RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
ACIER (Page 1:100)
* ACIER, s. m. (Entend. Science de la Nat. Chim. Métallurg.) Ce mot, selon Menage, vient d'aciarium, dont les Italiens ont fait acciaro, & les Espagnols azero: mais aciarium, acciaro, & azero, viennent tous d'acies, dont Pline s'est servi pour le mot chalybs. Les Latins l'appelloient chalybs, parce que le premier acier qui ait été en réputation parmi eux, venoit, dit - on, d'Espagne, où il y avoit un fleuve nommé chalybs, dont l'eau étoit la plus propre què l'on connût pour la bonne trempe de l'acier.
De tous les métaux, l'acier est celui qui est susceptible
de la plus grande dureté, quand il est bien
trempé. C'est pourquoi l'on en fait beaucoup d'usage
pour les outils & les instrumens tranchans de toute
espece. Voyez
C'étoit une opinion généralement reçûe jusqu'à ces derniers tems, que l'acier étoit un fer plus pur que le fer ordinaire; que ce n'étoit que la substance même du fer affinée par le feu; en un mot, que l'acier le plus fin & le plus exquis n'étoit que du fer porté à la plus grande pureté que l'art peut lui procurer. Ce sentiment est très - ancien: mais on jugera par ce qui suit, s'il en est pour cela plus vrai.
On entend par un fer pur ou par de l'acier, un métal dégagé des parties hétérogenes qui l'embarrassent & qui lui nuisent; un métal plus plein des parties métalliques qui constituent son être, sous un même volume. Si telle étoit la seule différence de l'acier & du fer; si l'acier n'étoit qu'un fer qui contînt sous un même volume une plus grande quantité de parties
Si l'on veut donc définir exactement l'acier, il faut d'abord en distinguer deux especes; un acier naturel, & un acier factice ou artificiel. Qu'est - ce que l'acier naturel? c'est celui où l'art n'a eu d'autré part que de détruire par le feu l'excès des parties salines & sulphureuses, & autres, dont le fer de fonte est trop plein. J'ajoûte & autres; car qui est - ce qui peut s'assûrer que les sels & les soufres soient les seuls élémens détruits dans la fusion? La Chimie est loin de la perfection, si on la considere de ce côté, & je ne pense pas qu'elle ait encore des preuves équivalentes à une démonstration, qu'il n'y eût dans un corps, quel qu'il soit avant son analyse, d'autres élémens que ceux qu'elle en a tirés en l'analysant. L'acier artificiel est du fer à qui l'art a restitué, par le secours des matieres étrangeres, les mêmes parties dont il étoit trop dénué. Enfin si l'on desire une notion générale & qui convienne aux deux fers, il faut dire que l'acier est un fer dans lequel le mêlange des parties métalliques, avec les parties salines, sulphureuses & autres, a été amené à un point de précision qui constitue cette substance métallique qui nous est connue sous le nom d'acier. Ainsi l'acier consiste dans un certain rapport qu'ont entr'elles les parties précédentes qu'on nous donne pour ses élemens.
La Nature nous présente le fer plus ou moins mêlangé
de ces parties, mais presque toûjours trop
grossierement mêlangé; c'est - à - dire, presque jamais
contenant les parties dont il est composé, dans le
vrai rapport qui conviendroit pour nous en procurer
les avantages que nous en devons retirer. C'est
ici que l'art doit réformer la Nature. Le fer de fonte
ou la mine qui vient d'être fondue, est dure, cassante,
intraitable; la lime, les ciseaux, les marteaux
n'ont aucune prise sur elle. Quand on lui donne une
forme déterminée dans un moule, il faut qu'elle la
garde; aussi ne l'emploie - t - on qu'en bombes, boulets,
poesles, contre - coeurs de cheminées. Voyez
Le seul agent que nous ayons & qui soit capable de séparer les parties métalliques des parties salines, sulphureuses & terrestres, c'est le feu. Le feu fait fondre & vitrifier les terrestres. Ces parties étant plus légeres que les parties métalliques, surnagent le métal en fusion, & on les enleve sous le nom de crasses ou scories. Cependant le feu brûle & détruit les sou<pb-> [p. 101]
L'art se réduit donc à ne priver le fer de ses parties hétérogenes, qu'autant qu'il est nécessaire pour détruire le vice de l'excès, & pour n'y en laisser que ce qu'il lui en faut pour qu'il soit ou de l'acier ou du fer forgé, suivant les mines & leur qualité.
Pour cet effet on travaille, & la mine qui doit
donner du fer & celle qui doit donner de l'acier, à
peu près de la même maniere, jusqu'à ce qu'elles
soient l'une & l'autre en gueuse; (Voyez pour ces
préparations bitumineuses l'article
La Nature nous donne deux especes de mines; les unes, telles sont celles de France, contiennent un soufre peu adhérent qui s'exhale & s'échappe aisément dans les premieres operations du feu, ou qui peut - être n'y est pas en assez grande quantité, même avant la fusion; d'où il arrive que la matiere métallique qui en est facilement dépouillée, reste telle qu'elle doit être pour devenir un fer forgé: les autres mines, telles sont celles qui sont propres à donner de l'acier naturel, & qu'on appelle en Allemagne mines ou veines d'acier, contiennent un soufre fixe, qu'on ne détruit qu'avec beaucoup de peine. Il faudroit réitérer bien des fois sur elles, & avec une augmentation considérable de dépense, le travail qui amene les premieres à l'état de fer forgé; ce que l'on n'a garde de faire, car avant que d'acquérir cette derniere qualité de fer forgé, elles sont acier. L'acier naturel est donc, comme j'avois promis de le démontrer, un état moyen entre le fer de fonte & le fer forgé: l'acier est donc, s'il est permis de s'exprimer ainsi, sur le passage de l'un à l'autre.
Mais, pourroit - on objecter contre ce système, si l'état de la matiere métallique, sans lequel elle est acier, est sur le passage de son premier état de mine à celui où elle seroit fer forgé, il semble qu'òn pourroit pousser la mine qui donne l'acier naturel, depuis son premier état, jusqu'à l'état de fer forgé; & il ne paroît pas qu'on obtienne du fer forgé & de l'acier de la même qualité de mine. La seule chose qu'on nous apprenne, c'est que si on y réussissoit, on feroit sortir les matieres d'un état où elles valent depuis 7, 8, 9, jusqu'à 15 & 16 sous la livre, pour les faire arriver, à grands frais, à un autre où elles ne vaudroient que 3 à 4 sous.
En un mot, on nous apprend bien qu'avec de la fonte, on fait ou du fer forgé ou de l'acier naturel, & cela en suivant à peu près le même procédé: mais on ne nous apprend point, si en réiterant ou variant le procédé, la mine qui donne de l'acier naturel, donneroit du fer forgé; ce qui ne seroit pourtant pas inutile à la confirmation du système précédent sur la différence des deux mines de fer. Quoi qu'il en soit, il faut avoüer qu'en chauffant & forgeant les fontes de Stirie, Carinthie, Tirol, Alsace, & de quelques autres lieux, on fait de l'acier; & qu'en faisant les mêmes opérations sur les mines de France, d'Angleterre & d'ailleurs, on ne fait que du fer forgé.
Mais avant que d'entrer dans le détail des procédés par lesquels on parvient à convertir le fer de fonte en acier naturel, nous allons parler des ma<cb->
M. Martin Lister pense qu'il y avoit dans le procédé
que les Anciens suivoient pour convertir le fer
en acier, quelque particularité qui nous est maintenant
inconnue; & il prononce avec trop de séverité
peut - être que la maniere dont on exécute aujourd'hui cette transformation chez la plûpart des Nations, est moins une méthode d'obtenir du véritable
acier, que celle d'empoisonner le fer par des fels.
Quoi qu'il en soit du sentiment de M. Lister, Aristote
nous apprend, Meteor. L. IV. c. VI.
Il y a beaucoup à desirer dans cette description d'Aristote, & il n'est pas facile de la concilier avec les principes que nous avons posés ci - devant. Il est vrai que le fer même travaillé peut être remis en fusion; & qu'à chaque fois qu'il se purge, il perd de son poids. Mais fondez, purgez tant qu'il vous plaira de certains fers, vous n'en ferez jamais ainsi de l'acier. Cependant c'est avec du fer ainsi purgé, qu'on fait incontestablement le meill> acier, continue M. Lister: il y a donc quelque circonstance essentielle omise dans le procédé d'Aristote.
Voici la maniere dont Agricola dit qu'on fait avec le fer de l'acier artificiel; & le Pere Kircher assûre que c'est celle qu'on suivoit dans l'Isle d'Ilva, lieu fameux pour cette fabrication, depuis le tems des Romains jusqu'à son tems.
Lorsque le charbon contenu dans le creuset sera
bien allumé, & le creuset rouge; soufflez &
jettez dedans peu à peu le mêlange de pierre & de
parcelles de fer.
Lorsque ce mêlange sera en fusion, jettez dans
le milieu trois ou quatre morceaux de fer; poussez
le feu pendant cinq ou six heures; prenez un
ringard; remuez bien le mêlange fondu, afin que
les morceaux de fer que vous avez jettés dedans,
s'impreignent fortement des particules de ce mêlange: ces particules consumeront & diviseront
les parties grossieres des morceaux de fer auxquels
elles s'attacheront; & ce sera, s'il est permis de
parler ainsi, une sorte de ferment qui les amollira.
Tirez alors un des morceaux de fer hors du feu;
portez - le sous un grand marteau; faites - le tirer en
barre, & tourmenter; & sans le faire chauffer plus
qu'il ne l'est, plongez - le dans l'eau froide.
[p. 102]
Cela fait, reduisez tous les morceaux de fer en
barre; soufflez de nouveau; rechauffez le creuset
& le mêlange; augmentez la quantité du mêlange,
& rafraîchissez de cette maniere ce que les
premiers morceaux n'ont pas bu; remettez - y ou de
nouveaux morceaux de fer, si vous êtes content
de la transformation des premiers, ou les mêmes,
s'ils vous paroissent ferrugineux; & continuez
comme nous avons dit ci - dessus ».
Voici ce que nous lisons dans Pline sur la maniere de convertir le fer en acier: fornacum maxima differentia est; in iis equidem nucleus ferri excoquitur ad indurandam aciem, alioque modo ad densandas incudes malleorumque rostra. Il sembleroit par ce passage, que les Anciens avoient une maniere de faire au fourneau de l'acier avec le fer, & de durcir ou tremper leurs enclumes & autres outils. Cette observation est de M. Lister, qui ne me paroît pas avoir regardé l'endroit de Pline assez attentivement; Pline parle de deux opérations qui n'ont rien de commun, la trempe & l'aciérie. Quant au nucleus ferri, au noyau de fer, il est à présumer que c'est une masse de fer affiné, qu'ils traitoient comme nous l'avons lu dans Aristote, dont la description dit quelque chose de plus que celle de Pline. Mais toutes les deux sont insuffisantes.
Pline ajoûte dans le chapitre suivant: Ferrum accensum igni, nisi duretur rictibus, corrumpitur; & ailleurs, Aquarum summa differentia est quibus immergitur; ce qui rapproche un peu la maniere de convertir le fer en acier du tems de Pline, de celle qui étoit en usage chez les Grecs, du tems d'Aristote.
Venons maintenant à celui des Modernes, qui s'est le plus fait de réputation par ses recherches dans cette matiere; c'est M. de Reaumur, célebre par un grand nombre d'ouvrages, ou imprimés séparément, ou répandus dans les Mémoires de l'Académie des Sciences; mais surtout par celui où il expose la maniere de convertir le fer forgé en acier. Son ouvrage parut en 1722 avec ce titre: l'Art de convertir le fer forgé en acier, & l'Art d'adoucir le fer fondu, ou de faire des ouvrages de fer fondu aussi finis que de fer forgé. Il est partagé en différens Mémoires, parce que effectivement il avoit été lu à l'Académie sous cette forme, pendant le cours de trois ans.
M. de Reaumur, après avoir reconnu que l'acier ne differe du fer forgé, qu'en ce qu'il a plus de soufre & de sel, en conclut: 1°. que la fonte qui ne differe aussi du fer forgé, que par ce même endroit, peut être de l'acier; 2°. que changer le fer forgé en acier, c'est lui donner de nouveaux soufres & de nouveaux sels.
Après un grand nombre d'essais, M. de Reaumur s'est déterminé, pour les matieres sulphureuses, au charbon pur & à la suie de cheminée; & pour les matieres salines, au sel marin seul, le tout mêlé avec de la cendre pour intermede. Il faut que ces matieres soient à une certaine dose entr'elles, & la quantité de leur mêlange dans un certain rapport avec la quantité de fer à convertir, il faut même avoir égard à sa qualité.
Si la composition qui doit changer le fer en acier est trop forte; si le feu a été trop long, le fer sera trop acier; trop de parties sulphureuses & salines introduites entre les métalliques, les écarteront trop les unes des autres, & en empêcheront la liaison au point que le tout ne soutiendra pas le marteau. M. de Reaumur a donné d'excellens préceptes pour prévenir cet inconvénient; & ceux qu'il prescrit pour faire usage de l'acier, quand par malheur il est devenu trop acier par sa méthode, ne sont pas moins bons.
Voici une autre description de la maniere de convertir
le fer en acier, tirée de Geoffroi, Mat. Med.
Tom. I. pag. 495.
Si le fer ne peut supporter une nouvelle fusion,
on fait une autre opération: on prend des verges
de fer de la grosseur du doigt; on les place dans
un vaisseau de terre fait exprès, alternativement,
lit sur lit, avec un mélange fait de parties égales
de suie, de poudre de charbon, de râpure de corne
de boeuf ou de poil de vache. Quand le vaisseau
est rempli, on le couvre; on l'enduit exactement
de lut, & on le place dans un fourneau de
reverbere. Alors on allume le feu, & on l'augmente
par degré, jusqu'à ce que le vaisseau soit ardent;
sept ou huit heures après, on retire les verges
de fer changées en acier, ce que l'on connoît
en les rompant. S'il y paroît des pailles métalliques
brillantes, très - petites, & très - serrées, c'est
un très - bon acier: si elles sont peu serrées; mais
parsemées de grands pores, il est moins bon; quelquefois
les paillettes qui sont à l'extérieur sont
serrées, & celles qui sont à l'intérieur ne le sont
pas; ce qui marque que l'acier n'a pas été suffisamment
calciné. Alors il faut remettre lit sur lit,
& calciner de nouveau ».
Voilà pour l'artificiel: voici maintenant pour l'acier naturel. Avant que d'entrer dans la description du travail de l'acier naturel, il est à propos d'avertir qu'on ne sauroit discerner à l'oeil, par aucun signe extérieur, une mine de fer, d'avec une mine d'acier. Elles se ressemblent toutes, ou pour mieux dire, elles sont toutes si prodigieusement variées, que l'on n'a pu jusqu'à présent assigner aucun caractere qui soit particulier à l'un ou à l'autre. Ce n'est qu'à la premiere fonte qu'on peut commencer à con<pb-> [p. 103]
La Nature a tellement destiné certaines mines, plûtôt que d'autres, à être acier, que dans quelques Manufactures de France, où l'on fait de l'acier naturel, on trouve dans la même fonte un assemblage des deux mines bien marqué; elles se tiennent séparées dans le même bloc. Il y en a d'autres où l'acier surnage le fer dans la fonte. Cette espece donne même de l'acier excellent & à très - bon compte: mais on en tire peu. Voici un fait arrivé dans une mine d'Alsace, & qui prouvera que plus les mines tendent à être acier, ou acier plus pur, moins elles ont de dispositions à se mêler avec celles qui sont destinées à être fer forgé, ou acier moins pur. Le Mineur ayant trouvé un filon qui par ses caracteres extérieurs lui parut d'une qualité differente de l'arbre de la mine, il en présenta au Fondeur, qui de son chef en mit fondre avec la mine ordinaire; mais quand il vint à percer son fou>neau, les deux mines sortirent ensemble, sans se mêler; la meilleure portée par la moins bonne; d'où il s'ensuit que plus une mine est voisine de la qualité de l'acier, plus elle est legere.
Lorsqu'on a trouvé une mine de fer, & qu'on s'est
assuré par les épreuves, qu'elle est propre à être convertie
en acier naturel; la premiere opération est de
fondre cette mine. La seule différence qu'il y a dans
cette fonte des aciéries, est celle des Forges où l'on
travaille le fer; c'est que dans les forges on coule le
fer en gueuse, (Voyez
Dans les aciéries de Dalécarlie, on fait rougir la premiere fonte; on la forge, & on la fond une seconde fois. On fait la même chose à Quvarnbaka: mais ici on jette sur cette fonte des cendres mélées de vitriol & d'alun. En Alsace & ailleurs, on supprime la seconde fonte. A Saltzbourg, où l'on fait d'excellent acier, on le chauffe jusqu'au rouge blanc; on met du sel marin dans de l'eau froide, & on l'y trempe. En Carinthie, en Stirie, on ne tient pas le fer rouge, & au lieu de sel, c'est de l'argile que l'on detrempe dans l'eau. Ailleurs, on frappe le fer rouge long - tems avant que de le tremper; ensorte que quand on le plonge dans l'eau, il est d'un rouge eteint.
Dans presque toutes les aciéries, on jette des crasses ou scories sur la fonte, pendant quelle est en fusion; on a soin de l'en tenir couverte, pour empêcher qu'elle ne se brûle. En Suede, c'est du sable de riviere. En Carinthie, Tirol & Stirie, on emploie au même usage des pierres à fusil pulvérisées. En Stirie, on ne fond que quarante à cinquante livres pesant de fer à la fois; ailleurs, on fond jusqu'à cent & cent ving - cinq livres à la fois. Ici l'orifice de la tuyere est en demi - cercle; ailleurs il est oval. On regarde dans un endroit la chaux comme un mauvais fondant; ce fondant réussit bien en Alsace. Les fontes de Saltzbourg sont épaisses dans la fusion; dans d'autres endroits on ne peut les avoir trop limpides & trop coulantes. Là, on agite la fonte, & on fait bien; ici, on fait bien de la laisser tranquille. Quelques-uns ne veulent couler que sur des lits de sable de riviere fin & pur, & ils prétendent que l'acier en vaudra mieux; en Alsace, on se contente d'un sable tiré de la terre, & l'acier n'en vaut peut - être pas moins.
Il faut attribuer toutes ces différences presqu'au<cb->
Après avoir instruit le Lecteur de toutes ces petites différences, qui s'observent dans la fonte de l'acier naturel, afin qu'il puisse les essayer toutes, & s'en tenir à ce qui lui paroîtra le mieux, relativement à la nature de la mine qu'il aura à employer; nous allons reprendre ce travail, tel qu'il se fait à Dambach à sept lieues de Strasbourg, & le suivre jusqu'à la fin.
A mi - côte d'une des montagnes de Vosges, on ouvrit une mine de fer qui avoit tous les caracteres d'une mine abondante & riche. Elle rendoit en 1737 par la fusion cinquante sur cent; les filons en étoient larges de quatre à cinq pieds, & on leur trouvoit jusqu'à vingt à trente toises de profondeur. Ils couroient dans des entre - deux de rochers extrèmement écartés; ils jettoient de tous côtés des branches aussi grosses que le tronc, & que l'on suivoit par des galleries. La mine étoit couleur d'ardoise, composée d'un grain ferrugineux très - fin; enveloppée d'une terre grasse, qui, dissoute dans l'eau, prenoit une assez belle couleur d'un brun violet. Quoiqu'on la pulverisât, la pierre d'aimant ne paroissoit point y faire la moindre impression; l'aiguille aimantée n'en ressentoit point non plus à son approche: mais lorsqu'on l'avoit fait rôtir, & qu'on avoit dépouillé la terre grasse de son humidité visqueuse, l'aimant commençoit à s'y attacher.
Il est étonnant que les corps les plus compacts, comme l'or & l'argent, mis entre le fer & l'aimant, n'arrêtent en aucune façon l'action magnétique, & qu'elle soit suspendue par la seule terre grasse qui enveloppe la mine.
On tiroit cette mine en la cassant avec des coins, comme on fend les rochers, & on la voituroit dans un fourneau à fondre. Là on la couloit sur un lit de sable fin, qui lui donnoit la forme d'une planche de cinq à six piés de long sur un pié ou un pié & demi de largeur, & deux ou trois doigts d'épaisseur. Long - tems avant que de couler, on remuoit souvent avec des ringards, afin de mêler les deux especes de mines qui seroient restées séparées, même en fusion, sans cette précaution. Il eût été peut - être mieux de ne les point mêler du tout, & de ne faire couler que la partie supérieure, qui contenoit l'acier le plus pur. C'est aux Entrepreneurs à le tenter.
Après cette fonte, qui est la même que celle du
fer, & qu'on verra à l'art.
Pour parvenir à cette opération, on cassoit les plaques, ou gueuses froides, en morceaux de vingt - cinq à trente livres pesant; on faisoit rougir quelques-uns de ces morceaux, & on les portoit sous le marteau qui les divisoit en fragmens de la grosseur du poing. On posoit ces derniers morceaux sur le bord d'un creuset qu'on remplissoit de charbon de hêtre: lorsque le feu étoit vif, on y jettoit ces fragmens les uns après les autres, comme si on eût voulu les fondre.
C'est ici une des opérations les plus délicates de l'art. Le degré de feu doit être ménagé de façon que ces morceaux de fonte se tiennent simplement mous pendant un tems très - notable. On a soin alors de les rassembler au milieu du foyer avec des ringards, afin qu'en se touchant, ils se prennent & soudent les uns aux autres.
Pendant ce tems les matieres étrangeres se fondent, & on leur procure l'écoulement par un trou fait au bas du creuset. Pour les morceaux réunis & soudés les uns aux autres, on en forme une masse [p. 104]
On rapporte une des quatre parts de la loupe au même feu, on la pose sur les charbons, on la recouvre d'autres charbons; elle est placée un peu au - dessus de la tuyere. On la fait rougir fortement pendant trois ou quatre heures. On la porte ensuite sous' le martinet; on la bat, & on lui donne une forme quarrée. On la remet encore au feu assujettie dans une tenaille qui sert à la gouverner, & à l'empêcher de prendre, dans le creuset, des places qui ne lui conviendroient pas. Après une demi - heure elle est toute pénétrée de feu. On la pousse jusqu'au rougeblanc; on la retire, on la roule dans le sable, on lui donne quelques coups de marteau à main, puis on la porte sous le martinet. On forge toute la partie qui est hors de la tenaille; on lui donne une forme quarrée de deux pouces de diametre, sur trois ou quatre de long; & on la reprend, par ce bout forgé, avec les mêmes tenailles pour faire une semblable opération sur la partie qui étoit enfermée dans les tenailles. Cette manoeuvre se réitere trois ou quatre fois, jusqu'à ce que le Forgeron sente que sa matiere se forge aisément, sans se fendre ni casser. Toute cette opération demande encore une grande expérience de main & d'oeil pour ménager le fer en le forgeant, & juger, à la couleur, du degré de chaleur qu'il doit avoir pour être forgé.
Après toutes ces opérations, on le forge fortement sous le martinet. Il est en état de n'être plus ménagé: on l'allonge en une barre de deux piés & demi ou trois piés, qu'on coupe encore en deux parties, & qu'on remet ensemble au même feu, saisies chacune dans une tenaille différente; on les pousse jusqu'au rouge - blanc, & on les allonge encore en barres plus longues & plus menues, qu'on jette aussitôt dans l'eau pour les tremper.
Jusques - là ce n'est encore que de l'acier brut,
bon pour des instrumens grossiers comme bêches,
socs de charrues, pioches, &c. dans cet état il a le
grain gros, & est encore mêlé de fer. On porte ces
barres d'acier brut dans une autre usine, qu'on appelle
Affinerie. Quand elles y sont arrivées, on les
casse en morceaux de la longueur de cinq à six pouces;
on remplit alors le creuset de charbon de terre
jusqu'un peu au - dessus de la tuyere, observant de
ne la pas boucher. On tape le charbon pour le presser
& en faire un lit solide sur lequel on arrange ces
derniers morceaux en forme de grillage, posés les
uns sur les autres par leurs extrémités, sans que les
côtés se touchent; on en met jusqu'à quatre ou cinq
rangs en hauteur, ce qui forme un prisme, qu'on
voit en A,
Ces lames sont encore brisées en morceaux de
toutes longueurs; il n'y a que les deux fortes qui
restent comme elles sont. On rassemble tous les autres
fragmens; on les rejoint bout à bout & plat contre
plat, & on les enchâsse entre les deux longues
lames non trempées. Le tout est saisi dans des tenailles,
comme on voit Fig. B. même
Voilà la fabrication de l'acier naturel dans son plus grand détail. Nous n'avons omis que les choses que le discours ne peut rendre, & que l'expérience seule apprend. De ces choses, voici les principales.
Il faut 1°. savoir gouverner le feu; tenir les loupes entre la fusion & la non fusion. 2°. Conduire avec ménagement le vent des soufflets; le forcer & le rallentir à propos. 3°. Manier comme il convient la matiere sous le martinet, sans quoi elle sera mise en pieces. Ajoûtez à cela une infinité d'autres notions, comme celles de la trempe, de l'épaisseur des barres, des chaudes, de la couleur de la matiere en feu, &c.
Après toutes ces opérations, on ne conçoit pas comment l'acier peut être à si bon marché: mais il faut savoir qu'elles se sont avec une vîtesse extrème, & que le travail est infiniment abregé pour les hommes, par les machines qu'ils emploient. L'eau & le feu les soulagent à tout moment; le feu qui amollit la matiere, l'eau qui meut le martinet qui la bat. Les Ouvriers n'ont presque que la peine de diriger ces agens: c'en est encore bien assez.
Il y a d'autres manieres de fabriquer l'acier naturel, dont nous allons faire mention le plus briévement qu'il nous sera possible. Proche d'Hedmore, dans la Dalécarlie, on trouve une très - belle aciérie. La veine est noire, peu compacte & formée de grains ferrugineux. On la réduit aisément en poudre sous les doigts; elle est lourde & donne un fer [p. 105]
Chaque matin, lorsqu'on commence l'ouvrage, on jette dans le creuset des scories, du charbon & de la poudre de charbon pêle - mêle, puis on met dessus la fonte en morceaux; on la recouvre de charbons. On tient les morceaux dans le feu jusqu'à ce qu'ils soient d'un rouge - blanc, ce qu'on appelle blanc de Lune. Quand ils sont bien pénétrés de feu, on les porte en masse sous le marteau, & cette masse se divise là en parties de trois ou quatre livres chacune. Si le fer est ténace, quand il est rouge, & fragile, quand il est froid, on en bat davantage la masse avant que de la diviser. Si elle se met en gros fragmens, on reporte ces fragmens sur l'enclume pour être soûdivisés.
Cela fait, on prend ces morceaux & on les range dans la forge autour du creuset. On en jette d'abord quelques - uns dans le creuset; on les y enfonce & ensévelit sous le charbon, puis on rallentit le vent, & on les laisse fondre. Pendant ce tems on sonde avec un fer pointu, & l'on examine si la matiere, prête à entrer en fusion, ne se répand point sur les coins, & hors de la sphere du vent. Si on trouve des morceaux écartés, on les met sous le vent; & quand tout est fondu, pour entretenir la fusion, on force le vent. La fusion est à son point lorsque les étincelles des scories & de la matiere s'échappent avec vivacité à - travers les charbons, & lorsque la flamme, qui étoit d'abord d'un rouge - noir, devient blanche quand les scories sont enlevées.
Quand le fer a été assez long - tems en fonte, & qu'il est nettoyé de ses crasses, la chaleur se rallentit, & la masse se prend: alors on y ajoûte les autres morceaux rangés autour du creuset; ils se fondent comme les précédens. On emplit ainsi le creuset dans l'intervalle de quatre heures: les morceaux de fer ont été jettés pendant ces quatre heures à quatre reprises différentes. Quand la masse a souffert suffisamment le feu, on y fiche un fer pointu, on la laisse prendre, & on l'enleve hors du creuset. On la porte sous le marteau, on en diminue le volume en la paitrissant, puis avec un coin de fer on la partage en trois, ou quatre, ou cinq.
Il est bon de savoir que si la tuyere est mal placée, & le vent inégal, ou qu'il survienne quelqu'accident, il ne se forme point de scories, le fer brûle, les lames du fond du creuset ne résistent pas, &c. & qu'il n'y a de remede à cela que de jetter sur la fonte une pelletée ou deux de sable de riviere.
On remet au feu les quatre parties coupées: on commence par en faire chauffer deux, dont l'une est pourtant plus près du vent que l'autre. Lorsque la premiere est suffisamment rouge, on la met en barre sur l'enclume; pendant ce travail on tient la seconde sous le vent, & on l'étend de même quand elle est assez rouge. On en fait autant aux deux res<cb->
On porte ces morceaux dans une autre usine, où l'on trouve une autre forge qui differe de la premiere en ce que la tuyere est plus grande, & qu'au lieu d'être sémi - circulaire elle est ovale; qu'il n'y a de sa forme ou levre jusqu'au bas du creuset, que deux à trois doigts de profondeur, & que le creuset a dix à onze pouces de large, sur quatorze à seize de longueur. Les morceaux d'acier sont rangés là par lits dans le foyer de la forge. Ces lits sont en forme de grillage, & les morceaux ne se touchent qu'en deux endroits. On couvre cette espece de pyramide de charbon choisi, on y met le feu, & on souffle. Le grillage est sous le vent. Après une demi - heure ou trois quarts d'heure de feu, les morceaux d'acier sont d'un rouge de lune: alors on arrête le vent, & on les retire l'un après l'autre, en commençant par ceux d'en haut: on les porte sous le martinet pour être forgés & mis en barre. Deux ouvriers, dont l'un tient le morceau par un bout & l'autre par l'autre, le font aller & venir dans sa longueur sous le martinet: l'enclume est entre deux. C'est ainsi qu'ils mettent tous les fragmens ou morceaux pris sur la pile ou pyramide & portés sous le martinet, en lames qu'ils jettent à mesure dans une eau courante & froide. Les deux derniers morceaux de la pile, ceux qui la soûtenoient, & qui sont plus grands que les autres, servent à l'usage suivant: on casse toutes les lames, & on en fait une étoffe entre ces deux gros morceaux qui n'ont point été trempés. On prend le tout dans des pinces, on remet cette espece d'étoffe au feu, & on l'y laisse jusqu'à ce qu'elle soit d'un rouge blanc. Cette masse rouge blanche se roule sur de l'argile sec & pulvérisé; ce qui l'aide à se souder. On la remet au feu, on l'en retire; on la frappe de quelques coups avec un marteau à main, pour en faire tomber les scories, & aider les lames à prendre. Quand la soudure est assez poussée, on porte la masse sous le martinet, on l'étend & on la met en barres. Ces barres ont neuf à dix piés de long, & sont d'un acier égal, sinon préférable à celui de Carinthie & de Stirie.
Il faut se servir dans toutes ces opérations de charbon de hêtre & de chêne, ou de pin & de bouleau. Les charbons récens & secs sont les meilleurs. Il en faut bien séparer la terre & les pierres. La ouille ou le charbon de terre est très - bon.
Il faut trois leviers aux soufflets pour élever leurs feuilles, & non un ou deux comme aux soufflets de forges, car on a besoin ici d'un plus grand feu.
Quant à ce qui concerne la diminution du fer, il a perdu presque la moitié de son poids avant que d'être en acier: de vingt - six livres de fer crud, on n'en retire que treize d'acier, quelquefois quatorze, si l'ouvrier est très - habile. En général, la diminution est de vingt - quatre livres sur soixante ou soixante - quatre, dans le premier feu: le restant perd encore huit livres au second.
Il faut ménager le feu avec soin: le fer trop chauffé se brûle; pas assez, il ne donne point d'acier.
Pour obtenir un acier pur & exempt de scories, il faut fondre trois fois; & sur la fin de la troisieme fonte, jetter dessus une petite partie de fer crud frisé, & mêlé avec du charbon; mais plus de charbon que de fer.
Pour fabriquer un cent pesant d'acier, ou selon la façon de compter des Suédois, pour huit grandes tonnes, il faut trente tonnes de charbon.
La manufacture d'acier de Quvarnbaka est éta<pb-> [p. 106]
Quand le fer est fondu, il est porté & divisé sous un marteau, & les fragmens mis en barres; les barres partagées en moindre parties, sont mises à chauffer, disposées en grillages; chaudes, on les étend de nouveau; & l'on réitere cette manoeuvre jusqu'à ce qu'on ait un bon acier.
L'acier en baril de Suede est fait avec celui dont nous venons de donner la fabrication: on se contente après son premier recuit de le mettre en barres & de le tremper. L'acier pour les épées, qui est celui dont la qualité est exactement au - dessus de l'acier en baril, est mis quatre fois en lames, autant de fois chauffé au grillage, & mis autant de fois sous le marteau. L'acier excellent, ou celui qui est au - dessus du précédent, est façonné & trempé huit fois.
On met des marques à l'acier pour distinguer de quel genre il est: mais les habiles ouvriers ne se trompent pas au grain.
On fait chaque semaine quatorze cens pesant d'acier en baril, douze cens d'acier à épées, & huit cens d'acier à ressorts. Le cent pesant est de huit grandes barres de Suede, ou de cent soixante petites livres du même pays.
Pour le cent pesant du meilleur acier, de l'acier à ressorts, il faut treize grandes livres & demie de fer crud, & vingt - six tonnes de charbon: dix grandes livres de fer crud, & 24 tonnes de charbon pour l'acier à épées; & la même quantité de fer crud & neuf tonnes de charbon pour l'acier en baril.
Lorsque la mine de fer est mise pour la premiere fois en fusion dans les fourneaux à fondre & destinés au fer forgé, on lui voit quelquefois surnager de petites masses ou morceaux d'acier qui ne vont point dans les angles, & qui ne se précipitent point au fond, mais qui tiennent le milieu du bain. Leur superficie extérieure est inégale & informe; celle qui est enfoncée dans la matiere fluide est ronde: c'est du véritable acier qui ne se mêlera avec le reste que par la violence du vent. Ces masses donnent depuis six jusqu'à dix & quinze livres d'acier. Les ouvriers Suédois qui ont soin de recueillir cet acier qu'ils estiment, disent que le reste de la fonte n'y perd ni n'y gagne.
Dans la Dalecarlie on tire encore d'une mine marécageuse un fer, qu'on transforme de la maniere suivante en un acier qu'on emploie aux ouvrages qui n'ont pas besoin d'être retrempés: on tient ce fer au - dessus d'une flamme vive jusqu'à ce qu'il fonde & qu'il coule au fond du creuset: quand il est bien liquide, on redouble le feu; on retire ensuite les charbons, & on le laisse refroidir: on met cette matiere froide en morceaux; on prend les parties du centre, & l'on rejette celles qui sont à la circonférence: on les remet plusieurs fois au feu. On commence par un feu qui ne soit pas de fonte: quand cela arrive, on arrête le vent, & on donne le tems à la matiere fondue de s'épaissir. On jette dessus des scories; on la remet en fusion, & l'on en sépare l'acier. Toute cette manoeuvre mériteroit bien un plus long détail: mais outre qu'il nous manque, il allongeroit trop cet article. Si le fer de marais ne se fond pas, & qu'il reste gras & épais, on le retourne, & on l'expose au feu de l'autre face.
Dans le Dauphiné, près de d'Allévard & de la montagne de Vanche, il y a des mines de fer. Le fer crud qui en vient est porté dans un feu qu'on appelle l'affinerie. Le vent des soufflets donne sur la masse, qui se fond par ce moyen peu à peu. Le foyer du creuset est garni de lames de fer; il est très - profond. On laisse ici le bain tranquille jusqu'à ce que le creuset soit plein; alors on arrête le vent, & on débouche le trou; la fonte coule dans des moules où elle se met en petites masses. On enleve de la surface de ces masses, des scories qui cachent le fer. On porte le reste sous le marteau, & on le met en barres. On porte ces barres dans un feu voisin qu'on appelle chaufferie: là, on les pousse jusqu'au blanc. On les roule dans le sable pour tempérer la chaleur, & on les forge pour les durcir & convertir en acier. Mais il faut observer qu'entre ces deux opérations, après l'avoir poussé jusqu'au rouge blanc, on le trempe.
A Saltzbourg, on choisit les meilleures veines: ce sont les brunes & jaunes. On calcine; on fond; on met en masses, qui pesent jusqu'à quatre cens dans la premiere fonte. On tient la matiere en fusion pendant douze heures; on retire les crasses; on remue; on laisse figer; on met en morceaux; on plonge dans l'eau chaque morceau encore chaud: on le remet au feu; on l'y laisse pendant six heures qu'on pousse le feu avec la derniere violence: on ôte les scories; on refend & l'on trempe. Ces opérations réitérées donnent à l'acier une grande dureté: cependant on y revient une troisieme fois; on remet les morceaux au feu pendant six heures; on les forme en barres que l'on trempe. Ces barres plus épaisses que les premieres sont remises en morceaux, & forgées en petites barres quarrées d'un demi - doigt d'équarrissage. A chaque fois qu'on les trempe, on a soin qu'elles soient chaudes jusqu'au blanc, & l'on met du sel marin dans l'eau pour rendre la fraîcheur plus vive. Cet acier est extrèmement estimé. On en fait des paquets qui pesent vingt - cinq livres. Cet acier s'appelle bisson.
De quatre cens pesant de fer crud, on tire environ deux cens livres & demie de bisson: le reste s'en va en scories, crasses & fumées. On y emploie moitié charbons mous, moitié charbons durs. On en consomme à recuire six sacs. Trois hommes peuvent faire quinze à seize cens de cet acier par semaine. L'acier qui porte le nom de Stirie, se fait en Carinthie suivant cette méthode.
Il y a dans la Carinthie, la Stirie & le Tirol, des forges de fer & d'acier. Leurs fourneaux sont construits comme en Saxe; la tuyere entre assez avant dans le creuset. Ils fondent quatre cens & demie à chaque fonte. On tient la matiere en fusion pendant trois ou quatre heures: pendant ce tems on ne cesse de l'agiter avec des ringards; & à chaque renouvellement de matiere, on jette dessus de la pierre à fusil calcinée & pulvérisée. On dit que cette poudre aide les scories à se détacher. Lorsque la matiere a été en fusion pendant quatre heures, on retire les scories: on en laisse cependant quelquesunes qu'on a reconnues pour une matiere ferrugineuse. On enleve cette matiere en lames; on la forge en barres, & l'on a du fer forgé. Quant au reste de la matiere en fusion, on le retire. On le porte sous le marteau, on le partage en quatre parties qu'on jette dans l'eau froide. On refond de nouveau comme auparavant: on réitere ces opérations trois ou quatre fois, selon la nature de la matiere. Quand on est assûré qu'elle est convertie en bon acier, on l'étend sous le marteau en barres de la longueur de trois piés. On la trempe à chaque barre dans une eau où l'on a fait dissoudre de l'argile; puis on en fait des tonneaux de deux cens & demi pesant. [p. 107]
De quatre cens & demi de fer, on retire un demi cent de fer pur, le reste est acier. Trois hommes font un millier par semaine.
On suit presque cette méthode de faire l'acier en Champagne, dans le Nivernois, la Franche - Comté, le Dauphiné, le Limosin, le Périgord, & même la Normandie.
Enfin à Fordinberg & autres lieux, dans le Roussillon & le pays de Foix, on fond la mine de fer dans un fourneau; on lui laisse prendre la forme d'un creuset ou d'un pain rond par - dessous, & plat dessus, qu'on appelle un masset. Cette masse tirée du feu se divise en cinq ou six parties qu'on remet au feu, & qu'on allonge ensuite en barres. Un côté de ces barres est quelquefois fer, & l'autre acier.
Il suit de tout ce qui précede, qu'il ne faut point supposer que les étrangers aient des méthodes de convertir le fer en acier dont ils fassent des secrets: que le seul moyen de faire d'excellent acier naturel, c'est d'avoir une mine que la nature ait formée pour cela, & que quant à la maniere d'obtenir de l'autre mine un acier artificiel, si celle de M. de Réaumur n'est pas la vraie, elle reste encore à trouver.
L'acier mis sur un petit feu de charbon, prend différentes couleurs. Une lame prend d'abord du blanc; 2°. un jaune léger comme un nuage; 3°. ce jaune augmente jusqu'à la couleur d'or; 4°. la couleur d'or disparoît, & le pourpre lui succede; 5°. le pourpre se cache comme dans un nuage, & se change en violet; 6°. le violet se change en un bleu élevé; 7°. le bleu se dissipe & s'éclaircit; 8°. les restes de toutes ces couleurs se dissipent, & font place à la couleur d'eau. On prétend que pour que ces couleurs soient bien sensibles, il faut que l'acier mis sur les charbons ait été bien poli, & graissé d'huile ou de suif.
Nos meilleurs aciers se tirent d'Allemagne & d'Angleterre. Celui d'Angleterre est le plus estimé, par sa finesse de grain & sa netteté: on lui trouve rarement des veines & des pailles. L'acier est pailleux quand il a été mal soudé; les pailles paroissent en écailles à sa surface: les veines sont de simples traces longitudinales. L'acier d'Allemagne au contraire est veineux, pailleux, cendreux, & piqué de nuances pâles qu'on apperçoit quand il est émoulu & poli. Les cendrures sont de petites veines tortueuses: mais les piquûres sont de petits trous vuides que les particules d'acier laissent entr'elles quand leur tissu n'est pas assez compact.
Les pailles & les veines rendent l'ouvrage malpropre, & le tranchant des instrumens inégal, foible, mou. Les cendrures & les piquûres le mettent en scie.
Pour distinguer le bon acier du mauvais, prenez le morceau que vous destinez à l'ouvrage dans des tenailles, mettez - le dans un feu de terre ou de charbon, selon le pays; faites - le chauffer doucement, comme si vous vous proposiez de le souder: prenez garde de le surchauffer; il vaut mieux lui donner deux chaudes qu'une; l'acier surchauffé se pique, & le tranchant qu'on en fait est en scie, & par conséquent rude à la coupe; ne surchauffez donc pas. Quand votre acier sera suffisamment chaud, portez - le sur l'enclume; prenez - un marteau proportionné au morceau d'acier que vous éprouvez; un marteau trop gros écrasera, & empêchera de souder: trop petit, il ne fera souder qu'à la surface, & laissera le coeur intact; le grain sera donc inégal: frappez doucement votre morceau d'acier, jusqu'à ce qu'il ait perdu la couleur de cerise; remettez - le au feu: faites - le rougir un peu plus que cerise; plongez - le dans l'eau fraîche; laissez - le réfroidir; émoulez - le & le polissez; essayez - le ensuite & le considérez: s'il a des pailles, des cendrures, des veines, des piquûres, vousles appercevrez. Il arrivera quelquefois
L'acier d'Allemagne vient en barils d'environ deux piés de haut, & du poids de cent cinquante livres. Il étoit autrefois très - bon: mais il a dégénéré.
L'étoffe de Pont vient en barres de différentes grosseurs: c'est le meilleur acier pour les gros instrumens, comme ciseaux, forces, serpes, haches, &c. pour aciérer les enclumes, les bigornes, &c.
L'acier de Hongrie est à peu près de la même qualité que l'étoffe de Pont, & on peut l'employer aux mêmes usages.
L'acier de rive se fait aux environs de Lyon, & n'est pas mauvais: mais il veut être choisi par un connoisseur, & n'est propre qu'à de gros tranchans; encore lui préfere - t - on l'étoffe de Pont, & l'on a raison. C'est cependant le seul qu'on emploie à Saint - Etienne & à Thiers.
L'acier de Nevers est très - inférieur à l'acier de rive: il n'est bon pour aucun tranchant: on n'en peut faire que des socs de charrue.
Mais le bon acier est propre à toutes sortes d'ouvrages entre les mains d'un ouvrier qui sait l'employer. On fait tout ce qu'on veut avec l'acier d'Angleterre. Il est étonnant qu'en France, ajoûte l'Artiste de qui je tiens les jugemens qui précedent sur la qualité des aciers, (c'est M. Foucou, ci - devant Coutelier) on ne soit pas encore parvenu à faire de bon acier, quoique ce Royaume soit le plus riche en fer, & en habiles ouvriers. J'ai bien de la peine à croire que ce ne soit pas plûtôt défaut d'intelligence dans ceux qui condu>ent ces manufactures, que défaut dans les matieres & mines qu'ilsont à travailler. Il sort du Royaume près de trois millions par an pour l'acier qui y entre. Cet objet est assez considérable pour qu'on y fît plus d'attention, qu'on éprouvât nos fers avec plus de soin, & qu'on tâchât enfin d'en obtenir, ou de l'acier naturel, ou de l'acier artificiel, qui nous dispensât de nous en fournir auprès de l'étranger. Mais pour réussir dans cet examen, des Chimistes, sur - tout en petit, des contemplatifs systématiques ne suffisent pas: il faut des ouvriers, & des gens pourvùs d'un grand nombre de connoissances expérimentales sur les mines avant que de les mettre en fer, & sur l'emploi du fer au sortir des forges. Il faut des hommes de forges intelligens qui aient opéré, mais qui n'aient pas opéré comme des automates, & qui aient eu pendant vingt à trente ans le marteau à la main. Mais on ne fait pas assez de cas de ces hommes pour les employer: cependant ils sont rares, & ce sont peut - être les seuls dont on puisse attendre quelque découverte solide.
Outre les aciers dont nous avons fait mention, il y a encore les aciers de Piémont, de Clamecy, l'acier de Carme, qui vient de Kernant en Allemagne; on l'appelle aussi acier à la double marque; il est assez bon. L'acier à la rose, ainsi nommé d'une tache qu'on voit au coeur quand on le casse. L'acier de grain de Motte, de Mondragon, qui vient d'Espagne; il est en masses ou pains plats de dix - huit pouces de diametre, sur deux, trois, quatre, cinq d'épaisseur. Il ne faut pas oublier l'acier de Damas, si vanté par les sabres qu'on en faisoit: mais il est inutile de s'étendre sur ces aciers, dont l'usage est moins ordinaire ici.
On a trouvé depuis quelques années une maniere
particuliere d'aimanter l'acier. Voyez là - dessus l'article
Nous finirons cet article acier par le problème proposé aux Physiciens & aux Chimistes sur quelques effets qui naissent de la propriété qu'a l'acier de produire des étincelles, en le frappant contre un caillou, & résolu par M. de Reaumur. On s'étoit apperçû au microscope que les étincelles qui sortent de ce choc sont autant de petits globes sphériques. Cette observation a donné lieu à M. Kemp de Kerrwik de demander, 1°. laquelle des deux substances, ou du caillou, ou de l'acier, est employée à la production des petits globes; 2°. de quelle maniere cela se fait ou doit faire; 3°. pourquoi, si l'on emploie le fer au lieu d'acier, n'y a - t - il presque plus d'étincelles scorifiées.
M. de Reaumur commence la solution de ces questions par quelques maximes si sages, que nous ne pouvons mieux faire que de les rapporter ici. Ces questions ayant été inutilement proposées à la Société Royale de Londres plus d'un an avant que de parvenir à M. de Reaumur, il dit qu'on auroit souvent tort d'en croire des questions plus difficiles, parce que de très - habiles gens à qui on les a proposées n'en ont pas donné la solution; qu'il faudroit être bien sûr auparavant qu'ils l'ont cherchée, & que quelqu'un qui est parvenu à se faire connoître par son travail, n'auroit qu'à renoncer à tout ouvrage suivi, s'il avoit la facilité de se livrer à tous les éclaircissemens qui lui seroient demandés.
M. de Reaumur laisse à d'autres à expliquer comment le choc de l'acier contre le caillou produit des étincelles brillantes, & il répond aux autres questions que le fer & l'acier sont pénétrés d'une matiere inflammable à laquelle ils doivent leur ductilité; matiere qu'ils n'ont pas plûtôt perdue, qu'ils deviennent friables, & qu'ils sont réduits en scories; qu'il ne faut qu'un instant pour allumer la matiere inflammable des grains de fer & d'acier très - petits, peut - être moins, ou aussi peu de tems que pour allumer des grains de sciûres de bois; que si la matiere inflammable d'un petit grain d'acier est allumée subitement, si elle est toute allumée presqu'à la fois, cela suffit pour mettre le grain en fusion; que les petits grains d'acier détachés par le caillou sont aussi embrasés soudainement; que le caillou lui - même aide peut - être par la matiere sulphureuse qu'il fournit dans l'instant du choc à celle qui est propre au grain d'acier; que ce grain d'acier rendu liquide s'arrondit pendant sa chûte; qu'il devient une boule, mais creuse, friable, spongieuse, parce que sa matiere huileuse & inflammable a été brûlée & brûle avec éruption; que ce tems suffit pour brûler celle d'un grain qui est dans l'air libre: enfin que l'acier plus dur que le fer, imbibé d'une plus grande quantité de matiere inflammable & mieux distribué, doit donner plus d'étincelles. On peut voir dans le Mémoire même de M. de Reaumur, Recueil de l'Académie des Sciences, annêe 1736. les preuves des suppositions sur lesquelles la solution que nous venons de rapporter est appuyée: ces preuves y sont exposées avec toute la clarté, l'ordre, & l'étendue qu'elles méritent, depuis la page 391 jusqu'à 403.
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.