ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"104"> qu'on appelle loupe. Le Forgeron souleve la loupe de tems en tems avec son ringard pour la mettre au - dessus de la sphere du vent, & l'empêcher de tomber au fond du creuset. En la soulevant, il donne encore moyen au charbon de remplir le fond du creuset, & de servir d'appui à la loupe élevée. Cette loupe reste cinq à six heures dans le feu, tant à se former qu'à se cuire. Quand on la retire du feu, on remarue que c'est une masse de fer toute boursouflée, spongieuse, pleine de charbons & de matiere vitrifiée. On la porte toute rouge sous le martinet, par le moyen duquel on la coupe en quatre grosses parts, chacune comme la tête d'un enfant. Si on casse une de ces loupes à froid, son intérieur présente des lames assez larges & très - brillantes, comme on en voit au bon fer forgé.

On rapporte une des quatre parts de la loupe au même feu, on la pose sur les charbons, on la recouvre d'autres charbons; elle est placée un peu au - dessus de la tuyere. On la fait rougir fortement pendant trois ou quatre heures. On la porte ensuite sous' le martinet; on la bat, & on lui donne une forme quarrée. On la remet encore au feu assujettie dans une tenaille qui sert à la gouverner, & à l'empêcher de prendre, dans le creuset, des places qui ne lui conviendroient pas. Après une demi - heure elle est toute pénétrée de feu. On la pousse jusqu'au rougeblanc; on la retire, on la roule dans le sable, on lui donne quelques coups de marteau à main, puis on la porte sous le martinet. On forge toute la partie qui est hors de la tenaille; on lui donne une forme quarrée de deux pouces de diametre, sur trois ou quatre de long; & on la reprend, par ce bout forgé, avec les mêmes tenailles pour faire une semblable opération sur la partie qui étoit enfermée dans les tenailles. Cette manoeuvre se réitere trois ou quatre fois, jusqu'à ce que le Forgeron sente que sa matiere se forge aisément, sans se fendre ni casser. Toute cette opération demande encore une grande expérience de main & d'oeil pour ménager le fer en le forgeant, & juger, à la couleur, du degré de chaleur qu'il doit avoir pour être forgé.

Après toutes ces opérations, on le forge fortement sous le martinet. Il est en état de n'être plus ménagé: on l'allonge en une barre de deux piés & demi ou trois piés, qu'on coupe encore en deux parties, & qu'on remet ensemble au même feu, saisies chacune dans une tenaille différente; on les pousse jusqu'au rouge - blanc, & on les allonge encore en barres plus longues & plus menues, qu'on jette aussitôt dans l'eau pour les tremper.

Jusques - là ce n'est encore que de l'acier brut, bon pour des instrumens grossiers comme bêches, socs de charrues, pioches, &c. dans cet état il a le grain gros, & est encore mêlé de fer. On porte ces barres d'acier brut dans une autre usine, qu'on appelle Affinerie. Quand elles y sont arrivées, on les casse en morceaux de la longueur de cinq à six pouces; on remplit alors le creuset de charbon de terre jusqu'un peu au - dessus de la tuyere, observant de ne la pas boucher. On tape le charbon pour le presser & en faire un lit solide sur lequel on arrange ces derniers morceaux en forme de grillage, posés les uns sur les autres par leurs extrémités, sans que les côtés se touchent; on en met jusqu'à quatre ou cinq rangs en hauteur, ce qui forme un prisme, qu'on voit en A, Planche de l'Acier; puis on environne le tout de charbon de terre pilé & mouillé, ce qui forme une croûte ou calotte autour de ce petit édifice. Cette croûte dure autant que le reste de l'opération, parce qu'on a soin de l'entretenir & de la renouveller à mesure que le feu la détruit. Son usage est de concentrer la chaleur & de donner un feu de reverbere. Après trois ou quatre heures, les morceaux sont suffisamment chauds; on les porte, les uns après les autres sous le martinet, où on les allonge en lames plates, que l'on trempe aussi - tôt qu'elles sortent de dessous le martinet. On observe cependant d'en tirer deux plus fortes & plus épaisses que les autres, auxquelles on donne une légere courbure, & que l'on ne trempe point. Le grain de ces lames est un peu plus fin que celui de l'acier brut.

Ces lames sont encore brisées en morceaux de toutes longueurs; il n'y a que les deux fortes qui restent comme elles sont. On rassemble tous les autres fragmens; on les rejoint bout à bout & plat contre plat, & on les enchâsse entre les deux longues lames non trempées. Le tout est saisi dans des tenailles, comme on voit Fig. B. même Planche, & porté à un feu de charbon de terre comme le précédent. On pousse cette matiere à grand feu; & quand on juge qu'elle y a demeuré assez long - tems, on la porte sous le martinet. On ne lui fait supporter d'abord que des coups légers, qui sont précédés de quelques coups de marteau à main. Il n'est alors question que de rapprocher les fragmens les uns des autres, & de les souder. On reporte cette pince au feu, on la pousse encore au rouge - blanc, on la reporte sous le martinet; on la frappe un peu plus fort que la premiere fois; on allonge les parties des fragmens qui saillent hors de la pince; on leur fait prendre par le bout la figure d'un prisme quarré. (Voyez la fig. C, même Planche.) On retire cette masse avec des pinces; on la saisit avec une tenaille par le prisme quarré, & l'on fait souffrir au reste le même travail: c'est ainsi que l'on s'y prend pour faire du tout une longue barre que l'on replie encore une fois sur elle - même pour la souder derechef; du nouveau prisme qui en provient, on forme des barres d'un pouce ou d'un demi pouce d'équarrissage, que l'on trempe & qui sont converties en acier parfait. La perfection de l'acier dépend, en grande partie, de la derniere opération. Le fer, ou plûtôt l'étoffe faite de petits fragmens, veut être tenue dans un feu violent, arrosée souvent d'argile pulvérisée, pour l'empêcher de brûler, & mise fréquemment sous le marteau, & du marteau au feu. On voit (même Planch. fig. D.) le prisme tiré en barres pour la derniere fois par le moyen du martinet.

Voilà la fabrication de l'acier naturel dans son plus grand détail. Nous n'avons omis que les choses que le discours ne peut rendre, & que l'expérience seule apprend. De ces choses, voici les principales.

Il faut 1°. savoir gouverner le feu; tenir les loupes entre la fusion & la non fusion. 2°. Conduire avec ménagement le vent des soufflets; le forcer & le rallentir à propos. 3°. Manier comme il convient la matiere sous le martinet, sans quoi elle sera mise en pieces. Ajoûtez à cela une infinité d'autres notions, comme celles de la trempe, de l'épaisseur des barres, des chaudes, de la couleur de la matiere en feu, &c.

Après toutes ces opérations, on ne conçoit pas comment l'acier peut être à si bon marché: mais il faut savoir qu'elles se sont avec une vîtesse extrème, & que le travail est infiniment abregé pour les hommes, par les machines qu'ils emploient. L'eau & le feu les soulagent à tout moment; le feu qui amollit la matiere, l'eau qui meut le martinet qui la bat. Les Ouvriers n'ont presque que la peine de diriger ces agens: c'en est encore bien assez.

Il y a d'autres manieres de fabriquer l'acier naturel, dont nous allons faire mention le plus briévement qu'il nous sera possible. Proche d'Hedmore, dans la Dalécarlie, on trouve une très - belle aciérie. La veine est noire, peu compacte & formée de grains ferrugineux. On la réduit aisément en poudre sous les doigts; elle est lourde & donne un fer [p. 105] ténàce & fibreux. Après la premiere fonte, on la remet dans une autre usine après l'avoir brisée en morceaux. On trouve dans cette usine une forge à peu près comme celle des Ouvriers en fer, mais plus grande. Son foyer est un creuset de quatorze doigts de diametre sur un peu plus de hauteur. Les parois & le fond de ce creuset sont revêtus de lames de fer. Il y a à la partie antérieure une ouverture oblongue pour retirer les scories. Quant à la tuyere, elle est à une telle distance du fond, que la lame de fer sur laquelle elle est posée, quoiqu'un peu inclinée, ne rencontreroit pas, en la prolongeant, l'extrémité des lames qui revêtent le fond. Depuis la levre inférieure de la tuyere jusqu'au fond, il y a une hauteur de six doigts & demi. Les deux canaux des soufflets se réunissent dans la tuyere qui est de cuivre. Il est nécessaire, pour réussir, que toutes ces pieces soient bien ajustées. On fait trois ou quatre cuites par jour.

Chaque matin, lorsqu'on commence l'ouvrage, on jette dans le creuset des scories, du charbon & de la poudre de charbon pêle - mêle, puis on met dessus la fonte en morceaux; on la recouvre de charbons. On tient les morceaux dans le feu jusqu'à ce qu'ils soient d'un rouge - blanc, ce qu'on appelle blanc de Lune. Quand ils sont bien pénétrés de feu, on les porte en masse sous le marteau, & cette masse se divise là en parties de trois ou quatre livres chacune. Si le fer est ténace, quand il est rouge, & fragile, quand il est froid, on en bat davantage la masse avant que de la diviser. Si elle se met en gros fragmens, on reporte ces fragmens sur l'enclume pour être soûdivisés.

Cela fait, on prend ces morceaux & on les range dans la forge autour du creuset. On en jette d'abord quelques - uns dans le creuset; on les y enfonce & ensévelit sous le charbon, puis on rallentit le vent, & on les laisse fondre. Pendant ce tems on sonde avec un fer pointu, & l'on examine si la matiere, prête à entrer en fusion, ne se répand point sur les coins, & hors de la sphere du vent. Si on trouve des morceaux écartés, on les met sous le vent; & quand tout est fondu, pour entretenir la fusion, on force le vent. La fusion est à son point lorsque les étincelles des scories & de la matiere s'échappent avec vivacité à - travers les charbons, & lorsque la flamme, qui étoit d'abord d'un rouge - noir, devient blanche quand les scories sont enlevées.

Quand le fer a été assez long - tems en fonte, & qu'il est nettoyé de ses crasses, la chaleur se rallentit, & la masse se prend: alors on y ajoûte les autres morceaux rangés autour du creuset; ils se fondent comme les précédens. On emplit ainsi le creuset dans l'intervalle de quatre heures: les morceaux de fer ont été jettés pendant ces quatre heures à quatre reprises différentes. Quand la masse a souffert suffisamment le feu, on y fiche un fer pointu, on la laisse prendre, & on l'enleve hors du creuset. On la porte sous le marteau, on en diminue le volume en la paitrissant, puis avec un coin de fer on la partage en trois, ou quatre, ou cinq.

Il est bon de savoir que si la tuyere est mal placée, & le vent inégal, ou qu'il survienne quelqu'accident, il ne se forme point de scories, le fer brûle, les lames du fond du creuset ne résistent pas, &c. & qu'il n'y a de remede à cela que de jetter sur la fonte une pelletée ou deux de sable de riviere.

On remet au feu les quatre parties coupées: on commence par en faire chauffer deux, dont l'une est pourtant plus près du vent que l'autre. Lorsque la premiere est suffisamment rouge, on la met en barre sur l'enclume; pendant ce travail on tient la seconde sous le vent, & on l'étend de même quand elle est assez rouge. On en fait autant aux deux res<cb-> tantes. On leur donne à toutes une forme quarrée, d'un doigt & un quart d'épaisseur, & de quatre à cinq piés de long. On appelle cet acier acier de forge ou de fonte. On le forge à coups pressés, & on le jette dans une eau courante: quand il y est éteint on l'en retire, & on le remet en morceaux.

On porte ces morceaux dans une autre usine, où l'on trouve une autre forge qui differe de la premiere en ce que la tuyere est plus grande, & qu'au lieu d'être sémi - circulaire elle est ovale; qu'il n'y a de sa forme ou levre jusqu'au bas du creuset, que deux à trois doigts de profondeur, & que le creuset a dix à onze pouces de large, sur quatorze à seize de longueur. Les morceaux d'acier sont rangés là par lits dans le foyer de la forge. Ces lits sont en forme de grillage, & les morceaux ne se touchent qu'en deux endroits. On couvre cette espece de pyramide de charbon choisi, on y met le feu, & on souffle. Le grillage est sous le vent. Après une demi - heure ou trois quarts d'heure de feu, les morceaux d'acier sont d'un rouge de lune: alors on arrête le vent, & on les retire l'un après l'autre, en commençant par ceux d'en haut: on les porte sous le martinet pour être forgés & mis en barre. Deux ouvriers, dont l'un tient le morceau par un bout & l'autre par l'autre, le font aller & venir dans sa longueur sous le martinet: l'enclume est entre deux. C'est ainsi qu'ils mettent tous les fragmens ou morceaux pris sur la pile ou pyramide & portés sous le martinet, en lames qu'ils jettent à mesure dans une eau courante & froide. Les deux derniers morceaux de la pile, ceux qui la soûtenoient, & qui sont plus grands que les autres, servent à l'usage suivant: on casse toutes les lames, & on en fait une étoffe entre ces deux gros morceaux qui n'ont point été trempés. On prend le tout dans des pinces, on remet cette espece d'étoffe au feu, & on l'y laisse jusqu'à ce qu'elle soit d'un rouge blanc. Cette masse rouge blanche se roule sur de l'argile sec & pulvérisé; ce qui l'aide à se souder. On la remet au feu, on l'en retire; on la frappe de quelques coups avec un marteau à main, pour en faire tomber les scories, & aider les lames à prendre. Quand la soudure est assez poussée, on porte la masse sous le martinet, on l'étend & on la met en barres. Ces barres ont neuf à dix piés de long, & sont d'un acier égal, sinon préférable à celui de Carinthie & de Stirie.

Il faut se servir dans toutes ces opérations de charbon de hêtre & de chêne, ou de pin & de bouleau. Les charbons récens & secs sont les meilleurs. Il en faut bien séparer la terre & les pierres. La ouille ou le charbon de terre est très - bon.

Il faut trois leviers aux soufflets pour élever leurs feuilles, & non un ou deux comme aux soufflets de forges, car on a besoin ici d'un plus grand feu.

Quant à ce qui concerne la diminution du fer, il a perdu presque la moitié de son poids avant que d'être en acier: de vingt - six livres de fer crud, on n'en retire que treize d'acier, quelquefois quatorze, si l'ouvrier est très - habile. En général, la diminution est de vingt - quatre livres sur soixante ou soixante - quatre, dans le premier feu: le restant perd encore huit livres au second.

Il faut ménager le feu avec soin: le fer trop chauffé se brûle; pas assez, il ne donne point d'acier.

Pour obtenir un acier pur & exempt de scories, il faut fondre trois fois; & sur la fin de la troisieme fonte, jetter dessus une petite partie de fer crud frisé, & mêlé avec du charbon; mais plus de charbon que de fer.

Pour fabriquer un cent pesant d'acier, ou selon la façon de compter des Suédois, pour huit grandes tonnes, il faut trente tonnes de charbon.

La manufacture d'acier de Quvarnbaka est éta<pb->

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