ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"428"> livres de Chimie des Egyptiens, parce qu'ils tiroient de cet art des moyens de se révolter, est de l'invention de quelque chimiste du tems, jaloux de l'origine de son art, qu'il ne pouvoit reculer au - delà du regne de cet empereur, sans quelque supposition telle que celle qu'on nous objecte. Rien ne nous empêche donc de prononcer que les antiquités chimiques sont pleines d'obscurités & de conjectures jusqu'au commencement du quatrieme siecle; qu'elles n'offrent aucun monument important, & que le nom de l'art ne se trouve dans aucun auteur.

Julius Maternus Firmicus, qui écrivoit au commencement du quatrieme siecle, est le premier qui ait fait mention expresse de la Chimie; il en parle comme d'une chose connue, lib. III. de sa Mathémat. (Matheseos) encore Boerhaave doute - t - il de l'intégrité du texte dans cet endroit.

Sur la fin du même siecle, Æneas Gazeus s'exprime clairement, & sur l'existence de l'art, & sur l'objet qu'il avoit alors, savoir la transmutation des métaux; etiam apud nos, dit - il, qui materi peritiam habent, argentum & stannum capiunt, ac priore specie abolitâ, in augustius & pretiosius convertunt, aurumque pulcherrimum conficiunt. Il ne s'agit pas ici du fait, qui peut être faux, mais du témoignage qui est vrai.

Il y a dans plusieurs bibliotheques de l'Europe un corps d'ouvrages chimiques publiés sous les noms de Platon, d'Aristote, de Mercure, de Jean Pontife, de Démocrite, de Zozime, d'Olimpiodore le Grand, d'Etienne le Philosophe, de Sophar Perse, de Synesius, de Dioscorus prêtre du grand Serapis à Alexandrie, d'Hostanés appellé l'Egyptien, quoique son nom soit Perse, de Comarius Egyptien, de Marie, de Cléopatre, de Porphire, de Pebechius, de Pelage, d'Agathodemon, de l'empereur Héraclius, de Théophraste, d'Archelaüs, de Petasius, de Claudien, de Panserus, de Sergius, de Memnon le Philosophe, &c. Il est écrit en note à la fin de cette liste, dans le manuscrit de la bibliotheque du Roi: Voilà les maîtres fameux cuméniques, & les nouveaux interpretes de Platon & d'Aristote. Pour les pays dans lesquels on vient à bout de perfectionner cet oeuvre divin, ce sont l'Egypte, la Thrace, l'île de Chypre, Alexandrie, & le temple de Memphis. Au reste, ce manuscrit de la bibliotheque royale est d'une main assez moderne.

Les bibliographes chimistes comptent encore entre les auteurs oecuméniques un Heliodore, un Anepigraphus, un Michel Psellus, un Nicephore Blemmidas, dont la plûpart sont du xj. siecle, comme Psellus, & quelques même plus modernes. Mais ils mettent à leur tête Moyse & Alexandre le Grand, dont ils ont des ouvrages. Il est vrai qu'on les regarde généralement comme des productions modernes attribuées par des auteurs inconnus aux hommes les plus illustres de l'antiquité, tels que Démocrite, Aristote & Platon; Borrichius lui - même les abandonne, comme des ressources de la charlatannerie des astrologues, des auteurs de magie, des alchimistes, pour donner du lustre & de l'antiquité à leurs rêveries. Le sentiment des littérateurs les plus sages, est que ces écrits ont été fabriqués en différens tems à Alexandrie & à Constantinople, par des moines & autres savans, rassemblés ensuite en un corps & portés en Italie, d'où ils ont passé en France, par les savans qui se répandirent dans l'Europe depuis le commencement du xv. siecle jusqu'à la prise de Constantinople.

Ceux qu'on peut soupçonner d'avoir réellement écrit les ouvrages qui portent leur nom, tels que Synesius, Heliodore, auteur du roman de Theagene, & Chariclée, où l'on trouve une description du grand oeuvre, & quelques autres, sont au moins postérieurs au regne de Constantin le Grand, & la plûpart plus voisins encore de nos tems. Au reste, c'est de l'alchimie pure qu'on trouve dans ces auteurs, à prendre le mot même d'alchimie dans sa plus mauvaise signification. N'ayons donc aucun regret à ce qu'ils soient inconnus & enterrés manuscrits dans les bibliotheques; le petit nombre de ces écrits inintelligibles même pour les philosophes, qu'on a traduits (mal traduits) & imprimés, n'ont servi de rien, & il n'en a été fait mention que ad pompam & pour le relief de l'érudition, témoins Boerhaave & Agricola. Le premier s'écrie du second, qui ne sera frappé d'étonnement, quis temperet ab admiratione, que cet auteur qui a écrit son admirable ouvrage de re metallica, il y a plus de deux cents ans, ait eu connoissance de tous ces écrivains? Boerhaave exalte là très - maladroitement l'érudition d'Agricola. Agricola n'avoit jamais vû que la liste de leurs noms, non plus que Boerhaave lui - même; car plusieurs de ces auteurs ont écrit en vers, & Agricola dit qu'ils sont tous en prose.

Il importoit de réduire ici l'autorité de Boerhaave & d'Agricola à leur juste valeur; ne fût - ce que pcur empêcher que sur ces grands noms, quelque littérateur, chimiste ou non, n'en entreprît une traduction avec note & commentaire, projet qu'eut autrefois un Leon Allatius, qui heureusement étoit trop vieux pour l'exécuter, mais dont l'inexécution n'en a pas été moins déplorée par plusieurs philosophes modernes.

Voilà ce que nous avions à dire sur l'état ancien de la Chimie; ceux qui trouveront que nous nous sommes trop étendus, & que nous nous sommes livrés avec excès à cette curiosité, dont nous avons fait l'éloge en commençant cette histoire, peuvent aisément nous abreger, en ne lisant de tout ce qui précede que ce qui leur conviendra: s'il y en a au contraire qui pensent malheureusement pour eux que nous avons été trop courts, ils peuvent voir la bibliotheque Grecque de Jean Albert Fabricius, les ouvrages de Conringius, & celui de Borrichius, que nous avons déjà tant cités, le conspectus scriptorum Chimi celebriorum du dernier, & sa dissertation contre Conringius. Ce qui concerne les premiers Chimistes y est très - doctement & très - prolixement discuté. Au reste l'ennemi le plus déclaré des antiquités chimiques, Conringius, convient malgré qu'il en ait, que cet art a existé avant le quatrieme siecle; que plusieurs ouvrages qui en ont été écrits peuvent se rapporter au moins au cinquieme; & qu'il fut ensuite cultivé par les Grecs pendant quelques siecles, jusqu'à ce que les lettres & les arts cesserent chez eux par la prise de Constantinople, l'an 1452 ou 52. Et nous ajoûterons à cela que tout ce qu'il y a à savoir sur ces auteurs Grecs, c'est qu'ils ont existé, & que la Chimie a été cultivée à Constantinople & dans les provinces de l'empire, jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs, qui nous fit hériter, nous autres occidentaux, des sciences & des lettres auparavant plus florissantes dans ce pays que chez nous: d'ailleurs on n'y trouve rien qui ait pû servir à l'établissement de la Chimie dogmatique, raisonnée, ni même à l'art pratique. Ce ne sont pour nous que des artistes occupés d'un objet particulier (de la transmutation des métaux), dont nous ignorons & la maniere de procéder, & les instrumens.

C'est cependant chez eux que s'est instruit Geber, dit Arabe ou Maure, apparemment parce qu'il a écrit en Arabe, mais que les critiques les plus éclairés prétendent Grec ou Persan, & dont quelques auteurs ont fait un roi. Il étoit né Chrétien, & il se fit ensuite Mahométan, selon Léon Africain. C'est ce Geber qui a porté dans le viij. fiecle la Chimie chez les Arabes, dans le tems que ceux - ci adopterent les lettres avec le Mahométisme, un siecle après Maho<pb-> [p. 429] met. Geber est proprement le pere de la Chimie écrite, le premier auteur, ou plûtôt le premier collecteur (car tous ces premiers auteurs ne sont que collecteurs) des dogmes chimiques, le premier qui ait rédigé en corps de doctrine ce qu'on savoit avant lui: il ne se donne lui - même que pour un rédacteur; & le proëmium de son summa perfectionis, &c. commence ainsi: Totam nostram scientiam quam ex dictis antiquorum abbreviavimus compilatione diversâ in nostris voluminibus, &c.

Mais il a tout le frappant de ces inventeurs - collecteurs. La fin alchimique à laquelle il dirige toutes ses opérations peut être chimérique, ou pour le moins ne peut pas être remplie par la plus grande partie de ses lecteurs, les moyens derniers ou prochains n'étant point révélés; mais il n'en est pas moins positif sur les opérations fondamentales, qu'il décrit avec une exactitude admirable, & dans un ordre méthodique, & qu'il accompagne de considérations très - raisonnées sur les effets particuliers des diverses opérations, & sur leurs usages immédiats; ensorte que relativement à la Chimie - pratique, & même à une suite de connoissances liées & ordonnées dans un rapport scientifique sur les minéraux, les plus illustres Chimistes qui l'ont suivi jusqu'aux Hollandus & à Basile Valentin, n'ont fait aucun progrès considérable, si ce n'est la découverte des acides minéraux, qu'évidemment Geber ne connoissoit pas. C'est donc à Geber que commence pour nous la Chimie philosophique ou raisonnée. Ce que nous avons de lui passe pour n'être qu'une médiocre partie de ses ouvrages.

Les Arabes ont continué de cultiver la Chimie après Geber. On trouve des traces des connoissances chimiques de cette nation, dans des écrits traduits en Latin & imprimés, de leurs medecins, de Rhases, d'Avicenne, de Bulchasim, de Mesué, de Rabby Moyse, d'Averroës, d'Hali Abbas, d'Alsaravius. Les ouvrages non - imprimés de plusieurs auteurs qui ont écrit expressement sur la Chimie, & dont Robert Duval donne une liste, sont à - peu - près du même tems. Mais nous observerons sur tout ces auteurs ce que nous avons déjà observé sur les chimistes Grecs, que le fait historique, la connoissance stérile de leur existence, est la seule chose quenous puissions en employer ici; leurs ouvrages n'ont point contribué aux progrès de l'art en soi; ensorte que de Geber, jusqu'aux Chimistes Européens dont nous allons parler, nous ne trouvons rien pour la science, pas même des copistes de Geber. Il est bon de savoir que c'est de la Chimie pharmaceutique qu'il est toûjours question dans les écrits des auteurs Arabes traduits que nous venons de nommer. Nous n'avons point le livre qu'Avicenne avoit écrit sur l'Alchimie (qui de ce tems - là étoit la même chose que la Chimie), selon Sorsanus son disciple, qui a écrit sa vie, & dont Albert le Grand a fait mention. Celui qui est imprimé sous le nom de ce célebre Medecin Arabe dans la bibliotheque chimique de Menget, a été regardé par les bons critiques comme supposé. Au reste ce sont évidemment les Medecins Arabes qui les premiers ont appliqué les préparations chimiques aux usages de la Medecine, ou qui sont auteurs de la Chimie pharmaceutique. Voy. Pharmacie. Nous ne parlerons plus que de la Chimie philosophique, fondamentale, générale, nous réservant de traiter ses différentes branches dans des articles particuliers; & c'est pour suivre cet ordre que nous omettons ici quelques auteurs purement Alchimistes de la même nation, tels que Calid, Morien dit le Romain, &c. Voyez Philosophie hermétique.

Vers le commencement du xiij. siecle, la Chimie pénetra enfin en Europe, soit que le commerce que les croisades avoient occasionné entre les Orientaux & les Européens eût transmis à ceux - ci les connoissances des premiers, ou que la traduction que l'empereur Frédéric II. fit faire dans ce tems - là, de plusieurs livres Arabes en Latin, les eût mis à portée de puiser dans ces livres. Bientôt le petit nombre de savans qui existoient alors la reçurent avidement, comme chose nouvelle, & qui en promettoit de grandes, les richesses & la santé. Albert le Grand, & Roger Bacon, tous deux moines, le premier dominicain, & le second cordelier, sont les plus distingués de ses premiers sectateurs.

Ces deux hommes appartiennent à toutes les sciences, & sur - tout Roger Bacon. Ils vivoient dans des tems où l'ignorance la plus profonde regnoit autour d'eux; ils possédoieut cependant une universalité de connoissances si peu commune dans notre siecle éclairé, qu'ils passeroient encore aujourd'hui pour des prodiges. On diroit au premier coup d'oeil, à voir la hauteur surprenante à laquelle ils s'étoient élevés au - dessus de leurs contemporains, ou qu'ils étoient d'une autre organisation qu'eux, ou qu'ils avoient eû d'autres moyens & d'autres occasions de s'instruire; mais la vraie raison de cette différence, c'est que c'étoient deux hommes de génie, dont la lumiere plus forte que les ténebres environnantes, s'échappoit en tout sens, par l'impossibilité de demeurer étouffée; mais elle n'en étoit que plus offensante pour les autres hommes, dont elle alloit frapper & blesser les yeux dans l'obscurité. Le propre du génie est de marcher par écarts; ils en firent de tous côtés; ils s'élancerent dans presque toutes les régions de la connoissance humaine, & la Chimie fut un des principaux théatres de leurs excursions. Ils n'eurent garde d'affecter pour cet art cette espece de mépris si peu philosophique que nous avons reproché au commencement de cet article à quelques philosophes; mépris, que n'eut pas non plus (pour l'observer en passant, à propos de la conformité de nom, de patrie, & d'universalité) le célebre chancelier Bacon, qui, s'il ne fut pas un chimiste comme Roger, peut passer pour un amateur distingué, & dont nous ne voulons pas manquer de nous honorer.

Albert parle en physicien instruit par des moyens chimiques, de la connoissance des substances métalliques, dans ses livres sur les minéraux, & en homme qui connoissoit les Alchimistes, leurs opérations, & leurs livres, & qui pensoit qu'on pouvoit en tirer des connoissances utiles à la Physique des minéraux. On lui a attribué un livre sur l'Alchimie qui est imprimé dans le second volume du théatre chimique, mais ce livre n'est pas plus de lui que les secrets du petit Albert.

Roger Bacon naquit en 1214; il se fit cordelier, les uns disent en Angleterre, d'autres à Paris. Il mit Aristote à l'écart pour étudier la nature par la voie de l'expérience. C'est une observation presque générale dans tous les tems, que ceux qui ont eu le courage de s'affranchir de la servitude des méthodes, des opinions, des moyens adoptés, se sont particulierement distingués par leurs progrès. Il s'appliqua à la Philosophie, lors même qu'elle étoit proscrite comme une science dangereuse. Celle d'Aristote commençoit à serépandre par les versions de Michel Scot, de Gerard de Crémone, d'Alured Anglicus, d'Hermand Alemannus, de Guillaume Flemingus, mais avec toutes les erreurs de ces mauvailes traductions, erreurs par lesquelles Bacon ne passa point. Il méprisoit ces traducteurs autant qu'il estimoit l'original, qu'il regardoit comme la base de la science. Il distinguoit dès - lors le faux péripatéticisme qui a duré si long - tems, de la vraie doctrine d'Aristote. Pour voir combien il s'étoit élevé au - dessus de son

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