ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"426"> de réformateurs, d'inventeurs, de législateurs, &c. prirent tous son nom, & se firent appeller Hermès trois fois grand, erismegiste; & que Zoroastre, Osiris, & d'autres, furent tentés de ce titre.

Les Chimistes se sont généreusement départis de ce premier Hermès, placé avant le déluge par ceux qui le métamorphosent en Enoch; & après le déluge, par Sanchoniathon & quelques autres. L'auteur de l'asclepius qu'on attribue à un Mercure postérieur à cet Hermès, reconnoît lui - même qu'il a eû un ayeul plus grand que lui, consilii pater, omniumque dux; c'est cet ayeul, ce premier Hermès dont il n'étoit pas permis de prononcer le nom sacré, quem nefas erat nominare. Le vrai trismégiste des Chimistes n'est point cet ineffable; ils se sont rabattus sur un des seconds Mercures, & ils ont eu beau champ à le rendre Phénicien avec Sanchoniahton, Philon, Eusebe, & M. de Fourmont; Egyptien avec Diodore de Sicile, Strabon, Kircher, Borrichius, &c. Grec avec Cicéron, dont il sera le cinquieme ou celui qui tua Argus, avec tous les Mythologistes Grecs, & la plûpart des Mythologistes modernes qui en ont bien plus discouru que d'aucun autre, quoique grace à l'habitude qu'avoient les Grecs de voler à leurs voisins leurs héros, il soit le moins réel de tous; & enfin Latin avec la chronique d'Alexandrie: dans ce dernier cas, il s'appellera Janus. Ils ne se sont pas trouvé moins à leur aise sur les qualités dont il pouvoit leur convenir de le décorer: il n'a tenu qu'à eux d'en faire un roi d'Egypte; puis un dieu du même pays, un ministre, un conseiller intime ou sacré d'Osiris; Osiris même, un pedagogue d'Isis, un Siphoas prince postérieur; Chanaan très - antérieur; Zoroastre que Kircher prend pour Cham, & Borrichius pour Misraïm, le même que le second Vulcain, le Vulcain Egyptien d'après le déluge; Eliézer intendant d'Abraham, avec M. de Fourmont (car le Chronos ou Saturne de Sanchoniathon étant évidemment Abraham selon M. de Fourmont, il est clair que le second Mercure ou le Mercure de ce Sanchoniathon, est Eliézer (un Melchisedech roi de Salem, de la famille de Chanaan; Jethro beau - pere de Moyse: Moyse même; quoique Conringius dise qu'on ne fait si ce Mercure fut un homme ou un diable, ce qui met en fureur Borrichius. Quelle source de dissertations! il y a là de quoi occuper la vie de dix mille littérateurs, & dequoi fournir un ample sujet à l'exclamation philosophique: O curas hominum! &c. Mais les rêveries du philosophe seront - elles plus essentielles aux yeux du littérateur? hélas, non! Invicem prabemus crura sagutis; & nous prétons le flanc de bonne grace: persuadés que s'il peut y avoir quelque frivolité dans nos occupations, elles n'en seront pas moins philosophiques pour cela, pourvû que nous sachions les estimer nous - mêmes leur juste valeur. D'ailleurs la minutie de l'objet n'ôte rien à la sagacité de celui qui s'en occupe. Celui qui satisfait à une question très - obscure & très superflue, a montré une force de génie qui est un bien absolu; & cette considération doit passer sans doute avant celle de notre petit intérêt, dans le jugement que nous portons sur le mérite des hommes.

Mais il est toûjours fort plaisant de voir nos chimistes antiquaires s'abîmer dans des discussions, & chercher parmi tous ces vrais ou faux Hermès un inventeur à la Chimie; tandis que de tous les anciens écrivains, à l'exception de l'auteur de la chronique d'Alexandrie, qui attribue à son Mercure l'honneur d'avoir découvert l'or & d'avoir sû le travailler, il n'y en a pas un qui ait parlé de son Hermès comme d'un chimiste. Sanchoniathon n'en dit pas un mot. Diodore de Sicile, qui s'est fort étendu sur les connoissances d'Hermès, ne parle point de Chimie. Rien ne seroit donc plus gratuit que l'honneur que nous lui ferions de l'agréer pour premier patron. Il n'y a point de science à laquelle il n'ait beaucoup plus de droit de donner son nom. C'est à propos de rien que notre art s'est appellé l'art hermétique. Pour trouver des titres au second Hermès, Borrichius employe le secret avec lequel il en cherchoit au premier. Rencontre - t - il quelque part qu'Hermès a inventé les Arts & les Sciences, & qu'il a procuré aux hommes des connoissances utiles; & par conséquent la Chimie, ajoûte - t - il: puis il se met à quereller d'avance tous ceux qui pourroient avoir du doute sur la solidité de cette conséquence. Cependant n'en déplaise à Borrichius, la vérité est que ce Mercure, quel qu'il soit, ne nous appartient pas plus qu'à aucune autre science, & que nous l'abandonnons à quiconque en sera tenté. La table d'émeraude, l'asclepius, le pamander en quatorze chapitres, qui sont autant d'ouvrages différens; le Minerva mundi, l'Iatromathematica, les sept chapitres de lapidis philosophici ou physici secreto, imprimé dans le theatrum Chimicum, ont beau porter son nom, on convient assez généralement aujourd'hui qu'ils ont été forgés les uns plûtôt, les autres plûtard, & qu'aucun de ces livres n'est antérieur aux premiers siecles du Christianisme. Ceux qui font mention de la Chimie sous le nom de OIHTIXH, sont même les moins anciens. Voyez là - dessus les chap. jv. v. vj. de la savante dissertation de Conringius sur la Medecine hermétique ancienne & moderne. Cet auteur en a très - bien démontré la supposition, le caractere, & les dates: rien n'est plus vraissemblable que les conjectures par lesquelles il prouve que l'un a été écrit par un Platonicien, l'autre par un Chrétien, celui - là par un Semi - chrétien, celui - ci par un Semi - platonicien. Au reste qu'on s'en rapporte à l'incrédule Conringius, ou au crédule Borrichius, il n'y a rien à tirer de ces ouvrages ni pour la Physique, ni pour la Chimie. Quant aux 36525 livres, qui sont attribués à Hermès par Jamblique, qu'Ursinus littérateur Allemand & homme qui croit peu aux savans très - anciens, traite peu poliment de menteur impudent, soit qu'on prenne ces livres pour des versets ou pour des aphorismes, comme l'explique Bochart, il n'en est rien parvenu jusqu'à nous que le renom dans quelques auteurs assez anciens, & sur - tout dans Clément d'Alexandrie qui en donne les titres, & qui les réduit à quarante deux; ce qui n'empêche pas Conringius d'en avoir toute aussi mauvaise opinion que de ceux qui nous restent. Mais nous savons, pour la consolation des chimistes, qu'aucun ne traitoit des choses chimiques, à moins qu'on ne prétende que des six livres sur la Medecine, le quatrieme où il étoit parlé des remedes, ne contînt des procédés chimiques.

Le Minerva mundi que Conringius trouve, quoique supposé, frugis agiptiac veteris sanè plenus, attribue l'invention de la Chimie à Asclepius fils d'Imuth; & c'est apparemment en vénération de la profonde science de cette Imuth inconnue, & en reconnoissance des grands avantages dont la Chimie a gratifié le genre humain, que Zozime le Grand, a décoré son livre sur la Chimie du nom d'Imuth.

C'est dans le Minerva mundi, que la Chimie est appellée POIHTIXH; ce qui peut avoir donné lieu aux anciens Chimistes, aux premiers philosophes ou Adeptes, de s'appeller *KAT'ECO/XHR POIHTAI, ouvriers par excellence; & de donner à leur art, ainsi que le savantissime Thomas Reinesius nous l'assûre, variarum lect. l. II. c. v. le nom de POIHSIS2, que Kircher a traduit littéralement par poésie; mais nous ne tenons pas tellement à cette qualité, que nous ne puissions la céder aux poëtes sans coup férir. Si la Chimie perd le nom d'art par excellence, elle trouvera de quoi s'en dédommager dans un autre qui lui a été donné dès les commencemens, & qu'elle mérite bien de [p. 427] conserver, celui d'IE=RAS2 XAI\ MEGALHS2 TEXNHS2, d'art grand & sacré.

Les prétendus vestiges de Chimie, apperçus dans les ouvrages de Moyse & de quelques philosophes & poëtes Grecs qui avoient voyagé en Egypte, ou qui avoient du moins vécu avec des voyageurs revenus de ce pays, sont tels que pour y voir notre art, il faut y être bien résolu avant que de les ouvrir. Ce fait de la calcination du veau d'or, par Moyse, qui a donné lieu à une dissertation de Stahl, où la partie critique n'a servi que de prétexte à la partie physique, ne prouve nullement que Moyse fût chimiste; une simple connoissance ou secret d'ouvrier suffisoit pour l'exécuter. Cependant Borrichius apperçoit des traces très - évidentes de Chimie dans Orphée, Homere, Hésiode, Pindare, Sapho, Hippocrate, & Platon, Celui - ci, dit - il, n'a pas ignoré le grand principe de l'art, concors concordi adharet, discordia rebellant. Il trouve dans cette sentence du Banquet le fondement solide de toute la doctrine chimique, & la théorie de toutes ses opérations; O(\MOION O(MOIA A)EI PELAZEI, les semblables s'approchent toûjours des semblables; la base de l'art se trouve encore, selon lui, dans cette autre sentence apportée par Démocrite d'Egypte, où elle étoit gravée dans le sanctuaire de Memphis, H( FU/SIS2 TH= FU/SEI TE(RETAI, la nature aime la nature; H FU/SIS2 TH\I FU/SIN NIXA, la nature surmonte la nature; H FU/SIS2 THN FU/SIN XRATEI, la nature commande à la nature. Il jureroit sur la foi de Michel Psellus, que Démocrite d'Abdere fut initié aux mysteres Egyptiens avec les autres prêtres, par le grand Osthanes, & que les ouvrages qu'il composa sur la teinture du soleil & de la lune, sur les pierres précieuses & sur la pourpre, ont été le fruit de cette initiation. Diogene Laerce, qui nous a laissé une liste qui paroît exacte des ouvrages de Démocrite, ne dit pas un mot des précédens; mais n'importe, Borrichius a pour lui Diodore de Sicile, & Psellus. On croit, dit Diodore de Sicile, que pendant les cinq ans que Démocrite passa en Egypte, il y prefita beaucoup dans l'Astrologie. Hic ne allucinemur, dit Borrichius, à propos de ce passage, intuendum Astrologiam jam olim duplicem fuisse superiorem illam ex stellarum clestium deportatis in terras radiis pensant; inferiorem autem ex lucentibus illis magn matris telluris syderibus, hoc est, splendidis metallorum glebis derivatam. Et hoc est quod modo ex Psello observatum nobis, Democritum scripsisse de tinctura Solis & Lun, id est, ut expressiori nomen elatum reddam de subtili coloratoque ex auro argentoque liquore. Et, pour achever ce tableau de la Logique de Borrichius & des littérateurs, il déduit de - là l'ancienneté de l'usage des mêmes noms pour les planetes & pour les métaux; induction au secours de laquelle il appelle & les mysteres de Mitra, rapportés par Celse chez Origene, & Philostrate, qui raconte qu'Apollonius de Thiane ayant philosophé secretement avec le Brachmane larchas, en reçut en présent sept anneaux, stellarum septem nominibus insignitos, qu'il mettoit à ses doigts selon les jours de la semaine, & que Borrichius assûre, de son chef, avoir été faits des divers métaux, qui portent aujourd'hui les noms des planetes; & Platon & Manilius, &c.

Borrichius finit cette discussion sur la Chimie des anciens Grecs par un aveu qui n'est point du tout à sa maniere, & qui lui a échappé je ne fais comment. Il croit que les anciens Grecs ne s'entendoient pas eux - mêmes, & qu'ayant pris à la lettre ce que les Egyptiens leur avoient délivré sur le ton d'oracle, ils l'avoient répandu sans y rien comprendre; il lui paroît que ces Grecs libasse tantùm artem chimicam, non hausisse, si paucissimos excipias; sed quantum in praxi chimica profecerit, sive Democritus, sive Homerus, sive Pitagoras, sive Pindarus, sive denique primus Orpheus, non disputabimus, contenti in scriptis corumdem manifesta (ce manifesta est admirable) Chimia spectare vestigia ipsis forsan autoribus qua ab Ægyptiis audierant non satis quandoque intellecta. Il ne seroit pas impossible absolument que Borrichius n'eût raison; le soupçon du merveilleux suffisoit pour déterminer les poëtes Grecs à orner leurs compositions des logogryphes Egyptiens: ce galimathias une fois introduit dans la poësie s'y est perpétué; telle est peut - être l'origine du rameau d'or de Virgile qui a l'air très - chimique, qui est chanté d'un ton tres chimique, mais où le poëte n'a apparemment rien entendu de tout ce que les Borrichius y voyent.

Au reste, ces oracles chimiques de l'Egypte, transmis jusqu'à nous de poëtes en poëtes, ne forment pas une tradition assez sûre pour prouver seulement que la Chimie existât en Egypte au tems où Diodore de Sicile, & tous ces Grecs dont on trouve le catalogue dans Diodore de Sicile, y voyagerent. Ni cet historien, ni Dioscoride son contemporain, & medecin de la fameuse Cléopatre, n'ont rien dit de relatif à cet art. Si d'un côté la dissolution assez prompte d'une perle considérable ne pouvant s'exécuter sans un menstrue dont la préparation semble supposer des connoissances de Chimie pratique, puisque le vinaigre n'opere point cette dissolution; si cette dissolution, dis - je, supposée vraie, prouve dans Cléopatre ou dans son medecin, quelque progrès dans l'art: d'un autre côté, il est difficile de comprendre comment les Romains se sont rendus maîtres de ces contrées, & comment les Grecs y ont voyagé devant & après cette conquête, sans rien rapporter de cet art, & qu'ils ayent même ignoré qu'il y existât. Nous pourrions conclure de - là que la Chimie n'étoit pas encore en Egypte; mais nous laissons ce point indécis. Pour en Grece, c'est un fait démontré; car il n'en paroît pas l'ombre dans les anciens auteurs, soit Medecins, soit Pharmacologistes, tels que Théophraste, Dioscoride, Galien, ni dans ceux du moyen âge que nous appellons medicina principes. Comment un art qui promettoit tout en naissant de dévoiler aux hommes les secrets les plus cachés de la nature, auroit - il pû exister à l'insçû des philosophes? Comment n'est - il pas arrivé alors ce qui est de tous les tems, & ce qui se remarque si sensiblement du nôtre, que l'ostentation des connoissances n'en ait pas répandu quelques mots techniques attrapés au hasard dans les compositions des poëtes, des orateurs, des romanciers? Les hommes anciens n'étoient - ils donc pas comme ceux d'aujourd'hui? Les écrivains n'employoient - ils que les termes dont ils sentoient toute la force? Ne cherchoit - on point le relief des connoissances, soit réelles, soit apparentes? Mais si l'on ne rencontre dans ces tems aucun mot de Chimie bien ou mal appliqué; si ce qui fait dire aujourd'hui tant de sottises n'en a point fait dire plûtôt; s'il n'y a pas une expression chimique ni dans Pline, ni dans Lucrece, ni dans Celse, n'est - ce pas que les Romains ont dù ignorer ce que les Grecs leurs maîtres ne savoient pas encore? Car il faut compter pour rien ce que Pline dit de l'or que Caligula retira de l'orpiment; ce peut n'être qu'une opération de Métallurgie sur un orpiment natif mêlé avec de l'or.

On fonde une derniere preuve de la Chimie des Egyptiens, sur l'immense richesse de ces peuples. On prétend qu'ils se l'étoient procurée par la transmutation des métaux, par l'oeuvre divin; comme s'il n'y avoit que cette voie d'accumuler des richesses, & que l'extrême difficulté de cette opération, pour ne rien dire de plus, ne dût point entrer dans le calcul de la certitude d'un fait dont l'autenticité n'est point historique. L'anecdote rapportée par le seul Suidas, que Dioclétien fit brûler tous les

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