette vente: dès - lors il s'appliqua à son art avec une émulation que donnent seules l'espérance du succès & l'assûrance d'en jouir. De quarante millions d'acres que contient l'Angleterre, il y en avoit au moins un tiers en communes, sans compter quelques restes de bois. Aujourd'hui la moitié de ces communes & des terres occupées par les bois, est ensemencée en grains & enclose de haies. Le comté de Norfolk, qui passoit pour n'être propre qu'au pacage, est aujourd'hui une des provinces des plus fertiles en blés. Je conviens cependant que cette police n'a pas seule opéré ces effets admirables, & que la diminution des intérêts de l'argent a mis les particuliers en état de défricher avec profit; mais il n'en est pas moins certain que nul propriétaire n'eût fait ces dépenies, s'il n'eût été assûré de la vente de ses denrées, & à un prix raisonnable.

L'état des exportations de grains acheveroit de démontrer comment un pays peut s'enrichir par la seule culture envisagée comme objet de commerce. On trouve dans les ouvrages anglois, qu'il est nombre d'années où la gratification a monté de 150 à 500 mille liv. sterl. & même plus. On prétend que dans les cinq années écoulées depuis 1746 jusqu'en 1750, il y a eu près de 5, 906, 000 quarters de blés de toutes les qualités exportés. Le prix commun à 1 liv. 8 sols sterl. ou 32 liv. 18 s. tourn. ce seroit une somme de 8, 210, 000 l. sterl. ou 188, 830, 000 l. tourn. environ.

Si nous faisons attention que presque toute cette quantité de grains a été exportée par des vaisseaux anglois, pour profiter de la gratification, il faudra ajoûter au bénéfice de 188, 830, 000 liv. tourn. la valeur du fret des 5, 900, 000 quarters. Supposonsla seulement à 50 s. tourn. par quarter, l'un dans l'autre, ce sera un objet de 14, 750, 000 l. tourn. & au total, dans les cinq années, un gain de 203, 580, 000 liv. de notre monnoie; c'est - à - dire que par année commune sur les cinq le gain aura été de 40, 000, 000 liv. tourn. euviron.

Pendant chacune de ces cinq années, cent cinquante mille hommes au moins auront été occupés, & dès - lors nourris par cette récolte & cette navigation; & si l'on suppose que cette valeur ait encore circulé six fois dans l'année seulement, elle aura nourri & occupé neuf cents mille hommes aux dépens des autres peuples.

Il est encore évident que si chaque année l'Angleterre faisoit une pareille vente aux étrangers, neuf cents mille hommes parmi les a cheteurs trouveroient d'abord une subsistance plus difficile; & enfin qu'ils en manqueroient au point qu'ils seroient forcés d'aller habiter un pays capable de les nourrir.

Un principe dont l'harmonie avec les faits est si frappante, ne peut certainement passer pour une spéculation vague: il y auroit donc de l'inconséquence à la perdre de vûe.

C'est le principe sur lequel la police des grains est établie en Angleterre, que je trouve irréprochable; mais je ne puis convenir que son exécution actuelle soit sans défauts, & qu'elle soit applicable indifféremment à tous les pays.

L'objet de l'etat a été d'encourager la culture, de se procurer l'abondance, & d'attirer l'argent des étrangers. Il a été rempli sans doute; mais il semble qu'on pouvoit y réussir sans charger l'état d'une dépense superflue, sans tenir quelquefois le pain à un prix plus fort pour les sujets que pour les étrangers.

L'état est chargé en deux circonstances d'une dépense inutile qui porte sur tous les sujets indistinctement, c'est - à - dire sur ceux qui en profitent comme sur ceux qui n'en profitent pas.

Lorsque les grains sont à plus bas prix en Angleterre que dans les pays qui vendent en concurrence

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