ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"102"> Quand vous l'aurez trempé, cassez - le; considérez son grain, & voyez s'il est entierement acier, ou s'il contient encore des parties ferrugineuses.

Cela fait, reduisez tous les morceaux de fer en barre; soufflez de nouveau; rechauffez le creuset & le mêlange; augmentez la quantité du mêlange, & rafraîchissez de cette maniere ce que les premiers morceaux n'ont pas bu; remettez - y ou de nouveaux morceaux de fer, si vous êtes content de la transformation des premiers, ou les mêmes, s'ils vous paroissent ferrugineux; & continuez comme nous avons dit ci - dessus ».

Voici ce que nous lisons dans Pline sur la maniere de convertir le fer en acier: fornacum maxima differentia est; in iis equidem nucleus ferri excoquitur ad indurandam aciem, alioque modo ad densandas incudes malleorumque rostra. Il sembleroit par ce passage, que les Anciens avoient une maniere de faire au fourneau de l'acier avec le fer, & de durcir ou tremper leurs enclumes & autres outils. Cette observation est de M. Lister, qui ne me paroît pas avoir regardé l'endroit de Pline assez attentivement; Pline parle de deux opérations qui n'ont rien de commun, la trempe & l'aciérie. Quant au nucleus ferri, au noyau de fer, il est à présumer que c'est une masse de fer affiné, qu'ils traitoient comme nous l'avons lu dans Aristote, dont la description dit quelque chose de plus que celle de Pline. Mais toutes les deux sont insuffisantes.

Pline ajoûte dans le chapitre suivant: Ferrum accensum igni, nisi duretur rictibus, corrumpitur; & ailleurs, Aquarum summa differentia est quibus immergitur; ce qui rapproche un peu la maniere de convertir le fer en acier du tems de Pline, de celle qui étoit en usage chez les Grecs, du tems d'Aristote.

Venons maintenant à celui des Modernes, qui s'est le plus fait de réputation par ses recherches dans cette matiere; c'est M. de Reaumur, célebre par un grand nombre d'ouvrages, ou imprimés séparément, ou répandus dans les Mémoires de l'Académie des Sciences; mais surtout par celui où il expose la maniere de convertir le fer forgé en acier. Son ouvrage parut en 1722 avec ce titre: l'Art de convertir le fer forgé en acier, & l'Art d'adoucir le fer fondu, ou de faire des ouvrages de fer fondu aussi finis que de fer forgé. Il est partagé en différens Mémoires, parce que effectivement il avoit été lu à l'Académie sous cette forme, pendant le cours de trois ans.

M. de Reaumur, après avoir reconnu que l'acier ne differe du fer forgé, qu'en ce qu'il a plus de soufre & de sel, en conclut: 1°. que la fonte qui ne differe aussi du fer forgé, que par ce même endroit, peut être de l'acier; 2°. que changer le fer forgé en acier, c'est lui donner de nouveaux soufres & de nouveaux sels.

Après un grand nombre d'essais, M. de Reaumur s'est déterminé, pour les matieres sulphureuses, au charbon pur & à la suie de cheminée; & pour les matieres salines, au sel marin seul, le tout mêlé avec de la cendre pour intermede. Il faut que ces matieres soient à une certaine dose entr'elles, & la quantité de leur mêlange dans un certain rapport avec la quantité de fer à convertir, il faut même avoir égard à sa qualité.

Si la composition qui doit changer le fer en acier est trop forte; si le feu a été trop long, le fer sera trop acier; trop de parties sulphureuses & salines introduites entre les métalliques, les écarteront trop les unes des autres, & en empêcheront la liaison au point que le tout ne soutiendra pas le marteau. M. de Reaumur a donné d'excellens préceptes pour prévenir cet inconvénient; & ceux qu'il prescrit pour faire usage de l'acier, quand par malheur il est devenu trop acier par sa méthode, ne sont pas moins bons. Il avoit trop de soufres & de sels, il ne s'agit que de lui en ôter. Pour cet effet, il ne faut que l'envelopper de matieres alkalines, avides de soufres & de sels. Celles qui lui ont paru les plus propres, sont la chaux d'os & la craie; ces matieres avec certaine durée de feu, remettent le mauvais acier, l'acier trop acier, au point qu'il faut pour être bon. On voit, qu'en s'y prenant ainsi, on pourroit ramener l'acier à être entierement fer, & l'arrêter dans tel degré moyen qu'on voudroit. L'art de M. de Reaumur, dit très - ingénieusement M. de Fontenelle dans l'Histoire de l'Académie, semble se joüer de ce métal. Voilà pour le fer forgé converti en acier. Voyez, quant à l'art d'adoucir le fer fondu, ou de faire des ouvrages de fer fondu aussi finis que de fer de forge, les articles Fer & Fonte. Nous rapporterons seulement ici un de ces faits singuliers que fournit le hasard, mais que le raisonnement & les réflexions mettent à profit: M. de Reaumur adoucissoit un marteau de porte cochere assez orné; quand il le retira du fourneau, il le trouva extrèmement diminué de poids; & en effet, ses deux grosses branches, de massives qu'elles devoient être, étoient devenues creuses, en conservant leur forme; il s'y étoit fait au bas un petit trou par où s'étoit écoulé le métal qui étoit fondu au dedans, & pour ainsi dire, sous une croûte extérieure. Voyez les inductions fines que M. de Reaumur a tirées de ce phénomene: tout tourne à profit entre les mains d'un habile homme; il s'instruit par les accidens, & le Public s'enrichit par ses succès.

Voici une autre description de la maniere de convertir le fer en acier, tirée de Geoffroi, Mat. Med. Tom. I. pag. 495. « Si le fer est excellent, on le fond dans un fourneau; & lorsqu'il est fondu, on y jette de tems en tems un mêlange fait de parties égales de sel de tartre, de sel alkali, de limaille de plomb, de râclure de corne de boeuf, remuant de tems en tems; on obtient ainsi une masse qu'on bat à coups de marteau, & qu'on met en barre.

Si le fer ne peut supporter une nouvelle fusion, on fait une autre opération: on prend des verges de fer de la grosseur du doigt; on les place dans un vaisseau de terre fait exprès, alternativement, lit sur lit, avec un mélange fait de parties égales de suie, de poudre de charbon, de râpure de corne de boeuf ou de poil de vache. Quand le vaisseau est rempli, on le couvre; on l'enduit exactement de lut, & on le place dans un fourneau de reverbere. Alors on allume le feu, & on l'augmente par degré, jusqu'à ce que le vaisseau soit ardent; sept ou huit heures après, on retire les verges de fer changées en acier, ce que l'on connoît en les rompant. S'il y paroît des pailles métalliques brillantes, très - petites, & très - serrées, c'est un très - bon acier: si elles sont peu serrées; mais parsemées de grands pores, il est moins bon; quelquefois les paillettes qui sont à l'extérieur sont serrées, & celles qui sont à l'intérieur ne le sont pas; ce qui marque que l'acier n'a pas été suffisamment calciné. Alors il faut remettre lit sur lit, & calciner de nouveau ». Il faut substituer dans cette description le mot de lames, à celui de paillettes, parce que celui - ci se prend toûjours en mauvaise part, & que tout acier pailleux est défectueux.

Voilà pour l'artificiel: voici maintenant pour l'acier naturel. Avant que d'entrer dans la description du travail de l'acier naturel, il est à propos d'avertir qu'on ne sauroit discerner à l'oeil, par aucun signe extérieur, une mine de fer, d'avec une mine d'acier. Elles se ressemblent toutes, ou pour mieux dire, elles sont toutes si prodigieusement variées, que l'on n'a pu jusqu'à présent assigner aucun caractere qui soit particulier à l'un ou à l'autre. Ce n'est qu'à la premiere fonte qu'on peut commencer à con<pb-> [p. 103] jecturer; & ce n'est qu'après avoir poussé un essai à son plus grand point de perfection, que l'on s'assure de la bonté ou de la médiocrité de la mine.

La Nature a tellement destiné certaines mines, plûtôt que d'autres, à être acier, que dans quelques Manufactures de France, où l'on fait de l'acier naturel, on trouve dans la même fonte un assemblage des deux mines bien marqué; elles se tiennent séparées dans le même bloc. Il y en a d'autres où l'acier surnage le fer dans la fonte. Cette espece donne même de l'acier excellent & à très - bon compte: mais on en tire peu. Voici un fait arrivé dans une mine d'Alsace, & qui prouvera que plus les mines tendent à être acier, ou acier plus pur, moins elles ont de dispositions à se mêler avec celles qui sont destinées à être fer forgé, ou acier moins pur. Le Mineur ayant trouvé un filon qui par ses caracteres extérieurs lui parut d'une qualité differente de l'arbre de la mine, il en présenta au Fondeur, qui de son chef en mit fondre avec la mine ordinaire; mais quand il vint à percer son founeau, les deux mines sortirent ensemble, sans se mêler; la meilleure portée par la moins bonne; d'où il s'ensuit que plus une mine est voisine de la qualité de l'acier, plus elle est legere.

Lorsqu'on a trouvé une mine de fer, & qu'on s'est assuré par les épreuves, qu'elle est propre à être convertie en acier naturel; la premiere opération est de fondre cette mine. La seule différence qu'il y a dans cette fonte des aciéries, est celle des Forges où l'on travaille le fer; c'est que dans les forges on coule le fer en gueuse, (Voyez Forge) & que dans les aciéries on le coule en plaques minces, & cela afin de pouvoir le briser plus facilement. Chaque pays, & presque chaque forge & chaque aciérie, a ses constructions de fourneaux, ses positions différentes de soufflets, ses fondants particuliers, ses charbons, ses bois; mais ces variétés de manoeuvres ne changent rien au fond des procédés.

Dans les aciéries de Dalécarlie, on fait rougir la premiere fonte; on la forge, & on la fond une seconde fois. On fait la même chose à Quvarnbaka: mais ici on jette sur cette fonte des cendres mélées de vitriol & d'alun. En Alsace & ailleurs, on supprime la seconde fonte. A Saltzbourg, où l'on fait d'excellent acier, on le chauffe jusqu'au rouge blanc; on met du sel marin dans de l'eau froide, & on l'y trempe. En Carinthie, en Stirie, on ne tient pas le fer rouge, & au lieu de sel, c'est de l'argile que l'on detrempe dans l'eau. Ailleurs, on frappe le fer rouge long - tems avant que de le tremper; ensorte que quand on le plonge dans l'eau, il est d'un rouge eteint.

Dans presque toutes les aciéries, on jette des crasses ou scories sur la fonte, pendant quelle est en fusion; on a soin de l'en tenir couverte, pour empêcher qu'elle ne se brûle. En Suede, c'est du sable de riviere. En Carinthie, Tirol & Stirie, on emploie au même usage des pierres à fusil pulvérisées. En Stirie, on ne fond que quarante à cinquante livres pesant de fer à la fois; ailleurs, on fond jusqu'à cent & cent ving - cinq livres à la fois. Ici l'orifice de la tuyere est en demi - cercle; ailleurs il est oval. On regarde dans un endroit la chaux comme un mauvais fondant; ce fondant réussit bien en Alsace. Les fontes de Saltzbourg sont épaisses dans la fusion; dans d'autres endroits on ne peut les avoir trop limpides & trop coulantes. Là, on agite la fonte, & on fait bien; ici, on fait bien de la laisser tranquille. Quelques-uns ne veulent couler que sur des lits de sable de riviere fin & pur, & ils prétendent que l'acier en vaudra mieux; en Alsace, on se contente d'un sable tiré de la terre, & l'acier n'en vaut peut - être pas moins.

Il faut attribuer toutes ces différences presqu'au<cb-> tant au préjugé & à l'entêtement des ouvriers, qu'à la nature des mines.

Après avoir instruit le Lecteur de toutes ces petites différences, qui s'observent dans la fonte de l'acier naturel, afin qu'il puisse les essayer toutes, & s'en tenir à ce qui lui paroîtra le mieux, relativement à la nature de la mine qu'il aura à employer; nous allons reprendre ce travail, tel qu'il se fait à Dambach à sept lieues de Strasbourg, & le suivre jusqu'à la fin.

A mi - côte d'une des montagnes de Vosges, on ouvrit une mine de fer qui avoit tous les caracteres d'une mine abondante & riche. Elle rendoit en 1737 par la fusion cinquante sur cent; les filons en étoient larges de quatre à cinq pieds, & on leur trouvoit jusqu'à vingt à trente toises de profondeur. Ils couroient dans des entre - deux de rochers extrèmement écartés; ils jettoient de tous côtés des branches aussi grosses que le tronc, & que l'on suivoit par des galleries. La mine étoit couleur d'ardoise, composée d'un grain ferrugineux très - fin; enveloppée d'une terre grasse, qui, dissoute dans l'eau, prenoit une assez belle couleur d'un brun violet. Quoiqu'on la pulverisât, la pierre d'aimant ne paroissoit point y faire la moindre impression; l'aiguille aimantée n'en ressentoit point non plus à son approche: mais lorsqu'on l'avoit fait rôtir, & qu'on avoit dépouillé la terre grasse de son humidité visqueuse, l'aimant commençoit à s'y attacher.

Il est étonnant que les corps les plus compacts, comme l'or & l'argent, mis entre le fer & l'aimant, n'arrêtent en aucune façon l'action magnétique, & qu'elle soit suspendue par la seule terre grasse qui enveloppe la mine.

On tiroit cette mine en la cassant avec des coins, comme on fend les rochers, & on la voituroit dans un fourneau à fondre. Là on la couloit sur un lit de sable fin, qui lui donnoit la forme d'une planche de cinq à six piés de long sur un pié ou un pié & demi de largeur, & deux ou trois doigts d'épaisseur. Long - tems avant que de couler, on remuoit souvent avec des ringards, afin de mêler les deux especes de mines qui seroient restées séparées, même en fusion, sans cette précaution. Il eût été peut - être mieux de ne les point mêler du tout, & de ne faire couler que la partie supérieure, qui contenoit l'acier le plus pur. C'est aux Entrepreneurs à le tenter.

Après cette fonte, qui est la même que celle du fer, & qu'on verra à l'art. Forge, dans le dernier détail; on transportoit les planches de fonte ou les gâteaux, dans une autre usine, qu'on appelle proprement Aciérie. C'est là que la fonte recevoit sa premiere qualité d'acier.

Pour parvenir à cette opération, on cassoit les plaques, ou gueuses froides, en morceaux de vingt - cinq à trente livres pesant; on faisoit rougir quelques-uns de ces morceaux, & on les portoit sous le marteau qui les divisoit en fragmens de la grosseur du poing. On posoit ces derniers morceaux sur le bord d'un creuset qu'on remplissoit de charbon de hêtre: lorsque le feu étoit vif, on y jettoit ces fragmens les uns après les autres, comme si on eût voulu les fondre.

C'est ici une des opérations les plus délicates de l'art. Le degré de feu doit être ménagé de façon que ces morceaux de fonte se tiennent simplement mous pendant un tems très - notable. On a soin alors de les rassembler au milieu du foyer avec des ringards, afin qu'en se touchant, ils se prennent & soudent les uns aux autres.

Pendant ce tems les matieres étrangeres se fondent, & on leur procure l'écoulement par un trou fait au bas du creuset. Pour les morceaux réunis & soudés les uns aux autres, on en forme une masse

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