ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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CLOAQUE (Page 3:538)

CLOAQUE, s. m. (Hist. & anc. Archit ct.) aquéduc soûterrain qui reçoît les eaux & les ordures d'une grande ville: mais le mot cloaque n'est guere du bel usage que pour les ouvrages des anciens; en parlant des ouvrages modernes, on dit ordinairement égoût. Le mot Latin est cloaca, mot que quelques étymologistes dérivent de cluo, salir, infecter par sa mauvaise odeur.

Le cloaque est assez exactement défini par le célebre jurisconsulte Ulpien, un lieu soûterrain fait par art pour écouler les eaux& les immondices d'une ville.

Denis d'Halicarnasse nous apprend que le roi Tarquin le vieux est le premier qui commença de faire des canaux sous la ville de Rome, pour en conduire les immondices dans le Tibre. Les canaux de cette espece augmenterent insensiblement, se multiplierent à mesure que la ville s'aggrandit, & furent enfin portés à leur perfection sous les empereurs.

Comme les Romains dans les premiers tems de la république travailloient à ces canaux, ils trouverent dans un d'eux la statue d'une femme; ils en furent frappés: ils en firent une déesse qui présidoit aux cloaques, & qu'ils nommerent Cloacine. S. Augustin en parle au liv. IV. de la cité de Dieu, ch. xxiij.

Il n'en falloit pas tant pour engager des peuples de ce caractere à la multiplication de ces sortes d'ouvrages: leur religion s'y vit intéressée; car ils mêloient une espece de sentiment religieux à leur attachement pour la ville de Rome; cette ville fondée sous les meilleurs auspices; cette ville dont le capitole devoit être éternel comme elle, & la ville éternelle comme son fondateur: le desir de l'embellir fit sur leur esprit une impression qu'on ne sauroit imaginer.

L'exemple, l'émulation, l'envie de s'illustrer, de s'attirer les suffrages & la considération de ses compatriotes, & plus que tout cela, l'amour pour le bien commun, que nous regardons aujourd hui comme un être de raison, produisirent ces édifices superbes & nécessaires qu'on admirera toûjours; ces chemins publics qui ont résisté à l'injure de tous les tems; ces aquéducs qui s'étendoient quelquefois à cent milles d'Italie, qui étoient percés à - travers les montagnes, qui fournissoient à Rome cinq cents mille muids d'eau dans vingt - quatre heures; ces cloaques immenses bâtis sous toute l'étendue de la ville en forme de voûte, sous lesquels on alloit en bateau, où dans quelques endroits des charrettes chargées de foin pouvoient passer, & qui étoient arrosés d'une eau continuelle qui empêchoit les ordures d'y pouvoir séjourner (il y en avoit un entre autres qui se rendoit dans le Tibre de tous les côtés & de toutes les parties de la ville); c'étoit, dit Pline, le plus grand ouvrage que des mortels eussent jamais exécuté.

Cassiodore qui vivoit en 470, qui étoit préfet du prétoire sous Théodoric roi des Goths, & bon connoisseur en Architecture, avoue dans le recueil de ses lettres, epist. xxx. lib. V. qu'on ne pouvoit considérer les cloaques de Rome sans en être émerveillé.

Pline, lib. XXXIII. ch. xv. dans la description qu'il donne des ouvrages que l'on voyoit de son tems dans cette capitale du monde, remarque encore que l'on y admiroit par - dessus tous les aquéducs [p. 539] soûterrains de ce genre, ceux que construisit Agrippa à ses dépens pendant son édilité, & dans lesquels il fit écouler toutes les eaux & les ordures de cette ville immense. Il s'agit ici d'Agrippa favori & gendre d'Auguste, qui décora Rome non - seulement des cloaques dont parle Pline, mais de nouveaux chemins publics, & d'autrès ouvrages aussi magnifiques qu'utiles, en particulier de ce fameux temple qu'il nomma le panthêon, construit en l'honneur de tous les dieux, & qui subsiste encore à quelques égards sans ses anciennes statues & ses autres ornemens, sous le nom de Notre - Dame de la Rotonde.

Le soin & l'inspection des cloaques appartinrent, jusqu'au tems d'Auguste, aux édiles, qui nommoient à cet effet des officiers, sous le titre de curatores cloacarum.

Voilà quel étoit l'esprit dont les Romains étoient animés: en lisant leur histoire, nous les voyons d'autres hommes que nous; car ils ignoroient ce que nous connoissons trop, l'indifférence pour la patrie. M. de Voltaire suppose que dans les premiers tems de la république, un citoyen dont la passion dominante étoit le desir de rendre son pays florissant, remit au consul Appius un mémoire dans lequel il représentoit les avantages qu'on retireroit de réparer les grands chemins & le capitole, de former des marchés & des places publiques, de bâtir de nouveaux cloaques pour emporter les ordures de la ville, source de maladies qui faisoient périr plusieurs citoyens: le consul Appius touché de la lecture de ce mémoire, & pénétré des vérités qu'il contenoit, immortalisa son nom quelque tems après par la voie Appienne: flaminius fit la voie Flaminienne; un autre embellit le capitole; un autre établit des marchés publics; & d'autres construisirent les aquéducs & les égoûts. L'écrit du citoyen obscur, dit à ce sujet l'illustre écrivain déjà cité, fut une semence qui germa bien - tôt dans l'esprit de ces grands hommes, capables de l'exécution des plus grandes choses. Cet article est de M. le Chevalier de Jaucourt.

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