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AGNUS SCYTHICUS (Page 1:179)
AGNUS SCYTHICUS. (Hist. nat. bot.) Kircher
est le premier qui ait parlé de cette plante. Je vais
d'abord rapporter ce qu'a dit Scaliger pour faire
connoître ce que c'est que l'agnus scythicus, puis
Kempfer & le savant Hans Sloane nous apprendront
ce qu'il en faut penser.
Voilà l'histoire de l'agnus scythicus, ou de la plante merveilleuse de Scaliger, de Kircher, de Sigismond, d'Hesberetein, d'Hayton Arménien, de Surius, du Chancelier Bacon, (du Chancelier Bacon, notez bien ce témoignage) de Fortunius Licetus, d'André Lebarrus, d'Eusebe de Nuremberg, d'Adam Olearius, d'Olaus Vormius, & d'une infinité d'autres Batanistes.
Seroit - il bien possible qu'après tant d'autorités qui attestent l'existence de l'agneau de Scythie, après le détail de Scaliger, à qui il ne restoit plus qu'à savoir comment les piés se formoient, l'agneau de Scythie fût une fable? Que croire en Histoire naturelle, si cela est?
Kempfer, qui n'étoit pas moins versé dans l'Histoire naturelle que dans la Medecine, s'est donné
tous les soins possibles pour trouver cet agneau dans
la Tartarie, sans avoir pû y réussir.
M. Hans - Sloane dit que l'agnus scythicus est une racine longue de plus d'un pié, qui a des tubérosités, des extrémités desquelles sortent quelques tiges longues d'environ trois à quatre pouces, & assez semblables à celles de la fougere, & qu'une grande partie de sa surface est couverte d'un duvet noir jaunatre, aussi luisant que la soie, long d'un quart de pouce, & qu'on emploie pour le crachement de sang. Il ajoûte qu'on trouve à la Jamaïque plusieurs plantes de fougere qui deviennent aussi grosses qu'un arbre, & qui sont couvertes d'une espece de duvet pareil à celui qu'on remarque sur nos plantes capillaires; & qu'au reste il semble qu'on ait employé l'art pour leur donner la figure d'un agneau, car les raci<pb-> [p. 180]
Voilà donc tout le merveilleux de l'agneau de Scythie réduit à rien, ou du moins à fort peu de chose, à une racine vel>e à laquelle on donne la figure, ou à peu près, d'un agneau >n la contournant.
Ce> article nous fournira des réflexions plus utiles contre la superstition & le préjugé, que le duvet de l'agneau de Scythie contre le crachement de sang. Kircher, & après Kircher, Jules César Scaliger, écrivent une fable merveilleuse; & ils l'écrivent avec ce ton de gravité & de persuasion qui ne manque jamais d'en imposer. Ce sont des gens dont les lumieres & la probité ne sont pas suspectes: tout dépose en leur faveur: ils sont crus; & par qui? par les premiers génies de leur tems; & voilà tout d'un coup une nuée de témoignages plus puissans que le leur qui le fortifient, & qui forment pour ceux qui viendront un poids d'autorité auquel ils n'auront ni la force ni le courage de résister, & l'agneau de Scythie passera pour un être réel.
Il faut distinguer les faits en deux classes; en faits simples & ordinaires, & en faits extraordinaires & prodigieux. Les témoignages de quelques personnes instruites & véridiques, suffisent pour les faits simples; les autres demandent, pour l'homme qui pens>, des autorités plus fortes. Il faut en général que les autorités soient en raison inverse de la vraissemblance des faits; c'est - à - dire, d'autant plus nombreuses & plus grandes, que la vraissemblance est moindre.
Il faut subdiviser les faits, tant simples qu'extraordinaires, en transitoires & permanens. Les transitoires, ce sont ceux qui n'ont existé que l'instant de leur durée; les permanens, ce sont ceux qui existent toûjours, & dont on peut s'assûrer en tout tems. On voit que ces derniers sont moins difficiles à croire que les premiers, & que la facilité que chacun a de s'assûrer de la vérité ou de la fausseté des témoignages, doit rendre les témoins circonspects, & disposer les autres hommes à les croire.
Il faut distribuer les faits transitoires en faits qui se sont passés dans un siecle éclairé, & en faits qui se sont passés dans des tems de ténebres & d'ignorance; & les faits permanens, en faits permanens dans un lieu accessible ou dans un lieu inaccessible.
Il faut considérer les témoigages en eux - mêmes, puis les comparer entr'eux: les considérer en eux - mêmes, pour voir s'ils n'impliquent aucune contradiction, & s'ils sont de gens éclairés & instruits: les comparer entr'eux, pour découvrir s'ils ne sont point calqués les uns sur les autres, & si toute cette foule d'autorités de Kirker, de Scaliger, de Bacon, de Libarius, de Licetus, d'Eusebe, &c. ne se réduiroit pas par hazard à rien, ou à l'autorité d'un seul homme.
Il faut considérer si les témoins sont oculaires ou non; ce qu'ils ont risqué pour se faire croire; quelle crainte ou quelles espérances ils avoient en annonçant aux autres des faits dont ils se disoient témoins oculaires! S'ils avoient exposé leur vie pour soûtenir leur déposition, il faut convenir qu'elle acquéreroit une grande force; que seroit - ce donc s'ils l'avoient sacrifiée & perdue?
Il ne faut pas non plus confondre les faits qui se sont passés à la face de tout un peuple, avec ceux qui n'ont eu pour spectateurs qu'un petit nombre de personnes. Les faits clandestins, pour peu qu'ils soient merveilleux, ne méritent presque pas d'être crus: les faits publics, contre lesquels on n'a point reclamédans le tems, ou contre lesquels il n'y a eu de reclamation que de la part de gens peu nombreux & mal intentionnés ou mal instruits, ne peuvent presque pas être contredits.
Voilà une partie des principes d'après lesquels on accordera ou l'on refusera sa croyance, si l'on ne
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